To psy or not to psy

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par luc marchauciel » 22 Jan 2012, 14:13

(granit @ dimanche 22 janvier 2012 à 12:52 a écrit :

Je rappelle toutefois, malgré tout, l'immense apport de la théorie de Freud à la psychiatrie.

Avant la diffusion de ses thèses, vers peut être les années 50, la psychiatrie c'était enfermement, électro chocs, mutilations, trépanations, etc..

Voilà la barbarie. Celle des asiles du 19ème, du début 20ème.

Qu'il soit resté des traces de celà dans le traitement de certaines pathologies je n'en doute pas une seconde. La barbarie reste partout latente dans le système social.

Mais celà ne justifie en rien de revenir aux méthodes et théories d'avant Freud ainsi que c'est proposé manifestement ici. Par des intervenenants qui sont des fanatiques de l'anti psychanalyse.


Tu inventes purement et simplement une histoire de la psychiatrie à ta sauce.
La légendre freudienne a déja déformé cette histoire, en faisant de Freud un génie incompris en son temps [légende que Freud avait commencé en se présentant comme un nouveau Darwin ou Copernic, rien que ça], mais toi tu parviens à la déformer encore.
C'est même difficile de commencer à discuter à partir d'un truc aussi fantasmé, mais essayons :
- quels sont les géniaux concepts mis au point par Freud qui ont été confirmé depuis par une quelconque méthode sicntifique ou par des études montrant que leur emploi était plus efficace que la fréquentation d'un curé ou d'un confesseur quelconque ? Dans les pratiques de Freud, qui était lui-même cocaïnomane [beau succès thérapeutique :whistling_notes: ], il y avait le fait de filer de la coke aux patients, ça devait être le truc le plus efficace qu'il ait fait..cela fait-il partie de l'arsenal thérapeutique que tu défends, ou pas ? Sais tu que Freud a truqué à peu près tous ses cas princeps, ceux à partir desquels il a présenté sa théorie ? Dans ses bouquins, très bien écrits et séduisants, il explique qu'il a guéri ces patients. Sauf que dans sa correspondance privée et dans les dossiers médicaux des patients en question, on voit qu'ils continuaient à souffrir de leurs torubles. ça t'interpelle, ou pas ? Tu veux des références précises sur ce thème, ou pas ?

- de quoi parles tu quand tu dis qu des gens voudraient revenir aux méthodes d'avant Freud [avant Freud, c'est en gros la fin du XIXe, c'est à dire la haute préhistoire des psychothérapies] ???? Ici, on est quelques uns à surtout défendre pour l'autisme le recours aux méthodes comportementalistes.... qui ont été élaborées plutôt après la mort de Freud. Donc, de quoi parles-tu ?

A propos de pratique barbare et violentes pour les partients, tu cites les électrochocs, mais connais tu la technique du "packing", qui consiste à emballer les autistes avec du froid, et qui, si elle n'est pas freudienne par essence, est promue en France par des psychanalystes, contre l'avis des comportementalistes ?

Une question : as tu jamais lu sur ces sujets autre chose que de la prose freudienne ? Tu veux des références facilement accessibles sur le Net ? Sur quelle partie de ce que je viens de dire ?

luc marchauciel
 
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Message par luc marchauciel » 22 Jan 2012, 14:18

(Gaby @ dimanche 22 janvier 2012 à 13:18 a écrit :
(granit @ dimanche 22 janvier 2012 à 12:52 a écrit : Et pour celà et malgré l'ironie militante (et compréhensible) de com71 (ne pas s'interesser trop à soi même)

Compréhensible, je ne sais pas. Si quelqu'un a une santé mentale de fer, tant mieux pour lui, mais de là à ce que cette personne prétende comme com_71 et Luc que s'intéresser à soi-même est moralement répréhensible, c'est choquant... Je vous souhaite de ne jamais trop souffrir.

Dis, Gaby, t'arrêtes de prêter aux autres des idées qu'ils n'ont pas ?
Je laisse Comparler pour lui si il veut, mais où as tu vu que je trouve que c'est moralement répréhensible de s'intéresser à soi -même ?
J'ai ironisé sur la cure psychanalytique de 10 ans qui peut renforcer chez les patients des tendances narcissiques et nombrilistes, en plus de les rendre dépendants à leur psy/gourou ?
Ou ai-je jamais dit qu'il ne fallait pas s'intéresser à soi-même, prendre du plaisir dans la vie, s'éclater, se faire du bien, se soigner, se reposer, ou je ne sais quoi ?
Tu me fais dire exactement le contraire de ce que je pense, c'est assez énervant.
luc marchauciel
 
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Message par com_71 » 22 Jan 2012, 15:14

(luc marchauciel @ samedi 21 janvier 2012 à 19:07 a écrit : Je crois que Com ironisait surtout sur le vaste chemin d'introspection égocentrée voire narcissique que peut représenter la cure psychanalytique [= des années à inspecter son nombril (symbolique et donc phallique) sous la houlette somnolente d'un guide ès nombril].
Je me trompe, Com ?

Non, bien sûr !
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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com_71
 
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Message par canardos » 22 Jan 2012, 16:50



Dis moi granit, où est la mauvaise foi, où est la haine, où est le fanatisme...quand on réagit à des preuves et à des arguments rationnels de cette manière...

on a vraiment l'impression d'un croyant fulminant contre des blasphémateurs...

triste...et bien la preuve que tous ce fatras n'a jamais rien eu de progressiste mais a seulement servi de fondement à une nouvelle secte et de nouveaux gourous
canardos
 
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Message par luc marchauciel » 22 Jan 2012, 17:50

Je ne sais pas si Granit, outragé dans sa foi, prendra la peine de lire ce qui suit, mais je ne désespère pas. Sinon ça intéressera peut-être d'autres forumeurs.
Voici deux papiers de la revue Sciences Humaines [une revue oecuménique qui fait tout ce qu'elle peut pour accepter les travaux scientifiques et historiques tout en essayant de sauver la psychnlayse, chapeau à elle pour ce bel effort]. Ils sont tous deux issus des travaux de Mickkel Borch Jacobsen un de spécilaistes les plus pointus de l'histoire de la psychanalyse [pour autant qu'il ait accès aux archives de Freud, certaines étant fermées par les ayants droits jusque 2057, je me demande ce qui'ls ont peur qu'on y trouve]. Attention, je préviens, ça va être assez différent de l'Evangile selon Sainte Elisabeth [Roudinesco].
Le premier papier porte sur les fameux cas princeps, ceux à partir desquels Freud a bâti sa réputation, non aps en publiant dans des revues scientifiques [ mais je sais pas ce qu'il en était, des revues scientifiques de psychiatrie ou de psychologie à son époque] ou en présentant ça dans des colloques de psychiatres, mais en écrivant des livres à sa propre gloire à destination du grand public (genre ceux qu'on a lus au lycée)
Le deuxième papier, l'interview, porte sur la recension la plus complète à ce jour des patients de Freud et des bénéfices éventuels de la cure.

