Le marxisme est-il une science ?

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par redspirit » 25 Fév 2012, 16:21

Désolé d'écorcher la langue française dans mes messages - y compris l'orthographe, je n'ai pas la patience de me relire.

Je tenais juste à préciser un point pour qu'il n'y ait pas de confusion, Matrok, quand je dis : '"il n'existe pas de faits bruts", je devrais dire "il n'existe pas de faits bruts pour l'observateur". J'ai été trop imprécis au début de mon message : évidemment, il existe une réalité brute, mais celle-ci n'est pas saisissable en tant que telle pour l'observateur car il la perçoit selon un cadre théorique spécifique.
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Message par Barnabé » 25 Fév 2012, 17:10

Bon, on va peut-être réussir à s'entendre, au moins sur la manière de poser le problème...
Désolé encore à l'avance d'être long. Je sais que c'est pénible, mais sur des questions comme celle-là je vois mal comment faire sans (essayer de) développer un peu des raisonnements.

(Matrok, a écrit : Quoique... on va peut-être trouver un terrain d'accord là-dessus : comme je l'ai concédé plus haut la science "évolue continuellement dans le sens de devenir purement objective". "Continuellement" n'est peut-être pas le mot juste, disons qu'en temps normal la science évolue ainsi en remodelant les théories en place. Comme il n'y a pas vraiment de règle stricte pour proposer des théories, cela implique qu'au départ elles peuvent porter un certain degré de subjectivité, ensuite éliminé progressivement par la méthode scientifique. Ainsi, tu as présenté dans un premier temps un bouquin comme justifiant ton idée que le contenu des théories scientifique serait en partie déterminé par la lutte des classes. Mais s'y j'en crois ton résumé (que tu as posté après ma petite provocation un peu minable je dois le reconnaitre) il s'intéresse en fait au livre de Newton jusque dans ses formulations particulières, plus qu'au contenu logique de la théorie Newtonienne une fois rôdée par quelques décennies de confrontation à la réalité. Dans ce cas précis, cela ne me surprend pas qu'on puisse y déceler des choses qui trahissent l'esprit de leur temps...


Si je comprend bien, pour toi, dans les théories telles qu'elles sont formulées, il y a une part de "connaissance objective" (que j'aurais tendance par souci de précision à appeler plutôt "compréhension rationnelle du monde objectif", mais on va pas pinailler) et un "certain degré de subjectivité" (dont, je pense qu'on peut être d'accord pour dire qu'elle est déterminée socialement). Si je comprend bien, tu tiens à appeler "sciences" uniquement la première partie.
Moi ce que j'ai dit jusqu'ici, en appelant au contraire "sciences" la production de ces connaissances telle qu'elle s'est faite dans l'histoire, c'est qu'il y a là dedans une double détermination objective et subjective. On n'est en effet pas forcément si loin.

Un premier problème que je vois à partir de là dans ce que tu dis:
C'est la "méthode scientifique" qui doit éliminer progressivement la part subjective des sciences. Le souci, c'est que cette méthode scientifique elle-même ne tombe quand même pas du ciel. Elle évolue historiquement, et est elle-même nécessairement "entâchée" de rapports sociaux etc. Ainsi quand Newton écrit les 'principia' personne ne songerait à lui faire remarquer qu'il reste une part "subjective" en n'éliminant pas complètement Dieu, personne ne songerait non plus à lui dire par exemple que ses recherches sur la mécanique sont scientifiques mais que son intérêt pour la transmutation des métaux relève du mysticisme. Parce que ce qu'il faisait rentrait dans le cadre des métodes scientifiques, telles qu'elles s'étaient construites jusque là. Pour prendre un autre exemple, jusqu'à assez tard dans le premier quart (au moins) du XXe siècle, nombre de scientifiques considéraient le néo-vitalisme (l'idée qu'il fallait une "force vitale" pour expliquer la spécificité des organismes vivants) comme une hypothèse toute à fait scientifique. Le souci c'est donc que si les sciences sont toujours plus ou moins empruntes d'un certain degré de subjectivité, cela n'épargne pas l'élaboration de la méthode scientifique elle-même. Du coup, je pense qu'il y a une certaine circularité à écrire :

a écrit : au départ elles [les sciences] peuvent porter un certain degré de subjectivité, ensuite éliminé progressivement par la méthode scientifique


