par Antigone » 17 Mai 2010, 15:45
La meilleure initiation que je connais se fait par le jeu "le premier qui mange l'autre". Ce jeu s'arrête quand les pierres d'un joueur sont complètement entourées par les pierres de l'autre joueur. Les gamins apprennent à jouer à ce raccourci du go dès l'âge de 5 ou 6 ans.
C'est de cette façon qu'ils apprennent par eux-mêmes que le seul moyen de ne pas se faire manger, c'est de ne pas laisser leurs pierres isolées, de les renforcer, de les connecter et d'y faire 2 yeux pour que leurs groupes soient imprenables. Ils decouvrent de cette façon les principes du jeu de go. Ils apprennent vite. Les règles sont simples. Jouer au go, c'est vraiment à la portée de n'importe qui.
Ce n'est qu'après, à partir d'un certain niveau, quand il faut apprendre à combiner, que ça devient complexe.
Non, pas besoin d'être matheux. Quand j'ai appris, on m'a dit qu'il fallait juste savoir compter jusqu'à 4, c'était suffisant. Pas besoin de sortir de Math Sup.
Le go est un jeu artistique; c'est de la géométrie artistique. Il faut savoir faire des formes solides, savoir les reconnaitre dans tous les sens, même quand elles ont la tête en bas. Le go est un jeu d'encerclement. Etre créatif et avoir un bon sens de l'observation sont d'excellents atouts.
Hélas, les informaticiens qui sont arrivés en force dans les années fin 80 début 90 ont donné à ce jeu une approche scientifique, avec une fâcheuse tendance à forcer leurs coups, à jouer de manière trop agressive.
Mais tout scientifiques qu'ils sont, ils n'ont pas réussi à dépasser les asiatiques (chinois, japonais résidant en France) qui jouent avec finesse et élégance.
Internet a contribué depuis une dizaine d'années à populariser le jeu. Le manga Hikaru no go a attiré beaucoup de gamins. Le site de KGS est devenu le rendez-vous de cette génération. Et tout a changé depuis.
La grande majorité des parties jouées sur KGS le sont en blitz, ou sinon dans des parties où les joueurs n'ont pas plus de 30 minutes chacun. Le go joué sur internet n'a plus aucun rapport avec le jeu de patience que l'on connaissait avant. Tout va plus vite. On passe beaucoup moins de temps à réfléchir, on joue de façon automatique et à partir d'un certain niveau, on cesse de progresser.
Il y a encore une vingtaine d'années, le go était un jeu marginal, confidentiel, joué par des "rebelles". L'esprit oriental y était observé. Le blitz était une hérésie. Prendre le temps de réfléchir au coup joué par son partenaire de jeu (et non pas adversaire), c'était lui manifester du respect. Jouer une partie; c'était une vraie rencontre humaine. Aujourd'hui, prendre 5 minutes pour réfléchir à la meilleure réponse possible, c'est faire chier.
"On s'en fait une rapide", "bon alors, tu joues ?"
Moi, quand j'entends ça, j'ai envie de me lever et de me tirer. C'est typique d'une mentalité qui ne me donne pas envie de jouer. A un moment, j'en ai eu assez de ces signes d'impatience, d'énervement. Dans les tournois, c'est devenu insupportable.
Et puis le mauvais esprit s'y est ajouté. Gagner, peu importe comment, par n'importe quel moyen. ! Qu'est ce que certains ne feraient pas pour progresser d'un kyu sur l'échelle de la fédé !
Autrefois, avec 40 ou 50 points de retard dans une partie, on n'insistait pas. On saluait et on abandonnait. On reconnaissait la supériorité de son partenaire. Il m'est arrivé plusieurs fois d'abondonner après ma deuxième énorme bétise. Je considérais qu'en jouant aussi mal, je ne méritais pas de gagner.
Mais aujourd'hui, parmi les joueurs en kyus, on en rencontre de plus en plus pour qui la fin vaut tous les moyens, même les moins glorieux. Il y en a qui espèrent gagner au temps, même en étant archi dominés. Ils attendent par exemple que leur adversaire n'ait plus que quelques secondes... pour jouer une arnaque, un truc qui obligé le joueur qui mène à utiliser ses dernières secondes à réfléchir, a paniquer, à jouer n'importe quoi, et avec un peu chance ils arrivent à gagner au temps. C'est écoeurant.
L'agressivité a complètement pollué l'esprit du jeu. Maintenant on croirait que le but d'une partie, c'est de tuer, de massacrer. Les commentaires qu'écrivent les observateurs d'une partie jouée sur KGS sont à ce titre éloquents.
On s'étonne après ça qu'il y ait moins de 10% de filles pratiquantes et licenciées. Quand il y en a une qui se risque à venir dans un club, c'est la compétition pour lui apprendre à jouer, on parle d'elle dans des termes infantilisants et quand le club organise un tournoi, on compte natuellement sur elle pour faire les sandwiches.
Le go est un jeu formidable. C'est le plus ancien (4 000 ans). Mais lui aussi se dégrade, victime des effets désastreux de la société capitaliste, de cette société de "réussite", de l'exaltation imbécile de la force...