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Et si le soleil revenait en pleine lumière
L’énergie solaire pourrait être à nouveau à la mode. À Odeillo, on n’a jamais cessé de le penser. Reportage dans les Pyrénées, où à côté du plus grand four solaire, l’unique centrale électrique solaire française a fourni son premier kilowattheure.
Odeillo (Pyrénées-Orientales), envoyé spécial.
On peut y accéder par la route, bêtement. Ou, plus originalement, par un petit train tout jaune qui serpente péniblement de village en village. Les touristes en raffolent. Au milieu des montagnes, l’engin couleur canari est une institution. Tout jaune, comme un rappel de la moitié du drapeau catalan, qui accompagne chaque nom de rue. Jaune, aussi, comme le soleil. À Odeillo, un village accroché à flanc de montagne, dans les Pyrénées-Orientales, on courtise l’astre depuis longtemps. Le célèbre four solaire qui s’y dresse, haut de quelque soixante mètres et faisant face à 63 héliostats, des panneaux réfléchissants, a permis à la cinquantaine de chercheurs qui y travaillent de passer maîtres dans l’art de " concentrer " les rayons solaires. Toutes sortes de matériaux sont ainsi soumis à des températures infernales depuis 1969.
C’est aussi là que, le 25 juin dernier, l’unique centrale électrique solaire miniature de France a produit son premier kilowatt/heure. Pas de quoi bouleverser la torpeur d’Odeillo. Pour le moment... Car, il s’agit peut-être d’un nouveau mode de production d’énergie qui, d’ici quelques années, vaudra son pesant d’or. Les scientifiques de Promes, le laboratoire Procédés, matériaux et énergie solaire du CNRS, rebaptisé ainsi il y a moins d’un an, en sont convaincus. À leur nouveau programme, entre autres : développer des énergies non émettrices de CO2, capturer et stocker le gaz à effet de serre.
Sous le début de cagnard de cette fin juillet, au pied du moteur Stirling de fabrication allemande, coiffé de sa " parabole-miroir ", Jean-Michel Gineste, responsable du projet, décrypte le fonctionnement de l’engin. " La parabole de 8,5 mètres de diamètre suit le soleil toute la journée. Les rayons sont concentrés et chauffent le gaz de travail du moteur. La différence de température avec l’eau froide du moteur crée une énergie mécanique qui, via le transformateur, produit de l’électricité. " Le procédé est basique et connu depuis longtemps. L’instrument, haut d’une dizaine de mètres, fait pâle figure comparée à l’imposante silhouette du plus grand four solaire du monde. Au milieu des montagnes, l’ensemble est digne d’un décor de science-fiction. Gilles Flamant, depuis trente ans sur les lieux, n’y prête plus attention et poursuit sur la lancée de son collègue. " Le rendement est proche de celui d’une centrale nucléaire ", précise le directeur de recherche, dont l’enthousiasme n’est en rien entamé par la chaleur de cette fin de matinée.
Le nouveau jouet de ces deux physiciens, monté en douze jours, produit déjà dix kilowatts électriques - directement utilisés par le four - et quatre fois plus de chaleur, non récupérée. Une énergie qu’il faudra tenter de conserver à l’avenir. " Cette unité est capable d’alimenter deux grandes maisons ", évalue Jean-Michel Gineste. À l’état de prototype, ce système de production d’énergie décentralisé ne peut se concevoir qu’en petites unités. D’une mise en oeuvre facile, le procédé pourrait bien être une aubaine pour les pays très ensoleillés et fleurir sur les toits d’ici quelques années. Les chercheurs, eux, y croient. Et pourquoi pas en France, si la filière se développe.
Pour ce projet, les scientifiques catalans ont reçu le soutien financier du CNRS, apparemment difficile à convaincre, d’industriels, de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), ainsi que du ministère allemand de l’Environnement. Les pouvoirs publics français ne semblent pas, pour le moment, s’emballer outre mesure pour le projet. Gilles Flamant, lui, piétine d’enthousiasme. Autour de lui, l’herbe en prend un coup. " La France a vingt ans de retard dans cette filière ". L’Espagne, premier pays à expérimenter le moteur Stirling, compte trois appareils de ce type, l’Italie et l’Allemagne, chacun un. L’Inde a son engin, elle aussi, depuis peu.
Les chercheurs français ont deux ans pour amasser les bons points. Ce qui semble bien parti au vu des " énormes " perspectives d’amélioration du procédé. " Le prix du kilowattheure est quasiment le même que celui des photopiles alors que le photovoltaïque a vingt ans d’exploitation derrière lui ", s’enthousiasme Gilles Flamant. Le scientifique imagine déjà d’utiliser l’hydrogène comme combustible. L’objectif est ambitieux car extraire l’atome de la molécule d’eau nécessite des quantités d’énergie faramineuses. Tout de même, " le futur, c’est l’hydrogène ", assure-t-il.
Avec ce projet, les chercheurs d’Odeillo ont retrouvé le sourire. Les vieux murs du four solaire ont même droit à un ravalement, ça et là. Ces scientifiques, dont les effectifs ont été réduits du tiers en trente ans, sont aujourd’hui au coeur d’un projet européen de pointe. En pleine lumière.
Vincent Defait
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