Bonne lecture à ce qui ont envie de lire tout ça [si vous n'avez pas envie de vous fader tout ça, je conseille plutôt la lecture du deuxième post, l'interview], et rendez vous au message suivant pour les autres, si on peut échapper à l'invective outragée dépourvue du moindre argument factuel. Je suis du coup désolé pour la longueur de ce post, mais si on veut échapper à l'échange d'anathèmes dans le vide, il faut à un moment apporter des détails factuels (comme le discours tenu par les psyK dans Le Mur en est un autre exemple)


http://www.scienceshumaines.com/qui-etaien...d_fr_26515.html


a écrit :
Qui étaient les patients de Freud ?

Mikkel Borch-Jacobsen




La rencontre avec ses patients a sans conteste nourri les réflexions théoriques 
de Sigmund Freud. Mais la cure a-t-elle toujours amélioré leur état ?
 De nombreux documents historiques permettent aujourd’hui de retracer 
leur parcours. Portraits de quelques-uns d’entre eux.

Anna O. (1859-1936)

Bertha Pappenheim, le vrai nom d’Anna O., appartient à une famille très fortunée de Vienne. Toujours présentée comme la patiente princeps de la psychanalyse, elle n’a en réalité jamais été traitée par Sigmund Freud lui-même mais par son ami et mentor Josef Breuer, médecin attitré des familles de la haute bourgeoisie juive viennoise. Freud ne semble d’ailleurs l’avoir jamais rencontrée, bien qu’elle fût une amie de longue date de sa femme Martha Bernays.

Bertha commence à développer une série d’impressionnants symptômes hystériques en juillet 1880, lorsque son père tombe malade d’une pleurésie qui doit s’avérer mortelle : troubles de la vision, hallucinations, contractures et anesthésies diverses, névralgie faciale, aphasie (Bertha ne parle plus qu’en anglais), états seconds durant lesquels elle adopte un comportement capricieux dont elle n’a plus souvenir après coup, etc. Appelé à son chevet, Breuer remarque qu’il peut faire disparaître un à un les multiples symptômes de sa patiente en lui faisant raconter, durant sa « condition seconde », leur première apparition – ce que Bertha baptise la « talking cure ». S’en suit un véritable marathon thérapeutique qui se terminera, si l’on en croit le récit de cas publié treize ans plus tard par Breuer dans les Études sur l’hystérie, par un complet rétablissement le 7 juin 1882, à la suite d’une ultime narration dépuratoire. Freud, par la suite, présentera toujours la talking cure d’Anna O. comme un « grand succès thérapeutique » (1923) et le « fondement de la thérapie analytique » (1916-1917).

La réalité était tout autre. À la fin du traitement, Breuer fit abruptement interner dans une clinique privée suisse une Bertha souffrant des mêmes symptômes qu’auparavant, ainsi que d’une addiction à la morphine résultant des efforts du médecin pour apaiser sa douloureuse névralgie faciale. Bertha doit faire trois autres séjours en clinique, toujours pour « hystérie », et ce n’est que vers la fin des années 1880, soit six ou sept ans après la fin du traitement de Breuer, qu’elle commence à se rétablir, sans que cette guérison ait manifestement à voir avec la talking cure.

À partir des années 1890, elle se lance dans diverses activités philanthropiques. Devenue une grande figure du travail social et du féminisme, elle ne mentionnera jamais son traitement par Breuer et détruira tous ses documents personnels datant d’avant 1890. Selon le témoignage de sa collaboratrice Dora Edinger, « B. Pappenheim ne parlait jamais de cette période de sa vie et s’opposait avec véhémence à toute suggestion de traitement psychanalytique pour les personnes dont elle avait la charge, à la grande surprise des gens qui travaillaient avec elle ».



Mme Emmy von N. (1848-1925)

Elle s’appelle Fanny Moser, née von Sulzer-Wart, et est, dit-on, la femme la plus riche d’Europe centrale. Elle souffre de toute une panoplie de symptômes hystériques pour lesquels elle a été traitée dans son château suisse par de multiples spécialistes, dont August Forel et Eugen Bleuler. Venue à Vienne en 1889 pour consulter Breuer, celui-ci l’adresse à son jeune collègue Freud. Le traitement hypnotico-cathartique de Freud semble provoquer une amélioration temporaire, mais ne met nullement fin à la longue carrière hypocondriaque de sa patiente. Après avoir revu Freud à deux reprises en 1890-1891, elle va se faire soigner dans la clinique du psychothérapeute suédois Otto Wetterstrand, qui diagnostique derechef une « hystérie ». Bien plus tard, en 1918, sa fille aînée écrit à Freud pour l’aider à mettre sa mère sous tutelle, en soulignant que son état ne s’est jamais amélioré. Freud décline.



Petit Hans (1903-1973)

Il était en fait petit Herbert, fils de Max Graf, musicologue et membre du cercle viennois de Freud. Dans un article de 1907, Freud présente cet enfant de 4 ans comme le produit modèle d’une éducation psychanalytiquement éclairée. Pourtant, l’année suivante, son père et Freud dépensent des trésors d’ingéniosité psychanalytique pour le guérir de ce que Freud appelle une « phobie » des chevaux, censée provenir de son complexe de castration. Herbert, plus prosaïquement, attribue quant à lui sa peur des chevaux et des grands animaux à un accident d’omnibus dont il a été témoin, et au cours duquel un cheval est tombé à la renverse. Ses angoisses animalières ayant disparu après un temps, H. Graf grandit sans problème particulier et devient un directeur d’orchestre et metteur en scène d’opéra renommé. Plus tard, dans un post-scriptum ajouté en 1922 à son histoire de cas, Freud y verra une preuve de l’innocuité et de l’efficacité de la psychanalyse d’enfant.



Dora (1882-1945)

Ida Bauer, comme elle se nomme, est la sœur d’Otto Bauer, qui va devenir l’un des principaux leaders du parti social-démocrate autrichien durant l’entre-deux-guerres. Son père, un riche industriel, amène la jeune Ida chez Freud en 1900, après qu’elle a menacé de se suicider pour faire cesser une situation familiale scabreuse : son père, dit-elle, la livre aux avances sexuelles d’un de ses amis, M. Zellenka, en échange de la complaisance de celui-ci à l’égard de la liaison qu’il entretient avec sa femme. Freud reconnaît le bien-fondé de ses accusations, mais la considère néanmoins comme hystérique au motif qu’elle refuse de façon déraisonnable l’arrangement familial et s’est montrée dégoûtée, à l’âge de 13 ou 14 ans, lorsque M. Zellenka l’a agressée sexuellement dans son magasin. Selon sa cousine Elsa Foges, Ida lui aurait dit au moment de son analyse avec Freud : « Il me pose des tas de questions et je veux y mettre fin » – ce qu’elle fera lorsque son analyste voudra lui faire admettre qu’elle a, pendant tout ce temps, refoulé des désirs libidineux à l’égard de M. Zellenka. Freud considère cette issue comme un échec thérapeutique et une manifestation de résistance, mais les témoignages concordent pour dire qu’Ida Bauer ne manifestera aucun signe de névrose ou d’instabilité psychique dans sa vie ultérieure. Elle épousera un compositeur en 1903, aura un fils et passera le plus clair de son temps à des mondanités dans la haute société viennoise (c’est une bridgeuse accomplie). En 1923, Felix Deutsch devait écrira à sa femme Helene qu’il a rencontré la « Dora » de Freud et qu’elle « n’arien de bon à dire au sujet de l’analyse ». Ida Bauer parviendra à grand-peine à s’échapper d’Autriche après l’Anschluss et mourra à New York en 1945.



