la science se décide-t-elle au tribunal?

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par canardos » 15 Jan 2012, 22:10

je reproduit ici un petit billet de l'AFIS (association française pour l'information scientifique):

a écrit :

La science se déciderait-t-elle au tribunal ?

par Jean-Paul Krivine - SPS n° 299

Samuele Riva, un blogueur italien de 28 ans, s’est attiré les foudres des Laboratoires Boiron après avoir écrit deux articles (13 et 27 juillet 2011) traitant de l’homéopathie1. Dans ces textes, l’histoire de la pratique créée par Samuel Hahnemann il y a un peu plus de 200 ans est rappelée et ses fondements sont analysés de façon précise et détaillée. Les dilutions infinitésimales et le principe de similitude sont passés au crible de la connaissance scientifique. Et, bien entendu, les multiples études ne mettant en évidence aucun effet spécifique. Nos lecteurs retrouveront là une argumentation souvent développée dans nos colonnes2 : les préparations homéopathiques, pour la plupart, ne contiennent plus aucune molécule de la substance mère (il n’y a plus que de l’eau, du sucre et d’autres excipients), et son effet se ramène à celui de l’effet placebo.

Ces textes n’ont pas été du goût de Silvia Nencioni, la présidente des Laboratoires Boiron pour l’Italie. Dans une lettre adressée à l’hébergeur du site et au blogueur3, cette dernière dénonçait des articles « diffamatoires pour l’homéopathie et pour sa société ». Elle visait non seulement des photos de boîtes d’Oscillococcinum4, avec des légendes jugées ironiques (« nuit gravement à l’intelligence (de ceux qui achètent) » ou encore « ce rien absolu supposé guérir de la grippe », avec des dilutions telles que les granules « ne contiennent pas même une seule molécule de la substance mère »), mais surtout le texte sur l’homéopathie dans son ensemble. Pour Silvia Nencioni, la critique de l’homéopathie nuit à la réputation de sa société. Les articles et les légendes sont « faux et désobligeants à la fois pour l’homéopathie et [la] société » et ils ternissent la réputation de l’entreprise, lui causant « de graves dommages ».

Ainsi, le blogueur se voit-il enjoint par la firme de retirer toute référence aux Laboratoires Boiron « dans les 24 heures », et menacé d’un procès pour diffamation devant les tribunaux italiens. Difficile d’exiger la suppression du site de toute critique de l’homéopathie, c’est donc les seules références aux Laboratoires Boiron qui sont mentionnées. Mais la lettre assimile bien la critique de l’homéopathie en général à une critique diffamatoire contre les Laboratoires Boiron en particulier.

Les réactions indignées à cette atteinte à la liberté d’expression se sont multipliées sur Internet, mais aussi dans la presse scientifique (comme, par exemple, la prestigieuse revue British Medical Journal5). C’est probablement pour cette raison que Boiron Italie, sous la plume de sa présidente, écrira de nouveau au blogueur à la fin du mois d’août pour lui annoncer qu’aucune poursuite judiciaire ne sera engagée, et qu’il s’agissait probablement d’un malentendu lié à la période estivale6. Toutefois, les illustrations et les références aux Laboratoires Boiron ont bien été supprimées du site.
Critiquer les pseudo-sciences serait-il diffamatoire ?

Qu’ils soient des charlatans ou tout simplement des incompétents, qu’ils soient de bonne ou de mauvaise foi, ceux qui voient leurs prétentions à la scientificité soumises à la critique de la communauté scientifique semblent entendre désormais régler leurs différends de façon judiciaire...

Leurs affirmations ont fait l’objet de façon récurrente de critiques très sévères de la communauté scientifique, mais le fait de le rappeler est, à leurs yeux, une atteinte inadmissible à leur image. Une diffamation.
Simon Singh devant les tribunaux britanniques

Il y a ainsi eu Simon Singh poursuivi en 2009 devant les tribunaux du Royaume-Uni par la British Chiropractic Association pour avoir dénoncé la prétention de cette association, par la chiropraxie, « d’aider à guérir des enfants victimes de coliques, atteints de troubles du sommeil ou de la nutrition, d’infections aux oreilles à répétition, d’asthme ou de pleurs prolongés »7.

