Davantage de Mayas, mais pas de "mégalopole"

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Davantage de Mayas, mais pas de "mégalopole"

Message par Plestin » 15 Fév 2018, 17:25

Ces derniers jours, une partie de la presse française a répercuté une "information", selon laquelle des découvertes archéologiques auraient mis au jour une gigantesque cité maya dans le Nord du Guatemala. Les journalistes se sont recopiés et certains ont même ajouté quelques détails (tiens, ça me rappelle quelque chose...)

En fait, une formidable découverte a bel et bien eu lieu, mais il s'agit d'une vaste zone dans laquelle devaient se situer une douzaine de cités et 60.000 bâtiments, pour la plupart des habitations ordinaires, dispersées dans la zone. Pas une "mégalopole" de 10 millions d'habitants comme l'a affirmé le Figaro... Par contre, cela conduit à réviser à la hausse les estimations de l'ensemble de la population Maya.

C'est Libération qui révèle que tout cela provient d'erreurs de traduction et d'interprétation :

A-t-on vraiment trouvé une cité maya de 2 000 km² et 10 millions d'habitants ?
Par Fabien Leboucq — 14 février 2018 à 12:44

Vous nous avez demandé si, comme l'avaient écrit de nombreux médias début février, des archéologues avaient bien trouvé au Guatemala une cité maya de 2 000 km², peuplée de plusieurs millions d'habitants. Nous vous répondons.

A-t-on vraiment trouvé une cité maya de 2 000 km² et 10 millions d'habitants ?

Question posée par Julien sur CheckNews.fr.

Au début du mois de février, la Toile est en émoi. On aurait découvert «une cité maya de 2 000 km²». Une surface égale à vingt fois celle de Paris intra-muros. Le Progrès, Futura Sciences, le Huffington Post, 20 Minutes, l’Express commentent cette découverte. L’article le plus prolixe est commis par le site du Figaro. On y lit notamment: «Les premières études de ces ruines ont révélé que la cité devait être composée d’au moins 60 000 bâtiments, maisons, palais et pyramides. Elle accueillait environ 10 millions d’habitants. Cette mégalopole homogénéisée par de nombreuses voies s’étendait sur au moins 2 000 km²

Toutes ces publications s’appuient sur un article, publié le 1er février, sur le site français de National Geographic, «Exclusif: découverte d’une cité maya de plus de 2 000 km² au Guatemala». Souvent, les papiers des différents médias s’accompagnent d’une vidéo, en français, titrée de la même manière et partagée par le compte YouTube Nat Geo France.

Mais ces publications sont toutes erronées. Nous avons parlé avec les chercheurs qui ont participé à la découverte. Ils ne font pas état d’une ville maya de 2 000 km².

Problème de traduction

Principale erreur: il ne s’agit nullement d’une seule «mégalopole» comme la plupart des médias l’ont raconté. A la lecture du communiqué original sur ces découvertes, on comprend que ces dizaines de milliers de bâtiments ne sont pas réunis en une seule ville. La technologie LiDAR (Light Detection and Ranging) a permis de trouver, dans la jungle de Petén, dans le nord du Guatemala, une «douzaine de cités mayas». Pas une seule «cité» de 2 000 km², comme on l’a lu un peu partout… y compris sur le site français de National Geographic.

«Nos recherches couvrent un certain nombre de ruines de villes, et les zones qui les séparent, confirme à CheckNews Thomas Garrison, professeur spécialisé dans l’archéologie maya à l’Ithaca College, qui est cité dans l’article de National Geographic. Les 60 000 bâtiments dont il est question ne sont pas réunis en un site, mais disséminés sur un territoire. Les données proviennent de plusieurs zones séparées, qui s’étendent d’ouest en est dans la partie septentrionale du Guatemala.» Et le chercheur d’ajouter que les dizaines de milliers de structures «sont très majoritairement des maisons de Mayas ordinaires».

Ironiquement, c’est Nat Geo, pourtant partenaire du projet de recherche, qui se retrouve en partie à l’origine de ces confusions. Thomas Garrison déplore ainsi l’utilisation par le site américain de la revue du mot «mégalopole» dans le titre de son article : «Des scans laser permettent de découvrir une "mégalopole" maya sous la jungle guatémaltèque.» Cela «a mené à quelques confusions dans la couverture médiatique», estime Garrison, même si au-delà de son titre trompeur, l’article évoque bien, dès le départ, un «réseau d’anciennes villes interconnectées».

Surout, l’erreur de titre du site anglophone a été reprise et amplifiée, pour cause de mauvaise traduction, dans la version française de l’article National Geographic, qui titre sur une découverte d’une «cité». Idem dans la vidéo en français diffusée par la revue.

Non content de remplacer le terme de «mégalopole» (qui ne fait déjà pas l’unanimité chez les chercheurs) de l’article en anglais par celui de «cité», la déclinaison française de Nat Geo évoque aussi une surface de 2 000 km². Autre erreur – largement reprise – puisque cette surface est en fait celle couverte par le projet de recherche, divisée en plusieurs zones distinctes.

Aucune cité n’abritait 10 millions d’habitants

Le Figaro n’a eu besoin de personne, en revanche, pour ajouter une autre erreur dans son article. Le quotidien est allé jusqu’à écrire que cette cité gigantesque abritait «environ 10 millions d’habitants». Ce n’est pourtant pas ce que dit National Geographic dans la publication française. Voici le paragraphe de la revue qui a mal été compris: «"La plupart des scientifiques estimaient la population maya à environ 5 millions de personnes", indique Francisco Estrada-Belli, qui dirige un projet archéologique pluridisciplinaire à Holmul, au Guatemala. "Avec ces nouvelles données, il n’est plus possible d’estimer cette population à moins de 10 ou 15 millions de personnes – dont beaucoup vivaient dans les régions marécageuses basses que l’on pensait jusqu’ici inhabitables.

La population en question n’est donc pas celle d’une seule ville, mais bien de la totalité du territoire maya, que l’équipe de recherche a essayé de déduire à partir de sa découverte. Ce qu’explique à CheckNews Marcello Canuto, chercheur à la Tulane University. «Les 2 000 km² couverts par nos recherches étaient divisés en 16 zones, explique l’archéologue qui a participé aux découvertes. Cela représente à peine 2% ou 3% de l’ensemble du territoire maya. A partir de ce que nous avons découvert, nous avons réalisé une extrapolation. Selon laquelle il y aurait eu plus ou moins 10 millions de Mayas sur l’ensemble de leur territoire pendant la période classique.»

Une population qui correspond à la fourchette (très) haute des estimations faites jusqu’alors : «Il y a toujours eu des débats dans la communauté d’archéologues. Avant, on admettait communément qu’il y avait environ 4 millions de Mayas, mais certains disaient qu’ils étaient plus nombreux. Ils avaient raison», explique Marcello Canuto.

Thomas Garrison va dans le même sens, même s’il se montre prudent : «Certains de mes collègues ont donné des estimations plutôt précises de la population maya, mais je n’aime pas donner de chiffres. Je dirais toutefois qu’elle était 3 à 4 fois plus dense que ce que nous pensions auparavant, et qu’il y avait clairement plus d’habitants dans cette zone durant la période classique [entre 250 et 900 après J.-C.] qu’aujourd’hui.»

Mais contrairement à ce qu’on pouvait lire dans le Figaro, il n’y avait donc pas 10 millions d’habitants dans cette mégalopole dont ont parlé tous les médias français. Et qui n’existe pas.

Fabien Leboucq
Plestin
 
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