La concurrence scolaire n'est pas efficace

Message par luc marchauciel » 24 Août 2010, 17:39

Je ne poste qu'une partie de cet article de Médiapart, par déontologie.
Les abonnés pourront lire la fin :

a écrit :

Les élèves sont victimes de la concurrence entre établissements scolaires
Par Louise Fessard

Loin de créer une saine émulation, la mise en concurrence des établissements scolaires est préjudiciable pour tous les élèves. Voici, brossée à très gros traits, la conclusion du livre Ecole: les pièges de la concurrence, qui paraît le 9 septembre, sous la direction de la statisticienne Danièle Trancart et des sociologues Sylvain Broccolichi et Choukri Ben Ayed. C'est une vraie remise en cause de bon nombre d'idées reçues à l'heure où le président de la République, Nicolas Sarkozy, qui a engagé la suppression de la carte scolaire en 2007, ne jure que par la multiplication des évaluations, des palmarès d'établissements et du libre choix des familles.

 
On savait déjà, grâce à un rapport de la Cour des comptes, que l’assouplissement de la carte scolaire, censé profiter aux élèves les plus modestes et améliorer la mixité sociale, contribue de fait surtout à la ghettoïsation des collèges «ambition réussite» (les plus défavorisés) en les vidant de leurs meilleurs élèves.

Ecole : les pièges de la concurrence démontre que la logique de marché scolaire et de compétition, à l'œuvre dans l'école française bien avant l'arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir, pénalise aussi les élèves des classes moyennes, et, même, à degré moindre les plus favorisés. Non seulement le système scolaire français est injuste, mais il est devenu inefficace.

«Si en France, nous trouvons banale et ordinaire la dureté de la compétition scolaire dès l'entrée à l'école élémentaire (...), nous devons reconnaître sa faible efficience: depuis quelques années notre système éducatif accumule les mauvais points dans les classements internationaux», remarquent les auteurs.

L'ouvrage brosse un tableau très sombre du système scolaire français, «l’un des plus sélectifs socialement du monde développé», où le poids de l'origine sociale sur la réussite d'un élève est devenu deux fois plus fort qu'en Finlande, et de la politique d’éducation prioritaire, censée remédier à ces inégalités mais «négociée a minima partout».

Il faut entendre aussi le désarroi des familles, des élèves et des enseignants d'un collège de ZEP des Yvelines, dont les témoignages ont été recueillis sur plusieurs années, confrontés à la frontière sociale et, presque physique, qui les sépare du bon collège du village «en haut», au brouhaha permanent en cours qui empêche les plus motivés de travailler, à l'inversion des valeurs scolaires décrite par un enseignant, au turn-over des personnels qui détruit toute velléité de changement, ainsi qu'à la sourde oreille de leur hiérarchie administrative. 


Suite sur :

http://www.mediapart.fr/journal/france/240...#comment-624665

La suite de l'artcile présente la méthodologie des auteurs :
En fonction des résultats moyens selon l'origine sociale des élèves, ils ont calculé quels seraient pour des établissements leurs résultats attendus. Ils ont ensuite constaté les plus gros écarts par rapport à ces résultats attendus (dans un sens ou dans l'autre), et ont mené des enquêtes qualitatives locales pour expliquer ces écarts manifestes.
Le bilan de tout cela : selon eux, c'est la dynamique de la concurrence entre établissements qui tire (presque, sauf le haut du panier) tout le monde vers le bas. Plus on est à un endroit où s'excerce une concurrence entre établissements proches, plus on constate de dégâts sur le niveau des élèves. Pour cexu des zones en difficluté, évidemment, mais aussi pour les enfants des classes moyennes ou populaires qui ont profité de l'assouplissement de la carte scolaire pour éviter leur établissemnt de secteur, et qui sont plutôt largués dans les établissements d'élite, et en tout cas moins en réussite que leurs homologues dans des établissements ruraux moins soumis à la pression de la concurrence.
luc marchauciel
 
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Message par Zappa » 25 Août 2010, 16:06

Qu'est-ce que tu penses de la critique de Bourdieu ( et disciples ) sur l'Ecole ? J'ai pas lu le livre dont tu parles, et pour être honnête je pense pas que je le lirai ( pas parce que je pense qu'il est mauvais mais j'ai tellement de choses à lire avant...). Apparemment il explore les conséquences de la mise en compétition des établissements, qui tend non seulement à créer des inégalités entre élèves mais serait assez irrationnel qu'elle tirerait d'après les auteurs beaucoup beaucoup d'élèves vers le bas...

