a écrit :Global malchance : les certitudes d’une association anti-nucléaireNotre ami Nicolas Gauvrit a récemment épinglé dans un article au titre ironique -nouveau record du monde de probabilités (1)- une tribune parue dans Libération de deux scientifiques (2) membres de l’association Global Chance (3). Comme l’indique son titre, cette tribune entend ,à la lumière de l’accident de la centrale de Fukushima, remettre en cause les discours des spécialistes du nucléaire qui estiment extrêmement faible la probabilité d’un accident nucléaire majeur. Au contraire, disent-ils, la survenue d’un accident majeur en Europe au cours des 30 prochaines années est une certitude statistique.
Que les probabilités théoriques subissent des critiques au regard de la vraie vie, c’est-à-dire d’un accident théoriquement très improbable mais qui a eu en fin de compte eu lieu, voilà qui ne choquera personne. Mais comment deux scientifiques de haut niveau (4) peuvent-ils transformer un doute sur la validité de probabilités théoriques en la certitude d’un accident nucléaire ? Comment deux personnes, peu suspectes d’être analphabètes dans le domaine statistique peuvent-elles écrire l’absurdité qui suit : « La France compte actuellement 58 réacteurs en fonctionnement et l’Union européenne un parc de 143 réacteurs. Sur la base du constat des accidents majeurs survenus ces trente dernières années, la probabilité d’occurrence d’un accident majeur sur ces parcs serait donc de 50% pour la France et de plus de 100% pour l’Union européenne. Autrement dit, on serait statistiquement sûr de connaître un accident majeur dans l’Union européenne au cours de la vie du parc actuel et il y aurait une probabilité de 50% de le voir se produire en France. On est donc très loin de l’accident très improbable. »
On remarquera ici que la conclusion « On est donc très loin de l’accident très improbable » semble avoir été écrite comme pour tempérer l’affirmation audacieuse d’une probabilité supérieure à 100%. Y croient-ils eux mêmes ? Comment un événement pourrait-il être plus que certain ? Comme le fait remarquer Nicolas Gauvrit, on pardonnerait difficilement ce genre de bourde à un élève de Terminale ! Mais cette bourde n’a pas froissé l’intelligence de Libération, ni celle de Politis qui s’est empressé de reproduire la tribune.
Bernard Laponche et Benjamin Dessus se sont bien gardés de détailler leur calcul, mais c’est sans peine que le mathématicien Étienne Ghys a reconstitué celui-ci (5):
Depuis l’avènement des centrales nucléaires, on dénombre 4 accidents majeurs de réacteurs (1 à Tchernobyl, 3 à Fukushima) pour l’équivalent de 14000 réacteurs/an. La probabilité d’un accident est donc de 0,0003 accident par réacteur et par an, en déduisent Laponche et Dessus, qui par extrapolation , déduisent une probabilité d’environ 129% en Europe , qui compte 143 réacteurs pour les 30 prochaines années : P= 143 x 30 x 0.0003 = 1,29 = 129%.
Cela aura échappé à ces brillants savants : ce qu’ils ont calculé n’est pas une probabilité, mais l’espérance mathématique du nombre d’accidents en Europe au cours des 30 prochaines années compte tenu de probabilité annuelle d’un accident sur un réacteur calculé sur la base des 3 décennies précédentes. En faisant pour l’instant abstraction de la valeur douteuse de cette probabilité de 0,0003, on reconnaît en effet une loi « binomiale » pour un paramètre n = 4290 (n est le nombre d’ « épreuves » correspondant aux années/réacteurs) et p=0.0003 (p étant la probabilité d’un accident à chaque « épreuve »). L’espérance mathématique de cette loi est égale à n x p=1.29. On devrait donc s’attendre en moyenne à 1,23 accident, en admettant que rien d’autre dans le raisonnement de Laponche et Dessus ne soit frelaté. Mais en aucun cas, cela ne signifierait la certitude d’un accident nucléaire en Europe. La probabilité d’un accident majeur serait en fait de 72% (6), comme l’a calculé Etienne Ghys. Le calcul exact aurait de toute façon été suffisamment alarmant : pour quelles raisons Laponche et Dessus ont-ils éprouvé le besoin d’évoquer une absurde probabilité de plus de 100% ? Ont-ils simplement été aveuglés par le désir de convaincre du danger, au point de ne pas s’apercevoir qu’ils commettaient une erreur grossière ?
Malheureusement, les soupçons ne s’arrêtent pas là. La démonstration vient opportunément quelques mois après Fukushima , et on dénombre désormais 4 accidents de réacteurs au lieu d’un seul . Selon ce raisonnement, la probabilité d’un accident calculée sur 30 ans, a été miraculeusement multiplié par 4 en 4 jours, du 11 au 15 mars 2011. Cela ne suffit-il pas à s’interroger sur la valeur de cette probabilité de 0,0003 ?
