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Toxicomanie : la prise de drogue par injection fait un retour en force[/center]
LE MONDE | 04.01.07 |
L'héroïne opère un retour discret dans les milieux toxicomanes en France. Ce puissant opiacé était quasiment tombé en désuétude depuis une quinzaine d'années, notamment sous sa forme injectable. Il réapparaît aujourd'hui sous une forme sniffée ou fumée chez les toxicomanes de rue et dans les milieux festifs technos.
Révélée par le rapport "Tendances récentes et nouvelles drogues" (Trend), mis en ligne, mercredi 4 janvier, par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (
www.ofdt.fr), cette évolution est concomitante d'un retour global des pratiques d'injection : les consommateurs de cocaïne et d'ecstasy, toujours plus nombreux, ont ainsi tendance à diversifier leur mode de prise des produits, notamment pour en potentialiser les effets.
Alors que, depuis 2000, les observateurs du dispositif Trend faisaient part d'une diminution des pratiques d'injection, un retournement de tendance est en train de s'amorcer. Ce phénomène est surtout perceptible auprès d'une population masculine, jeune, fortement marginalisée, évoluant autour du milieu techno alternatif. "Contrairement aux toxicomanes des années 1980, pour qui la drogue était synonyme de contestation sociale, ces nouvelles générations sont très désinsérées socialement et en grande souffrance", constate Jean-Michel Costes, directeur de l'OFDT.
Polyconsommateurs, ces jeunes s'injectent la cocaïne et l'ecstasy pour obtenir un effet plus violent qu'en les sniffant ou les ingérant. Or ces nouveaux modes de consommation posent d'importants problèmes sanitaires : l'effet recherché étant relativement court, les usagers ont tendance à multiplier les "shoots" de façon compulsive, parfois à raison d'une injection tous les quarts d'heure. Les risques de contamination par les virus du sida ou des hépatites par échange de seringues sont donc eux aussi multipliés. Les observateurs des structures de prise en charge dites de "première ligne" font par ailleurs état de situation d'épuisement physique et psychologique des usagers.
Contrairement aux années 1980, ces pratiques d'injection ne concernent pas l'héroïne, dont la réapparition se fait par le sniff ou la "fumette". Dans les milieux festifs, où 15 % des personnes l'ont déjà consommée, l'héroïne est utilisée en usage secondaire comme un moyen d'apaiser les effets des autres produits, de gérer la "descente" après une prise de cocaïne ou d'ecstasy.
L'autre raison de l'augmentation de l'usage d'héroïne pourrait résider dans une dégradation de l'image des produits de substitution, et notamment du Subutex. L'enquête Trend confirme que le Subutex, prescrit par les médecins de ville aux personnes dépendantes aux opiacés, est toujours largement détourné, malgré l'accroissement des contrôles opérés par les caisses primaires d'assurance-maladie.
Le rapport Trend atteste par ailleurs une tendance lourde, amorcée depuis cinq ans : la disponibilité de la cocaïne ne cesse d'augmenter en France, pour devenir massive parmi les usagers de drogue. Dans les milieux urbains marginalisés, 90 % des usagers fréquentant les structures de "première ligne" avaient expérimenté la cocaïne ou le crack début 2006 et 39 % en avaient consommé au cours du dernier mois. "La cocaïne domine tout le paysage de la consommation et il n'y a aucun signe d'inversion de tendance, analyse M. Costes. La France est encore loin d'avoir fait le plein du nombre d'usagers potentiels, comme avec le cannabis. En Espagne et en Grande-Bretagne, par exemple, la consommation de cocaïne est trois à cinq fois supérieure."
Dans le milieu festif, où l'usage de cocaïne est également à la hausse, l'ecstasy reste cependant la substance illicite la plus consommée après le cannabis. Son usage concerne une population jeune, plutôt bien insérée socialement, dont la consommation se veut récréative. Désormais très disponible, l'ecstasy a vu ses prix chuter, les consommateurs achetant de plus en plus en gros ou semi-gros, à raison de 2 à 4 euros le comprimé.
La forte diffusion de l'ecstasy modifie également ses modes de prise. Dans les milieux des free parties, où la forme poudre est la plus consommée, l'ecstasy en comprimés est désormais considérée comme "ringarde". "La diffusion massive de l'usage qui est observée depuis quelques années prive l'ecstasy de l'aura distinctive qu'elle conférait à l'usager au début des années 1990", note ainsi le rapport Trend. Résultat, les consommateurs se tournent vers la pratique du sniff, qui bénéficie d'un effet de mode et d'une réputation de plus grande convivialité.
Cécile Prieur
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MÉTHODOLOGIELE DISPOSITIF TREND(Tendances récentes et nouvelles drogues) a été mis en place en juin 1999 par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) afin d'identifier et de décrire les phénomènes émergents de consommation de drogues dures. Il est doté d'un réseau de 350 bénévoles qui font de l'observation ethnographique sur différents sites (Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Metz, Paris, Rennes et Toulouse).
DEUX MILIEUXsont enquêtés : la toxicomanie de "rue", au travers des structures de prise en charge dites "de première ligne", en contact avec les usagers de drogues désinsérés ; le milieu festif autour de la musique techno, dans lequel émergent les nouveaux stupéfiants et les drogues de synthèse.
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Le "crystal" n'a pas encore fait son apparition en FranceTrès consommée aux Etats-Unis et en Asie, la méthamphétamine, connue sous le nom de "crystal", "ice" ou "ya ba", n'a pas fait son apparition en France, malgré plusieurs articles de presse relatant sa possible arrivée sur le marché des stupéfiants. Molécule synthétique dont les effets stimulants sont plus puissants et durables que les amphétamines (ils peuvent perdurer plusieurs jours), le "crystal" jouit d'une réputation sulfureuse qui pourrait accroître, à terme, la demande. Sa consommation entraîne une forte dépendance psychique et une augmentation rapide des doses prises. Aux Etats-Unis, cette drogue est à l'origine de plusieurs centaines de décès chaque année. Selon l'OFDT, la méthamphétamine n'est actuellement disponible en Europe qu'en Grande-Bretagne et en République tchèque. Le dispositif Trend ne l'a repéré que de façon très anecdotique, à Paris, dans le milieu restreint du clubbing techno-gay.