L’homme aux rats (1878-1914)

Cet ami d’Alexandre, le frère de Freud, s’appelle Ernst Lanzer et souffre d’une névrose obsessionnelle qui l’a considérablement retardé dans ses études de droit. Il consulte Freud en octobre 1907 après avoir été la proie, durant des manœuvres militaires, d’obsessions et de compulsions qui tournent autour de la peur qu’un supplice impliquant des rats soit infligé à son père (pourtant décédé) et à sa cousine bien-aimée, Gisela Adler. Les notes prises par Freud durant le traitement de Lanzer ont survécu : elles font apparaître non seulement que le patient a rejeté un grand nombre des interprétations qui structurent l’histoire de cas publiée, mais aussi que Freud n’hésite pas à modifier les données cliniques pour les faire correspondre à ses constructions. Si l’on en croit le témoignage de membres de sa famille, l’analyse a néanmoins aidé Lanzer et lui permet de finalement épouser Gisela Adler en 1908, après dix ans d’atermoiements. Toutefois, il change quatre fois de cabinet d’avocat avant de trouver une situation professionnelle stable en 1913. Appelé sur le front en tant qu’officier de réserve en août 1914, il est capturé par l’armée russe le 21 novembre et exécuté quatre jours plus tard.



Cäcilie M. 
(1847-1900)

Derrière ce pseudonyme se cache Anna von Lieben, née baronnesse von Todesco. Membre de l’aristocratie juive viennoise, elle est immensément riche et vit dans un palais qui existe toujours. Obèse, morphinomane et très cultivée, elle souffre de multiples symptômes et excentricités pour lesquels elle a été suivie par Breuer, le médecin de famille, et par Jean Martin Charcot. Son traitement avec Freud, qui dure de 1887 à 1893, ne produit aucune amélioration de son état, bien au contraire. Sa fille déclarera plus tard que la famille détestait cordialement Freud (« Nous le haïssions tous »), et que la patiente elle-même s’intéressait bien moins à la cure cathartique qu’aux doses de morphine que son docteur lui administrait libéralement.



A.B.

Le nom de ce patient américain de Freud reste à ce jour protégé par le secret médical, mais David Lynn a pu consulter son dossier à l’hôpital McLean (Harvard). Né au tournant du siècle dans une famille fortunée, il est depuis l’âge de 12 ans excité sexuellement par la vue ou la pensée d’un homme portant une gaine pubienne. À partir de la vingtaine, il développe des pensées paranoïdes pour lesquelles il consulte Pfister et Bleuler, qui diagnostiquent une schizophrénie. Freud le prend en analyse en 1925 malgré un pronostic pessimiste, car il peut payer en dollars. En 1927, Freud mentionne le fétiche d’A.B. dans son article sur « Le fétichisme », en y voyant un cas ambigu de déni/reconnaissance de la castration féminine. Bien que Freud ait, dit-il, trouvé « le secret de sa névrose », l’état d’A.B. se détériore. Rentré aux États-Unis au bout de cinq ans d’analyse, A.B. est interné à l’hôpital McLean où il devra rester jusqu’à sa mort. Il a développé une intense culpabilité au sujet de la masturbation, car Freud la lui avait interdite. Il est également persuadé que sa psychose date du jour où il a constaté que sa mère n’avait pas de pénis (le « secret » découvert par Freud). Comme il n’a aucun souvenir de cet événement, il passera de longues années à s’analyser par écrit pour essayer de le retrouver. Il mourra dans les années 1970, sans y être parvenu.



Pauline Theiler Silberstein (1871-1891)

Elle est la femme d’Eduard Silberstein, un ami d’enfance de Freud avec qui ce dernier a échangé une abondante correspondance durant leur jeunesse. De quinze ans plus jeune que Silberstein, Pauline a développé une profonde « mélancolie » (dépression) peu après son mariage. Accompagnée d’une domestique qui veille en permanence sur elle, elle vient à Vienne de Braila, en Roumanie, pour se faire traiter par Freud. Elle loge dans l’immeuble voisin du sien, au 10 Maria Theresienstrasse. On ne sait pas combien de temps dure le traitement ni en quoi il consiste, mais d’après Rosita Vieyra, la petite-fille d’Eduard Silberstein, la famille en gardera un souvenir vivace, ainsi que de son issue funeste. Le 14 mai 1891, P. Silberstein se présente devant l’immeuble de Freud, demande à sa domestique de l’attendre en bas et, après avoir gravi quatre étages, se jette dans la cour (constat de décès dressé par la police viennoise). Elle avait 19 ans. Mis à part une lettre adressée le 22 avril 1928 au B’nai B’rith de Braila, dans laquelle il mentionne brièvement avoir eu en traitement la première femme de feu son ami E. Silberstein, Freud ne fera jamais la moindre allusion à ce cuisant échec thérapeutique.


L'homme aux loups (1887-1979)


Ainsi baptisé par Freud d’après le contenu de l’un de ses rêves, ce jeune Russe se nomme Sergius Constantinovitch Pankejeff. Né près de Kherson (Ukraine) de parents richissimes, Pankejeff a passé son enfance dans le palais familial près d’Odessa. Son père souffrait d’accès de dépression profonde et avait fait plusieurs séjours dans la clinique munichoise d’Emil Kraepelin, qui avait diagnostiqué chez lui un état maniaco-dépressif. La sœur aînée de Pankejeff s’est suicidée en 1906 et ses deux cousins, qui vivaient également au palais, étaient traités pour schizophrénie par le psychanalyste russe Moshe Wulff. À l’adolescence, Pankejeff a développé des symptômes similaires à ceux de son père et mène depuis lors une existence de « névrosé doré », voyageant de spécialiste en spécialiste pour tenter d’échapper à ses accès de dépression et à ses ruminations obsessionnelles. Kraepelin, chez qui il fit un séjour, diagnostiqua pareillement chez lui un état maniaco-dépressif héréditaire.

En 1910, passant par Vienne avec son médecin personnel dans l’intention d’aller suivre un traitement chez le psychothérapeute Paul Dubois à Berne, il consulte Freud qui le convainc de commencer plutôt une analyse avec lui. Celle-ci va durer quatre ans et demi, au cours desquels le jeune Pankejeff partage son temps entre l’équitation, l’escrime et le divan. Comme l’analyse piétine du fait de son « attitude d’indifférence aimable », Freud finit par imposer une date butoir pour le traitement et obtient ainsi, nous dit-il, « tout le matériel permettant la résolution des inhibitions et la levée des symptômes du patient », notamment la fameuse « scène primitive » au cours de laquelle le petit « homme aux loups », âgé de 18 mois, était censé avoir pu observer depuis son berceau les ébats amoureux de ses parents.

