Cholestérol : le grand bluff

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Plestin » 18 Oct 2019, 10:28

Ceci est la troisième partie.

Concernant les multiples études cliniques qui ont porté sur les statines, La Revue Prescrire fait régulièrement le point sur l'état des connaissances et sur les meilleures pratiques à adopter pour les médecins.

Dans ces analyses, une différence nette est apparue entre les statines en prévention primaire (c'est-à-dire, chez des patients dont le taux de cholestérol est jugé élevé mais qui n'ont jamais fait ni d'infarctus ni d'AVC ni d'angor ni d'artérite des jambes) et en prévention secondaire (c'est-à-dire, chez ceux qui ont déjà fait un infarctus ou un AVC etc.)

Selon Prescrire, l'intérêt des statines (du moins, les mieux évaluées d'entre elles) semble avéré en prévention secondaire ("une place limitée mais pas nulle") et faible voire nul en prévention primaire.

Par ailleurs, lorsqu'une prescription de statine est décidée, Prescrire recommande la pravastatine ou la simvastatine, avec une préférence pour la première car la seconde a quelques risques d'interagir avec d'autres médicaments ou même le jus de pamplemousse (qui ferait que la dose nécessaire pour être efficace et sans danger ne serait plus la même).

Concernant la prévention secondaire, voici ce qu'écrivait Prescrire en mai 2017 :

Prévention cardiovasculaire secondaire : place des statines

En prévention cardiovasculaire secondaire, toutes les statines ne se valent pas. Certaines statines ont une place, limitée mais pas nulle, selon des essais cliniques de haut niveau de preuves.

Les statines, des hypocholestérolémiants, sont souvent proposées pour réduire la mortalité chez les patients qui ont déjà eu un accident cardiovasculaire, ou qui ont un angor stable ou une artériopathie oblitérante des membres inférieurs (prévention dite secondaire).

Prescrire a réalisé une synthèse des essais cliniques randomisés menés avec les médicaments hypocholestérolémiants de la famille des statines chez au moins 1 000 patients pendant au moins 2 ans et qui ont étudié la mortalité totale ou la mortalité cardiovasculaire. Cette synthèse a pris en compte, entre autres, les analyses et critiques méthodologiques de ces essais par les experts de l'agence étatsunienne du médicament (FDA).

Parmi les résultats de cette synthèse, on peut retenir que, chez les patients coronariens sans insuffisance cardiaque, la pravastatine et la simvastatine, à des doses quotidiennes de 40 mg, permettent d'éviter environ 2 morts pour 100 patients traités pendant 5 ans.

La pravastatine a l'avantage d'exposer à moins d'interactions que la simvastatine.

Les statines sont d'intérêt incertain ou trop à risque d'effets indésirables et donc à éviter, en cas : de LDL-cholestérolémie spontanément très basse ; d'effets indésirables musculaires ; d'interactions avec des médicaments qui augmentent le risque musculaire ; de risque élevé de diabète de type 2 ; d'insuffisance cardiaque.

Si la LDL­cholestérolémie reste élevée sous pravastatine ou simvastatine à la dose quotidienne de 40 mg, mieux vaut renoncer à la baisser davantage, que d'utiliser l'atorvastatine à forte dose qui expose à un surcroît de risque.


"Mieux vaut renoncer à la baisser davantage" !

Une précision : Prescrire a suivi certaines recommandations de la FDA sur les essais cliniques et retenu uniquement ceux qui étaient de "haut niveau de preuve", autrement dit, l'étude écossaise critiquée dans l'émission d'Arte n'en fait plus partie. (A l'époque, à son propos, Prescrire parlait d'un résultat positif mais sur un effectif trop petit "à la limite de la signification statistique").


Concernant la prévention primaire, donc chez des gens pas malades, il faut prendre beaucoup de précautions, car la durée des études cliniques peut être très variable et aucune n'a étudié les statines sur le long terme (10 ans), le maximum étant 6 ans et beaucoup d'études se contentant de 2 ans ce qui est très insuffisant pour décider d'une prescription d'un médicament "à vie", même si quelques labos s'en contenteraient bien...

Sur ces bases, voici ce qu'écrivait Prescrire en avril 2018 concernant la prévention primaire :

Prévention cardiovasculaire primaire par statine : beaucoup d'incertitudes à long terme

Partager les données sur la balance bénéfices-risques et les nombreuses incertitudes sur la prévention cardiovasculaire primaire par statine aide les patients à faire un choix éclairé.

L'arrêt du tabac, la pratique d'une activité physique, la perte de poids en cas d'obésité, une alimentation dite méditerranéenne et le traitement d'une hypertension artérielle ou d'un diabète réduisent le risque d'accident cardiovasculaire.

L'analyse des essais cliniques ayant évalué l'efficacité des médicaments hypocholestérolémiants de la famille des statines en prévention cardiovasculaire primaire, c'est-à-dire en l'absence de maladie cardiovasculaire ischémique clinique (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, etc.), montre qu'un traitement préventif par statine a permis d'éviter une mort pour environ 250 personnes âgées de 40 ans à 70 ans traitées pendant 2 ans à 6 ans.

Aucun essai n'a évalué les bénéfices apportés par 10 ans ou plus de traitement par statine, et les risques auxquels un tel traitement expose ne sont pas connus. Les effets indésirables graves notamment diabète et accidents vasculaires cérébraux hémorragiques, et les fréquents effets indésirables musculaires qui altèrent la qualité de vie, rendent la balance bénéfices­-risques incertaine en prévention primaire.

