un univers fini et chiffonné?

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par canardos » 13 Fév 2008, 14:30

a écrit :

Le 13 février 2008

[center]Notre Univers est-il fini et chiffonné ?[/center]

Par Laurent Sacco, Futura-Sciences

Un Univers clos, de taille finie, et d'une topologie différente de celle d’une sphère : cet audacieux modèle de Jean-Pierre Luminet et de ses collègues prend aujourd'hui un peu plus de poids. Deux publications récentes comparant quelques-unes de ses prédictions et les observations du rayonnement fossile indiquent des résultats encourageants.

Déjà en 2003, les résultats fournis par WMap sur le spectre de puissance des fluctuations dans le rayonnement fossile pouvaient être interprétés comme une indication d’un taille finie de notre Univers. Mieux, on pouvait aussi y trouver des indices en faveur d’une topologie particulière de l’espace, une possibilité étudiée depuis des années par Jean-Pierre Luminet et certains de ses collaborateurs, comme les astrophysiciens Marc Lachièze-Rey et Roland Lehoucq.

Pour comprendre de quoi il s’agit, nous prendrons l'exemple d'un Univers fictif (voir la figure 1), en forme de cylindre sur lequel se balade un petit insecte. On peut construire un tel Univers en partant d’un carré et en identifiant deux de ses bords. L’opération revient à coller ceux-ci et l’on voit que tout se passe comme si l’insecte se déplaçant sur le carré et voulant sortir de celui-ci rentrait automatiquement dans ce même carré mais par le bord opposé.

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Figure 1. La longueur d'onde des fluctuations de densité est limitée par la taille d'un univers se refermant sur lui-même. Schéma a : une créature vivant à la surface d'un cylindre se déplace et revient à son point de départ après avoir fait un tour complet. Schéma b : un cylindre découpé se transforme en un carré et le trajet de la créature sort par le côté droit pour entrer par le côté gauche. Schéma c : un tore plat est aussi construit à partir d'un carré dont on identifie les côtés opposés ; un tel espace est dit multi-connexe. Schéma d : des ondes se propageant dans un univers torique ne peuvent pas avoir une longueur d'onde supérieure au côté du carré. Pour construire un espace multi-connexe à trois dimensions, on identifie deux à deux les faces d'un polyèdre, un cube par exemple. Dans une telle configuration, la forme des ondes autorisées à se propager dépend de la géométrie de l'espace et de la façon dont les faces sont associées. Crédit : OBPSM

Une des caractéristiques d’un tel Univers à deux dimensions où vivraient des être bidimensionnels est que des rayons lumineux émis par des objets pourraient faire le tour de cet Univers et donner lieu à des images fantômes, laissant croire à un observateur qu’il est dans un monde infini peuplé d’un très grand nombres d’objets possédant des formes identiques.

Si l’on identifie les deux autres bords du carré, cela revient à coller les sommets du cylindre et on obtient un nouvel Univers en forme de pneu, possédant la même géométrie plate que le précédent et les mêmes images fantômes indiquant un Univers infini.

Notre propre Univers pourrait bien ressembler à un Univers en forme de tore, avec une géométrie plate (voir la figure 2).

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Figure 2

Notre Univers apparaît en effet comme remarquablement homogène et isotrope, avec des régions de l’espace occupées par un rayonnement fossile dont la température est identique à un degré de précision époustouflant. Sa géométrie spatiale est très proche de la géométrie euclidienne. On comprend mal comment un tel Univers a pu émerger du Big Bang, alors que les régions qui le composaient n’avaient pas eu le temps d’échanger de la chaleur à la vitesse de la lumière pour atteindre ce remarquable degré d’homogénéité dont témoigne le rayonnement fossile.

Une solution est bien sûr la théorie de l’inflation, très favorisée par les données de WMap, mais une autre est de dire que notre Univers est en réalité bien plus petit que l’on ne le croit et qu’en conséquence, les régions que nous observons avaient eu le temps de communiquer entre elles au moment du Big Bang. Sa grande taille ne serait qu’une illusion d’optique similaire à celle que nous avons décrite avec les exemples précédents.

