Cholestérol : le grand bluff

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Cholestérol : le grand bluff

Message par Zelda_Zbak » 11 Oct 2019, 23:24

Ce documentaire d'Arte m'a bluffée par son côté iconoclaste.
Ma génération a été littéralement matraquée par l'idée que le cholestérol était un marqueur extrêmement important des risques cardio-vasculaires.
Ce documentaire prouve pour moi par A+B... qu'il n'en est absolument rien.

Le tabac, l'hypertension artérielle, et la sédentarité sont des facteurs objectifs d'augmentation des risques cardio-vasculaires.
Le cholestérol ? C'est pipo intégral...

https://www.youtube.com/watch?v=7G66r9YVBRU

Quand en plus, on découvre que les statines (molécules anti-cholestérol) que l'on donne à des tas de gens provoquent des troubles neuro-cognitifs chez les vieux qui croient alors avoir Alzheimer, ça met carrément en colère.
Je vous souhaite un bon visionnage de ce documentaire par ailleurs très drôle et finalement plutôt rassurant.
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Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Olac2013 » 14 Oct 2019, 16:48

Pour contrebalancer ces émissions qui font la part belle à la peur des sciences :

Communiqué de l'AFIS de 2016
https://www.pseudo-sciences.org/Quand-Arte-nous-trompe-sur-le-cholesterol
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Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Zelda_Zbak » 14 Oct 2019, 19:38

La peur des sciences ? tu l'as vue l'émission ? Elle dit exactement l'inverse, qu'aucune étude scientifique aux méthodes incontestées n'est venue appuyer le lien entre cholestérol élevé et hausse des risques cardio-vasculaires. Quant à l'AFIS, je ne vois pas bien pourquoi elle aurait d'avantage notre confiance que n'importe quel site.

Je trouve ceci plus intéressant :

https://aimsib.org/2019/09/23/cholester ... e-perdure/
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Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Plestin » 15 Oct 2019, 04:38

Chers camarades, on avance ici en terrain miné, truffé de trompe-l'oeil et de faux semblants. Dès que j'aurai un peu de temps, j'y reviendrai avec des arguments détaillés. Mais on ne peut absolument pas comparer les "cholestérolo-sceptiques" avec les anti-vaccins.

Les médicaments anti-cholestérol (d'abord les "fibrates", puis les "statines" et maintenant les "anti-PCSK9" sans compter d'autres familles qui ont dû être abandonnées) posent de vrais problèmes, même si parfois leurs critiques forcent un peu le trait et même si, sur le principe, l'émission d'Arte pèche par le fait de ne présenter qu'un seul son de cloche (le camp "anti-cholestérol" n'est représenté que via des documents anciens).

Quant à l'équipe du CHU de Bordeaux, elle est fortement intéressée à ce que les statines ne soient pas remises en cause, elle pilote une étude clinique dont l'objectif est de donner des statines à plein de monde à titre préventif et ne veut pas voir se tarir ses financements.
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Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Olac2013 » 15 Oct 2019, 09:50

Quant à l'AFIS, je ne vois pas bien pourquoi elle aurait d'avantage notre confiance que n'importe quel site.


Peut-être parce qu'elle s'appuie sur un consensus scientifique :
"Ce consensus ne repose pas sur quelques idées vagues ou mercantiles, mais sur des milliers d’études reproductibles et reproduites, faites dans de très nombreux pays et qui sont à la fois expérimentales, anatomo-cliniques, cliniques, épidémiologiques et thérapeutiques. Dire que le sujet est documenté est un véritable euphémisme. Tous les traités de cardiologie sans exception comportent plusieurs chapitres sur le sujet. Il existe par ailleurs plusieurs journaux spécialisés de très haut niveau dont Atherosclerosis. Tous font état de ce type de consensus." (source : https://www.pseudo-sciences.org/Y-aurai ... holesterol)

Un médecin aurait raison contre le grand complot de toute une profession, aurait raison contre des centaines de publications allant dans le même sens ?