On pourrait se dire qu'à mesure où progresse les capacités d'action humaine sur le monde, et donc où on a accès à une part de plus en plus grande des caractères objectifs de ce monde, on élimine automatiquement ce qui, dans les théories passées, relevait de la "subjectivité", et que par cela, s'affine continuellement la méthode scientifique elle-même. C'est un peu comme cela que je comprends ton propos (mais je peux me tromper). Cela peut être vrai dans des périodes d'essor de classes sociales porteuses de développement des forces productives. C'est justement ce qui s'est passé avec l'essor de la bourgeoisie et la "révolution (bourgeoise :-P ) scientifique". Le souci, c'est que cela peut aussi tendre à aller plutôt dans l'autre sens. Et cette "part subjective", dans le cadre d'une société qui globalement freine le développement des forces productives, produit des idées réactionnaires et tend à freiner (relativement) le développement des sciences. C'est cela qui d'ailleurs produit aussi des idées réactionnaires contre les sciences, le relativisme, la technophobie, ou la résurgence de courants obscurantistes comme le créationnisme. Mais cela ne saurait s'arrêter aux portes des sciences (parce que leur production s'effectue aussi dans cette société). D'où également une détermination subjective (ou une "part de subjectivité") dans les sciences produites.

Un exemple de cela, pour rester dans les sciences de la nature (parce que, évidemment et comme le remarque Trotsky dans un texte cité dans ce fil, la part de subjectif et en fait des intérêts de classe est autrement importante quand on s'intéresse aux sociétés), est la question du réductionnisme en biologie. La méthode réductionniste cherchant à expliquer les phénomènes complexes de la biologie à partir des lois physico-chimiques de leurs constituants apparaît au départ comme un progrès, un moyen pour éliminer les préjugés idéalistes que charriait la biologie vitaliste. D'où le développement autour des années 1920 de la biochimie. D'où ensuite, avec notamment la découverte de la structure de l'ADN, l'essor de la biologie moléculaire. Sauf qu'à un moment donné, le réductionnisme n'intervient plus comme un moment d'analyse de phénomènes complexes, mais comme une idéologie (et d'ailleurs pas bien matérialiste avec la conception du génome comme un plan préétabli de l'organisme), un dogme incontestable justifiant la captation vers la biologie moléculaire d'une énorme partie des moyens alloués à la biologie. Au bout d'un moment (à partir de la fin des années 90 en gros), les limites scientifiques (au sens de "objectives" si l'on veut) de cette méthode deviennent incontournables. D'où les tentatives diverses aujourd'hui d'appréhender la pluralité des mécanismes en jeu dans le développement biologique, les échanges internes, les échanges avec le milieu, le caractère processuel de ce développement.

Cette petite histoire, résumée à la hache, montre, je crois, plusieurs choses pour la question qui nous occupe.
Premièrement, tout du long, on voit ce que j'appelle la double détermination. Bien sûr elle est orientée par ce que sont réellement les processus biologiques, c'est-à-dire qu'ils ne sont objectivement pas mues par une force vitale, qu'ils ne sont objectivement pas entièrement réductibles à des réaction physico-chimiques simples, etc. Et ce mouvement, dans l'ensemble constitue certainement un progrès dans la connaissance de la réalité biologique objective (et dans les possibilités d'agir dessus). Mais en même temps, chaque pas en avant "vers l'objectivité" est toujours relatif : le cadre théorique réductionniste qui est apparu comme un moyen de combattre l'idéologie vitaliste est à son tour devenu un frein (relatif) idéologique à la recherche. Il n'y a donc pas un progrès continu "vers l'objectivité", mais la tension permanente entre ce que produisent les rapports sociaux (notamment en termes d'idéologie) et ce qu'est le monde objectif sur lequel on agit pour le comprendre.
Deuxièmement, on ne peut pas compter a priori sur "la méthode scientifique" pour faire le boulot, parce que c'est dans cette contradiction que cette méthode se développe. Ainsi le réductionnisme a pu être considéré comme LA méthode scientifique par excellence. Les limites du réductionnisme imposent de reconsidérer justement cette méthode, de l'affiner, de la comprendre comme un moment non suffisant. Mais cela ne se fait pas non plus d'un seul coup et dans la pure objectivité. Les cadres théoriques et méthodologiques qui ont émergé face à cette limite sont eux-même extrêmement flous et souvent teintés, au moins implicitement, d'idéologie parfois franchement idéaliste (comme certaine variantes des théories de l'émergence ou de l'auto-organisation). Et il n'y a pas de critère purement interne aux sciences (puisqu'il s'agit aussi de la définition d'une partie de ces critères). Bien sûr, dans la critique de la part d'idéologie (de classe) de la production scientifique, on doit tenir, et réaffirmer au besoin, à l'objectivité du monde, au fait que c'est ce monde objectif existant indépendamment que l'on veut connaître et que c'est à son aulne que l'on juge, finalement, des théories scientifiques. Mais à un moment donné la discussion doit prendre en compte aussi ce que sont ces idéologies, comment et pourquoi elles sont produites, ce qu'elles signifient socialement, etc. Ce qui implique de prendre en considération aussi le cadre social qui les produit (même si, pour une raison ou une autre on tenait absolument à ne pas parler de "sciences bourgeoises ", ça c'est secondaire) Car ce n'est pas seulement le conservatisme méthodologique d'une "science normale" qui serait à un moment renversé par de trop nombreuses anomalies (ça ce serait le raisonnement de Khun). Ce conservatisme ne repose pas sur la seule structuration des communautés scientifiques, mais repose sur des intérêts sociaux (parce que les communauté scientifiques sont situées à l'intérieur de la société). Ceci, d'ailleurs reflète assez exactement la manière dont est construit Matérialisme et empiriocriticisme où, après la polémique théorique contre le relativisme de Bogdanov, Lénine discute de la manière dont l'idéalisme se développe dans les sciences physiques face à la "crise de la nouvelle physique" et la signification politique et sociale de ce phénomènes (sans évidemment trancher sur les théories physiques elles-mêmes).

