Mentalité anticapitalisme et psychologie

Message par isildur » 06 Mai 2009, 06:56

Un grand truc des libéraux est de dire que les marxistes sont des frustrés qui refusent la méritocratie pour des motifs psychologiques. En voici une vision sophistiquée. Que répondre?

a écrit :Nous pouvons maintenant essayer de comprendre pourquoi les gens dénigrent le capitalisme.

Dans une société basée sur la caste et le statut, l'individu peut imputer un destin défavorable à des conditions situées au-delà de son propre contrôle. Il est un esclave parce que les pouvoirs surhumains déterminant l'avenir tout entier lui ont donné ce rang. Son humilité n'est pas de sa faute, et il n'a pas de raison d'en avoir honte. Sa femme ne peut lui reprocher sa situation. Si elle lui disait : « Pourquoi n'es-tu pas duc ? Si tu étais duc, je serais duchesse, » il pourrait répondre : « Si j'étais né fils de duc, je ne me serais pas marié avec toi, une fille d'esclave, mais avec la fille d'un autre duc ; si tu n'es pas une duchesse, c'est exclusivement de ta propre faute ; pourquoi n'as-tu pas été plus habile dans le choix de tes parents ? »

C'est une tout autre histoire dans un régime capitaliste. Dans ce cas, la situation dans la vie de chacun dépend de lui seul. Celui dont les ambitions n'ont pas été pleinement assouvies sait très bien qu'il a raté des occasions, que ses semblables l'ont essayé et l'ont trouvé déficient. Quand sa femme lui reproche : « Pourquoi ne gagnes-tu que huit dollars par semaine ? Si tu étais aussi dégourdi que ton ancien copain Paul, tu serais chef d'équipe et jouirais d'une vie meilleure, » il prend conscience de sa propre infériorité et se sent humilié.

La dureté du capitalisme, dont on a tant parlé, réside dans le fait qu'il traite chacun selon sa contribution au bien-être de ses semblables. La domination du principe, à chacun selon ses réalisations, ne permet aucune excuse aux défauts personnels. Tout un chacun sait très bien qu'il y a des gens comme lui qui ont réussi là où lui a échoué, et que ceux qu'il envie sont des self-made-men qui ont débuté au même point que lui. Pire, il sait que tous les autres le savent aussi. Il lit dans les yeux de sa femme et de ses enfants le reproche silencieux : « Pourquoi n'as-tu pas été plus dégourdi ? » Il voit comment les gens admirent ceux qui ont plus de succès que lui et regardent avec mépris ou avec pitié son propre échec.

Ce qui fait que beaucoup de gens sont malheureux dans un régime capitaliste, c'est que le capitalisme donne à chacun l'occasion d'atteindre les postes les plus désirables qui, bien sûr, ne peuvent être obtenus que par quelques-uns. Quoi qu'un homme ait pu gagner pour lui-même, ce n'est qu'une faible fraction de ce que son ambition le poussait à gagner. Il y a toujours devant ses yeux des gens qui ont réussi là où il a échoué. Ils y a des individus qui l'ont devancé et envers lesquels, dans son inconscient, il nourrit des complexes d'infériorité. C'est l'attitude du vagabond envers l'homme qui a un travail régulier, de l'ouvrier envers le contremaître, du cadre envers le vice-président, du vice président envers le président de la compagnie, de l'homme qui vaut trois cent mille dollars envers le millionnaire, etc. La confiance en soi et l'équilibre mental de chacun sont sapés par le spectacle de ceux qui ont fait preuve de plus grandes capacités et aptitudes. Tout le monde est conscient de sa propre défaite et de sa propre insuffisance.

C'est Justus Möser qui a inauguré la longue liste des auteurs allemands rejetant radicalement les idées « occidentales » des Lumières et la philosophie sociale du rationalisme, de l'utilitarisme et du laissez-faire, tout autant que les politiques prônées par ces écoles de pensée. L'un des nouveaux principes qui provoquait l'ire de Möser était la demande que la promotion des officiers de l'armée et des fonctionnaires civils dépende du mérite et de l'aptitude personnels au lieu de dépendre de l'ascendance et de la noblesse du lignage du titulaire, de son âge et de la durée de son service. La vie dans une société où le succès dépendrait exclusivement du mérite personnel serait, selon Möser, tout simplement insupportable. La nature humaine étant ce qu'elle est, tout le monde est enclin à surestimer sa propre valeur et ses propres mérites. Si la position d'un homme dans la vie est conditionnée par des facteurs autres que son excellence intrinsèque, ceux qui restent au bas de l'échelle peuvent accepter ce résultat et, connaissant leur valeur, conserver encore leur dignité et leur estime de soi. Mais il va autrement si seul le mérite décide. Ceux qui échouent se sentent alors humiliés et insultés. La haine et l'hostilité envers tous ceux qui les ont supplantés doit en résulter 1.

Le système capitaliste des prix et du marché constitue une telle société où le mérite et les réalisations déterminent le succès ou l'échec d'un homme. Quoi que l'on puisse penser du préjugé de Möser contre le principe du mérite, on doit admettre qu'il avait raison en décrivant l'une de ses conséquences psychologiques. Il avait compris les sentiments de ceux que l'on avait essayés et trouvé insuffisants.