Ce qui me choque c'est qu'arte donne une tribune de plus en plus souvent à des pseudo-scientifiques adeptes de la théorie du complot.
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Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Zelda_Zbak » 15 Oct 2019, 13:10

Bon Plestin, quand tu auras le temps, je serai toute ouïe... (toutes ouïes ?).
Disons que le sujet me touche de près et que je vérifierai dans 2 semaines si mon père prend des statines et depuis quand...
Mais bien sûr, pas pour lui dire "arrête de prendre ça tout de suite !". Mais pour voir... Je n'ai jamais aimé son médecin, que mon cousin appelle "le mec qui prend le plus de pognon le plus vite possible avec le plus de monde possible."
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Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Plestin » 15 Oct 2019, 17:27

En gros, avant de pouvoir détailler davantage, la conclusion c'est : les médecins interrogés dans l'émission d'Arte soulèvent un vrai problème mais exagèrent et ont des bouquins à vendre ; en s'appuyant sur les évaluations de la revue Prescrire, les statines ont une utilité réelle mais limitée et bien moins grande que ce que quelques grands laboratoires qui ont des médicaments à vendre ont cherché à faire croire ; toutes les statines ne se valent pas ; aucune autre famille d'anticholestérols que les statines n'a vraiment démontré d'intérêt, sauf dans quelques cas très particuliers ; parfois lorsqu'on met en avant la diminution de la mortalité cardiovasculaire on oublie la mortalité totale, d'autres fois on mélange les événements cardiovasculaires mortels et non mortels en masquant le fait que ce sont surtout les premiers qui diminuent ; les femmes sont largement sous-représentées dans beaucoup d'essais cliniques, etc.

Sinon, ce n'est pas que d'un médecin isolé mais d'une minorité de médecins dans plusieurs pays dont il est question ; et le consensus convoqué à grands cris est un peu abusif et un peu fissuré. Que tous les traités de cardiologie sans exception comportent plusieurs chapitres sur le sujet c'est, par contre, très probable mais c'est aussi la résultante des connaissances à un moment donné, qui peuvent évoluer et qui sont elles-mêmes dépendantes de la qualité des études cliniques sur lesquelles l'on peut s'appuyer. C'est parfois très difficile d'y voir clair et la plupart des médecins sont obligés de faire confiance aux pontes de leur domaine de spécialité, ceux que les laboratoires ciblent désormais comme étant à influencer en priorité (en priorité sur les généralistes et certains spécialistes, d'où les licenciements de plus en plus nombreux de "visiteurs médicaux").

Je pourrai aussi critiquer certains aspects d'une étude clinique sur un anticholestérol "de nouvelle génération" censé être donné aux patients à risque chez lesquels les statines sont jugées insuffisantes : le Praluent (alirocumab) de Sanofi, à partir des propres données du laboratoire, qui sont publiques. On pourra voir dans le détail comment un labo procède pour biaiser un essai clinique.
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Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Plestin » 16 Oct 2019, 18:00

Ceci est une première partie.

Autant commencer par le volet industriel de l'affaire, cela plantera le décor, celui des laboratoires qui cherchent en permanence à lancer un "blockbuster" (un médicament à plus de 1 milliard de dollars de chiffre d'affaires). Et aussi, mesurer à quel point la recherche sur les médicaments anticholestérol a, comme bien d'autres, représenté un monstrueux gâchis (des milliards dépensés en parallèle par plusieurs laboratoires pour mettre au point la même chose alors qu'une ou deux molécules auraient suffi) et à quel point la santé des patients est loin d'être la préoccupation première des laboratoires, même s'il arrive parfois que des médicaments très utiles soient mis au point.

Il y a plusieurs sortes de médicaments anti-cholestérol, mais on va se concentrer sur quelques-uns, dans leur ordre chronologique d'apparition.