En pratique, étant donné les incertitudes et le coût de cette prévention, il est le plus souvent préférable de ne pas utiliser de statine en prévention primaire. Il y a tant à faire par ailleurs vis-à-vis du tabagisme, pour favoriser l'activité physique chez les personnes à risques, pour inciter à une alimentation moins délétère.

Quand un traitement par statine est néanmoins décidé, la pravastatine, à la dose quotidienne de 40 mg, est à privilégier.


Autrement dit, les études mettent en évidence, sur une durée limitée, un mort de moins pour 250 personnes traitées pendant 2 à 6 ans (c'est-à-dire, 0,5 à 0,17 morts de moins par an sur 250), mais ne précisent pas si, du fait du traitement, trois, cinq ou dix personnes de plus souffrent du diabète ou sont réduites à l'état de légume quoique toujours vivantes.


A noter que La Revue Prescrire se fait incendier et même insulter par Michel de Lorgeril et son petit groupe (ceux interrogés dans l'émission d'Arte) pour ne pas avoir rejeté en bloc les statines et pour accorder du crédit aux études américaines validées par la FDA (l'administration américaine). D'un autre côté, les articles de La Revue Prescrire ne font pas vraiment l'affaire des laboratoires qui vendent des statines et aimeraient en vendre à tout le monde...

Quoique, aujourd'hui, toutes les statines sont tombées dans le domaine public (il y a des génériques pour toutes) et le débat pourrait se dépassionner un peu.

Les articles de Prescrire ne font pas davantage l'affaire des vendeurs de compléments alimentaires puisque, comme la revue l'écrivait en 2013 dans sa liste des "Médicaments et compléments alimentaires à écarter" (les passages en gras sont de moi) :


En l'absence de données cliniques favorables, la consommation d'aliments enrichis en phytostérols ou phytostanols n'a pas sa place parmi les mesures non médicamenteuses de prévention cardiovasculaire, même en cas de risque cardiovasculaire élevé. (...)

Les données concernant les bénéfices mais aussi les risques, en particulier sur le long terme (toxicité des polluants contenus dans les poissons, peroxydation des acides gras polyinsaturés à longue chaîne, augmentation modérée de la LDL-cholestérolémie), sont insuffisantes pour recommander les acides gras oméga-3, même en cas de risque cardiovasculaire élevé. (...)

Les compléments alimentaires à base de levure de riz rouge exposent à des rhabdomyolyses, comme les statines, sans preuve d'efficacité sur les accidents cardiovasculaires. (...)


De quoi, certainement, énerver Michel de Lorgeril, grand promoteur de "l'effet protecteur cardiovasculaire des oméga-3"...

La suite au prochain numéro.
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Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Plestin » 20 Oct 2019, 18:09

Ceci est la quatrième partie.

On peut en venir aux commentaires et interventions de chercheurs favorables aux statines, tels que ceux cités dans les deux articles postés par le camarade Olac2013 par exemple.

Certains ont des liens évidents avec l'industrie. Ainsi, Bernard Swynghedauw, qui prend position en faveur des statines dans le second texte, dans un article sur le site de l'AFIS (Association Française pour l'Information Scientifique), est un chercheur renommé dans le domaine cardiovasculaire (qui a participé à des avancées médicales et qui a eu le mérite de faire le lien entre cardiologie et évolution) mais aussi, un partenaire de longue date de l'industrie. Dans un document autobiographique, il écrit par exemple (passage mis en gras par moi) :

(...) la pharmacologie cardiaque est devenue une priorité des grands laboratoires pharmaceutiques. Ainsi, grâce à Inserm-Transfert nous avons collaboré avec l’industrie. 30% environ de nos programmes de recherche ont eu trait à des contrats avec l’industrie pharmaceutique, Roussel UCLAF, Nativelle, Bayer et Boehringer (inotropes), SERPA, UPSA, Searle puis Pharmacia avec lequel nous avons une très longue et fructueuse collaboration sur l’aldostérone. D'autre part, nous avons su préserver d'étroites relations avec la clinique, notamment avec les services de médecine et de chirurgie cardiaque de Philippe Coumel, Pierre Maison-Blanche et plus récemment Philippe Ménasché à Lariboisière. Enfin nous avons pu constituer un véritable réseau international dédié à la recherche sur la cardiologie moléculaire.


Un véritable pont entre les labos (dont deux relèvent de Pfizer) et l'hôpital Lariboisière ! Mais il est vrai que ce n'est pas toujours facile d'éviter les contrats avec l'industrie pharmaceutique dans ce type de métier, pour qui veut poursuivre la logique de ses recherches médicales jusqu'au traitement des patients, alors que personne d'autre que les labos ou presque ne met au point de médicaments.

Bernard Swynghedauw (qui n'est pas un spécialiste des statines et du cholestérol mais connaît fort bien d'autres problématiques cardiaques) fait aussi partie du comité scientifique de la revue Le Cardiologue, qui est largement diffusée auprès des médecins (cardiologues et d'autres) et est ouvertement sponsorisée par l'industrie pharmaceutique. Par exemple, dans ce numéro dédié à un grand congrès de cardiologie à Nice, on peut voir des publicités pour les médicaments cardiovasculaires ENTRESTO de Novartis, ASPIRINE PROTECT de Bayer, RESITUNE de Pfizer (encore une aspirine, dont la seule innovation est de se présenter sous forme de comprimés roses ou blancs en forme de coeur !) et PROCORALAN de... le laboratoire n'est pas cité, peut-être parce que son nom est Servier.