Raisonner comme le font Laponche et Dessus en nombre de réacteurs touchés, au lieu de compter le nombre d’accidents (1 à Tchernobyl , 1 à Fukushima) permet opportunément de gonfler la probabilité . Or, ce calcul ne vaut que pour des évènements indépendants (7). Les accidents simultanés des 3 réacteurs de Fukushima ne respectent évidemment cette condition d’indépendance, puisqu’ ils ont lieu sur le même site et ont une cause unique, le tsunami. Traiter de la même façon statistique l’accident de Fukushima que 3 accidents qui auraient eu lieu à des milliers de kilomètres de distance et à des années de distance en dit long sur la rigueur méthodologique de nos deux experts…
Mais les manquements à la rigueur ne s’arrêtent pas là.Comme le note Nicolas Gauvrit, chaque accident (et même les incidents mineurs) amène à un renforcement de la sécurité des centrales, si bien que calculer une probabilité sur 30 années écoulées pour les appliquer aux 30 années suivantes n’a guère de sens. Et tirer des conclusions sur le parc nucléaire français ou européen à partir de deux évènements survenus l’un dans l’URSS en déliquescence, l’autre au Japon frappé par le plus fort séisme jamais enregistré dans ce pays et un tsunami n’a pas plus de sens. Quelle est la probabilité que la centrale de Dampierre en Burly soit touchée par un tsunami de 20 mètres de haut ?
Il n’en reste pas moins que deux accidents majeurs ont bien eu lieu, et que personne ne comprendrait qu’on n’en tire pas les leçons dans la politique d’implantation, de sécurisation des sites atomiques etc… Alors, ne faut-il pas suivre Laponche et Dessus lorsqu’ils questionnent : « Plutôt que de continuer à calculer des probabilités surréalistes d’occurrence d’événements qu’on ne sait pas même imaginer (cela a d’ailleurs été le cas pour Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima), n’est-il pas temps de prendre en compte la réalité et d’en tirer les conséquences ? »
Sauf que pour eux, les conséquences étaient tirées bien avant le dernier accident : ils veulent inconditionnellement sortir du nucléaire. D’où la nécessité d’opposer à des probabilités qualifiées de surréalistes (8) des probabilités totalement bidons.
Personne ne peut se leurrer sur le fait que des probabilités théoriques sont ,par définition, différentes de la réalité. Qui peut douter, par contre, que toute action qui contribue à diminuer le risque théorique diminue également le risque réel ?
Le message qui ressort de cette tribune est dangereux. A quoi bon en effet renforcer la sécurité des installations, assurer scrupuleusement l’entretien des centrales et un haut niveau de formation de sa main d’œuvre, renforcer les verrous qui empêchent un incident mineur de dégénérer en catastrophe, si on considère le risque nucléaire comme inhérent à ce mode de production, identique quoi que l’on fasse pour le minimiser ?
En 1972, on dénombrait 16000 morts sur les routes françaises. Sur la base de l’augmentation du trafic routier depuis lors, Laponche et Dessus auront sans doute calculé que 50000 personnes meurent en 2012 sur nos routes et de réclamer la sortie de l’automobile pour arrêter le carnage. Or, le nombre réel de tués sur la route est passé sous la barre des 4000. On remarquera que c’est encore par an à peu près l’équivalent de la catastrophe de Tchernobyl sur le seul territoire français . Personne ne réclamera pour autant la fin de l’automobile, mais on mesure au regard de ces bilans respectifs l’absurdité de demander la sortie urgente du nucléaire.
Anton Suwalki
Notes :
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1795http://www.liberation.fr/politiques/010123...ude-statistiquehttp://www.global-chance.org/index.phpBERNARD LAPONCHE est physicien nucléaire, BENJAMIN DESSUS est ingénieur et économiste.
http://images.math.cnrs.fr/Accident-nuclea...-certitude.htmlEn réalité , 28% étant la probabilité qu’il y ait 0 accident. 72% est la probabilité de l’événement complémentaire 1 accident ou plus, et non pas 1 accident.
Certes, je ne doute pas qu’un probabiliste très pointilleux critiquerait l’emploi du terme indépendant dans ce cas , sans doute pas très orthodoxe .
http://spiral.univ-lyon1.fr/mathsv/cours/s...nchor-3.3-60255irréalistes aurait été un terme plus adéquat, mais l’emploi de « surréalistes » n’est sans doute pas innocent.
http://www.inrets.fr/ur/lte/publi-autresac...notehugrel.html