À l’insistance de Freud, Pankejeff, qui n’en voit pas l’utilité, refait une seconde tranche d’analyse en 1919-1920, au lieu de retourner en Russie pour tenter de sauver sa fortune des bolcheviks (Odessa était à l’époque encore sous contrôle anglais). Ayant tout perdu (à cause de Freud, dira-t-il plus tard) et obligé de rester à Vienne avec sa femme, Pankejeff obtient un poste de modeste employé dans une compagnie d’assurances qu’il gardera jusqu’à sa retraite en 1950. Ses symptômes n’ayant toujours pas disparu, il refait plusieurs tranches d’analyse avec Ruth Mack Brunswick, une disciple de Freud, entre 1926 et 1938, date à laquelle il la rejoint à Paris et à Londres pour traiter une grave dépression consécutive au suicide de sa femme.

Sa carrière psychanalytique reprend après la guerre et continue jusqu’à la fin de sa vie, sous l’égide de la psychanalyste millionnaire Muriel Gardiner et de Kurt Eissler, le responsable des Archives Sigmund Freud. Soigneusement protégé par eux du reste du monde et placé en dépendance financière (Eissler lui envoie 5 000 schillings autrichiens par mois et Gardiner paye ses impôts), Pankejeff est analysé et/ou interviewé à Vienne par une longue série d’analystes mis dans le secret de son identité : Alfred von Winterstein, Eissler (qui le voit une fois par jour durant ses vacances d’été à Vienne), Wilhelm Solms (qui le voit gratuitement une fois par semaine tout en se faisant payer par les Archives Freud), Richard Sterba et bien d’autres encore. D’autres psychanalystes lui passent commande de tableaux représentant son « rêve aux loups », qu’il exécute en série en utilisant un calque. Il écrit aussi des articles d’inspiration freudienne sur des sujets aussi divers que la liberté humaine, le marxisme, l’art, l’astrologie ou les rêves de Swann dans la Recherche de Marcel Proust, qu’il essaie en vain de placer dans des revues psychanalytiques. En 1972, Gardiner fait paraître ses Mémoires anonymes dans un volume préfacé par Anna Freud.

Il faut attendre 1973 pour qu’une personne étrangère aux milieux analytiques, la journaliste viennoise Karin Obholzer, parvienne à retrouver sa trace et à obtenir de lui, non sans difficultés, des entretiens non supervisés par ses mentors psychanalytiques. Dans ceux-ci, publiés après sa mort à Vienne, il révèle entre autres qu’il ne se reconnaît pas dans le livre de ses Mémoires édité par Gardiner, qu’il n’a jamais cru à la fameuse scène primitive postulée par Freud et que, malgré un suivi psychanalytique quasi constant sur une soixantaine d’années, il est toujours sujet aux mêmes symptômes : « En réalité, toute l’affaire me fait l’effet d’une catastrophe. Je me trouve dans le même état qu’avant d’entrer en traitement chez Freud, et Freud n’est plus là. » Comme il le confiait déjà en 1954 à Eissler, c’était Kraepelin et non Freud qui avait vu juste à propos de son cas : « Ah, Kraepelin, c’est le seul qui y a compris quelque chose ! »

Mikkel Borch-Jacobsen


[Professeur de littérature comparée à l’université de Washington, il est l’auteur de Souvenirs d’Anna O. Une mystification centenaire, Aubier, 1995, et, avec Sonu Shamdasani, Le Dossier Freud. Enquête sur l’histoire de la psychanalyse, Les Empêcheurs de penser en rond, 2006. Il a aussi contribué au Livre noir de la psychanalyse, Catherine Meyer (dir.), 2e éd., Les Arènes, 2010. ]


http://www.scienceshumaines.com/mikkel-bor...d_fr_28036.html


a écrit :
Mikkel Borch-Jacobsen : Que sont devenus les patients de Freud ?




Publié le 25/11/2011



Anna O., Dora, le petit Hans... Si ces patients de Freud sont restés célèbres, beaucoup d'autres ont été longtemps oubliés. Aujourd'hui, on les redécouvre. Qui étaient-ils ? Comment se déroulait leur thérapie, et avec quelles conséquences ? Historien et professeur de littérature comparée à l'université de Washington (Seattle), Mikkel Borch-Jacobsen a reconstitué les biographies de 31 d'entre eux dans Les Patients de Freud. Destins (Editions Sciences Humaines).



Vous retracez la biographie de 31 patients, mais peut-on estimer combien Freud en a traité avant ou après l’élaboration de la psychanalyse ?

C’est difficile à dire. En ce qui me concerne, je connais le nom d’à peu près 160 analysants de Freud. Certains en évoquent beaucoup plus, mais il s’agit d’estimations. Le fait est qu’on ne connaît pas tous les patients, d’autant qu’on ne dispose que d’un seul des agendas de Freud, très précis, qui couvre la période 1910-1920. Les autres ont apparemment été perdus.




De quels milieux sociaux ces patients sont-ils issus ?

Même pour moi qui travaille depuis des années sur Freud, la sociologie de ses patients a été une surprise. Je savais qu’il s’agissait de gens aisés, mais je n’avais pas imaginé à quel point. Il faut bien comprendre que tout au long de la carrière de Freud, ses patients sont des millionnaires, et même des milliardaires - les équivalents viennois des Bettencourt, des Bolloré, des Lagardère. Anna von Lieben (la « Cäcilie M. » des Etudes sur l’hystérie), Sergius Pankejeff (l’« Homme aux loups »), Margarethe Csonka (la « jeune homosexuelle ») sont richissimes, Fanny Moser (« Emmy von N. ») est considérée comme la femme la plus riche d’Europe centrale. Freud a été le thérapeute de la très, très haute société, où il avait été introduit par Josef Breuer, médecin généraliste de la grande bourgeoisie juive viennoise, de l’aristocratie bancaire, un milieu fermé où tout le monde se connaît. Il a analysé des familles entières, un milieu entier : Anna von Lieben est la cousine d’Elise Gomperz, qui est l’amie de Marie von Ferstel, elles connaissent indirectement Bertha Pappenheim (« Anna O. »), et ainsi de suite.

Jusqu’à la fin de la guerre de 14-18, la très grande majorité des patients de Freud sont des juifs assimilés. Très peu sont religieux, à l’exception de Bertha Pappenheim (qui était une patiente de Breuer) et dans une moindre mesure Ernst Lanzer (l'« Homme aux rats »). En arrière-fond, parmi les relations des patients, on croise en permanence les intellectuels et artistes viennois – Hugo von Hofmannstahl, Oskar Kokoschka, Adolf Loos, Gustav Mahler, Arthur Schnitzler… Freud est pour tous ces gens-là une référence, un peu ce que Lacan sera à la vie parisienne des années 1960 et 1970. C’est quelqu’un qu’on considère comme un génie révolutionnaire, qui fascine l’avant-garde.