Les fibrates

En 1963, lancement du clofibrate (nom commercial en France : LIPAVLON) par les laboratoires britanniques I.C.I., aujourd'hui dans le groupe AstraZeneca. C'est l'histoire qui est racontée dans l'émission d'Arte (un dérivé d'un pesticide qui avait baissé le taux de cholestérol de gens accidentellement exposés). Ce produit abaissait bien le taux de cholestérol mais augmentait la mortalité des patients (comme quoi la baisse du taux de cholestérol ne peut pas être le seul critère à prendre en considération...)

Puis lancement de produits similaires, dérivés chimiques du premier (mais en l'état actuel des connaissances moins risqués), par des laboratoires concurrents qui ont identifié le filon et voulaient tous leur part du gâteau (c'est ce qu'on appelle des "me too") :

- En 1975, le fénofibrate (nom commercial LIPANTHYL) par le laboratoire français Fournier à Dijon (qui depuis a été dépecé et a atterri chez Mylan).
- En 1977, le bézafibrate (nom commercial BEFIZAL) par le laboratoire allemand Boehringer Mannheim (aujourd'hui le groupe suisse Roche).
- En 1982, le gemfibrozil (nom commercial LIPUR en France, LOPID aux Etats-Unis) par le laboratoire américain Parke Davis (aujourd'hui Pfizer).
- En 1985, le ciprofibrate (nom commercial LIPANOR) par le laboratoire Winthrop (aujourd'hui Sanofi).

Dans cette série, seul le gemfibrozil semble avoir un certain intérêt (limité) mais, en France, l'antériorité puis le poids politique du laboratoire Fournier a fait que c'est le fénofibrate qui a bénéficié - sans aucune raison valable - de l'immense majorité des prescriptions par les médecins pendant plus de 30 ans. Le laboratoire s'est contenté de montrer que le produit abaissait le taux de cholestérol et cela a été considéré comme largement suffisant, sans qu'on se préoccupe de savoir si ça diminuait la mortalité. Le gemfibrozil dominera par contre, logiquement, sur le marché américain où les autres molécules sont longtemps restées absentes.

Si on se replonge dans les années qui ont précédé le lancement des statines, la majorité des médecins français était persuadée qu'il fallait prescrire le fibrate LIPANTHYL aux patients qui avaient un taux de cholestérol (ou de triglycérides) considéré comme trop élevé, et ils le faisaient abondamment - c'était le "consensus" de l'époque.

Cela a permis au groupe Fournier de devenir très riche et de prendre une grande importance industrielle dans la région de Dijon, mais, incapable de mettre au point un autre "grand médicament", ce labo a fini par succomber, concurrencé par les anticholestérol de la génération suivante - les statines - et par les génériques ; il a fini complètement démantelé (après avoir été racheté par Solvay, lui-même repris par Abbott, lui-même en partie repris par Mylan). Il a quand même résisté longtemps, grâce à quelques subterfuges : lorsque la fin des brevets du LIPANTHYL approchait (et donc, la menace des génériques), lancement d'une forme "micronisée" dont le principe actif était broyé plus finement d'où une meilleure absorption par l'organisme, permettant d'en mettre moins dans une gélule (toujours aussi chère) pour obtenir le même effet, et de re-breveter le LIPANTHYL pour une dizaine d'années ; et, lorsque la fin des brevets du micronisé approchait, lancement d'une forme encore plus micronisée, "issue des nanotechnologies" comme le vantait alors le labo, et c'était reparti pour une nouvelle période de protection par brevet...


Les statines

En 1987, on assiste au lancement par MSD (le Merck américain) de la lovastatine aux Etats-Unis (nom commercial MEVACOR). Ce produit, issu de la levure de riz rouge, ne sera pas commercialisé dans tous les pays.