L'apparente infinité de notre Univers est-elle une illusion d'optique ?

Lorsque l’on veut étudier les formes possibles de l’espace, on utilise une théorie mathématique appelée la topologie. Ainsi une sphère et un ballon de rugby sont topologiquement équivalents, car l’on peut déformer l’une en l’autre sans faire de trou. Ce n’est pas le cas d’un tore et d’une sphère.

Jean-Pierre Luminet et ses collègues ont donc cherché des alternatives à l’inflation pour expliquer les caractéristiques étonnantes de l’Univers en utilisant des Univers topologiquement différents mais de taille finie plus petite que celle déduite des observations avec des modèles classiques d’Univers à la Friedmann-Lemaître (Robertson-Walker).

Le meilleur candidat pour coller aux observations de WMap semble être le dodécaèdre de Poincaré. Pour comprendre de quoi il retourne considérons une sphère avec un pavage en forme de ballon de football :

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Figure 3. Crédit : OBSPM

Cela revient à considérer un dodécaèdre :

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Figure 4. Crédit : OBSPM

On joue ici le même jeu qu’avec le carré initial en deux dimensions mais on a affaire à un polyèdre en trois dimensions dont on va identifier les côtés opposés. On obtient ainsi une sorte de multi-tore mais qui n’en est pas vraiment un. L’espace dodécaédrique de Poincaré (PDS), en gros, c’est cela...

Or, de même qu’une corde peut osciller selon différents modes stationnaires dépendant de la longueur de la corde, un instrument de musique, comme un tambour ou un violon, ne pourra  produire que des sons caractéristiques de sa taille et de sa forme. Ainsi, lors de la « création » de l’Univers observable, le fluide de particule occupant l’Univers était animé de modes de vibrations dépendant de la forme géométrique de notre Univers, de sa composition en particules et aussi de sa topologie.

Dans le cas d’un Univers fini possédant une topologie obtenue par identification des faces d’un polyèdre donné, on peut calculer, en théorie du moins, les modes possibles d’oscillations et faire des prédictions sur la forme précise du spectre du rayonnement fossile. Remarquablement, certains des Univers finis avec une topologie dite multiplement connexe conduisent donc à des hypothèses testables et, si nous vivons dans un de ces Univers, nous pouvons le savoir !

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La figure 5 montre quelques exemples d’Univers avec topologie multiplement connexe — Luminet parle d’Univers chiffonnés —, avec la structure du rayonnement fossile à laquelle ils conduisent.
Figure 5. Crédit : New Scientist


Depuis, l’année 2003 et la publication dans Nature d’un article dans lequel Jean-Pierre Luminet et ses collègues proposaient le Poincare Dodecahedral Space(PDS), les chercheurs ont progressé dans le calcul du spectre de puissance que devait avoir le rayonnement fossile.

Ainsi, 1,7 milliard de modes vibrationnels sont maintenant connus et pris en compte dans la comparaison avec les données de WMap. Il en résulte que le modèle PDS fait aussi bien que le modèle Lambda CDM (constante cosmologique-matière noire) avec un Univers plat, infini et à la topologie simplement connexe, alors que dans le premier on est en présence d’un Univers clos, donc fini, et à la topologie multiplement connexe. Si l’on considère la densité totale de l’Univers ramené à celle de la densité critique, on trouve alors pour ce rapport 1,018 .

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Figure 6. Spectres de puissance comparés pour les données expérimentales de WMap (barres d'erreur verticales), pour le modèle théorique LambdaCDM (courbe en pointillés) et pour le modèle PDS (courbe pleine). Crédit : OBSPM

Comment départager les deux théories ?

Peut–être en suivant la voie explorée depuis des années par Boudewijn Roukema à la tête d’une équipe polonaise qui, elle aussi, annonce avoir obtenu des résultats encourageants en faveur du modèle PDS.