Plaidant la diffamation, l’association de chiropracteurs exigeait de Simon Singh qu’il apporte la preuve de ce qu’il affirmait. Après de longues procédures, Simon Singh a finalement gagné cette bataille judiciaire.
Marc Fellous devant les tribunaux français

Il y a eu, en 2010, Marc Fellous et l’Association Française pour les Biotechnologies Végétales, poursuivis devant les tribunaux par le militant anti-OGM Gilles Eric Seralini pour avoir osé émettre une protestation auprès de la direction de France 5 regrettant qu’une émission s’interrogeant sur le thème « les OGM, une menace pour la santé ? » s’appuie sur les seuls propos « d’activistes opposés aux OGM, comme GE Séralini, chercheur avant tout militant anti-OGM »8.
Ernesto Bustamante devant les tribunaux péruviens

Sous d’autres latitudes, mais sur le même thème, c’est le scientifique péruvien Ernesto Bustamante qui a risqué la prison pour avoir émis une critique publique du travail d’Antonietta Guttierez (qui affirmait avoir détecté des traces de gènes de maïs GM au Pérou, où ces maïs n’ont pas d’autorisation). D’abord reconnu coupable par un tribunal péruvien, il ne peut quitter Lima sans autorisation, doit se présenter chaque mois au tribunal pour émarger sur un registre et payer environ $1800 de dommages et intérêts, en attendant le délibéré en appel. La communauté scientifique péruvienne et internationale se mobilise en défense d’Ernesto Bustamante, exigeant que le débat scientifique puisse se régler en dehors des tribunaux. Une pétition internationale a été lancée. Si la condamnation a bien été annulée en appel (mai 2011), la procédure n’est pour autant pas entièrement close.
Sophie Robert assignée en justice

À l’heure où nous écrivons ces lignes, Sophie Robert est assignée en justice par trois psychanalystes. Sophie Robert, réalisatrice, prépare depuis un an une série de six documentaires visant à faire « un voyage dans la théorie psychanalytique », et en particulier, montrer ce qu’elle a de vivant aujourd’hui. Sophie Robert a enregistré 60 heures d’entretiens avec près de trente psychanalystes. Entretiens jugés riches et sincères par la réalisatrice. Le premier documentaire (« Le Mur ou la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme »9) a suscité la colère de certains des praticiens interviewés.

Le film est de fait polémique, non pas de par la mise en scène ou les commentaires de la réalisatrice, mais de par les propos mêmes des psychanalystes, haineux vis-à-vis de la science, sexistes, et assumant de fait une théorie rendant responsable, en des termes accablants, les mères d’enfants autistes. Pourtant, on n’y trouve rien de bien différent de ce que l’on peut lire dans la littérature psychanalytique. Jugeant sans doute le résultat trop critique, trois psychanalystes portent plainte. Ils dénoncent un trucage lors du montage et demandent des dommages et intérêts faramineux (290 000 euros), et surtout, l’interdiction complète du film et la saisie des rushes.
Et bien d’autres procédures...

Ajoutons à cette liste une référence plus ancienne, mais qui nous concerne directement : la plainte déposée en 2001 par Elizabeth Teissier au lendemain de la soutenance de sa « thèse de sociologie », contre le rédacteur en chef de Science et pseudo-sciences. Un prétendu vol de document visait en réalité une revue qui avait analysé factuellement, sur le plan scientifique, ce qui était un plaidoyer pro-astrologique digne des meilleures pages de l’astrologue dans Télé 7 Jours, et présenté comme une thèse universitaire. La plainte avait été classée sans suite.

Terminons en rappelant également le procès intenté par Yves Lignon à Georges Charpak et Henri Broch10 suite à la parution de leur livre Devenez sorciers, devenez savants (Odile Jacob, 2002) visant en particulier le chapitre consacré au « mystère du sarcophage d’Arles-sur-Tech ». Depuis plusieurs siècles, un sarcophage de pierre situé dans une courette de l’église d’Arles-sur-Tech (66) produit une quantité d’eau importante (200 à 300 litres par an en moyenne). La thèse du miracle a bien évidemment été la première avancée, tandis que d’autres hypothèses ont vu le jour tout au long de l’histoire, relayées par des médias avides de sensationnel. L’explication est pourtant bien connue et solidement établie : la production d’eau est due au bilan global de trois phénomènes naturels (eau de pluie, condensation et évaporation). Dans leur ouvrage, Henri Broch et Georges Charpak critiquaient le calcul mené par Yves Lignon établissant l’absence de corrélation « eau de pluie » versus « eau dans le sarcophage ».
La judiciarisation des controverses scientifiques

Pour notre part, nous ne portons pas de jugement de valeur sur les individus, sur les motivations, sur la bonne ou la mauvaise foi des partisans du paranormal, pas plus d’ailleurs que sur celle des acteurs de la communauté scientifique. Les faits, l’expérimentation et la confrontation sont, d’une certaine manière, le juge de paix des controverses. Pour certains, c’est inacceptable : affirmer que leurs allégations sont pseudo-scientifiques est perçu, par eux, comme diffamatoire. L’apparence de scientificité doit être sauvegardée, gage de médiatisation et de développement de leurs activités. Les tribunaux sont une manière d’essayer de dissuader les critiques, d’autant plus efficace que les juges ne sont familiers ni des sujets en cause, ni des méthodes scientifiques qui permettraient aisément de faire la part des choses entre prétendues « diffamations » et controverse scientifique.

Le prix de cette judiciarisation est souvent dissuasif pour de nombreux acteurs de ces controverses. C’est donc bien la liberté scientifique qui est en jeu dans ces « affaires »

canardos
 
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