Puis plusieurs autres labos cherchent à en faire autant, toujours dans le cadre de la politique des "me-too", avec des sommes considérables dépensées en R&D pour mettre au point à peu près la même chose que ce qui existe déjà ; y compris MSD, d'ailleurs :

- A partir de 1989, la pravastatine (nom commercial ELISOR) du laboratoire japonais Sankyo (aujourd'hui DaiichiSankyo), développée et vendue hors du Japon par l'Américain Bristol-Myers Squibb.
- A partir de 1992, la simvastatine (nom commercial ZOCOR) de MSD, qui est le produit que MSD a choisi de lancer dans la plupart des pays à partir de 1992 (dont la France).
- A partir de 1994, la fluvastatine (nom commercial LESCOL) de Sandoz (devenu Novartis).
- A partir de 1997, la cérivastatine (nom commercial STALTOR en France, BAYCOL dans le monde) de Bayer.
- Toujours en 1997, l'atorvastatine (nom commercial TAHOR en France, LIPITOR dans le monde) de Parke-Davis (aujourd'hui Pfizer).
- A partir de 2003, la rosuvastatine (nom commercial CRESTOR) d'AstraZeneca.

Certaines études cliniques (dont celles critiquées à tort ou à raison par l'émission d'Arte, mais c'est difficile d'en juger donc fions-nous aux études pour l'instant) ont démontré des avantages en termes de survie avec la pravastatine et la simvastatine. Elles permettent d'éviter 2 morts pour 100 patients traités pendant 5 ans.

La fluvastatine, la cérivastatine, l'atorvastatine et la rosuvastatine ne se sont pas données autant de peine et leurs labos ont misé sur le fait que, si deux autres statines étaient bonnes, les leurs l'étaient forcément aussi. Ces molécules ont été moins bien étudiées que les deux précédentes, ce qui n'a pas empêché que les labos en question ont convaincu nombre de médecins de prescrire ces produits. En fait, le "consensus médical" qui s'est établi à juste titre sur deux statines a fini insidieusement et injustement par être perçu comme valable pour toutes les statines.

En France, MSD - dont le ZOCOR est arrivé un peu avant l'ELISOR et s'est octroyé la part du lion sur le marché - a pour principal objectif d'affaiblir la position très forte du vieux fibrate LIPANTHYL de Fournier Dijon, dont la prescription est encore très ancrée chez les médecins. Il lancera même lorsque ce sera possible un FENOFIBRATE MSD, un générique de l'inutile LIPANTHYL - pour tenter de saper la base de Fournier : belle démonstration que ce n'est pas l'intérêt médical pour les patients qui guidait le laboratoire américain...

Le groupe Fournier Dijon voit alors l'occasion de se venger de la redoutable concurrence de MSD en lançant, avec l'accord de Bayer, sa propre marque de cérivastatine (nom commercial CHOLSTAT). Cela s'appelle du co-marketing. Bayer et Fournier occupent tous deux le terrain commercial avec une cérivastatine pour essayer de déboulonner le leader ZOCOR : Bayer avec la marque STALTOR et Fournier avec la marque CHOLSTAT. La concurrence est d'autant plus rude que c'est le moment où arrive un autre larron, TAHOR (atorvastatine).

En France, le réseau de surveillance de "La Revue Prescrire" remarque toutefois que les visiteurs médicaux de Bayer exagèrent en présentant la cérivastatine comme une statine "100 fois plus puissante que les autres" pour inciter les médecins à la coucher sur l'ordonnance. Et de plus en plus de médecins le font. "Prescrire" incite aussi à la prudence en expliquant que la cérivastatine est moins bien évaluée que la pravastatine ou la simvastatine.

De son côté, grâce à la molécule de Bayer, le vieux laboratoire Fournier commence à reprendre des couleurs. Puis tout d'un coup, c'est la catastrophe !

Toutes les statines (et les fibrates) présentent un risque d'effet secondaire rare mais grave, appelé la rhabdomyolyse (un processus brutal de destruction des muscles). Cela vient du fait que la paroi des cellules musculaires a besoin de cholestérol pour se constituer et se maintenir et, s'il en manque trop, surtout lors d'un effort par exemple, il peut y avoir rupture de la cellule et déversement de son contenu dans la circulation sanguine. Le phénomène étant massif, cela peut endommager gravement les reins et déstabiliser le système cardiovasculaire avec risque de décès. Cet effet est bien connu et le risque, très faible, est accepté par le corps médical. (Mais il n'est acceptable que pour des médicaments qui ont réellement démontré une amélioration de la survie des patients...)