Examiné de près, le processus d’identification des faces du dodécaèdre conduit à des corrélations entre les images que l’on peut obtenir de la surface de dernière diffusion (voir la figure 7), correspondant pour chaque observateur dans l’Univers au moment où le rayonnement fossile a été émis. On montre que ces corrélations reviennent à considérer des intersections des images de ses surfaces sphériques et qu’elles conduisent à toute une série de cercles anti-podaux le long desquels les corrélations sont observables.

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Figure 7. Une topologie multiconnexe se traduit par le fait que tout objet de l'espace peut se présenter en de multiples exemplaires au sein de l'univers observable. Pour un objet étendu comme la région d'émission du rayonnement fossile, appelée surface de dernière diffusion, celle-ci peut s'auto-intersecter le long de paires de cercles. En ce cas, cela revient à dire qu'un observateur (situé nécessairement au centre de cette surface de dernière diffusion) verra la même région de l'univers dans différentes directions. En conséquence, les fluctuations de température seront identiques le long des paires de cercles d'auto-intersection de la surface de dernière diffusion, comme le montre la figure.
Cette carte du rayonnement fossile a été calculée pour un espace plat multi-connexe, précisément un hypertore dont la taille est 3,17 fois inférieure au diamètre de l'horizon cosmologique. Crédit : OBSPM



Tout le problème, et il est de taille, est d’extraire de façon convaincante ces zones des mesures effectuées par WMap et de montrer qu’il existe bien des corrélations qui ne peuvent statistiquement se produire que de façon très improbable dans un Univers LambdaCDM. L’équipe de Boudewijn Roukema avait déjà obtenu il y a quelques années des résultats dans ce sens, et elle confirme à nouveau la possible présence de ces cercles.

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Figure 8. Position des 12 cercles corrélés trouvés récemment dans les données WMap par une équipe franco-polonaise, en parfait accord avec le modèle PDS. Les centres des cercles correspondent aux centres des faces du dodécaèdre fondamental, déterminés par leurs coordonnées galactiques. La probabilité pour que le modèle LambdaCDM plat et infini reproduise par hasard une telle configuration n'est que 7 %. Crédit : OBSPM

Malheureusement, même si ces résultats sont plus précis, ils ne sont toujours pas probants. En revanche, on peut penser que les choses vont s’améliorer avec le lancement prochain du satellite Planck par l’Esa.

Quelques considérations de cosmologie quantique

Pour finir, si l’on se place du point de vue de la cosmologie quantique, on sait depuis longtemps que des Univers clos à courbure positive sont favorisés par l’approche reposant sur l’intégrale de chemin de Feynman. Comme l’ont montré Stephen Hawking et James Hartle avec leur modèle sans bord et utilisant le temps imaginaire, il est plus naturel, mais pas démontré, de considérer des Univers clos que des Univers infinis.

En adoptant l’approche de la théorie des cordes, qui introduit des objets géométriques topologiquement compliqués comme les espaces de Calabi-Yau et les orbifolds, il est également plus naturel de considérer l’espace-temps macroscopique comme une partie d’un espace-temps multidimensionnel et topologiquement multiconnexe qui serait entré en expansion aux dépens d’autres dimensions qui, elles, seraient restées microscopiques.

Inutile de dire que dans le cadre des discussions actuelles, souvent chaudes, sur le principe anthropique, le Landscape, les cerveaux de Boltzmann,  la possibilité d’un Univers fini ne manquera pas d’être appréciée...


canardos
 
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Message par chuck » 13 Fév 2008, 15:26

Ainsi donc la théorie des Shadoks selon laquelle une fusée qui monte vers le haut finit toujours par revenir à son point de départ serait correcte ! :w00t:
chuck
 
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Message par canardos » 13 Fév 2008, 16:38

bon, d'autre coté, le temps qu'elle ait fait le tour de l'univers t'as le temps d'aller prendre un café. ;)
canardos
 
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Message par Dorvek » 13 Fév 2008, 21:04

Je signale que j'ai vu récemment une conférence de J.P. Luminet sur ce sujet notamment, et cet article manque de précision sur le fait que d'après cette théorie de l'univers chiffonné, l'univers observable n'est pas beaucoup plus grand que l'univers réellement existant: ce dernier serait de l'ordre de 80% seulement de l'univers observable, donc ça fait pas une différence énorme, inutile de fantasmer sur des voyages touristiques vers Alpha du Centaure, c'est quand même pas la porte à côté de toutes façons :48: :ermm: !