http://lecardiologue.com/wp-content/upl ... fmc_BD.pdf

Attardons-nous d'ailleurs un instant sur ce PROCORALAN (nom commercial de l'ivabradine, c'est la toute dernière page du document) et mesurons l'écart qui existe entre le message publicitaire qui frappe l'esprit ("une double efficacité", avec deux mains protégeant un coeur) et le message réglementé écrit en plus petit. La double efficacité (car deux indications différentes) devient une mono-efficacité. Dans la première indication, l'insuffisance cardiaque chronique, le produit est remboursé à 65% par la Sécurité sociale. Dans la deuxième indication, l'angor stable chronique (ce qu'on appelle familièrement "l'angine de poitrine"), le message explique que le produit est indiqué... mais s'achève avec la remarque suivante :

"Considérant les nouvelles données d'efficacité et de tolérance disponibles dans l'angor stable chronique, la Commission de la Transparence (CT) a estimé que le rapport efficacité / effets indésirables de l'ivabradine était insuffisant pour justifier sa prise en charge. Procoralan n'a donc pas de place dans la stratégie thérapeutique de la HAS pour l'angor stable chronique (Avis de CT du 03/06/2015)."

Ainsi, dans un numéro du Cardiologue dédié à un congrès et lu par de nombreux médecins, dont la rédaction compte B. Swynghedauw (entre autres) dans son comité scientifique, on peut trouver bien en évidence une publicité clairement trompeuse. Doublement trompeuse : on "oublie" de préciser que c'est Servier (dont l'image est un peu écornée...) et on continue d'affirmer la "double efficacité" alors que la Commission de Transparence de la HAS (Haute Autorité de Santé) estime que le produit n'a pas lieu d'être dans la deuxième indication et refuse de le rembourser...

Voilà pour B. Swynghedauw.

Dans le premier article, le communiqué de l'AFIS, il est fait mention de :

une surmortalité de 17% cette année-là, soit « entre 9 000 et 10 000 morts de plus [à l’échelle nationale] en 2013 qu’en 2011 et 2012 » pour le Professeur Moore, l’un des signataires de l’étude, chef du département Pharmacologie au CHU de Bordeaux [4]. Julien Bezin, premier signataire de l’étude précise cependant qu’« il est difficile d’établir un lien direct entre communication médiatique et arrêt de traitement, on peut juste observer qu’à partir du moment où le livre est sorti, il y a eu plus d’arrêts de traitement par statines, alors que sur le plan scientifique, il n’y a pas eu de nouveautés majeures pendant la période étudiée pouvant l’expliquer ».


Alors là, soit on sait qu'il y a un lien, soit on ne sait pas et l'on reste prudent.

Le chercheur pas prudent qui joue avec la peur en citant un nombre de morts élevés chez les gens qui auraient arrêté de prendre des statines, c'est Nicholas Moore, qui est effectivement un chef de département au CHU de Bordeaux mais est aussi responsable d'autres activités de recherche dans lesquelles il a des liens avec l'industrie tout autour du ventre. Il est en effet responsable de "Bordeaux PharmacoEpi" (BPE), sur le site duquel on peut lire :

Ils nous ont fait confiance

La plateforme BPE reçoit ou a reçu des financements inconditionnels (recherche partenariale) et/ou a des interactions professionnelles directes ou indirectes avec :

Abbott, ADDS, AFRETH, Aptalis, Arkopharma, Asahi, Astra-Zeneca, Aventis, Axcan, Baxter, Bayer, Berkem, Bial, Bioalliance, Biogen, Biopharma, BMS, BNIA, Boehringer-Ingelheim, Boots, Caviar de France, Chaine Thermale du Soleil, Celgène, Cephalon, Daiichi-Sankyo, Eugénie les Bains, Ethicon, Expanscience, Génévrier, Genopharm, Grunenthal, GSK, Guerbet, Helsinn, Horus Pharma, I3, Innothera, IPSEN, Janssen Cilag, J & J, Leo, Lilly, Lundbeck, Meda, Medtronic, Merck & Co, Merck Serono, Norgine, Novartis, Novartis Family Health, Novo Nordisk, Nycomed, Orion, Pfizer, Pfizer FHC, Pierre Fabre, Procter & Gamble, Reckitt Bencizer, Roche, Sanofi, Schering-Plough, Servier, Stallergènes, Takeda, Teva, UCB, Vivalis, Vivatec, Warner Chilcott, Wyeth, Xanodyne, …

ainsi que : l’ANSM, CHU, DGOS, DIRC, DRCi, EMA, Fondation UB, FP7 (EU), FRM, GIRCI, HAS, Iresp, PHRC…


Bref, on y retrouve plein de labos (dont tous ceux intéressés par la thématique du cholestérol) et même la Chaîne Thermale du Soleil ou bien Caviar de France !

Le chercheur plus prudent qui relativise la déclaration du premier, c'est Julien Bezin, un chercheur plus jeune, également du CHU de Bordeaux et dont Nicholas Moore est l'un des mentors, mais qui est davantage impliqué dans l'étude citée et n'a aucun lien avec l'industrie. Il pense lui aussi que les déclarations publiques des anti-statines ont été délétères et criminelles, mais il reste factuel.

En fait, c'est comme pour le vin, il y a Bordeaux et Bordeaux :D

L'idée c'est : "puisqu'on ne parvient à démontrer qu'un effet limité des statines quand on les ajoute, alors démontrons qu'il y a un gros impact quand on les enlève". De fait, si l'on se réfère aux résultats de ces études ou à la façon dont on les extrapole, les statines qui ont un effet modeste provoqueraient tout d'un coup plein de morts quand on arrête d'en prendre.