Puis la sociologie des patients de Freud change radicalement à la fin de la guerre, avec l’éclatement de l’empire austro-hongrois, la crise économique, l’inflation galopante. Les Autrichiens ne sont plus prépondérants, pour une raison très simple. La couronne autrichienne ne valant plus rien et Freud étant, selon son patient Albert Hirst, extrêmement money-minded, ne sont retenus comme patients que ceux qui peuvent payer en devises étrangères : des Suisses, des Anglais, mais surtout des Américains. C’est très frappant : alors que Freud a gardé pendant des années sur son divan des millionnaires comme Elfriede Hirschfeld, le baron Viktor von Dirsztay ou Anna von Vest, il décline de les reprendre en analyse à la fin de la guerre, lorsque tous ces gens sont ruinés. Même chose pour le richissime Sergius Pankejeff, qu’il avait gardé quatre ans et demi sur son divan avant la guerre. Lorsque Pankejeff repasse par Vienne en 1919 et rend visite à Freud, celui-ci lui recommande une seconde tranche d’analyse, alors que Pankejeff n’est absolument pas demandeur. Puis, lorsque les bolcheviques entrent dans Odessa et que Pankejeff est ruiné, Freud ne le fait plus payer… mais arrête l’analyse peu de temps après. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que Freud ne s’intéresse plus aux gens quand ils ne peuvent plus payer les tarifs extrêmement prohibitifs qu’il pratiquait (entre 1 000 et 1 350 euros actuels de l’heure, selon mes estimations).



Par contraste, les Américains et autres étrangers qui prennent le relais des ruinés de la guerre sont très fortunés, ne serait-ce que parce qu’il leur faut séjourner à Vienne sans travailler pendant la durée de l’analyse. Certains sont des millionnaires pour qui cela ne pose aucun problème, comme Dorothy Burlingham ou Carl Liebman. D’autres sont des psychiatres qui viennent se former auprès du Maître et espèrent bien récupérer la mise en s’installant à leur tour comme analystes, comme Clarence Oberndorf ou Abram Kardiner. Ce qui est sûr, c’est que la langue pratiquée dans le cabinet de Freud à partir des années vingt est essentiellement l’anglais.



Analysait-il plutôt des hommes ou des femmes ? Et pour quels symptômes ?

Dans les Etudes sur l’hystérie, il n’a traité que des cas féminins, d’où l’impression qu’il voyait surtout des femmes. Mais en fait ce n’est pas vrai, il voit autant d’hommes. À ce sujet, il est surprenant de voir à quel point les féministes de l’époque l’appréciaient. Nous avons tendance à considérer que les théories de Freud sur l’envie de pénis, etc., vont à l’encontre du féminisme. Mais au départ, la théorie freudienne de la sexualité semblait novatrice aux féministes viennoises comme Rosa Mayreder, Marianne Hainisch ou Else Federn (la sœur de Paul Federn), et certaines des patientes de Freud, comme Emma Eckstein et Elise Gomperz, étaient très impliquées dans le mouvement féministe. De même, Freud avait des homosexuels parmi ses patients. Contrairement à ce qui a été dit ici ou là, je ne pense pas du tout que Freud ait été homophobe. Au contraire, sa théorie impliquait qu’il y ait un fond homosexuel chez tout le monde et de fait, il diagnostiquait pratiquement toujours quelque homosexualité refoulée chez ses patients. Pour autant, il acceptait des patients homosexuels pour les guérir de leur « inversion ». En vain, bien sûr: Margarethe Csonka et Bruno Veneziani, par exemple, n’ont pas changé d’orientation sexuelle après leur analyse…



De façon générale, les patients de Freud souffraient du tout-venant des névroses (hystérie, névrose obsessionelle, phobies, « neurasthénie ») et des psychoses. On considère souvent que Freud ne prenait pas des psychotiques en analyse, mais c’est faux. Julius Hering et le Dr. Bieber (qui ne figurent pas dans mon livre) souffraient de paranoïa, Mathilde Schleicher et Karl Mayreder étaient maniaco-dépressifs (« mélancoliques »), tout comme le psychiatre américain Horace Frink. Il est vrai que dans ce dernier cas, Freud n’a pas su reconnaître l’état hypomaniaque dans lequel se trouvait Frink lorsqu’il est arrivé chez lui. Le résultat a été un désastre thérapeutique et humain. Par contre, dans le cas de Carl Liebman, le fils d’un magnat américain de la bière, Freud savait dès le départ qu’il était schizophrène et il l’a gardé néanmoins cinq ans en analyse. A la fin, il a jeté l’éponge et l’a envoyé chez Ruth Mack Brunswick, ce qui a d’ailleurs provoqué une décompensation chez le pauvre Liebman.



À ce propos, permettez-moi de dire quelque chose au sujet de la façon dont se terminaient les analyses chez Freud. Celui-ci nous donne toutes sortes de raisons pour justifier la fin d’une analyse et on a souvent l’impression, à le lire, que la décision était prise après un long travail et d’un commun accord avec le patient. En réalité, pas du tout. Il se débarrassait du patient quand il en avait assez, quand il ne pouvait plus se faire rémunérer, ou encore, quand il partait en vacances. Par exemple, les analyses de Loe Kann et de Sergius Pankejeff se sont toutes deux terminées le 10 juillet 1914, tout simplement parce que Freud partait le 15. Dans certains cas, le patient était congédié pour cause d’incompatibilité d’humeur, parce que le transfert (et le contre-transfert) ne se mettait pas en place. C’est ce qui s’est passé avec Bruno Veneziani, un homosexuel et morphinomane qui refusait les interprétations de Freud et avait tenu (Edoardo Weiss dixit) des propos antisémites : Freud a arrêté net son analyse en arguant qu’il était paranoïaque et incurable (ce qui a beaucoup choqué le beau-frère de Veneziani, le romancier Italo Svevo). Même chose avec Emma Eckstein, une patiente et disciple de la première heure. Elle éprouvait des difficultés à marcher attribuées par elle à une cause organique, par lui à une cause psychique. Elle se fait opérer en 1910 pour un abcès à l’estomac, et brusquement, elle se rétablit. C’était donc bien la preuve que son mal était organique, dit-elle. Freud, entendant cela, la vire. On voit bien ici que la fin de l’analyse se faisait vraiment au bon plaisir du thérapeute.




Sur les 31 patients que vous avez étudiés, combien se portaient mieux après leur thérapie par Freud ?

