Isaac Asimov contre Taguieff et BHL

Message par luc marchauciel » 18 Jan 2010, 23:05

Bon, je savais pas où placer ce texte que je veux parrtager, je me suis dit que ici et comme ça ce serait pas mal.
Il s'agit d'un extrait de l'autobiographie de l'écrivain de SF Isaac Asimov, à propos de son rapport à la judaité et à l'antisémitisme. C'est publié sur le blog du journaliste Alain Gresh :
En voici le début :

a écrit :
Mon père était fier de dire qu’il n’y avait jamais eu de pogrom dans sa petite ville natale, où juifs et gentils cohabitaient sans problème. En fait, lui-même avait pour ami un fils de gentils à qui il donnait un coup de main pour ses devoirs du soir. Après la Révolution [de 1917], il s’avéra que l’ami d’enfance était devenu fonctionnaire local du Parti ; à son tour, il aida mon père à réunir les papiers nécessaires pour émigrer aux Etats- Unis. Ce détail a son importance, car j’ai souvent lu sous la plume de romantiques échevelés que ma famille avait fui la Russie pour échapper aux persécutions. D’après eux, c’est tout juste si, pour quitter le pays, nous n’avions pas traversé le Dniepr en sautant de bloc de glace en bloc de glace, avec sur les talons une meute de chiens assoiffés de sang et la totalité de l’Armée rouge.

Evidemment, il n’en est rien. Nous n’avons nullement été persécutés, et c’est en toute légalité que nous sommes partis de chez nous, sans plus de tracasseries administratives qu’on ne peut en attendre de la bureaucratie en général, et de la nôtre en particulier. Tant pis si c’est une déception.

Je n’ai pas non plus d’histoires horribles à raconter sur ma vie aux Etats-Unis. Littéralement, je n’ai jamais eu à souffrir d’être juif ; je veux dire qu’on ne m’a ni frappé ni maltraité de quelque façon que ce soit. En revanche, j’ai été maintes fois provoqué, ouvertement par les jeunes butors, plus subtilement par les gens instruits. Mais j’acceptais ; pour moi, ces choses faisaient inévitablement partie d’un univers que je ne pouvais changer.

Je savais aussi que de vastes secteurs de la société américaine me resteraient fermés parce que j’étais juif, mais qu’il en allait ainsi dans toutes les sociétés chrétiennes, et cela depuis deux mille ans ; là encore, cela faisait partie des choses de la vie. Difficile à supporter en revanche fut le sentiment d’insécurité permanente, et parfois même de terreur, face à ce qui se passait dans le monde. Je veux parler ici des années 30 et de l’ascension d’Hitler, avec sa folie antisémite toujours plus féroce et toujours plus meurtrière.

Nul Juif américain ne pouvait ignorer alors que, d’abord en Allemagne, puis en Autriche, les Juifs étaient constamment humiliés, maltraités, emprisonnés, torturés et assassinés simplement parce qu’ils étaient juifs. Nous ne pouvions fermer les yeux sur le fait que des partis « naziisants » voyaient le jour dans d’autres régions d’Europe en faisant de l’antisémitisme leur maître mot. Même la France et la Grande-Bretagne furent touchées ; toutes deux virent l’émergence d’un parti de type fasciste, et toutes deux avaient déjà un lourd passé en matière d’antisémitisme.

Nous n’étions pas même en sécurité aux Etats-Unis, pays où sévissait en permanence un antisémitisme sous-jacent et qui n’était pas à l’abri d’une bouffée de violence occasionnelle chez les gangs de rue les plus frustes. Là aussi existait une certaine attirance pour le nazisme. Ne parlons pas du German-American Bund, cette antenne déclarée des nazis, mais on a pu entendre des individus comme le père Charles Coughlin, ou encore Charles Lindbergh, exprimer ouvertement des opinions antisémites. Sans parler des mouvements fascisants autochtones qui se rassemblaient autour de la bannière de l’antisémitisme.

Comment les juifs américains ont-ils pu supporter cette pression ? Comment n’ont-ils pas cédé sous son poids ? La plupart, je présume, ont simplement appliqué la stratégie du « déni », du refus de voir les choses en face. Ils se sont efforcés de ne pas y penser et ont fait de leur mieux pour continuer à vivre comme avant. Et dans une large mesure, c’est ce que j’ai fait moi aussi. On n’avait pas le choix. (Les juifs d’Allemagne se sont comportés de la même manière jusqu’à ce que l’orage éclate et qu’il soit trop tard.) En outre, j’avais trop foi en mon pays, les Etats-Unis d’Amérique, pour croire qu’il pourrait suivre un jour l’exemple allemand.

Il est un fait que les outrances d’Hitler, non seulement dans le racisme mais aussi dans le nationalisme va-t-en-guerre, ajoutées à une paranoïa galopante de plus en plus manifeste, suscitaient le dégoût et la colère chez un nombre non négligeable d’Américains. Le gouvernement des Etats-Unis avait beau se montrer globalement réservé sur le sort funeste des juifs d’Europe, les citoyens étaient de plus en plus opposés à Hitler. C’est du moins ce qu’il me semblait, et j’y trouvais quelque réconfort.

J’essayais par ailleurs de ne pas me laisser désagréablement obnubiler par le sentiment que l’antisémitisme était le problème mondial majeur. Autour de moi, beaucoup de Juifs divisaient la population de la terre en deux camps : les Juifs et les autres, point final. Nombreux étaient ceux qui ne prenaient en compte aucun autre problème que l’antisémitisme, quels que soient le lieu et l’époque.