Sauf que ceux qui arrêtent les statines sont aussi ceux susceptibles d'arrêter un autre médicament cardiovasculaire pris simultanément, ce qui n'est pas précisé mais est certainement autrement plus dangereux (ex. : un médicament contre l'hypertension). C'est peut-être là d'ailleurs l'effet collatéral le plus gênant de la campagne anti-statines : des patients qui ont douté de leur médecin leur prescrivant une statine ont pu du même coup arrêter un autre médicament vraiment vital qu'il leur avait prescrit.

Et puis, on cessera probablement de donner des statines (des comprimés à avaler) à quelqu'un qui entre dans une phase d'agonie quelle qu'en soit la cause ; cette agonie peut être rapide ou un peu longue mais il va forcément mourir, ce n'est pas une raison pour en conclure qu'il meurt à cause de l'arrêt des statines. Pourtant, ne le met-on pas dans la case "ayant arrêté les statines / mort ensuite" ?

Enfin, ce ne sont pas des études cliniques, mais des études réalisées à partir d'une consultation de bases de données. Les conditions d'une étude clinique ne sont pas les mêmes et cela n'a pas la même valeur, cela permet juste de dire "tiens, il y aurait là quelque chose à creuser avec une vraie étude clinique". Nous allons d'ailleurs y venir.
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Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Zelda_Zbak » 25 Oct 2019, 08:57

Je suis encore là.
J'imprime tes 4 parties et les lis attentivement ce week-end.
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Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Zelda_Zbak » 25 Oct 2019, 09:26

Bien, pour les gens pressés et avant que tu continues, voici mon reader's digest : ton extrait de la revue "Prescrire"

Prévention cardiovasculaire primaire par statine : beaucoup d'incertitudes à long terme

Partager les données sur la balance bénéfices-risques et les nombreuses incertitudes sur la prévention cardiovasculaire primaire par statine aide les patients à faire un choix éclairé.

L'arrêt du tabac, la pratique d'une activité physique, la perte de poids en cas d'obésité, une alimentation dite méditerranéenne et le traitement d'une hypertension artérielle ou d'un diabète réduisent le risque d'accident cardiovasculaire.

L'analyse des essais cliniques ayant évalué l'efficacité des médicaments hypocholestérolémiants de la famille des statines en prévention cardiovasculaire primaire, c'est-à-dire en l'absence de maladie cardiovasculaire ischémique clinique (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral, etc.), montre qu'un traitement préventif par statine a permis d'éviter une mort pour environ 250 personnes âgées de 40 ans à 70 ans traitées pendant 2 ans à 6 ans.

Aucun essai n'a évalué les bénéfices apportés par 10 ans ou plus de traitement par statine, et les risques auxquels un tel traitement expose ne sont pas connus. Les effets indésirables graves notamment diabète et accidents vasculaires cérébraux hémorragiques, et les fréquents effets indésirables musculaires qui altèrent la qualité de vie, rendent la balance bénéfices­-risques incertaine en prévention primaire.

En pratique, étant donné les incertitudes et le coût de cette prévention, il est le plus souvent préférable de ne pas utiliser de statine en prévention primaire. Il y a tant à faire par ailleurs vis-à-vis du tabagisme, pour favoriser l'activité physique chez les personnes à risques, pour inciter à une alimentation moins délétère.

Quand un traitement par statine est néanmoins décidé, la pravastatine, [nom commercial Elizor] à la dose quotidienne de 40 mg, est à privilégier.


PS : j'ai arrêté de fumer il y a 15 ans, je me suis fait opérer d'une sleeve gastrectomy pour ne plus être obèse massive et j'ai repris la marche 3*1H d'un bon pas par semaine, j'dis ça, j'dis rien. :D
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Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Plestin » 28 Oct 2019, 16:25

Ceci est la cinquième partie.

Face à l'incertitude et aux polémiques sur les statines, en particulier en prévention primaire (= patients n'ayant fait aucun infarctus ni AVC), les pouvoirs publics ont décidé de réaliser des études dites "interventionnelles" sur le sujet. C'est-à-dire qu'elles vont comparer des populations de patients prenant des statines en prévention primaire et poursuivant le traitement, à des populations de patients prenant des statines en prévention primaire puis les arrêtant.

C'est par exemple le cas de l'étude SAGA (Statines Au Grand Âge), qui est encore (jusque fin 2019) dans sa phase de recrutement de patients et est coordonnée... par le CHU de Bordeaux et financée par le Ministère de la Santé. Elle vise l'inclusion de 2.340 personnes de plus de 75 ans suivies pendant 3 ans par 500 médecins généralistes.

On se doute bien que si les études précédemment citées qui font état de "milliers de morts" en cas d'arrêt des statines étaient réellement fiables, jamais les pouvoirs publics ne prendraient un tel risque.

La démarche est donc intéressante

Malheureusement, l'étude a dès le départ des biais importants :

- On considère que toutes les statines se valent.
- Une bonne chose, les patients sont "randomisés", c'est-à-dire que c'est un tirage au sort qui définit quels patients continuent de prendre des statines et quels patients arrêtent. Mais, l'essai n'est pas mené en aveugle, alors que cela aurait été possible. Ici, le médecin comme le patient savent que le traitement est arrêté. Il aurait été préférable qu'un traitement par un placebo d'apparence identique à la statine originale, remplace la statine, chez ceux qui "arrêtent".
- La durée de l'étude (3 ans de suivi par le médecin généraliste qui y participe) est trop courte pour une étude de prévention primaire.
- L'effectif n'est pas très important : 2.340 patients, c'est 1.170 personnes qui continuent la statine et 1.170 personnes qui l'arrêtent. Si on se réfère aux études déjà connues sur les statines, l'écart entre les deux groupes risque d'être autour de 4 à 5 morts de plus ou de moins... Trop de facteurs peuvent influencer ce très faible nombre et il faudrait dix fois plus de patients dans l'essai pour que, si l'écart se vérifie, il puisse être considéré comme statistiquement significatif...
- A ce stade on ne sait pas si d'autres critères que la stricte mortalité seront pris en compte.