De plus, la fin de l'article laisse à penser que cette théorie propre à Luminet et ses collègues viendrait indirectement confirmer la théorie des cordes; or il a pris soin de préciser que sa préférence personnelle irait plutôt à sa principale rivale, la théorie de la gravité quantique à boucles, ce qui ma fait plaisir car moi aussi je préfère celle-ci, beaucoup plus matérialiste d'inspiration que la petite musique des cordes, dont beaucoup commencent d'ailleurs à trouver qu'elles sonnent assez faux, et dominent indûment le débat scientifique. :king1:
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Message par Casimirowski » 13 Fév 2008, 21:50

Si je me trouve à la surface du cylindre et que j'ai dans mon dos, pas très loin, un objet celleste comme une galaxie si je regarde en face, est-il donc possible de voir ce même objet beaucoup plus éloigné et donc plus jeune de quelques milliards d'années?
Casimirowski
 
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Message par Casimirowski » 13 Fév 2008, 21:52

Peut-on me donner les références d'un ouvrage capable de m'éclairer sur la théorie de la gravité quantique à boucles ?
Casimirowski
 
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Message par shadoko » 14 Fév 2008, 11:52

a écrit :
Si je me trouve à la surface du cylindre et que j'ai dans mon dos, pas très loin, un objet celleste comme une galaxie si je regarde en face, est-il donc possible de voir ce même objet beaucoup plus éloigné et donc plus jeune de quelques milliards d'années?

Oui, et c'est d'ailleurs le principal obstacle à l'éventuelle détection de tels objets, pour peu qu'on soit vraiment dans un univers fini. Parce qu'après avoir évolué pendant quelques milliards d'années, la galaxie n'a plus tout-à-fait la même tronche, alors va savoir que c'est la même...

a écrit :
Peut-on me donner les références d'un ouvrage capable de m'éclairer sur la théorie de la gravité quantique à boucles ?

Hem. Tout dépend de ce que tu es capable d'avaler. C'est une théorie en développement, assez technique pour le moment, à laquelle ses inventeurs eux-même ne comprennent pas tout (comme toujours au début). Je doute fort qu'il y ait vraiment des livres de vulgarisation sur le sujet (peut-être "Three roads to quantum gravity, Lee Smolin, qui n'existe probablement pas en français). De plus, un prérequis pour y comprendre quelque chose est d'avoir une bonne idée de la mécanique quantique elle-même et de la théorie de la relativité générale. Si tu as déjà plus ou moins avalé tout ça, alors, oui, il y a un certain nombre d'articles, de résumés, etc.(toujours principalement en anglais). Tu peux en trouver une liste en ligne sur la page de wikipedia "Loop quantum gravity". La première référence qu'ils citent est lisible.
shadoko
 
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Message par Dorvek » 14 Fév 2008, 22:01

En français il y a de Carlo Rovelli, Qu'est-ce que le temps ? Qu'est-ce que l'espace ?, Bernard Gilson Éditeur (2006), très accessible.
Dorvek
 
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Message par canardos » 18 Fév 2008, 15:42

a écrit :

[center]Interview : Jean-Pierre Luminet explique le modèle de l'Univers fini[/center]

Par Laurent Sacco, Futura-Sciences

A l'occasion de la publication de nouveaux résultats confortant l'hypothèse d'un Univers fini, mais à la topologie particulière, l'un des principaux promoteurs de ce modèle, Jean-Pierre Luminet, répond aux questions de Futura-Sciences sur cette fascinante théorie cosmologique.