Pour moi, il était évident que le préjugé était au contraire un phénomène universel, et que toutes les minorités, tous les groupes qui n’occupaient pas le sommet de l’échelle sociale devenaient par là même des victimes potentielles. Dans l’Europe des années 30, ce sont les Juifs qui en ont pâti de manière spectaculaire, mais aux Etats-Unis, ce n’étaient pas eux les plus mal traités. Chez nous, quiconque ne se fermait pas délibérément les yeux voyait bien que c’étaient les Afro- Américains. Pendant deux siècles, ils avaient été réduits en esclavage. Puis on avait théoriquement mis fin à cet état de fait, mais un peu partout, ils n’avaient accédé qu’au statut de quasi- esclaves : on les avait privés de leurs droits les plus fondamentaux, traités par le mépris et délibérément exclus de ce qu’il est convenu d’appeler le « rêve américain ».



Suite sur :
http://blog.mondediplo.net/2010-01-18-Isaa...l-antisemitisme


luc marchauciel
 
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Message par Jacquemart » 18 Jan 2010, 23:13

C'est un beau texte en effet. A lire et à faire lire.
En soi, ce n'est pas qu'il dise des choses si extraordinaires, mais au royaume des borgnes...
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Jacquemart
 
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Message par tridon » 19 Jan 2010, 00:02

Il faut en effet cliquer sur le lien car la suite est encore plus intéressante (la polémique avec Elie Wiesel notamment...).
tridon
 
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Message par zejarda » 19 Jan 2010, 20:29

(tridon @ mardi 19 janvier 2010 à 01:02 a écrit : Il faut en effet cliquer sur le lien car la suite est encore plus intéressante (la polémique avec Elie Wiesel notamment...).

Je lisais cela aujourd'hui, et je me disait qu'il fallait le partager. C'est très intéressant.
zejarda
 
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Message par artza » 20 Jan 2010, 09:08

Un texte bien sympathique, la vérité simple et le bon sens.

Et puis j'ai appris quelque chose.

Le roi David, celui qui dézinga le géant Goliath était le fils de Ruth. Ca je savais.

Mais je ne savais pas que Ruth n'était pas juive. Elle était moabite et par conséquent du point de vue juif orthodoxe son fils David ne pouvait être juif.

C'est pas fini Jésus descendant de David :wacko: n'est donc pas juif :w00t: .

Ouf, voilà les antisémites chrétiens et musulmans rassurés.
artza
 
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Message par Matrok » 20 Jan 2010, 19:37

Ouais, ben moi je le trouve pas terrible ce texte.

Déjà parce que prendre la Bible comme référence historique, c'est assez n'importe quoi : il y a sans doute des bases historiques aux récits bibliques, mais là il prend même les détails pour des vérités historiques.

Ensuite parce qu'il sous entend à un moment qu'en 77 il n'y avait pas d'autres exemples de juifs ayant le pouvoir et maltraitant des peuples non-juifs, alors que aujourd'hui, en Israël... ça donne envie de lui répondre : "et en 48 il ne s'est rien passé peut-être ?"

Et enfin parce que dans le fond, il fait le même raccourci dangereux que bien des antisémites, en assimilant Israël et les juifs en général. Je précise ce dernier point : plus tôt dans l'article il donne un exemple mythologique (et non historique) d'une époque où "les juifs avaient le pouvoir", assimilant dans le mythe le peuple d'Israël et les juifs, tout ça pour parler d'aujourd'hui, comme si les juifs aujourd'hui étaient le même peuple que celui décrit dans la Bible, et enfin plus tard il glisse sur "aujourd'hui en Israël", en assimilant en fait l'état d'Israël actuel à un état semi-mythologique. Dangereux et douteux...
Matrok
 
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Message par zejarda » 20 Jan 2010, 20:56

(Matrok @ mercredi 20 janvier 2010 à 20:37 a écrit :

Ensuite parce qu'il sous entend à un moment qu'en 77 il n'y avait pas d'autres exemples de juifs ayant le pouvoir et maltraitant des peuples non-juifs, alors que aujourd'hui, en Israël... ça donne envie de lui répondre : "et en 48 il ne s'est rien passé peut-être ?"

Il faut lire le texte en entier, mais il me semble qu'il parle de la palestine.
zejarda
 
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Message par Matrok » 20 Jan 2010, 22:53

Mais justement, je l'ai lu en entier. C'est de la phrase en gras que je parle (en italique, mes commentaires) :

a écrit :Je me suis publiquement exprimé là-dessus une seule fois, dans des circonstances délicates. C’était en mai 1977.

[Suit le récit de l'altercation avec Elie Wiesel, auquel il oppose un argument biblique.]

J’aurais pu aller plus loin. Faire allusion au sort réservé par les Israélites aux Cananéens au temps de David et de Salomon, par exemple. (NB : encore un argument biblique ?!) Et si j’avais pu prédire l’avenir, j’aurais évoqué ce qui se passe en Israël aujourd’hui. Les Juifs d’Amérique auraient une vision plus claire de la situation s’ils se représentaient un renversement des rôles : les Palestiniens gouvernant le pays et les Juifs les bombardant de pierres avec l’énergie du désespoir.


Voila, le texte est probablement écrit dans les années 80 ou 90 puisque Asimov est mort en 92, mais il semble dire qu'en 77, rien ne s'était encore passé entre israéliens et palestiniens...
Matrok
 
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