Afin de se consoler et de restaurer sa confiance en soi, un tel homme cherche un bouc émissaire. Il essaie de se persuader qu'il a échoué sans en être responsable. Il est au moins aussi brillant, efficace et travailleur que ceux qui l'éclipsent. Malheureusement, cet infâme ordre social dans lequel nous vivons n'accorde pas ses récompenses aux hommes les plus méritants ; il couronne le coquin malhonnête et sans scrupules, l'escroc, l'exploiteur, le « farouche individualiste ». C'est son honnêteté qui l'a fait échouer. Il était trop brave pour recourir aux astuces auxquelles ses rivaux à succès doivent leur influence. Les conditions étant ce qu'elles sont avec le capitalisme, un homme est obligé de choisir entre la vertu et la pauvreté d'une part, le vice et les richesses de l'autre. Lui, Dieu merci, a choisi la première possibilité et rejeté la seconde.

Cette recherche d'un bouc émissaire est l'attitude de ceux qui vivent dans un ordre social traitant chacun selon sa contribution au bien-être de ses semblables et où donc chacun est à l'origine de sa propre fortune. Dans une telle société, tout membre dont les ambitions n'ont pas été pleinement satisfaites s'indigne de la richesse de ceux qui ont mieux réussi que lui. Le faible d'esprit exprime ces sentiments par la calomnie et la diffamation. Les plus sophistiqués ne cèdent pas à la calomnie personnelle. Ils subliment leur haine en une philosophie, la philosophie de l'anti-capitalisme, afin de rendre inaudible la voix intérieure qui leur dit que leur échec est entièrement de leur faute. Leur fanatisme pour ce qui est de défendre leur critique du capitalisme est précisément dû au fait qu'ils luttent contre leur propre prise de conscience de sa fausseté.

La souffrance résultant d'une ambition frustrée est particulière aux personnes vivant dans une société d'égalité devant la loi. Elle n'est pas causée par cette égalité devant la loi, mais par le fait que, dans une telle société, l'inégalité des hommes en ce qui concerne les capacités intellectuelles, la volonté et la mise en œuvre devient visible. Le gouffre qui sépare ce qu'un homme est et accomplit de ce qu'il pense quant à ses propres capacités et accomplissements est révélé sans pitié. Les rêveries d'un monde « juste » qui les traiteraient en fonction de leur « véritable valeur » constituent le refuge de tous ceux qui sont victimes d'un manque de connaissance d'eux-mêmes.

http://herve.dequengo.free.fr/Mises/MAC/MAC_1.htm
isildur
 
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Message par luc marchauciel » 06 Mai 2009, 09:47

Je crois que la réponse à ces arguments d'ordre "psychologique", ou plutôt d'ordre philosophique/idéologique (je ne vois là dedans aucune référence à de quelconques travaux de psychologie scientifique) est tout bêtement d'ordre sociologique.
Ce texte présuppose que en système capitaliste, on "réussit" parce qu'on est travailleur, par exemple, et pas parce qu'on est bien né. Les inégalités seraient le produit d'une compétition dans laquelle tout le monde aurait les mêmes chances au départ, les plus méritants s'en sortent, et les vaincus de la compétition ne sont que des jaloux, la haine de classe n'étant que du ressentiment.
A l'extrême limite, on pourrait admettre théoriquement que ça a été le cas - mais ça n'a pas été le cas - lors de la naissance théorique (et indatable en pratique) du capitalisme : il y a eu compétition au début, tout le monde était sur le même ligne de départ, et c'est parti mon kiki....
Sauf que depuis, la tendance n'ets pas du tout au bouillonnment incessant de la compétition permanente, les uns passant devant les autres à la force du poignet :les inégalités ne font que se reproduire, pour l'essentiel. Voir à ce sujet le petit bouquin de Alain Bihr et Roland Pfefferkorn "Le système des inégalités", qui montre bien que les inéglaités ne sont pas indépendantes les unes des autres, mais qu'elles forment un système lié au mode de fonctionnement du capitalisme, qui se reproduit.
Exemple, à propos de la mobilité sociale entre groupes de catégoies scoalies (en % à partir des données de l'INSEE de 1985) :

CATEGORIE DU PERE CATEGORIE DU FILS
Catégories Catégories Catégories
Dominantes Moyennes populaires

Catégories dominantes 60,7 29,1 10,1
Catégories moyennes 19,9 47,5 32,6
Catégories populaires 9,9 33,8 56,3
Ensemble 16,8 37,5 45,7


Si seulement 10% des fils de catégories dominantes se trouvent dans les catégories populaires, et seulement 9,9% des fils de catégories populaires dans les catégroies dominantes, c'est bien que le jeu est complètement truqué.
Sauf à essentililser tout ça et revenir aux théories du XIXe selon lesquelles la place dans la société était un signe d'élection divine ou de supériorité biologique. Bref, le discours sur l'égalité des chances est un rideau du fumée, il n'explique pas pourquoi les fils de pauvres sont le plus souvent pauvres eux mêmes...
Et encore, faudrait affiner :
- la mobilité (ascendante) est encore plus faible pour les filles que les fils.
- à mon avis, la reprodcution dans la grande bourgeoisie actionnariale doit être proche de 100%, et les cas de déclassement très rares.