Futura-Sciences : Le modèle cosmologique dodécaédrique de Poincaré (Poincaré Dodecahedral Space, PDS) possède des caractéristiques distinctes du modèle de concordance [version actuelle du Modèle standard, communément acceptée aujourd'hui, NDLR]. Pouvez-vous nous rappeler brièvement lesquelles ?

Jean-Pierre Luminet : Le modèle de concordance actuellement considéré par beaucoup de cosmologistes est un modèle à la topologie simple, comme une sphère. Mais surtout il est plat et infini. Celui du PDS est un modèle clos, construit à partir d’une géométrie sphérique, mais à la topologie compliquée comme un pneu ou un bretzel. Il est donc fini mais, contrairement à un tore plat, il est caractérisé par une courbure positive.

En outre, il conduit à des prédictions concernant sa taille qui sont en principe testables, ce qui n’est pas le cas des modèles cosmologiques infinis. L’une de ces prédictions concerne les observations que l’on peut faire dans le spectre de puissance du rayonnement fossile. Comme la taille de l’Univers est finie et inférieure à l’horizon dans le cas du modèle PDS, on doit s’attendre à une coupure pour la taille des longueurs d’ondes présentes dans le spectre des fluctuations du rayonnement fossile. C’est facile à comprendre car des longueurs d’onde plus grandes que la taille de l’Univers sont évidemment exclues.

Futura-Sciences : Lorsque l’on mesure, dans toutes les directions de l’espace, l’intensité du rayonnement fossile, et que l’on effectue une sorte de moyenne, on trouve une courbe avec des pics et des oscillations : il s’agit de la fameuse variance cosmique qui dépend de l’échelle de résolution angulaire avec laquelle on analyse le rayonnement fossile.
Le spectre de cette courbe est une sorte de carte d’identité d’un Univers de forme et composition donnée, de même que le spectre d’un atome ou d’une molécule peut servir à l’identifier. Après la publication des données de WMap,  c’est bien à ce niveau là que vous avez trouvé les premiers indices en faveur du  modèle PDS que vous avez étudié avec vos collègues depuis quelques années ?


Jean-Pierre Luminet : Tout à fait ! Au début de la courbe de la variance cosmique, on constatait en 2003 que deux modes, dits quadripolaires et octopolaires, étaient moins présents que prévu dans le cadre du modèle de concordance. Or, c’est précisément le genre de choses auquel on doit s’attendre avec un Univers de taille finie, plus petit que l’horizon cosmologique. Cela correspond à l’absence des grandes longueurs d’onde dont j’ai parlé précédemment.

Le raffinement des mesures de WMap, au bout de trois années d’observations, a fait disparaître le désaccord entre la mesure du mode octopolaire et les prédictions du modèle de concordance mais le problème persiste toujours avec le mode quadripolaire : c’est un argument sérieux en faveur de notre modèle.

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Figure 1. La courbe de la variance cosmique. En rouge, la prédiction du modèle de concordance. La croix en bas à gauche est conforme au modèle PDS et c'est un résultat observationnel. Crédit : Nasa

Futura-Sciences : Avec vos collègues (S. Caillerie, M. Lachièze-Rey, R. Lehoucq, A. Riazuelo, et J. Weeks), vous présentez votre modèle cosmologique comme une alternative au modèle de concordance, en particulier parce que vous pouvez être en meilleur accord avec le spectre de puissance du rayonnement fossile fourni par WMap que celui-ci. Toutefois, d’autres observations, comme les supernovae et les collisions entre amas de galaxies, indiquent la présence d’énergie noire et de matière noire. Cela est-il là aussi compatible avec votre théorie ?

Jean-Pierre Luminet : Nous avons évidemment étudié la question et, non seulement notre modèle incorpore la matière noire et l’énergie noire, mais il le fait avec des proportions identiques à celles du modèle de concordance. Il y a donc compatibilité avec les autres contraintes observationnelles que vous mentionnez.

