Le statut de l'embryon

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par luc marchauciel » 20 Fév 2012, 09:28

Dans Le Monde, une interview intéressante [j'allais dire : "une belle interview"] d'un gars qui a bien mieux évolué que son collègue Jacques Testart :

a écrit :
René Frydman : "Le statut de l'embryon reste tabou"

LE MONDE CULTURE ET IDEES | 19.02.12 | 17h22

Propos recueillis par Gaëlle Dupont




René Frydman, 68 ans, est l'ancien chef du service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Antoine-Béclère de Clamart (Hauts-de-Seine). Il a à son actif une impressionnante série de premières. Il est le père scientifique d'Amandine, le premier bébé-éprouvette né en France, en 1982. La technique utilisée : spermatozoïdes et ovules sont mis en contact en dehors de l'appareil reproducteur de la femme, dans une boîte de culture. Après fécondation, un ou plusieurs embryons sont réimplantés dans l'utérus.

Avec son équipe, M. Frydman est également à l'origine de la première naissance après congélation d'un embryon, en 1986, et après congélation d'ovocytes, en 2010. Il a réalisé la première naissance après diagnostic préimplantatoire en France, qui permet de sélectionner des embryons indemnes de maladies héréditaires graves. On lui doit enfin, en janvier 2011, la naissance du premier "bébé du double espoir", dont le sang du cordon a permis de réaliser une greffe de moelle sur sa soeur malade.



Amandine, le premier bébé français né par fécondation in vitro (FIV), aura 30 ans le 24 février. La voyez-vous toujours ?
Nous avons gardé des liens, d'abord avec ses parents, bien sûr. Mais je ne crois pas que le fait d'être le premier enfant issu d'une FIV ait changé sa vie. Car, on l'oublie souvent, dans 96 % des cas de FIV les parents biologiques sont aussi ceux qui vont élever l'enfant. Donc il n'y a pas de modification de la filiation. En trente ans, l'assistance médicale à la procréation a ouvert beaucoup de possibilités, qui ont provoqué de grands débats éthiques. Mais, pour la plupart des patients, les questions de filiation ne se posent pas.

Quel souvenir gardez-vous de ce jour ? 
Il y avait le bonheur d'avoir accompagné une naissance et de me remémorer la fécondation in vitro, neuf mois plus tôt, qui avait rendu l'événement possible. J'avais aidé à ce que l'accouchement d'Annie, la mère d'Amandine, soit naturel, alors que jusque-là ces accouchements se faisaient par césarienne, pour éviter toute angoisse du médecin. Donc son accouchement a été à la fois tout à fait ordinaire, et en même temps extraordinaire. Ce choc fait que sur le coup vous ne savez plus très bien où vous en êtes.

Depuis, les progrès de la médecine reproductive ont bouleversé la famille traditionnelle...
Nous aboutissons à des parentalités multiples. Cette science a permis d'individualiser trois mères et deux pères... sans parler des pères spirituels ! Il y a la mère qui va donner les ovules, qui peut être différente de celle qui va porter l'enfant, qui peut être encore différente de celle qui va éleverl'enfant. Le père biologique, qui donne son sperme, peut aussi être distinct de celui qui élève l'enfant. Pour moi, la relation humaine prime, et pas l'origine génétique, qui est aujourd'hui trop valorisée. La femme qui accouche est la mère, même en cas de don d'ovule. L'enfant peut ensuite être adopté et élevé par quelqu'un d'autre. Il y a alors changement de mère, mais l'enfant restera issu de la femme qui l'a mis au monde.

Certains enfants nés d'un don de gamètes veulent connaître leur origine biologique, ce qui leur est interdit en France...
Je suis favorable aux deux possibilités pour les donneurs : que ceux qui le souhaitent puissent resteranonymes, et que ceux qui veulent bien laisser leur identité puissent le faire. Vingt ans plus tard, l'enfant qui le souhaitera pourra connaître l'identité du donneur, à condition que celui-ci ait donné son accord. Sinon, l'enfant subira le lot de ceux dont le père est parti sans laisser d'adresse. On ne peut pas répondreà toutes les situations.

Parmi toutes les avancées de la médecine procréative, y en a-t-il que vous regrettez ?
Je condamne l'utilisation des techniques sans éthique. Aux Etats-Unis, on constate une augmentation de 53 % du choix du sexe de l'enfant ànaître. Un couple de Californiens a voulu sélectionner une donneuse d'ovocytes porteuse du même type de surdité que la future mère légale, pour que l'enfant soit à son image. Cette volonté de façonner l'enfant pose problème. La sélection des embryons doit toujours être motivée par la seule volonté d'éviter detransmettre une maladie grave et incurable.

Pourquoi êtes-vous hostile au recours aux mères porteuses ?
La grossesse pour autrui sous-tend l'exploitation du corps de la femme. De même qu'on s'oppose à la vente d'organes, on doit s'opposer à la grossesse pour autrui. La vente ou la location, c'est la même chose. Où qu'il se pratique, ce geste est quasiment toujours rémunéré. On entre dans un processus d'exploitation. La séparation de la mère porteuse et du bébé n'est pas sans risque, pour l'un comme pour l'autre. Tout cela dans quel but ? D'avoir un enfant génétiquement de soi. Cela ne me paraît pas une raison suffisante.