Bon, j'arrête là parce que c'est déjà bien trop long. J'espère pas trop confus (mais j'en suis pas sûr).
Je précise juste que, dans l'exemple que j'ai développé, j'ai considéré essentiellement la "part subjective" sous son versant idéologique, parce que c'est là que cela interfère le plus visiblement avec le contenu de théories. Mais cette détermination ne s'y réduit pas (et ne se situe sans doute pas essentiellement là). Il y a aussi tous les problèmes d'infrastructures matérielles, de moyens, de choix et financements de programmes de recherches, d'organisation et de segmentation de l'activité scientifique etc.

Je reviendrais plus tard sur la question du marxisme, de sa scientificité et de "ma théorie personnelle" (que j'assume mais dont j'espère montrer qu'elle n'est pas si personnelle que cela).

Je signale finalement, sur cette discussion sur l'objectivité des sciences, qu'il y avait déjà eu un fil (avec en partie les mêmes participants) en 2007 : http://forumlo.cjb.net/index.php?showtopic=20086&st=0
Barnabé
 
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Message par Matrok » 26 Fév 2012, 00:11

(Barnabé @ samedi 25 février 2012 à 16:10 a écrit : Je signale finalement, sur cette discussion sur l'objectivité des sciences, qu'il y avait déjà eu un fil (avec en partie les mêmes participants) en 2007 : http://forumlo.cjb.net/index.php?showtopic=20086&st=0

Hum... Si tu cites ce fil, je vais devoir préciser que je ne suis plus d'accord du tout avec certaines choses que j'écrivais en 2007. Voila, ce sera tout pour ce soir, je me suis promis de ne plus faire de philo le samedi soir après minuit. :hypocrite:
Matrok
 
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Message par Barnabé » 13 Juin 2012, 10:23

(luc marchauciel @ mardi 21 février 2012 à 22:31 a écrit :
Le marxiste anglais JBS Haldane a écrit en 1938 un ouvrage qui a été traduit en France en 1946 sous le titre "La philosophie marxiste et les sciences". Je l'ai pas encore lu, mais je suis sûr que certains sur le Forum l'ont fait... :smile:
J'ai vu qu'un livre sur Haldane va bientôt paraître à la maison d'éditions en ligne Matériologiques :
http://www.materiologiques.com/Science-phi...ie-et-politique

Juste pour signaler que le livre en question vient de sortir (en e-book) aux éditions matériologiques:
J.B.S. Haldane, la science et le marxisme.
Et que le même éditeur a sorti un recueil de textes inédits en français du même Haldane sur les rapports entre marxisme et science: Biologie, philosophie et marxisme. Textes choisis d’un biologiste atypique
Barnabé
 
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