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[center]La dissémination du maïs OGM modélisée[/center]
[ Les Echos 23/01/08 ]
Les chercheurs européens ont conçu un code de calcul modélisant les transferts de flux de gènes de maïs dans les champs. Un premier pas vers la fin de la polémique.
Les organismes génétiquement modifiés commencent à sortir de la polémique grâce à la recherche. En rendant son avis sur le maïs MON810 il y a quelques jours, le comité sur les OGM a réussi à dégager un consensus scientifique. On sait désormais qu'il est impossible d'éviter une « contamination » des parcelles conventionnelles ou biologiques dans une région contenant des cultures d'OGM. Les experts se sont appuyés sur plusieurs publications internationales, en particulier celle du programme européen de recherche Sigmea. Par son ampleur (44 partenaires sur 3,5 ans), cette étude a fait taire les négations des partisans radicaux des OGM. Pourtant, Sigmea pourrait aussi contribuer à aider les semenciers, les agriculteurs et les chercheurs en transgénèse à relancer les cultures OGM.
Car, grâce à ces travaux, les chercheurs ont conçu un outil pour caractériser la coexistence des champs OGM et non OGM. Ce logiciel modélise les flux de gènes du maïs, et dans une moindre mesure du colza et de la betterave. Il a été élaboré à partir de 180 jeux de données issus d'expérience en champ. Les données les plus pertinentes concernent surtout le déplacement des grains de pollen de maïs que les chercheurs mesurent depuis des années autour de parcelles expérimentales. Pour cela, les agronomes plantent des maïs comportant un gène qui colore les grains.
Pendant la floraison (2 à 3 semaines), les maïs mâles OGM dispersent leur pollen grâce aux insectes ou au vent. Les gamètes OGM viennent féconder des maïs femelles non OGM et transmettent leurs transgènes à la descendance. En fait, 90 % du pollen retombe dans les 5 mètres autour de leur émetteur mais 1 % dépasse les 50 mètres de distance. Les mesures montrent même qu'une faible partie peut se disperser sur plusieurs kilomètres à cause des vents ascendants. Des observations en avion ont trouvé du pollen à 2.000 mètres d'altitude. Et contrairement à ce que les semenciers prétendaient, l'altitude ne condamne pas les gamètes, l'humidité au contraire leur plaît.
Les chercheurs comptent ensuite les épis colorés des parcelles non OGM pour en déduire un taux de contamination. Sigmea a ainsi trouvé dans ses données plusieurs parcelles à « risque » dont 2 à 3 % des maïs a reçu les transgènes, souvent des petits champs.
Seuil critique
En synthétisant de nombreuses situations climatiques ou agronomiques dans toute l'Europe, le programme a pu en extrapoler un modèle. Le logiciel calcule les « contaminations » de chaque parcelle en fonction du scénario agricole donné et des conditions naturelles locales. Pour une zone donnée, les chercheurs rentrent la description du parcellaire en deux dimensions, puis le pourcentage de parcelle OGM envisagé. Le climat représentatif d'une année est décrit à l'heure près. Une simple pluie stoppe l'émission de pollen des maïs. Il faut aussi indiquer les pratiques des agriculteurs : il suffit d'une semaine de décalage des plantations et des floraisons de la parcelle OGM pour réduire fortement la pollinisation croisée dans les autres champs. Le résultat sort sous la forme de carte de « contamination » dont chaque pixel représente 5 à 10 mètres carrés.
Selon Antoine Méssean, Sigmea a démontré deux choses : « Il est impossible de garantir qu'une parcelle de maïs conventionnel reste exempte d'OGM à l'échelle d'une petite région agricole. Mais on sait aussi qu'il est possible de concilier des cultures OGM dans une région agricole en maintenant un taux de pollinisation croisée inférieur à 0,9 %. » Dans certains cas, les membres de la coopérative d'une zone peuvent cultiver une part de maïs OGM tout en ne conservant que 0,9 % de grains OGM en moyenne dans les silos. Ce seuil, plutôt arbitraire, est pour les agriculteurs essentiel, puisqu'il représente la limite à partir de laquelle leurs clients agroalimentaires doivent signaler les OGM sur leur étiquette. Une mention prohibitive pour les consommateurs. C'est pourquoi les partenaires de Sigmea avancent un argument économique pour justifier de séparer très nettement les cultures OGM et non OGM, à l'échelle de régions spécialisées. Sans même considérer l'impact environnemental ou sanitaire, encore en débat scientifique, les chercheurs plaident donc pour plus de régulation.
En trois dimensions
Les scientifiques veulent maintenant améliorer le logiciel en le dotant d'une représentation d'un terrain en trois dimensions, histoire de prendre en compte l'effet des collines ou des obstacles au vent. Le projet vise aussi à affiner le modèle de floraison du maïs. « Le logiciel actuel est fiable pour des taux de pollinisation de 0,9 %, mais il faut encore augmenter la précision si les utilisateurs politiques ou économiques veulent atteindre des résolutions plus basses », prévient Antoine Méssean.
Les chercheurs voudraient aussi des codes de calcul similaires pour d'autres espèces transgéniques comme le tournesol ou le colza. La modélisation de la dissémination du colza est plus compliquée, car cette plante est essentiellement autogame, elle se féconde elle-même puis éjecte ses graines (embryons) par terre. Contrairement au maïs, les graines peuvent survivre plusieurs années en terre, et donc « contaminer » un champ replanté en cultures conventionnelles. La vie des graines en terre est un phénomène encore complexe à décrire. La modélisation est d'autant plus difficile que le colza OGM n'est pas autorisé et donc pas cultivé en Europe.
Enfin tous les OGM ne nécessitent pas une modélisation spécifique, tant certaines disséminations sont prohibitives. L'agence américaine de l'environnement a interdit une graminée résistante au désherbant Roundup car son pollen très léger voyage sur des dizaines de kilomètres. Elle était destinée à tapisser les greens de golf pour rendre leur entretien plus facile.
MATTHIEU QUIRET
Le logiciel calcule les « contaminations » de chaque parcelle en fonction du scénario agricole donné et des conditions naturelles locales.