Or, pas de chance pour Bayer et Fournier, la cérivastatine s'avère avoir un risque de rhabdomyolyse plus important que les autres statines. C'est encore plus vrai en cas d'association avec un fibrate. On découvrira plus tard que Bayer le savait mais qu'il a caché l'information et quand même lancé son produit. Qui a fait 52 morts dans les pays où il avait été lancé, nettement plus que ce à quoi on pouvait s'attendre. :mrgreen:

Un avantage pas démontré, un risque plus grand qu'avec les autres statines... En 2001, c'est le retrait du marché de la cérivastatine et, du même coup, la fin des haricots pour Fournier. Le grand vainqueur est Pfizer avec son TAHOR dont l'argument principal est qu'il abaisse encore plus le cholestérol que les autres statines. A cette époque, TAHOR n'a pas encore été suffisamment étudié et on ne sait encore rien sur un quelconque intérêt cardiovasculaire, mais sous la pression du bulldozer commercial de Pfizer, plein de médecins, notamment en France, abandonnent les statines les plus "sûres" (pravastatine, simvastatine) pour prescrire l'atorvastatine à tour de bras. TAHOR devient la statine la plus vendue en France.

Les sommes en jeu sont devenues considérables et l'existence de la juteuse atorvastatine a été la principale motivation de l'OPA lancée en 2000 par Pfizer sur Warner-Lambert, le groupe contrôlant Parke-Davis, pour la modique somme de 90 milliards de dollars ; Pfizer devenant à cette occasion le n°1 mondial de la pharmacie. Bon OK, tout n'a pas été payé en cash et il y a eu aussi une partie sous forme d'échange d'actions... mais c'est un montant record pour la pharmacie qui s'y connaît pourtant, en records. Cette modique dépense sera digérée en peu de temps et quelques années plus tard seulement, Pfizer pourra se lancer dans d'autres acquisitions géantes.

Mais le laboratoire AstraZeneca, héritier du plus vieux fibrate, ne serait-il pas légitime sur le marché des statines ? Il répond oui. C'est le lancement de la rosuvastatine (CRESTOR) avec toujours le même argument, une diminution encore plus forte du cholestérol ! De gigantesques campagnes commerciales sont lancées. Dans certains pays, dont la France, beaucoup de médecins passent allègrement au CRESTOR avant même qu'il ait démontré le moindre intérêt par rapport aux autres statines. La Revue Prescrire, elle, ne tarit pas de critiques sur ce médicament, d'autant qu'un risque de déclenchement de diabète est même soupçonné. Qu'importe, on continue de le prescrire. CRESTOR devient à son tour la statine la plus vendue en France.

Au final, le discours sur le bénéfice cardiovasculaire réel ou supposé des statines a fini par dépasser l'indication stricte et l'on s'est mis à traiter à la pelle des tas de gens qui avaient juste un taux de cholestérol jugé un peu élevé, sans d'ailleurs toujours leur proposer les autres options qui existent. Aux Etats-Unis comme en France et ailleurs, cela a contribué à créer un gigantesque marché, extrêmement lucratif - l'un des plus lucratifs de l'Histoire de l'industrie pharmaceutique - et un peu partout les autorités de santé ont fini par reconnaître qu'il y avait eu beaucoup de dérapages et de prescriptions abusives, le seul critère du taux de cholestérol (ou de "mauvais" cholestérol) n'étant pas suffisant pour décider d'une prescription. Donc, plein de gens n'ayant pas besoin de statines s'en sont vus prescrire et ont couru le risque d'un effet secondaire potentiellement grave ou, plus souvent, un effet secondaire pas très grave mais handicapant (douleurs articulaires et musculaires dans les coudes, les épaules...).