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Figure 2. Les proportions d'énergie noire (dark energy) et de matière noire (dark matter)  dans l'Univers. Le reste est de la matière baryonique normale. Crédit : planetquest.jpl.nasa.gov

Futura-Sciences : Le modèle dodécaédrique de Poincaré possède une topologie rigide, cela veut-il dire qu’il fixe la densité totale de l’Univers ?

Jean-Pierre Luminet : Non, la densité de 1,018 que nous avons obtenue est celle qui permet l’ajustement le plus précis avec les données de WMap. Néanmoins, comme je vous l’ai dit, le PDS exige une courbure positive pour l’Univers. Cela signifie que la densité totale doit bien être supérieure à 1, sans quoi notre modèle serait réfuté par les observations.

Futura-Sciences : Dans votre cours de cosmologie [téléchargeable en fichier PPS, NDLR], vous parlez d’une autre contrainte sur la densité totale dans le modèle PDS: elle ne doit pas être inférieure à 1,009. Si cela était le cas, comme la future mission Planck le révélera peut-être, le PDS serait-il là aussi réfuté ?

Jean-Pierre Luminet : A strictement parler, non. En fait, il existe un intervalle de valeurs, pour la densité totale, qui correspond à des Univers dodécaédriques dans lesquels leur taille est plus petite que l’horizon. Dans ce cas, il est possible de savoir si nous sommes dans un Univers décrit par le modèle PDS. Dans le cas contraire, pour des valeurs en dehors de cet intervalle, notre Univers pourrait toujours être décrit par le modèle PDS mais sa taille serait supérieure à son horizon, et nous ne pourrions donc pas le départager d’autres modèles d’Univers, comme le modèle de concordance Lambda CDM.

Futura-Sciences : Le PDS est clos, avec une densité supérieure à la densité critique. Cela veut-il dire que son destin est de finir dans un Big Crunch ?

Jean-Pierre Luminet : Pour autant que nous le sachions, non, car l’énergie noire l’accélère exactement comme dans le cas du modèle de concordance. Il devrait donc continuer son expansion pour l’éternité.

Futura-Sciences : Andrei Linde et sa femme Renata Kallosh ont tout de même proposé récemment que la valeur de la constante cosmologique puisse changer dans le futur. En utilisant certains modèles de supergravité, ils montrent que, même si l’Univers est plat, il pourrait néanmoins changer de régime d’expansion dans un futur assez proche, quelques dizaines de milliards d’années, et s’effondrer pour donner un Big Crunch. Pensez-vous qu’une telle chose soit transposable au modèle PDS ?

Jean-Pierre Luminet : Cela me semble tout à fait possible. En fait, la dynamique temporelle [document téléchargeable en PPS, NDLR] (c'est-à-dire le fait que l’univers soit en expansion perpétuelle ou en expansion-contraction par exemple) est totalement découplée du problème topologique de la forme de l’espace.

Futura-Sciences : De prime abord, l’idée d'un espace aux formes polyèdriques semble assez surprenante et sans véritable justification. Pourtant, on sait que dans le cadre de la théorie des cordes, des objets aussi étranges que des espaces de Calabi-Yau, et surtout des orbifolds, sont plus ou moins des nécessités pour la cohérence de la théorie.
Vous avez attiré l’attention sur le fait que cela est un bon argument pour considérer que notre espace macroscopique puisse être topologiquement compliqué, car il ne serait qu’une partie, entrée en expansion, d’un espace  à 10 ou 11 dimensions du type de ceux de la théorie des cordes. Cela fait-il de vous un partisan de la théorie des cordes ?


Jean-Pierre Luminet : C’est un peu plus compliqué que cela. A vrai dire, je n’ai pas d’opinion fixée sur la théorie des cordes et ce que j’en pense est encore en évolution. J’ai bien sûr trouvé la théorie des cordes très intéressante mais, avec le temps et les difficultés qui s’accumulent, comme avec le problème du Landscape (véritable pied de nez au critère de Popper), j’ai pris quelque distance avec elle et je m’interroge. Ceci dit, je ne serai pas aussi négatif à son sujet que des gens comme Lee Smolin ou Peter Woit.