Mais où donc ont-ils appris à faire des essais cliniques ? Même les labos font mieux...

Par ailleurs, dans cette étude, les patients sont rémunérés 300 €.


Regardons maintenant du côté du reportage d'Arte. Le pilier est le médecin Michel de Lorgeril qui a travaillé sur les oméga-3 dans l'alimentation. On peut associer à la même mouvance un auteur comme Thierry Souccar, journaliste spécialisé dans la nutrition et qui a écrit de nombreux livres sur la nutrition ou les compléments alimentaires. Ainsi que le sulfureux professeur Henri Joyeux, aux positions réactionnaires sur des tas de sujets, qui prétend que le virus du sida n'existe pas et qui a récemment fait parler de lui à propos d'un essai clinique non déclaré sur la maladie d'Alzheimer dans un monastère poitevin... Là, on rejoint ce que disait Olac2013, car Joyeux sans être formellement un "anti-vaccin" tient des propos sur lesquels les antivax peuvent s'appuyer, du genre "le meilleur vaccin c'est le lait maternel"...

Tous ces gens travaillent ensemble et, bien qu'ils ne forment pas un "tout" homogène sur le plan des idées, tirent dans le même sens sur différents sujets. Il leur arrive de s'appuyer sur des arguments fondés, mais (c'est mon point de vue, je précise) font passer en contrebande d'autres arguments nettement moins démontrés. Ils peuvent pour cela bénéficier de la méfiance justifiée du lecteur envers les "big pharma", les grands groupes de l'agroalimentaire etc. qui, c'est incontestable, cherchent à influencer la loi et les pratiques médicales ou les recommandations nutritionnelles en leur faveur.
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Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Plestin » 01 Nov 2019, 12:05

Ceci est la sixième et dernière partie.

La polémique sur les statines a pu surgir du fait que les grands laboratoires ont tout fait pour que les statines soient utilisées massivement, à tort et à travers. Cela a conduit à un rejet complet des statines appuyé par quelques médecins (pas seulement en France) qui ont pu faire valoir toute une série d'arguments, certains fondés scientifiquement et d'autres beaucoup moins. D'un côté, des milliards en jeu. De l'autre, la vente de quelques succès de librairie en jeu.

J'ai choisi de m'appuyer plutôt sur les évaluations de La Revue Prescrire en laquelle par expérience j'ai le plus confiance, et celle-ci explique bien que les statines ont un intérêt modeste en prévention secondaire (après accident cardiovasculaire) et qu'en l'absence d'études suffisamment longues il vaut mieux les éviter en prévention primaire (en l'absence d'accident cardiovasculaire antérieur). Et aussi, qu'il vaut mieux privilégier deux anciennes statines (simvastatine et surtout pravastatine) plutôt que d'autres plus récentes (atorvastatine, rosuvastatine etc.) Quant à savoir si l'effet modeste des statines en prévention secondaire est dû à leur effet anti-cholestérol ou à un autre mécanisme d'action encore à déterminer, c'est une autre histoire mais la question se pose.


C'est dans ce contexte agité que quelques laboratoires ont tenté de mettre au point d'autres médicaments anti-cholestérol.

D'abord, certains d'entre eux ont essayé de jouer sur le fait qu'on distingue deux sortes de "cholestérol" (le mot cholestérol est abusif, il s'agit de lipoprotéines transportant entre autres le cholestérol), un "cholestérol" dans le sens "aller" ou LDL-cholestérol qui apporte les éléments nutritifs (dont le cholestérol) depuis le foie jusque dans les cellules et un "cholestérol" dans le sens "retour" ou HDL-cholestérol qui ramène les déchets et excédents depuis les cellules vers le foie. Les deux sont indispensables à la vie des cellules, mais le premier a été surnommé "mauvais" cholestérol et le second "bon" cholestérol. En général, lorsqu'on fait une prise de sang avec dosage du "cholestérol", c'est la proportion de chacun que l'on regarde.

Quelques laboratoires dont le plus gros, Pfizer, ont tenté de mettre au point des médicaments augmentant le taux de "bon" cholestérol et réduisant le taux de "mauvais", autrement dit, on augmente le nombre d'éboueurs pour accélérer le nettoyage de la cellule et on diminue le nombre de livreurs de pizza à la cellule. En toute logique, cela devrait réduire les dépôts de cholestérol dans les artères et avoir un effet positif sur la mortalité.

Pfizer a ainsi étudié le torcetrapib, premier représentant d'une nouvelle famille de candidats-médicaments.

Cela s'est soldé par un échec total. Pire, le torcetrapib a, dans les études, augmenté le risque de mortalité toutes causes confondues. Son développement a été stoppé en 2006, au grand dam de Pfizer qui y voyait le moyen de continuer à vendre beaucoup d'anti-cholestérols même après l'expiration des brevets de sa statine.

Les anti-PCSK9

D'autres laboratoires ont tenté une autre approche en se focalisant sur une enzyme appelée PCSK9 qui joue un rôle dans la concentration en LDL-cholestérol dans le sang et les autres fluides. En bloquant l'action de cette enzyme, il est possible de diminuer cette concentration et donc, d'abaisser le taux sanguin de LDL-cholestérol.