Très peu. En étant charitable, je dirais qu’il y en a trois. Selon le témoignage de sa famille, Ernst Lanzer, l'« Homme aux rats », a pu se marier après son analyse, passer ses examens de droit et trouver un travail. Il y a aussi le cas d’Albert Hirst, le neveu d’Emma Eckstein, qui avait consulté Freud pour des problèmes sexuels. Il n’arrivait pas à éjaculer pendant le rapport. Freud ne l’analyse pas vraiment, mais il travaille sur son estime de soi et lui donne des conseils pratiques, « sexologiques ». Finalement, ça marche, Hirst arrive à éjaculer. Enfin, Bruno Walter, le grand chef d’orchestre : il avait une contracture à l’épaule très embêtante, qui l’empêchait de conduire son orchestre. Freud, au lieu de l’analyser, lui dit de partir en vacances en Sicile et de ne plus bouger le bras. Aucun résultat. Freud lui conseille alors de conduire l’orchestre malgré tout. Ça ne marche toujours pas. Puis Walter lit un ouvrage thérapeutique du médecin romantique Feuchtersleben, qui l’intéresse beaucoup. Progressivement, la contracture disparaît. Est-ce la suggestion de Freud qui été opérante? La lecture de Feuchtersleben ? Ou bien s’agissait-il d’une rémission spontanée d’une banale contracture musculaire ?



En admettant que ce soit Freud qui a été responsable du rétablissement de Bruno Walter, ça fait donc trois cas où l’analyse (ou ce qui en tenait lieu) a été bénéfique. Pour tous les autres, c’est clair : pas de résultats thérapeutiques durables. Au contraire, bien souvent, une aggravation, comme dans le cas de Viktor von Dirsztay, qui dira que l’analyse l’avait « détruit ». À quoi il faut ajouter tous les patients qui n’étaient de toute évidence même pas névrosés et n’auraient jamais dû aboutir chez Freud, comme Ida Bauer (« Dora »), Aurelia Kronich (« Katharina ») ou Elma Pálos.




Si vous avez étudié ces 31 patients mais que Freud en a suivi au moins cinq fois plus, on pourrait vous accuser d’avoir précisément sélectionné ceux qui représentaient des échecs thérapeutiques ?

Mon biais est clair et je m’en explique dans mon avant-propos : j’ai sélectionné les patients, c’est-à-dire ceux qui venaient voir Freud avec une demande clairement thérapeutique. Je n’ai pas étendu mon choix à tous ceux qui venaient voir Freud parce que la psychanalyse les intéressait ou parce qu’ils voulaient se former. Ceux-là devenaient des disciples et bien évidemment, leurs récits auraient été dithyrambiques : « Freud m’a sauvé la vie ! » En ce qui me concerne, je me suis limité aux patients proprement dits, et à ceux sur lesquels on dispose d’une documentation suffisante. En effet, on connaît les noms de certains autres, mais on n’a pas assez d’informations sur eux. Je ne pouvais donc pas en faire de portraits. L’une des sources principales, ce sont les interviews de patients ou de leurs proches effectuées par Kurt Eissler, secrétaire des Archives Freud, depuis le début des années 1950. Ces documents, conservés à la Bibliothèque du Congrès de Washington, sont restés sous embargo total jusqu’à la mort d’Eissler en 1999. Ils sont peu à peu déclassifiés, au compte-gouttes, et je me suis appuyé sur les documents maintenant disponibles. Mais certains autres restent inaccessibles jusqu’en 2057, et d’autres n’ont même pas de dates de déclassification. On sait donc qu’il reste des traces de nombreux patients pour le moment inconnus. Ils vont émerger dans les années à venir. Vont-ils contredire la statistique qui se dégage de mon enquête ? Ça m’étonnerait beaucoup. J’imagine que si ces interviews sont encore classifiées, c’est sans doute que du point de vue de Kurt Eissler, qui voulait défendre la mémoire de Freud, elles ne sont pas très favorables…


Des psychanalystes pourraient vous répondre que l’amélioration des patients s’opère au long cours, en profondeur, sans être forcément visible, encore moins mesurable. Quels sont vos critères pour juger du succès des thérapies de Freud ?

Ecoutez, quand les patients redemandent de l’analyse à Freud parce qu’ils vont mal, c’est que visiblement le problème n’a pas été réglé. Ce fut le cas de nombre d’entre eux. Freud essaie de se débarrasser d’Elfriede Hirschfeld, analysée en tout pendant sept ans, parce qu’il en a marre. Mais elle revient par la fenêtre, elle en reveut ! Même chose pour Anna von Vest, qui lui envoie de l’argent pour le forcer à la reprendre. Même chose pour le baron von Dirsztay, qui fait quatre tranches d’analyses et en redemande. Même chose pour Horace Frink, et ainsi de suite. Peut-être l’analyse est-elle devenue pour tous ces gens un nouveau mode de vie, mais peut-on considérer pour autant qu’elle est réussie ? Non ! Ils continuent à avoir les mêmes symptômes, les mêmes problèmes. Et chez certains, ça se détériore franchement : on ne sait pas trop pourquoi le baron von Dirsztay vient voir Freud, mais ce qu’on sait, c’est qu’à la fin il est une loque humaine. Les témoignages sont clairs. Il finit même par se suicider. Car Freud a aussi eu des suicides : Margit Kremzir, la cousine d’Ilona Weiss (« Elisabeth von. R. »), un patient nommé Jeiteles, ou encore Pauline Silberstein, la femme de son ami Eduard Silberstein, qui s’est précipitée du haut de son immeuble. D’autres ont fait des tentatives de suicide après leur analyse, comme Emma Eckstein, Bruno Veneziani, Horace Frink ou Carl Liebman. On dira, avec raison, que tout psychothérapeute ou psychiatre est exposé à ce risque dès lors qu’il a des patients maniaco-dépressifs, « mélancoliques », ce qui était le cas de Freud. Sauf qu’en l’occurrence, il n’en a jamais rien dit.



Quoi qu’il en soit, dans la plupart des cas les choses sont très claires, sans qu’il soit besoin de discuter à perte de vue sur les critères d’une guérison dans le domaine psychique. Au demeurant, je me suis interdit dans ce livre de faire la moindre interprétation. Je livre les faits tels qu’on les connaît, brut de décoffrage, en laissant au lecteur le soin de tirer ses propres conclusions. J’ai essayé d’être aussi objectif que possible (je dis bien « possible »…) et quand il y a une amélioration, je le dis. Le fait est que c’est peu fréquent.


Vous affirmez que Freud n’était pas un bon thérapeute, et que sa théorie repose sur des études de cas non représentatives, qu’il a sélectionnés puis enjolivés. N’est-ce pas une manière indirecte de discréditer toute la psychanalyse, puisqu’elle procède de Freud ?

Encore une fois, je n’affirme pas que Freud était un mauvais thérapeute, je me contente de raconter comment ses analyses se déroulaient vraiment. Mais vous avez raison, il est clair que ce travail de reportage a forcément des implications pour la psychanalyse, pour autant qu’elle est freudienne. En bon positiviste qu’il était, Freud n’a pas cessé de dire que toutes ses théories étaient fondées sur l’observation du matériel clinique. Pourtant, pendant très longtemps, on n’a connu de ce matériel que ce qu’il a bien voulu nous dire. Les cas publiés sont peu nombreux et présentés de façon très tendancieuse. Or si vous comparez l’histoire d’« Anna O. » avec la vie de la véritable Bertha Pappenheim ou celle de l’« Homme aux loups » avec la vie du vrai Sergius Pankejeff, vous verrez que le décalage est absolument frappant. Cela invalide automatiquement les conclusions que Freud tirait de ces récits de cas. C’est en cela que le travail de l’historien a une portée critique : en montrant en détail à quel point la pratique clinique effective de Freud était différente de sa présentation officielle, on contredit ou du moins on relativise les « données » sur lesquelles la théorie est censée reposer.