Ce n'est pas que les statines soient mauvaises, mais elles n'ont pas à être prescrites à tout un chacun. Elles doivent être réservées à des profils de patients bien précis (ex. : personnes étant considérées comme à risque cardiovasculaire élevé ou ayant déjà fait un infarctus).


L'ézétimibe

Voici un autre anticholestérol, seul représentant de sa famille, qui a été mis au point par MSD comme une alternative ou un complément des statines. Il abaisse bien le taux de cholestérol mais n'a jamais démontré la moindre efficacité en terme de prévention cardiovasculaire. Il est commercialisé sous le nom de ZETIA aux Etats-Unis et EZETROL en France.

Son principal intérêt a été pour son fabricant. MSD étant confronté à l'expiration du brevet de ZOCOR (simvastatine), il a pu lancer des associations fixes ézétimibe / simvastatine, protégées par le brevet de l'ézétimibe, ce qui lui a garanti de pouvoir encore écouler un peu de simvastatine.


Il y a une autre famille de médicaments anticholestérol qui a totalement échoué dans les essais cliniques (augmentant la mortalité) et une autre enfin sur laquelle on reviendra plus tard, les anti-PCSK9.


Voilà pour l'aspect essentiellement industriel de la question des anticholestérol, qui a l'avantage de bien planter le décor et de montrer une partie des forces en présence. Nous reviendrons ensuite sur les aspects scientifiques.


Note : Zelda, ce n'est pas moi qui te dirai d'arrêter le traitement de ton père, je ne suis pas médecin et ce serait criminel. Par contre, si ton père prend une statine (considérons qu'il en a besoin), alors tu peux dès aujourd'hui classer son médecin dans une catégorie : soit ceux qui par prudence continuent de prescrire une statine bien évaluée (pravastatine ou simvastatine), soit ceux plus sensibles à la pression des industriels qu'aux questions de santé publique (fluvastatine, atorvastatine, rosuvastatine, ou bien l'ézétimibe ou même un fibrate).

Tu as aussi le droit d'être un peu indulgente, car beaucoup de médecins n'y voient pas malice et se font avoir, pensant, grâce au fameux "consensus", que toutes les statines se valent.
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Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Zelda_Zbak » 17 Oct 2019, 07:16

Oui, bien sûr, Plestin. Je n'ai fait que reporter ce que dit mon cousin, pas indulgent du tout avec CE médecin. Quant à mon père, comme avec tous ceux que j'aime, je ne fais rien pour briser la confiance entre un médecin et son patient, c'est trop précieux. Je le sais, ma docteure est partie en retraite et je suis orpheline de médecin en qui j'ai toute confiance depuis 2 ans, je me sens un peu livrée à moi même et en attendant, je vois des prescripteurs, pas des médecins comme je l'entends. Merci pour l'exposé détaillé, que je vais étudier à la loupe ce week-end.
[mode privé]Au demeurant si l'un d'entre vous peut me recommander par MP évidemment un(e) médecin généraliste qui lui donne entière satisfaction sur Paris, je suis preneuse...[/mode privé]



Plestin, tu es très précieux sur ce forum. Merci de toutes tes interventions.
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Re: Cholestérol : le grand bluff

Message par Plestin » 17 Oct 2019, 07:59

Ceci est la deuxième partie.

Le monde du médicament est sujet à de tels enjeux financiers que bien évidemment, ceux-ci ne cessent de parasiter aussi bien la science que les décisions des autorités de santé dans tous les pays. Néanmoins, il existe aussi des résistances plus ou moins importantes, chez les scientifiques, les pouvoirs publics et y compris chez un certain nombre de chercheurs ou d'autres personnels à l'intérieur des laboratoires pharmaceutiques eux-mêmes, qui s'opposent à ce que l'on fasse n'importe quoi avec le médicament.