Les deux principaux acteurs de ce scénario ont été Sanofi (allié à la société de biotechnologie américaine Regeneron) et Amgen (une autre biotech américaine) qui ont chacun mis au point un anticorps capable d'abaisser le LDL-cholestérol de cette façon. Contrairement à tous les anticholestérol (statines, fibrates etc.) que nous avons vu jusqu'à présent, il ne s'agit pas de médicaments sous forme orale, mais injectable, avec des injections espacées dans le temps (ex. : 1 toutes les 2 semaines). Et ils sont beaucoup, beaucoup plus chers que les statines qui ne sont pourtant déjà pas données.

- Sanofi a étudié et commercialisé l'alirocumab (nom commercial PRALUENT).
- Amgen a étudié et commercialisé l'evolocumab (nom commercial REPATHA).

Ces deux médicaments ont été "prédits" comme inefficaces par les médecins tels que ceux cités dans le reportage d'Arte ou ceux qui les ont inspirés (ex. : Alain Even). En tout cas, cela semblait clair pour eux mais aussi pour beaucoup d'autres, qu'il ne fallait sans doute pas s'attendre à un miracle.

Et le miracle n'a pas eu lieu, mais les labos ont continué de faire comme s'il était là et bien là.

On peut prendre le cas de Sanofi.

Différentes études ont été menées, certaines à court terme et une autre à relativement long terme. Au fur et à mesure de la publication des résultats des études à court terme, on voyait bien que, premièrement, certaines étaient biaisées, deuxièmement, tout ce qu'on arrivait à démontrer était que l'alirocumab baissait efficacement le taux de LDL-cholestérol.

Sanofi publiait régulièrement des communiqués triomphants prouvant que son médicament baissait bien le LDL-cholestérol, chez des patients pour lesquels les statines ne suffisaient pas ou ne pouvaient plus être employées à cause de leurs effets secondaires. Les patients étudiés étaient tous en situation de "prévention secondaire" (ayant déjà fait un accident cardiovasculaire) ou considérés comme "à haut risque" (définition déjà plus laxiste).

Etaient sur-représentés, dans les études, ceux souffrant de rares formes d'hypercholestérolémie familiale (héréditaire), une maladie rare où les gens font des infarctus très jeunes et où l'on est certains qu'abaisser le taux de cholestérol a un intérêt. (Ils ont aussi eu droit à leur petite étude spécifique qui, là, a démontré que l'alirocumab permettait de diminuer le nombre de séances d'un traitement lourd pour éliminer le cholestérol du sang, un peu comparable aux dialyses pour les insuffisants rénaux et diabétiques). Ils étaient en général mélangés avec les autres patients... comme cela, on est sûr de constater un certain effet.

Dans certaines études, l'association statine + alirocumab était comparée à une association statine + ézétimibe (vous savez, ce médicament dont on a déjà parlé et dont démonstration a été faite qu'il n'avait aucune efficacité en matière de réduction de la mortalité cardiovasculaire, se contentant de faire baisser le cholestérol). Pas difficile de montrer qu'avec alirocumab ce serait mieux... Le comble : comme l'alirocumab était un médicament injectable, on l'a comparé à de l'ézétimibe sous forme injectable, une forme qui n'a jamais reçu d'autorisation de mise sur le marché et n'existe pas dans le commerce en tant que médicament (seule la forme orale existe et c'est important, car ce médicament inhibe l'absorption du cholestérol au niveau de l'intestin !)

Ainsi, il a pu être montré que statine + alirocumab baisse plus efficacement le cholestérol que l'association statine + un médicament qui n'existe pas.

Les statines choisies pour la comparaison ont été celles que Prescrire ne recommande pas : l'atorvastatine et la rosuvastatine.

Et puis, les études ont montré que l'alirocumab baissait efficacement le LDL-cholestérol aussi chez les diabétiques, et chez les uns, et chez les autres. Pour un peu, on nous aurait démontré qu'il abaissait le cholestérol chez les gens debout, et les gens assis, et ceux qui sautent sur une jambe et ceux qui font le poirier.

La démonstration d'une efficacité pour baisser le cholestérol étant suffisante pour obtenir une AMM (autorisation de mise sur le marché), l'alirocumab a été autorisé en Europe et aux Etats-Unis et commercialisé sous le nom de PRALUENT. Mais certaines autorités (en France par exemple) ont rechigné à le rembourser et certains organismes payeurs (aux Etats-Unis) ont refusé de l'inscrire sur la liste de leurs médicaments pris en charge, d'autant que le prix était très élevé (ex. : 14.000 dollars par an et par patient). PRALUENT et son concurrent REPATHA se sont retrouvés avec un chiffre d'affaires ridicule qui ne parvenait pas à décoller. Ils ont divisé leur prix par deux mais cela n'a pas suffi.

Par ailleurs, une longue dispute dans les tribunaux a commencé entre Sanofi et Amgen, Amgen reprochant à Sanofi d'avoir enfreint ses brevets et réclamant à la justice américaine que le produit de son concurrent soit interdit à la vente, afin de lui laisser le monopole (finalement, Sanofi a eu gain de cause mais y a laissé des plumes).

Il était évident que les laboratoires n'allaient pas s'en tirer comme ça et que leurs ventes ne pourraient pas décoller tant que le résultat des grandes études cliniques au long cours ne serait pas connu. Ce résultat a fini par arriver et par montrer une certaine réduction de la mortalité cardiovasculaire, en torturant un peu les données.