Prenez le rôle joué par la drogue, systématiquement passé sous silence dans les histoires de cas. Beaucoup de patients de Freud étaient morphinomanes, comme Ernst von Fleischl-Marxow, Anna von Lieben, Bruno Veneziani, Loe Kann, plus tard Ruth Mack Brunswick. Or il est clair que cela a parfois joué un rôle tout à fait essentiel. Ainsi, la fameuse talking cure de Bertha Pappenheim avec Breuer s’est déroulée alors que cette jeune femme était intoxiquée au chloral et à la morphine. C’est dans cet état qu’elle racontait ses histoires et que ses symptômes disparaissaient à mesure. On dit souvent que la psychanalyse guérit par la parole, mais on oublie de préciser que dans le cas de Bertha Pappenheim, il s’agissait d’une parole droguée. Même chose avec Anna von Lieben, la « Cäcilie M » des Etudes sur l’hystérie. D’après Freud, chaque fois qu’elle avait une crise, il provoquait une « réminiscence »-abréaction sous hypnose et elle se sentait mieux. Ce qu’il ne nous dit pas, c’est que les crises d’Anna von Lieben étaient dues au manque et que l’apaisement se produisait une fois qu’il lui avait donné sa dose de morphine. Cette cure cathartique était en fait une cure morphinique.



Autre exemple de décalage entre la pratique effective de Freud et la description qu’il nous en donne dans ses écrits : la rapidité fulgurante de ses diagnostics et de ses interprétations, alors qu’il nous dit toujours qu’il les basait sur une écoute patiente des associations du patient. Par exemple, il rencontre Elma Palos lors d’une visite de sa mère à Vienne. Immédiatement, il écrit à Ferenczi qu’elle souffre de démence précoce. Démence précoce, ça veut dire schizophrénie. Or cette femme n’a jamais été schizophrène, ni même névrosée ! Autre diagnostic éclair : avant même le traitement d’Ida Bauer (« Dora »), son père l’emmène un jour voir Freud parce qu’elle a de l’asthme. Tout de suite, Freud, qui ne l’a jamais vue auparavant, déclare qu’il s’agit d’une névrose. Or comment peut-il savoir avant de l’avoir eue en traitement ? Je pourrais accumuler les exemples. Et une fois qu’il a posé un diagnostic ou émis une interprétation, il s’y tient. Mordicus. Même si c’est démenti par les faits, même si les patients refusent son interprétation. Les conséquences thérapeutiques en sont parfois très graves, comme lorsqu’il a forcé Horace Frink à divorcer et à se remarier avec la millionnaire Angelika Bijur pour combattre une homosexualité que Frink lui-même niait énergiquement.



Ce dernier exemple illustre un autre décalage, celui entre la neutralité professée par Freud dans ses écrits et son interventionnisme réel. Freud a toujours dit qu’en tant qu’analyste, il n’intervenait pas dans la vie des gens, ne donnait pas de conseils, ne suggérait rien. Qu’il se contentait de laisser le matériel inconscient affleurer à la surface et de l’interpréter. Or la réalité est tout autre. Freud n’hésitait pas à interdire à certains de ses patients de se masturber, comme dans le cas de sa fille Anna, de Mark Brunswick et de Carl Liebman. À d’autres, comme Sergius Pankejeff, Loe Kann, Maggie Haller ou Edith Banfield Jackson, il interdisait d’avoir des rapports sexuels, de se marier ou d’avoir des enfants pendant l’analyse (il a même fait avorter Therese, la future femme de Pankejeff). À d’autres encore, il recommandait au contraire de se marier et d’avoir des enfants, même s’ils n’étaient pas convaincus. C’est ce qui s’est passé avec Olga Hönig et Max Graf, les parents du petit Herbert (alias « petit Hans »), et leur mariage a été un désastre total. Le cas le plus tragique est celui d’Horace Frink, où les directives matrimoniales (il n’y a pas d’autre terme) de Freud firent le malheur de deux familles entières. À chaque fois, ces directives étaient assenées avec un aplomb total. La voix de l’autorité.


Mais pouvez-vous retenir quelque chose de positif de Freud ? Si vous aviez du bien à en dire, que diriez-vous ?

Dans mon livre, je me suis abstenu de tout jugement moral, mais puisque vous me posez la question je vous répondrai que je trouve le personnage parfaitement odieux. La façon dont il a sacrifié certaines personnes comme Elma Pálos ou Horace Frink sur l’autel de ses lubies théoriques est proprement inadmissible. Ses patients étaient par définition en état de faiblesse, fragiles, et il les a exploités. Prenez Marie von Ferstel, c’est un cas absolument ahurissant. Cette femme phobique est très riche. Elle a des problèmes de constipation. Freud, qui a une théorie sur l’équivalence symbolique entre les excréments et l’or, lui dit : « Pour régler vos problèmes de constipation, il faut que vous appreniez à lâcher. Par exemple, que vous lâchiez votre argent. » Que fait-elle ? Elle lui donne le titre d’une de ses propriétés, qu’il vend immédiatement. Si ce n’est pas de l’abus de faiblesse, je ne sais pas ce que c’est ! Je trouve ça impardonnable. Freud n’est pas un personnage sympathique. Vraiment pas.




Pour vous, il n’y a donc vraiment rien à sauver chez lui !

Il se trouve que je suis complètement sceptique par rapport à la théorie, précisément parce qu’à force de fouiller dans l’infrastructure clinique je vois que ça ne tient pas debout. Je ne peux donc pas sauver la théorie non plus. Je sais bien que beaucoup de gens admirent en Freud le grand penseur, sans se préoccuper des vicissitudes négligeables de sa pratique, mais en ce qui me concerne je vois trop bien comment sa pensée est contredite par sa pratique pour pouvoir la prendre au sérieux.




Après le Livre noir de la psychanalyse, dont vous êtes l’un des principaux auteurs, on va encore vous accuser de vous acharner sur Freud en le dépeignant comme cupide et mauvais thérapeute, c’est-à-dire comme un escroc…

Ma méthode est celle de l’historien, rien d’autre. On peut entrer dans des discussions interminables sur l’objectivité en histoire, et je veux bien convenir que si j’ai écrit ce livre, ce n’est pas par hasard. Mais pour soutenir un argument historique, il faut avoir des documents. Et je m’appuie sur des documents, des archives, des témoignages. Si l’on veut contredire mon argument, qu’on discute donc sur pièces. Savoir pourquoi je les ai rassemblées est sans intérêt.