luc marchauciel
 
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Message par luc marchauciel » 06 Mai 2009, 10:01

Merde, la mise en page de mon tableau n'a pas passé le cap de la publication de mon post, qui a tout bouleversé, j'ai fait tout ça pour rien !
luc marchauciel
 
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Message par luc marchauciel » 07 Mai 2009, 10:39

C'est dans un livre,pas sur le Net.
Est ce techniquement possible de scanner ça (ça je sais faire) puis de coller mon doc dans mon message sur le FALO (ça je sais pas faire)? Si oui, comment je fais ?
luc marchauciel
 
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Message par shadoko » 07 Mai 2009, 12:01

Tu peux facilement attacher une image ou joindre un document à ton message. Pour cela, il faut utiliser le bouton "choisir le fichier" en bas, dans la page de réponse (pas en "réponse flash"). Si c'est une image, elle apparaîtra directement après le corps de ton message, si c'est un autre document (ex: pdf), il apparaîtra comme un lien.
shadoko
 
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Message par luc marchauciel » 08 Mai 2009, 10:45

Et voilà le tableau


Image
luc marchauciel
 
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Message par Sinoue » 08 Mai 2009, 13:51

Salut,

Cette lettre est proprement gerbante. Par rapport à cette sorte de réflexion "psycho-sociologique", ramene ton vécu. C'est clair que c'est pas le genre de type que l'on veut spécialement convaincre; mais si par exemple si tu es allé en Afrique du sud, tu peux lui expliquer qu'il y a certes quelques gens noirs qui ont réussi à trouver des postes dans les tours de Johannesburg, mais qu'il s'agit d'une infime minorité.

Personnellement je n'ai jamais eu envie "d'atteindre les places de François Pinaut ou Nicolas Sarkozy. Ouvre grand les bras devant lui en lui expliquant que la vie est bien plus immense que le fait d'acquérir une rolex ou un bel appart. Il y a plein d'ouvriers qui vivent tres heureux malgré toutes les "bravitudes" qu'ils surmontent. Parce qu'il vivent entourés des gens qu'ils aiment.

J'enchaine sur un autre argument parce qu'en faisant son raisonnement il cherche à diviser les ouvriers révolutionnaires et ceux qui "travail durement sans raler". Il t'est souvent arrivé de tomber sur des gens "de gauche", altermondialistes ou autres; qui t'expliquent qu'en occident on a des problemes de savoir vivre, qu'en Inde ils sont pauvres mais heureux... Quand tu tombes sur des gens comme ça, ça ne sert à rien d'épiloguer des heures, laisse le tomber à son tour dans le prolétariat... et puis on verra après.

Voilà, je voulais juste donner un peu plus de consistanceà ton tableau chiffré. Le meilleur contre-argument est la défense du communisme, mais là il n'en parle même pas dans cette lettre. Je ne pense pas que les gens en Guadeloupe se révoltent par frustration. J'y suis allé, et je peux vous dire que ce sont d'ordinaire des gens tres cools, qui savent profiter de la vie.

Il y aura certes toujours des leaders, des gens plus doués pour telle ou telle chose. Mais dans une société débarrassée de l'exploitation d'une classe sur l'autre, leur leadership ne se traduira pas en: supériorité, domination... L'ouvrier et le capitaliste sont certes aussi dépendants l'un de l'autre, dans notre société, MAIS ILS N'ONT PAS LES MEMES DROITS. L'un peut licencier l'autre.

Bref, tout ça pour dire que son histoire de mérite personnel, c'est bidon quoi. A+
Sinoue
 
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Message par Vérié » 11 Mai 2009, 09:03

a écrit :
Il y a plein d'ouvriers qui vivent tres heureux malgré toutes les "bravitudes" qu'ils surmontent. Parce qu'il vivent entourés des gens qu'ils aiment.

Ca, c'est une version ouvrièriste de "l'argent ne fait pas le bonheur" ou du "Savetier et du financier".

Alors, certes, il n'est pas nécessaire de posséder une Rolex, un dupleix de 400 m2 et une Rolls pour être heureux. Mais, n'oublie pas que les ouvriers vivent en moyenne au moins dix ans de moins que les cadres sups, qu'ils sont victimes de toutes sortes de maladies professionnelles, qu'une partie d'entre eux, qui effectuent les tâches les plus rudes, sont complètement usés en fin de vie, qu'ils partent beaucoup moins en vacances etc.

Enfin, la tension et la fatigue du boulot, les horaires impossibles, l'angoisse des fins de mois difficiles, les logements déplorables, sans parler des licenciements et des expulsions de logement, ça ne contribue pas à améliorer les rapports familiaux et humains.

Donc, méfions nous de ce genre de discours...
Vérié
 
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