Nous pouvons prendre ici l'exemple de l'étude Sanofi, dénommée ODYSSEY Outcomes et s'intéressant à la morbidité (= maladie) et à la mortalité cardiovasculaires dans une très vaste population de patients ayant déjà fait un infarctus, AVC ou autre accident cardiovasculaire.

Cette étude a fait l'objet d'une présentation en mars 2018 à l'ACC (American College of Cardiology), que l'on peut encore - heureusement - trouver sur internet. Il ne s'agit pas ici de la lire entièrement (et elle est en Anglais), mais d'en sélectionner quelques extraits.

https://www.acc.org/~/media/Clinical/PD ... c-2018.pdf

Il faut se souvenir que, parmi la population étudiée, il y a une proportion de gens souffrant d'une maladie rare sur lesquels on est à peu près sûrs qu'il va y avoir un effet positif cardiovasculaire au fait de baisser le LDL-cholestérol. Cette proportion n'est pas précisée (dans les études antérieures plus courtes portant sur de plus petites populations de patients, elle pouvait représenter jusqu'à un tiers des patients ; ici, avec près de 19.000 patients inclus, elle est certainement moindre).

Les principaux critères d'inclusion des patients dans l'étude (page 6) étaient :

- Un âge égal ou supérieur à 40 ans ;
- Une expérience de syndrome coronarien aigu (infarctus ou angor instable) dans les 12 mois précédant l'étude ;
- Le fait d'être sous traitement aux statines à haute dose ;
- Le fait de ne pas pouvoir, malgré tout, maîtriser son taux de LDL-cholestérol et d'autres lipides sanguins.

Le critère de jugement principal retenu pour l'étude (page 8) était la première survenue de l'un des accidents cardiovasculaires suivants :

- Décès par maladie coronarienne.
- Infarctus du myocarde non fatal.
- AVC fatal ou non fatal.
- Angor instable nécessitant une hospitalisation.

Les critères de mortalité toutes causes confondues n'étant qu'un critère de jugement secondaire parmi d'autres (page 9).

La population étudiée dans l'étude s'est élevée à 18.924 patients répartis à travers le monde. Mais l'Afrique et le Moyen-Orient n'étaient pas représentés, à part l'Afrique du Sud, Israël et la Turquie. On peut voir cette répartition à la page 18 du document.

Les pays dont les effectifs étaient les plus nombreux étaient les suivants :

- Etats-Unis (2.511 personnes).
- Russie (1.109 personnes).
- Brésil (928 personnes).
- Pologne (926 personnes).
- Espagne (826 personnes).
- Pays-Bas (686 personnes).
- Ukraine (639 personnes).
- Chine (614 personnes).

La France, pays présentant une anomalie (beaucoup de gens avec taux de cholestérol élevé pour nettement moins d'accidents cardiovasculaires), est sous-représentée (185 personnes) eu égard à la taille de sa population.

La Finlande, pays présentant une anomalie (beaucoup de gens avec taux de cholestérol élevé et en proportion beaucoup plus d'accidents cardiovasculaires qu'ailleurs), est sur-représentée (116 personnes) eu égard à la taille de sa population.

Par ailleurs, les femmes ne représentent que 25 % de l'effectif étudié et les hommes 75 %. On verra que cela a son importance.

L'effectif total a été réparti en deux groupes de 9.462 personnes, l'un recevant l'alirocumab, l'autre le placebo, avec peu de différences entre eux (mais on relève qu'il y a plus de patients ayant déjà fait un infarctus dans le groupe placebo - 1.843 personnes - que dans le groupe alirocumab - 1.790 personnes).

Au cas où le traitement par alirocumab baisserait trop le cholestérol, les patients concernés sont transférés dans le groupe placebo (ce qui transfère les éventuels effets indésirables associés dans le groupe placebo !) au lieu d'être mis dans un troisième groupe.

Au bout de 4 ans, on constate avec l'alirocumab une réduction des événements cardiovasculaires mortels ou non mortels ; et une baisse de la mortalité toutes causes confondues (surtout chez le petit tiers de patients avec un taux de LDL-cholestérol vraiment très, très élevé, beaucoup moins chez les autres). Et il y a peu d'effets secondaires (normal, on a "chargé" le groupe placebo...)

Mais, on peut le constater dans le schéma de la page 36 (à propos des événements cardiovasculaires mortels ou non) :

- Le produit est plus efficace chez les hommes que chez les femmes (donc, la sous-représentation des femmes tend à accentuer le bénéfice apparent du produit).
- Le produit est plus efficace chez les plus de 65 ans que chez les moins de 65 ans (qui, là, sont sur-représentés dans l'étude car c'est le marché que Sanofi vise en priorité pour pouvoir administrer un traitement plus longtemps).
- Le produit semble nettement plus efficace chez les patients d'Amérique du Nord ou de la zone "Reste du Monde" (Australie, Afrique du Sud, Israël)... que chez ceux d'Europe de l'Ouest ou d'Amérique du Sud, l'Europe de l'Est se situant entre les deux.
- Le produit est carrément moins efficace que le placebo (!) chez les 2.293 patients asiatiques (ce qui n'empêche pas que PRALUENT soit commercialisé au Japon...)

Bref, le produit est efficace pour les hommes américains de plus de 65 ans et inefficace voire nocif pour les femmes asiatiques de moins de 65 ans.

Dans la présentation définitive du dossier clinique de Sanofi, ce schéma ô combien instructif a curieusement disparu. Et en vie réelle, le critère du sexe, de la localisation géographique ou de l'âge n'est plus pris en compte.

