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[center]La Pologne s'alarme de l'entrée massive sur son sol de déchets venus d'Europe de l'Ouest[/center]
LE MONDE | 25.12.07 |
VARSOVIE CORRESPONDANTE
Le site est idéal. Plantée en rase campagne, retranchée derrière des grilles rouillées, l'ancienne ferme d'Etat communiste du village de Krzemlin (nord-ouest de la Pologne), à la frontière allemande, s'est transformée ces derniers mois en véritable décharge sauvage. A l'abri des regards, une société de transport polonais y a déposé, courant 2006, pour le compte d'un entrepreneur allemand, 1500 tonnes d'emballages plastiques et de polystyrène.
En recrudescence depuis l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne en 2004, le trafic de déchets en provenance de l'Ouest reste encore "largement sous-estimé", déplore Malgorzata Kolodziej-Nowakowska, inspectrice de la région de Poméranie-Occidentale (nord-ouest) pour la protection de l'environnement.
Son apparition remonte aux années 1990, après la chute du communisme. Sous le coup d'un durcissement de la législation rendant le traitement des déchets plus complexe et plus onéreux, les riches pays ouest-européens ont profité d'une Pologne en pleine transition pour se débarrasser de leurs déchets plastiques, parfois chimiques. Le phénomène s'est amplifié en mai 2004, avec l'adhésion de la Pologne à l'UE. La levée des contrôles douaniers aux frontières occidentales du pays a ouvert une brèche : les trafiquants s'y sont engouffrés.
Résultat : en 2007, les gardes-frontières polonais ont relevé 1039 entrées illégales de déchets sur le territoire, dont 579 en provenance d'Allemagne, 32 d'Autriche, autant de Belgique. Il s'agissait surtout de déchets communaux, de voitures à la casse, d'emballages plastiques, de pneus, d'électroménager, de vêtements usagés et – plus incongru – de radiographies médicales.
Si le phénomène a ralenti au cours des derniers mois, sous l'effet d'une vigilance accrue des autorités polonaises, l'entrée de la Pologne dans l'espace Schengen, le 21 décembre, et la suppression totale des contrôles aux frontières pourraient bien annoncer une recrudescence du trafic. Au QG régional des garde-frontières, le porte-parole Jacek Ogrodowicz l'admet : "Personne ne se fait d'illusions. Ce trafic pourrait se renforcer, malgré la présence de nos patrouilles mobiles." Sous couvert d'activités de transport, de commerce ou de traitement des déchets, des entreprises polonaises prennent contact avec des sociétés allemandes, néerlandaises, suédoises, danoises, belges ou autrichiennes et proposent de les débarrasser à bon prix de leurs détritus, dans des décharges, des entrepôts désaffectés ou en pleine nature. Certaines spécialités ont fait leur apparition, comme le trafic de vieux vêtements en provenance d'Allemagne.
Le volume du trafic reste encore mal connu. "Des centaines de milliers de tonnes ont migré de l'Ouest vers la Pologne. Jusqu'à 300000 tonnes par an", estime Dariusz Matlak, président de la Chambre polonaise de gestion des déchets, à Varsovie. "Impossible à évaluer", tempère-t-on à l'Association polonaise du traitement des déchets, une ONG basée à Cracovie.
"Ce trafic a plusieurs visages, allant du transport artisanal de 1 ou 2 tonnes de déchets à des transits importants, aux mains de groupes criminels organisés", avertit la procureure Beata Nowakowska, de la cour d'appel de Szczecin (nord-ouest), admettant au passage ne pas pouvoir chiffrer précisément les revenus de ce "trafic lucratif", aucun réseau à grande échelle n'ayant encore été démantelé.
Pour prévenir une recrudescence du trafic, la Pologne vient d'affûter ses outils législatifs. En juin, l'article 183 de son code pénal a été revu et corrigé pour élargir les responsabilités en matière de transport illégal de déchets internationaux, désormais passible de six mois à huit ans de prison. Parallèlement, les services de protection de l'environnement peuvent désormais imposer des amendes allant de 50000 à 300000 zlotys (13 900 à 83 400 euros).
"Dans cinq ans, les coûts polonais de traitement des déchets rattraperont le niveau ouest-européen et donneront un vrai coup de frein au trafic, conclut l'inspectrice Kolodziej-Nowakowska. La Pologne devra alors relever un autre défi : lutter contre l'exportation illégale de ses propres déchets vers l'Asie ou l'Afrique."
Célia Chauffour