Futura-Sciences : Justement, le fait que l’espace macroscopique puisse avoir la topologie du modèle PDS ne pourrait-il pas servir de contrainte supplémentaire pour résoudre ce  problème du Landscape et, si la théorie des cordes est la bonne, aboutir ainsi à des prédictions testables pour les masses des particules par exemple ?

Jean-Pierre Luminet : On peut sans doute se poser la question et cela serait bien sûr formidable si cela arrivait, mais, dans l’état actuel de la théorie des cordes, il ne me semble pas évident du tout qu’on puisse y trouver la réponse, si toutefois elle y est contenue !

Futura-Sciences : Revenons aux observations du rayonnement fossile. Au début de la courbe de la variance cosmique prédite par le modèle PDS, c'est-à-dire aux grandes longueurs d’onde, on voit que celle-ci oscille, contrairement à celle du modèle de concordance (voir la figure 3). Lorsque le satellite Planck sera lancé, et qu’il aura mesuré plus finement la variance cosmique, le gain de résolution acquis permettra-t-il d’observer ces oscillations et donc de lever la dégénérescence entre PDS et de concordance les deux modèles, PDS et de concordance, autrement dit mieux les départager ?

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Figure 3. Crédit : OBSPM

Jean-Pierre Luminet : Malheureusement non. Planck va donner des informations aux courtes longueurs d’ondes, à l’autre bout de la courbe de la variance cosmique. Le meilleur espoir que nous ayons, c’est d’arriver à extraire du signal que donnera Planck, les fameuses corrélations sous forme de cercles que Boudewijn Roukema et ses collègues semblent déjà voir avec les données de WMAp.

Ce ne sera pas facile, il faudrait un rapport signal/bruit d’au moins 5 sigma pour que les corrélations observées soient vraiment vues comme une preuve du modèle PDS. Pour le moment, et même si c’est encourageant, ce rapport est de 2 sigma environ.

Futura-Sciences : Une dernière question. Quid de l’inflation avec un modèle PDS ? Elle ne s’impose plus, et même, est-elle compatible avec ce genre de modèle de petit Univers ?

Jean-Pierre Luminet : C’est une vaste question. Tout d’abord, il n’est pas vrai que le PDS permette de se passer de l’inflation pour expliquer l’homogénéité de l’Univers. Pour cela, il faudrait que celui-ci soit vraiment plus petit que ce que nous disent d’autres observations. Le point qui me semble le plus important, pour ce qui concerne la théorie de l’inflation, est qu’elle produise naturellement le bon spectre de fluctuations primordiales, et ce pour expliquer la formation des galaxies et leur rassemblement en amas pour donner les structures à grande échelle que nous observons. Toutefois, il ne faudrait pas croire que cela soit la seule possibilité. Il existe des alternatives à l’inflation qui produisent, elles aussi, un bon spectre de fluctuations.

Si l’inflation a bien eu lieu, elle ne peut pas avoir été trop importante dans le cadre d’un modèle PDS plus petit que l’horizon. En terme technique, l’e-folding, la puissance de l’exponentielle donnant la valeur de l’étirement de l’espace lors de la phase inflationnaire, devrait être de l’ordre de 60 environ. Ce résultat est en fait assez général pour des Univers clos. Rappelons que dans le cas de la théorie de l’inflation chaotique, l’e-folding est plutôt de l’ordre de 1012 .

Il se trouve qu’Andrei Linde a étudié des modèles clos et à topologie multiplement connexe. Il a montré que moyennant quelques ajustements fins, ceux–ci étaient parfaitement compatibles avec l’inflation. Il a étudié en particulier des modèles clos dont la courbure est nulle, voire négative, mais avec une topologie non triviale. Sa conclusion est que ce genre de modèle pourrait être la règle plutôt que l’exception dans le cadre de la cosmologie quantique. La théorie de l’inflation est extraordinairement flexible, peut-être trop d’ailleurs...
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