En France, face aux représentants du personnel de Sanofi, la direction n'hésitait pas à prétendre que PRALUENT était un excellent médicament capable de "vous rendre les artères de vos vingt ans" !

Mais, toujours en France, les pouvoirs publics n'autorisent le remboursement de PRALUENT que pour la forme héréditaire rare de la maladie et, depuis juillet 2019, en prévention secondaire chez les patients dont le taux de cholestérol est incontrôlable par statine à la dose maximale. Il n'est pas recommandé dans les autres indications pour cause d'insuffisance du service médical rendu. La France considère que l'effectif des plus de 65 ans inclus dans l'étude est insuffisant pour se prononcer sur l'efficacité alors que c'est chez ceux-là que les résultats étaient apparemment les meilleurs. Elle considère aussi que, compte tenu de la faiblesse de la démonstration dans l'étude, PRALUENT n'apporte aucune amélioration du service médical rendu (ASMR de niveau V) et alerte sur le risque de prescription excessive.

Dans leurs premières communications à la presse il y a quelques années, Amgen et Sanofi annonçaient pour leurs produits un marché gigantesque et envisageaient d'administrer leur médicament injectable à une population bien plus large. Ils se voyaient en successeurs des statines. Mais ils en ont été pour leurs frais. Le développement de PRALUENT et REPATHA a clairement coûté beaucoup plus cher que ce que les produits peuvent rapporter aujourd'hui. Sanofi utilise d'ailleurs cet argument pour supprimer aujourd'hui toute sa recherche cardiovasculaire et les emplois correspondants. Les vilains pouvoirs publics et organismes payeurs n'ont pas voulu reconnaître le produit à sa juste valeur !
Plestin
 
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Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Zelda_Zbak » 01 Nov 2019, 15:20

Ouf, Plestin, un grand grand merci pour cette étude passionnante.
- La durée de l'étude (3 ans de suivi par le médecin généraliste qui y participe) est trop courte pour une étude de prévention primaire.

En même temps, tu as dit que c'était des patients de plus de 75 ans, et il comme il faut bien mourir de quelque chose... un français qui a aujourd'hui 75 ans peut "espérer mourir" à 86 ans.

Regardez le concept d'espérance de vie résiduelle

http://mon-convertisseur.fr/estimation- ... duelle.php

- Le produit est carrément moins efficace que le placebo (!) chez les 2.293 patients asiatiques (ce qui n'empêche pas que PRALUENT soit commercialisé au Japon...)

Ben ça alors !
Comment on explique cet effet nocebo chez les asiatiques ???
Whatever happens to you, choose it !
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Zelda_Zbak
 
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Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Plestin » 01 Nov 2019, 17:23

Zelda_Zbak a écrit : - La durée de l'étude (3 ans de suivi par le médecin généraliste qui y participe) est trop courte pour une étude de prévention primaire.

En même temps, tu as dit que c'était des patients de plus de 75 ans, et il comme il faut bien mourir de quelque chose... un français qui a aujourd'hui 75 ans peut "espérer mourir" à 86 ans.


L'âge avancé complique forcément l'étude - il faut avoir au départ un effectif suffisant pour être certain qu'il reste assez de vivants dix ans plus tard - mais cela ne change rien au principe qui permet de comparer, même dans une population à mortalité importante, un médicament censé prolonger la vie et un placebo.


Zelda_Zbak a écrit : - Le produit est carrément moins efficace que le placebo (!) chez les 2.293 patients asiatiques (ce qui n'empêche pas que PRALUENT soit commercialisé au Japon...)

Ben ça alors !
Comment on explique cet effet nocebo chez les asiatiques ???


Ce n'est pas un effet nocebo en l'occurrence (l'effet nocebo ce serait plutôt l'apparition d'un surcroît d'effets indésirables lors de l'administration d'un placebo), mais bien un effet délétère avec PRALUENT.

Comment l'expliquer ? Peut-être par la variabilité génétique dans l'espèce humaine, qui fait que certains individus dotés différemment en gènes jouant un rôle dans la dégradation des polluants et des médicaments réagissent différemment aux médicaments. Par exemple, certains sont dits "acétyleurs rapides", d'autres "acétyleurs lents" et d'autres encore sont dans une situation intermédiaire.

Sur la répartition de ce type de gènes dans la population mondiale, voir (dans ce document très complexe de l'INSERM, personne n'est obligé de vouloir le lire en entier...) le tableau de la Figure 4 qui se situe à la page 32 :

http://www.ipubli.inserm.fr/bitstream/h ... sequence=6

Il y a des "rapides", des "intermédiaires" et des "lents" dans tous les peuples de la planète, mais leur répartition relative diffère fortement et il se trouve qu'en Asie (hors Inde) on trouve la plus forte proportion d'acétyleurs rapides.

Les acétyleurs lents dégradent lentement les médicaments, les acétyleurs rapides les dégradent rapidement. Suivant les cas, cela veut dire que les lents seront peut-être plus exposés à des effets secondaires mais auront une meilleure efficacité, ou une efficacité similaire à dose moindre ; les rapides auraient moins d'effets secondaires mais peut-être moins d'efficacité à dose égale, le médicament persistant moins longtemps. S'il se trouve toutefois que la dégradation rapide d'un médicament a des conséquences délétères, on pourra avoir une conjonction "plus d'effets secondaires / moins d'efficacité" chez les acétyleurs rapides.

Je ne sais pas du tout si c'est cela l'explication dans le cas précis du PRALUENT, mais c'est une possibilité, la particularité de l'Asie en matière d'acétyleurs rapides éveillant automatiquement les soupçons.
Plestin
 
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