Les progrès de l'assistance médicale à la procréation ont-ils donné naissance à la revendication d'un "droit à l'enfant" ?
L'idée que tout est possible s'est installée dans beaucoup d'esprits. Dans les têtes, l'âge, le fait d'être célibataire ou même d'être vivant ou mort (avec l'insémination artificielle post mortem) ne constituent plus des limites. Les femmes veulent avoir des enfants de plus en plus tard, c'est un fait de société, qui est amplifié par cette croyance.

Il faut faire passer un message : la procréation médicalement assistée est d'autant plus difficile que l'on y a recours tard. D'ailleurs, la FIV est limitée à 43 ans pour le remboursement. Vous pouvez continuer après jusqu'à l'âge physiologique de la grossesse, environ 48 ans, si vous payez.

Il faudrait innover et que les femmes sans enfants fassent un bilan de fertilité entre 33 et 35 ans, pour savoir à quoi s'attendre. C'est une mesure que je souhaite vraiment voir proposer. Si la fertilité d'une femme baisse, on pourrait luiproposer des réponses, comme congeler ses ovules pour qu'elle puisse lesutiliser plus tard.

Peut-on repousser indéfiniment l'âge de l'enfantement ?
Dans l'absolu, on pourrait, mais en France la limite est fixée autour de 48 ans, même si vous avez recours au don d'ovocyte. S'il n'y a pas de risque pour la mère et l'enfant, je ne vois pas de raison de refuser. J'essaie d'être le plus possible dans le rôle du médecin, et je vois que les accouchements de femmes entre 42 et 48 ans ne se passent pas si mal que ça, malgré l'opinion dominante, qui ne se fonde sur aucune étude.

Vous avez dit que "refaire" Amandine serait impossible, du fait des réglementations qui entourent la recherche sur la reproduction. Elles vous semblent inutiles ?
Entre faire n'importe quoi et ne pas faire, il y a un juste milieu. Aujourd'hui, le poids de l'idéologie rétrograde et la peur des politiques ont entraîné une glaciation dans notre pays. Nous sommes obsédés par le statut de l'embryon. C'est un tabou. On a abouti à une situation où la recherche sur l'embryon est interdite... sauf dans les cas dérogatoires où elle est autorisée ! C'est un maquis incompréhensible et décourageant pour les jeunes qui choisissent les sciences du vivant. Pendant ce temps, d'autres pays avancent, comme les Etats-Unis ou le Japon.

En trente ans, l'assistance médicale à la procréation s'est banalisée, 20 000 enfants naissent chaque année grâce à elle et elle rend beaucoup de couples heureux. Mais j'ai un grand regret : nos résultats ne sont pas bons. Nous sommes à 20 % de réussite en moyenne, quand d'autres, en Belgique ou aux Etats-Unis, sont à 35 %. Les couples qui ont besoin d'un diagnostic préimplantatoire attendent deux ans. C'est intolérable. Il faut un investissement matériel, des gens compétents et la possibilité de faire de la recherche. Les lois de bioéthique et les règles administratives devraient être refondées, afin de remettre l'innovation au coeur des sciences du vivant.

Quand vous évoquez la possibilité de concevoir un bébé à partir des gamètes mâles et femelles d'un seul individu, grâce aux cellules souches embryonnaires, ou la possibilité de procréer hors du corps humain, on peut prendre peur...
Beaucoup de choses sont possibles, elles ne sont pas forcément utiles ou souhaitables. Tout ce qui est faisable ne se réalisera pas, ou seulement de façon ponctuelle et limitée. Par exemple, on peut aujourd'huiconnaître le sexe de l'enfant dès la huitième semaine de grossesse, mais cela ne se pratique pas sans raison. Quand on constate une dérive, on peut réagir. Le Comité national d'éthique est fait pour cela. Evidemment, il faut qu'il soit indépendant et cesse d'être obnubilé par les conséquences de ses décisions. Aujourd'hui, ses membres ont tellement peur qu'il ne sort plus d'avis. J'attends toujours la réponse à la saisine que j'ai faite, il y a quatorze mois, sur les problèmes posés par la congélation d'ovocytes.

Dans toute innovation, il y a une part de risque. Si vous le supprimez, il n'y aura plus d'innovation. Ce qui compte, c'est que ce soit transparent, que le risque soit énoncé et accepté. Je ne suis pas pour la déréglementation. Je suis pour la réglementation des principes et l'évaluation des pratiques.

Quel est votre nouveau terrain de recherche ?
L'embryon humain reste un inconnu. Qu'est-ce qui fait qu'il va se développer correctement, donner une fausse couche, un enfant malformé ? Les mécanismes intimes qui font qu'une cellule souche se transforme en gamète me fascinent. Après, il faudra limiter les applications. Nous pouvons donner un exemple de régulation. Mais on ne peut pas empêcher de chercher, sous prétexte que des applications pourraient poserproblème. Dans le domaine nucléaire, c'est pareil : vous pouvez condamner la bombe atomique, mais pas empêcher la connaissance du phénomène atomique. La soif de connaissance humaine est inextinguible, mieux vaut l'encadrer que la nier.
luc marchauciel
 
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