Gaby a écrit : Ce sont ces forces qu'il faut comprendre sur le temps long...
S'agissant de temps long, la [longue] séquence peut être datée, en France, de septembre 1983 :
Ce 11 septembre 1983, le Parti socialiste n'en revient pas, il vient de perdre la mairie de Dreux au profit d'une liste RPR-Front national. Jean-Pierre Stirbois, secrétaire général du Front national, devient maire adjoint. Déjà au premier tour de cette élection partielle, la liste FN avait récolté 16,72 % des suffrages exprimés. La nouvelle secoue l'opinion, provoque l'euphorie chez les uns, l'incompréhension chez certains et le dégoût chez beaucoup.
http://www.lemonde.fr/idees/article/200 ... _3232.html
Il n'y a pas eu, depuis, de saut qualitatif, la tendance de la période est claire... et pesante. Il n'empêche que la morale au nom de l'antiracisme, ou de l'antifascisme, ou de... tout ce que peuvent mettre en avant les idéologues de la petite-bourgeoisie pour occulter la perspective d'une classe ouvrière revenant sur la scène politique, tout cela a bien montré ses limites, et sur le temps long !
Extraits d'un texte de fin 1994 :
L'effondrement de l'Union soviétique et la désagrégation du mouvement stalinien - liés, mais en partie seulement - ont ouvert une nouvelle phase dans le recul du mouvement ouvrier. Les organisations staliniennes, là où elles regroupaient encore une fraction importante des éléments politisés de la classe ouvrière, n'ont pas été remplacées par d'autres. Le prolétariat est de moins en moins organisé. "La crise historique de la direction du prolétariat" n'est plus seulement une crise au niveau des directions. Avec la dislocation plus ou moins avancée des partis staliniens - depuis longtemps, dans le camp de la bourgeoisie en raison de leur direction, en raison de leur politique - se disloquent des structures organisées encore présentes dans la classe ouvrière et, dans une certaine mesure, sensibles aux pressions de celle-ci. La classe ouvrière en tant que telle pèse de moins en moins sur la vie politique.
C'est une des raisons du renforcement des nationalismes, de l'éveil de micro-nationalismes qui semblaient enterrés par l'histoire, d'une certaine emprise des intégrismes religieux sur de larges masses, des particularismes divers et multiples : de tous ces sous-produits de la pourriture du système impérialiste.
...
Seule la renaissance d'un mouvement prolétarien politique, se situant sur le terrain de la lutte de classe et défendant l'internationalisme qui repose sur la certitude d'un avenir commun de l'humanité, pourrait jouer, de nouveau, un rôle unificateur entre prolétaires.
Personne n'est en mesure de dire aujourd'hui quand le recul du mouvement prolétarien, engagé depuis trois quarts de siècle, s'arrêtera. Il ne s'agit pas seulement de la reprise des luttes défensives, voire offensives, du prolétariat sur le seul terrain économique. Il s'agit surtout pour le prolétariat, à travers ces luttes, de s'élever au niveau des tâches politiques que l'histoire a placées devant lui.
L'histoire de plus d'un siècle de luttes du prolétariat n'a pas eu bien souvent l'occasion de montrer le rôle décisif qu'un authentique parti communiste joue dans la prise du pouvoir par le prolétariat. Mais, en revanche, elle a eu une multitude d'occasions de montrer comment des organisations réformistes, staliniennes, intégrées dans la société bourgeoise, ou d'autres simplement incapables de la combattre avec efficacité, peuvent contenir l'offensive révolutionnaire des masses, voire paralyser les luttes avant même qu'elles ne se transforment en offensives.
...
En constatant que, pendant ces cinquante-quatre ans qui nous séparent de la mort de Trotsky, le prolétariat n'a pas fait la révolution ni à partir d'un pays développé, ni à partir d'un pays sous-développé et que, dans aucun pays, n'a pu émerger, en son sein, un parti ouvrier révolutionnaire, on peut se demander si le prolétariat est apte à remplir le rôle historique que Marx et tout le mouvement communiste révolutionnaire voyaient en lui.
Pour Marx et Engels, le prolétariat ne pouvait venir au pouvoir que par l'organisation en un parti incarnant la conscience à un niveau élevé des intérêts et du rôle de l'ensemble du prolétariat. Mais ce parti ne pouvait réunir les plus conscients et les plus déterminés que sur la base d'une élévation de la conscience, de la culture de ses plus larges couches, voire de la majorité. Voilà pourquoi, aussi bien Marx que, plus encore, Engels qui a vécu plus tard et qui a suivi de près les activités de la Deuxième Internationale, attribuaient tant d'importance à l'éducation du prolétariat et à la conquête des libertés démocratiques à l'intérieur même de la société capitaliste, permettant cette éducation politique large.
En fait, l'histoire a suivi un autre cours, et la seule révolution prolétarienne qui a eu lieu s'est produite dans un pays autocratique. Ce pays était, de surcroît, arriéré, et le prolétariat n'y représentait qu'une minorité au milieu d'une paysannerie vivant dans les conditions du Moyen Age, avec un niveau culturel en conséquence. Mais ce prolétariat russe était d'emblée concentré dans de grandes entreprises modernes, avec ce que cela pouvait donner comme sentiment de solidarité, comme éducation collectiviste et comme rôle décisif dans l'économie. En outre, la guerre a non seulement donné des armes à ce prolétariat mais lui a permis de se lier politiquement à la paysannerie en transformant la fraction la plus jeune et la plus dynamique de celle-ci en soldats, mêlés aux ouvriers d'abord dans la souffrance commune du front, puis dans l'agitation révolutionnaire des villes... et des casernes.
L'histoire n'a pas donné à ce prolétariat la possibilité de s'éduquer autrement qu'à travers et au moment de ses propres luttes. Il n'a pas pu profiter de conditions démocratiques pour préparer sa prise de pouvoir ; c'est, au contraire, lui-même qui a imposé les libertés démocratiques pour lui-même comme pour la société : de façon provisoire en 1905, puis à partir de février 1917, c'est-à-dire lorsqu'il était déjà aux portes du pouvoir.
Quels ont été au cours des cinquante dernières années, les changements internes au prolétariat, susceptibles de peser sur son aptitude révolutionnaire ?
...
A l'échelle du monde, il n'y a pas une régression numérique du prolétariat - il est proportionnellement au moins aussi nombreux par rapport à l'ensemble de la société qu'il l'avait été dans le passé. Il est de surcroît présent dans un certain nombre de pays où il n'existait que de façon embryonnaire au moment de la révolution russe. Il est toujours - et certainement plus qu'au temps de Marx - la classe exploitée la plus nombreuse, celle qui est concentrée au coeur de l'économie moderne et la seule qui, objectivement, n'a aucun intérêt de classe au maintien de la propriété privée des moyens de production et de la société capitaliste. Aucune des raisons pour lesquelles Marx voyait en lui la seule classe révolutionnaire de notre temps n'a disparu (rôle qu'il a joué bien des fois dans le passé, dans la réalité sociale et pas seulement dans les écrits des théoriciens du communisme).
...
Alors, l'humanité a perdu plusieurs décennies pendant lesquelles l'impérialisme a perduré, comme ont perduré et se sont aggravés les maux qu'il véhicule.
Mais on n'a perdu que du temps, et sur le fond, rien n'est perdu car nous avons la conviction qu'un jour ou l'autre, une génération d'intellectuels révolutionnaires rejoindra le prolétariat qui a, réellement, la capacité de changer le monde.
Les délais sont ce qu'ils sont, mais le capitalisme ne peut être la dernière forme de société que connaîtra l'humanité.
Novembre 1994