Les décisions finalement rendues par les pouvoirs publics, la position des scientifiques et de certains médecins, peuvent refléter les deux préoccupations contradictoires et il n'est pas toujours évident de savoir ce qui va l'emporter. Mais l'industrie cherche à être présente à tous les niveaux de décision.

Il y a aussi les associations de patients qui s'en mêlent, or il y en a plusieurs sortes. Certaines se battent pour que tout le monde ait accès au médicament, ou cherchent sincèrement à encourager la recherche. D'autres sont complètement influencées par les laboratoires pharmaceutiques ; cela se traduit par des campagnes insidieuses en faveur de tel ou tel produit.

Enfin, les études cliniques sur les médicaments ne sont pas toutes publiées par les laboratoires et il y a une sous-publication des études dont les résultats sont négatifs, par rapport à celles dont les résultats sont positifs.

La situation est fort complexe mais certaines associations de médecins, de scientifiques ou autres ne restent pas les bras ballants et cherchent à regarder les données scientifiques de la façon la plus rationnelle possible. Si je cite beaucoup La Revue Prescrire, c'est pour cette raison : elle a fait beaucoup pour aider les médecins à mieux s'y retrouver dans le fatras d'influences de toutes sortes. Il y a aussi le FormIndep, a"ssociation de professionnels de santé et de citoyens" qui s'engage "pour une médecine fondée sur les meilleures preuves scientifiques et le seul intérêt du patient", et précise par exemple (dans un article de 2006) :

Nous sommes contre les manipulations de la science, mais pour la science. Nous refusons l’amalgame entre le refus des influences du marketing pharmaceutique dans le monde de la santé et le refus du médicament. Si nous sommes des rebelles, nous sommes des rebelles épris de rationalité.


Les médecins qui sont interrogés dans l'émission d'Arte ne relèvent pas de cette catégorie et leur message n'est pas neutre, tout comme celui, inverse, de l'équipe du CHU de Bordeaux qui a inspiré l'article publié par le camarade Olac2013 d'ailleurs (qui met en avant la coïncidence entre baisse de prescription de statines et hausse de la mortalité en suggérant qu'il y a un lien mais sans en apporter la moindre preuve) dont le réflexe de méfiance vis-à-vis de l'émission d'Arte est par ailleurs parfaitement sain.

Ci-dessous, un très intéressant petit manuel gratuit fait par un collectif d'étudiants en médecine pour des étudiants en médecine (mais très accessible), s'inspirant des méthodes de La Revue Prescrire et du FormIndep. Il commence à dater un peu (2015 avec beaucoup de références dans les années 2000) mais vaut vraiment le coup d'être lu pour comprendre ce dont on parle. J'invite tous les lecteurs à s'y plonger pour comprendre les ressorts de l'influence des laboratoires auprès du monde médical. Il propose aussi des pistes pour s'en prémunir. Il s'appelle "Pourquoi garder son indépendance face aux laboratoires pharmaceutiques ?"

https://www.prescrire.org/Docu/Archive/ ... re2015.pdf

(Zelda, je suis certain que tu vas y trouver des choses qui vont t'intéresser, par ailleurs, sur l'utilisation par les labos des aspects de psychologie des médecins à qui ils s'adressent).

Concernant les études cliniques, on peut en extraire ce petit passage qui mentionne les statines :

Le résultat des essais cliniques est influencé par le financement : lorsqu’elle est financée par l’industrie, la probabilité que l’étude apporte des résultats qui lui sont favorables est quatre fois supérieure à celle des recherches sans financement industriel. Dans le cas des statines (anti-cholestérol), cette probabilité est même 20 fois supérieure. Ces résultats reposent sur des biais inconscients ou sur des pratiques conscientes comme l’emploi de ghostwriter (employé-e du labo qui écrit) ou de guest writer (médecin célèbre et haut placé, dont le nom est ajouté à l’article).


Bon, cela fait déjà beaucoup de choses à assimiler pour aujourd'hui, il me semble. La suite au prochain numéro. :lol:
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