Cerveau, sexe et intelligence

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Cerveau, sexe et intelligence

Message par luc marchauciel » 17 Juin 2014, 15:37

Catherine Vidal est une neurobiologiste qui est déjà intervenue au chapiteau scientifique de la fête de LO. Voici par Nicolas Gauvrit une critique du contenu de ses conférences :

Le sexe du cerveau

17.06.2014 par Nicolas Gauvrit



Où l’on découvre que le message inlassablement répété par Catherine Vidal n'est pas conforme à l'état de la science.


Ce billet est une version légèrement réduite d’un article écrit avec Franck Ramus, qui paraîtra dans la revue Science… et pseudosciences début juillet, au sein d’un dossier sur les différences entre femmes et hommes.



La neurobiologiste Catherine Vidal est connue du grand public pour s’exprimer régulièrement sur la question des dissemblances entre hommes et femmes. Son point de vue est qu’il n’existe aucune différence cérébrale ou cognitive notable entre hommes et femmes qui ne puisse s’expliquer par des effets purement culturels. L’argumentaire de Vidal a été déployé au fil des années dans un nombre considérable de livres (voir par exemple ici, ici, là ou là), articles (dans Le Monde, L'express, Libération, Rue89, La Recherche, etc.), films documentaires (voir ici ou là), conférences et interviews. Ses prises de position publiques lui valent également d’être sollicitée pour donner son avis sur les différences entre les sexes dans diverses instances universitaires, associatives ou ministérielles, comme on peut le lire sur son CV.

Pourtant, toute personne qui connaît suffisamment bien les recherches scientifiques portant sur le cerveau et sur les différences entre les sexes peut constater que la synthèse qu’en fait Catherine Vidal est extrêmement biaisée, incomplète, et que les arguments qu’elle utilise ne viennent pas à l’appui de ses conclusions, comme le note Jacques Balthazart. Nous proposons d’en fournir la démonstration à partir de l’analyse de sa conférence TED "le cerveau a-t-il un sexe", filmée le 15 janvier 2011 et visionnée près de 40 000 fois.

L'intelligence et la taille du cerveau

Catherine Vidal l’indique à juste titre : des chercheurs du 19e siècle ont cru que les femmes étaient par nature moins intelligentes que les hommes parce qu’elles avaient un cerveau plus petit. De telles déclarations ont de quoi choquer aujourd’hui, et elles relèvent sans doute, comme le suggère la neurobiologiste, du sexisme largement partagé à cette époque. Le raisonnement des chercheurs était le suivant : (1) les femmes ont un cerveau en moyenne plus petit que les hommes, (2) l’intelligence est liée à la taille du cerveau, (3) donc, les femmes sont par nature moins intelligentes que les hommes.

Catherine Vidal rejette le point (2) en affirmant que "la question du lien entre intelligence et taille du cerveau ne se pose pas, parce qu’en fait il n’y a aucun rapport entre les deux". Pour toute démonstration, elle indique le petit poids des cerveaux d’Anatole France et d’Albert Einstein ! Pourtant, le lien entre volume du cerveau et intelligence est rigoureusement établi par plusieurs dizaines d’études convergentes et ayant fait l’objet d’une méta-analyse (McDaniel, 2005). Même s’il ne s’agit évidemment pas d’une relation parfaite (la taille du cerveau explique environ 10 % des variations de QI), elle est significative, et aucun cas particulier ne peut globalement la contredire, quand bien même il s’agirait d’Albert Einstein. De même, il est bien établi que la taille du cerveau diffère entre hommes et femmes (Goldstein et al., 2001). Pour autant, le fait que les cerveaux féminins soient en moyenne plus petits et que l’intelligence soit liée à la taille du cerveau n’implique pas que les femmes soient moins intelligentes. En statistique, les relations ne s’enchaînent pas forcément ! Si l’on se pose la question des différences d’intelligence entre hommes et femmes, ce ne sont pas les IRM qu’il faut examiner, mais les résultats des tests. En l’occurrence, ils montrent que les hommes et les femmes diffèrent sur certaines capacités spécifiques, mais pas sur l’intelligence générale (Burgaleta et al., 2012).

