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[center]Face aux projets gouvernementaux, les chercheurs défendent le CNRS[/center]
LE MONDE | 24.01.08 |
Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) survivra-t-il aux élections municipales ? L'inquiétude est vive chez les chercheurs, alors que la mission de réflexion sur les "partenariats entre les organismes de recherche et les établissements d'enseignement supérieur" confiée, en octobre 2007, à François d'Aubert, ancien ministre délégué à la recherche, poursuit ses travaux. Ses conclusions sont attendues pour le mois de mars, ce qui revient à repousser leur mise en oeuvre après le scrutin. "La légitimité du CNRS n'est pas remise en cause, assure Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Le défendre aujourd'hui, c'est poursuivre sa modernisation, débureaucratiser le système. Nous avons besoin d'une gestion moins complexe et plus lisible."
Officiellement, il ne s'agit que d'"harmoniser" et de "simplifier" les règles de gestion, administrative et comptable, des laboratoires de recherche. Mais avant même son élection, Nicolas Sarkozy avait affiché son objectif : "Je transformerai nos grands organismes en agences de moyens pour qu'ils financent la recherche française selon une logique de projets. Nos universités deviendront les principaux opérateurs de recherche, comme cela est le cas dans tous les pays à la pointe de l'innovation." Depuis, la loi sur l'autonomie des universités, qui renforce les pouvoirs de leurs présidents en matière de recherche, a confirmé le cap.
Les chercheurs n'ont pas tardé à réagir : lettre ouverte du président du Comité national de la recherche scientifique, Yves Langevin, redoutant le "démantèlement de fait des organismes de recherche publique" ; pétition de Sauvons la recherche (22 000 signatures à ce jour) contre "la disparition programmée des organismes" ; lettre de plus de 800 directeurs de laboratoire à Mme Pécresse contre "le danger d'une réforme brutale qui risque de désorganiser de façon durable le paysage scientifique français" ; plaidoyer du Prix Nobel de physique Albert Fert en faveur du CNRS.
Mené à son terme, le projet du gouvernement reviendrait à confier aux universités le pilotage de la recherche publique. Les organismes - CNRS, Inserm (santé), INRA (agronomie), etc. - ne conserveraient qu'un rôle de gestion de personnels et de grands équipements. Cela en rupture avec l'histoire du système de recherche français, où les grands organismes ont vu le jour pour pallier les insuffisances des universités, incapables de mener seules une recherche au meilleur niveau.
"Le CNRS est reconnu dans le monde comme un label de qualité. Il serait dommage de casser ce qui marche et de retourner trente ans en arrière", met en garde sa présidente, Catherine Bréchignac. Elle en veut pour exemple les dix-neuf laboratoires de l'Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3), tous associés à des universités mais que "seul le CNRS peut mettre en réseau pour leur donner une stratégie d'ensemble et un impact international".
François d'Aubert, lui, se veut rassurant. "Notre rôle se limite à améliorer la coopération entre organismes et universités. Un remodelage n'est pas de notre ressort", affirme-t-il. Au centre de la réflexion, la gestion des unités mixtes de recherche (UMR), associant un organisme - ou plusieurs - à une université - ou plusieurs. Une formule, imaginée dans les années 1960, qui s'est généralisée : près de 90 % des 1 200 unités de recherche du CNRS sont aujourd'hui des UMR, implantées le plus souvent sur des campus.
Si, pour les laboratoires possédant jusqu'à quatre ou cinq tutelles, une simplification paraît nécessaire, dans le cas le plus fréquent - le rattachement à un organisme et à une université -, le maintien de la double tutelle doit être préservé, estiment les chercheurs. "L'université donne un ancrage régional par ses liens avec les collectivités territoriales et le tissu industriel. L'organisme apporte une cohérence nationale et une stratégie à long terme", défend Yves Langevin.
Certains présidents d'université espèrent mettre la main sur les UMR. D'autres ont perçu le danger : le CNRS pourrait opérer un "tri" et garder, en unités propres, ses meilleurs laboratoires. "Il y a des domaines essentiels, nécessitant des infrastructures et des investissements lourds, où nous voulons maintenir une présence très forte, prévient son directeur général, Arnold Migus. Cela vaut pour les sciences exactes, comme la physique, la chimie, les sciences de l'Univers ou la biologie, mais aussi pour les sciences humaines et sociales, comme l'archéologie ou l'anthropologie."
Si l'idée d'un démembrement brutal du CNRS ne semble plus à l'ordre du jour, l'organisme pourrait cependant se voir transformé en coquille vide par le transfert des unités de recherche aux universités. "Tout dépendra, veulent encore croire les syndicats, de la mobilisation des scientifiques."
Pierre Le Hir