Vous dites que vous n’avez pas écrit ce livre par hasard. Justement, quelle est cette relation particulière à Freud qui vous pousse à l’étudier toujours davantage ? Etes-vous un déçu du freudisme ?

Demande-t-on au plombier pourquoi il fait de la plomberie ? Il se trouve qu’à force de travailler sur l’histoire de la psychanalyse, j’ai développé une certaine compétence en la matière. Eh bien, cette compétence, je l’exerce, voilà tout. Pour répondre plus précisément à votre question : je n’ai pas commencé à fouiller dans les archives du freudisme parce que je voulais me payer Freud. C’est l’inverse : c’est parce qu’au cours de mes recherches je suis tombé sur des documents et des témoignages qui contredisaient l’histoire officielle de la psychanalyse que je suis progressivement devenu critique à l’égard de la psychanalyse, ce que je n’étais pas au début. Dès lors que je découvrais, à la suite de bien d’autres historiens de la psychanalyse, des choses qui ne rentraient pas dans le cadre de la légende freudienne, je n’allais pas m’asseoir dessus. J’ai partagé le fruit de ces recherches avec le public, comme le ferait n’importe quel chercheur dans un autre domaine. Je trouve ça normal et je n’éprouve aucun besoin de m’en excuser ou de me justifier. Je sais bien qu’on m’accuse depuis longtemps d’être névrotiquement attaché à Freud, mais je laisse dire. Ce genre d’interprétations psychanalytiques me laissent froid.



Je vais d’ailleurs vous faire une confession. Confession d’un « antifreudien » : je m’étais juré de ne plus rien écrire sur Freud, car j’ai l’impression d’avoir fait le tour de la question. C’est votre faute si j’ai fait ce livre ! Vous m’avez invité à rédiger dans Sciences Humaines un article sur les patients de Freud, et ensuite, lorsque les Editions Sciences Humaines m’ont proposé d’en faire un livre, je n’ai pas pu dire non. C’était une offre à laquelle je ne pouvais pas résister. J’avais accumulé tout ce matériel depuis vingt ans, des cartons entiers de photocopies faites à la Bibliothèque du Congrès et ailleurs, et c’était une occasion de sortir toutes ces informations que j’avais gardées par-devers moi. Ça a été la grande braderie, le grand débarras ! Vous me croirez peut-être si je vous dis que ce n’était pas parti du tout pour être une charge contre Freud. J’avais envie de raconter des histoires, tout simplement, sans argumenter, sans théoriser : des portraits viennois, des valses, Mahler, Kokoschka, tout ça… Mais évidemment, Freud s’est imposé malgré tout.




Donc, après cela, vous n’écrirez plus sur Freud ?

En ce qui me concerne, le point final a été le livre que j’ai écrit avec Sonu Shamdasani, Le dossier Freud. Ce livre-ci est un post-scriptum. De toute façon, cela déjà plusieurs années que je ne m’occupe plus de psychanalyse. Je m’intéresse à d‘autres choses maintenant, comme l’évolution des maladies mentales à travers les époques ou l’incidence sur le champ psy de l’introduction de médicaments psychotropes fabriqués de façon industrielle.


Si vous êtes insensibles aux critiques des freudiens, vos propos vont sans doute choquer aussi les patients qui trouvent un authentique réconfort dans leur analyse, et qui expliquent parfois qu’elle leur a sauvé la vie. Qu’auriez-vous envie de leur dire à eux ?

Eh bien, que c’est tant mieux pour eux si la psychanalyse leur fait du bien. Je ne doute pas qu’une thérapie de type analytique puisse être bénéfique à certains patients dans certains cas. Je n’en doute pas, parce qu’on peut dire exactement la même chose pour d’autres thérapies. En ce qui me concerne, je pense qu’aucune psychothérapie n’est vraiment meilleure qu’une autre et que leurs résultats, pour réels qu’ils soient, ne sont jamais vraiment décisifs. Anything goes, comme disent les Anglo-Saxons, et en ce sens, pourquoi pas une psychanalyse ? Les gens ont bien le droit de faire ce qu’ils veulent. Mais j’aimerais qu’ils sachent ce qu’ils font, car en dépit de ce que je viens de dire à l’instant, la psychanalyse n’est pas tout à fait une thérapie comme les autres. Elle demande une allégeance ou une adhésion à une théorie, qui se transforme souvent en endoctrinement. C’est très clair dans le cas de Freud et de ses patients : dans la mesure où ils restaient en analyse, ceux-ci devenaient des disciples et se soumettaient aveuglément à ses directives. Quand on voit comment le couple Graf, Elma Pálos ou Horace Frink ont obéi sans broncher aux ordres absurdes et proprement destructeurs de Freud, on pense inévitablement au comportement somnambulique de certains membres de secte. Je ne dis pas, bien sûr, que tous les psychanalystes sont comme Freud, ni que la psychanalyse n’a pas évolué depuis lui. Mais le côté « recruteur » de la psychanalyse, son côté potentiellement sectaire existe toujours, plus ou moins prononcé selon les écoles et les analystes. C’est ce qui me gêne et m’a toujours gêné dans la psychanalyse – déjà à l’époque où, tout jeune, je circulais dans l’École freudienne de Lacan. Personnellement, je n’ai pas fait d’analyse. Je laisse cela aux gens qui ont un tempérament plus faustien…

luc marchauciel
 
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Message par Vania » 22 Jan 2012, 19:10

Sur la "pertinence" et la "rigueur" scientifique de Freud, on peut lire aussi cet article de Jean-Pierre Vernant : "Oedipe sans complexe".

J'ai eu l'occasion de lire cet article il y a 5 ou 6 ans maintenant, et je ne l'ai plus en tête en détail. Vernant y montrait de quelle manière fallacieuse Freud avait utilisé la pièce de Sophocle, n'hésitant pas à déformer certains passages du texte, à en taire d'autres, pour mieux la faire correspondre à sa thèse.

On peut trouver l'article en question dans le premier volume de "Mythe et tragédie en Grèce ancienne", Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet, publié chez Poche, La découverte.

Malheureusement, je n'ai pas réussi à trouver l'article en question sur le net.

Sur la lecture que faisait Vernant du mythe et de la pièce, j'ai trouvé ce lien, qui est une interview de Vernant : http://www.fabriquedesens.net/OEdipe-par-Jean-Pierre-Vernant
Vania
 
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Message par luc marchauciel » 22 Jan 2012, 21:50

(granit @ dimanche 22 janvier 2012 à 21:24 a écrit :
Luc M. sous ses dehors plus avenant est d'ailleurs du même tonneau, j'allais dire du même bois..


Je suis dégoûté.
J'apparais comme "plus avenant" que Canardos, malgré tous mes efforts.
L'élève n'est donc pas à la hauteur du maître, je retourne à mes chères études.

Bon, en fait, je voulais dire que j'arrête pour ma part de causer avec Granit, sinon on va perdre le fil du fil, et je préfère ne pas nourrir la stratégie du pourrissement.
luc marchauciel
 
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