Pourquoi donc énoncer une contre-vérité flagrante à l’appui d’une conclusion juste mais qui n’en découle pas logiquement ?

Les différences cérébrales

Les deux hémisphères cérébraux sont reliés par un faisceau de fibres nerveuses que l’on nomme le "corps calleux". À une époque, on a cru que le corps calleux était plus épais chez les femmes, ce qui aurait pu indiquer une meilleure connexion entre les hémisphères. Puis, nous dit Vidal, on s’est aperçu que c’était faux grâce à de nouvelles études par IRM… et l’affaire du corps calleux s’est arrêtée là.

Il est tout à fait vrai que la différence sexuelle dans l’épaisseur du corps calleux a été d’abord annoncée à grand fracas, puis qu’elle a ensuite été remise en cause. Néanmoins, contrairement à ce que suggère Vidal, il n’y a aucun consensus scientifique actuellement sur une absence de différence. À cause d’un ensemble de difficultés méthodologiques, il n’est pas si facile que cela de mesurer l’épaisseur du corps calleux. En outre, il faut prendre en compte la taille du cerveau, ce qui peut se faire de plusieurs manières. Le résultat est qu’aujourd’hui encore cette différence est controversée (comparer par exemple Ardekani et al., 2013 et Luders et al., 2014). Il serait plus raisonnable de suspendre son jugement sur cette question que d’affirmer une absence de différence.

Dans le même esprit, on a cru à une époque que les femmes utilisaient, dans les tâches verbales, une plus grande partie de leur cerveau et surtout un ensemble d’aires moins latéralisées. En caricaturant : les hommes parleraient avec leur hémisphère gauche uniquement, les femmes avec les deux hémisphères. Comme l’indique Vidal, cette "découverte" était sans doute un faux positif, car les études ultérieures n’ont, en général, pas reproduit ce résultat.

Mais la neurobiologiste suggère que la même chose se produit pour toutes les autres différences cérébrales entre les sexes. Elle affirme en effet "et en fait, lorsqu’un grand nombre de sujets est analysé, les différences entre les sexes finalement disparaissent", laissant l’auditeur supposer que cela serait vrai pour toutes les caractéristiques envisageables. Or, si cette conclusion est correcte pour les aires du langage et peut-être pour le corps calleux, il n’y a pas lieu de la généraliser à toutes les autres dissemblances cérébrales.

De fait, bien d’autres structures ont des volumes différents entre hommes et femmes. Cela concerne notamment des structures sous-corticales comme l’amygdale, le putamen, le pallidum, le thalamus, y compris lorsque les différences de volume cérébral total sont prises en compte — ce qui est important puisque les différences de volume total entre les sexes induisent mécaniquement des différences locales (Paus, 2010).

De même, une récente méta-analyse d’Amber Ruigrock et ses collègues (2014) regroupant les résultats de milliers de personnes fait le point sur ces dimorphismes et rapporte de nombreuses régions corticales et sous-corticales montrant des différences de volumes de matière grise. Dans certaines régions, ce sont les femmes qui ont plus de matière grise, ce qui ne peut en aucun cas s’expliquer par la différence de volume total. Le cortex des hommes et celui des femmes diffèrent donc par des variations locales subtiles, certaines régions étant relativement plus développées chez les femmes que chez les hommes, et vice-versa.

Ainsi, Catherine Vidal critique à juste titre quelques études anciennes affirmant des différences entre les sexes dans l’épaisseur du corps calleux et dans le cortex associé au langage. Ce faisant, elle passe sous silence des centaines d’études et des méta-analyses montrant des différences beaucoup plus fiables.



suite sur :

http://www.scilogs.fr/raisonetpsycholog ... u-cerveau/
luc marchauciel
 
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