Ceci dit c'est une critique assez anecdotique entre guillemets par rapport à celle que fait Bourdieu : selon lui l'Ecole recouvre du voile du mérite individuel les inégalités sociales et joue un rôle de reproduction sociale.
Zappa
 
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Message par luc marchauciel » 25 Août 2010, 19:58

Je connais pas assez ce qu'écrit Bourdieu sur l'école pour avoir un avis là-dessus.
Ce qu me plaît a priori dans ce bouquin, et que je ne trouve pas anecdotique c'est :
- l'idée selon laquelle la concurrence n'est pas seulement néfaste pour les établissements-gethos "ambition-réussite" mais qu'elle tire tout le système vers le bas
- la méthode mise en oeuvre pour tomber sur cette conclusion, qui n'ets pas une critique philosophique désincarnée, mais qui est un solide travail en partie mathématique.
luc marchauciel
 
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Message par Sterd » 25 Août 2010, 22:19

(Zappa @ mercredi 25 août 2010 à 17:06 a écrit : Ceci dit c'est une critique assez anecdotique entre guillemets par rapport à celle que fait Bourdieu : selon lui l'Ecole recouvre du voile du mérite individuel les inégalités sociales et joue un rôle de reproduction sociale.

Je ne connais rien a ce que Bourdieu disait de l'école, mais si ça se résume en "l'Ecole recouvre du voile du mérite individuel les inégalités sociales et joue un rôle de reproduction sociale", c'est très (très) banal
Sterd
 
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Message par Zappa » 25 Août 2010, 22:37

Les étudiants en sociologie sont formés aux méthodes d'enquêtes, aux stats, aux sondages. Ca fait partie intégrante de la discipline et dans tout ce que j'ai lu qui venait de professeurs en socio ou chercheurs sociologues CNRS il y avait cette démarche. Démarche qui ne régle pas tout parce que les chiffres ne dispensent pas d'interprétations différentes, mais c'est sûr que ça apporte beaucoup et que c'est nécessaire aux recherches qui assument un caractère scientifique.

Je sais pas si tu as des idées précises derrière la tête quand tu parles de philosophie désincarnée mais en tout cas les Foucaults, Deleuze et consorts, même si tout n'est pas à jeter au feu, ils se réclament effectivement de la philosophie et je crois pas qu'ils aient prétendu à être des sociologues.

Si il est clairement démontré que la concurrence tire tout le monde vers le bas, c'est vrai que c'est intéressant pour montrer que le système est irrationnel.

EDIT : Par rapport à ce que disait Sterd, je crie pas non plus au génie avec Bourdieu notamment parce qu'il se borne à constater un certain nombre de phénomènes sur son époque, par exemple sur l'Ecole, sans dresser grandes perspectives. Je crois que ses " mérites " :17: ont été de mener des études poussés sur ces questions de reproduction sociale et à partir d'une époque, début des années 60, où le système scolaire prétendait s'être démocratisé ( et effectivement le temps de scolarisation des enfants de prolos a augmenté, le nombre de jeunes allant au lycée ou en université s'est multiplié en l'espace de 20, 30 ans ) et de démonter ces mécanismes de sélection sociale devenus internes à l'institution, en opposition à une époque où il n'était guère utile de faire de l'orientation, de la sélection, de dresser des profils d'élèves puisque de toute manière le gros des troupes allait arrêter l'école à 12 ans révolus pour aller bosser aux champs ou à l'usine. La sélection sociale se faisait de manière plus ouverte dans le temps et l'Ecole a pris un caractère de légitimation des inégalités sociales qu'elle avait pas forcément avant.
Dans ces mécanismes de sélection sociale, il a pointé du doigt non seulement les inégalités matérielles entre élèves mais aussi " culturels " : comment l'Ecole valorise certaines compétences ou aptitudes qu'on retrouve plus volontiers dans les milieux favorisés ( savoir faire de belles phrases, être à l'aise à l'oral, pas avoir de problèmes de discipline...).
Après probablement qu'avant lui y avait eu des choses très intéressantes sur ces questions et que, comme souvent, il a peut-être été celui qui a le mieux synthétisé, qui a le mieux développé les idées, ou tout simplement il a été au bon endroit au bon moment.

De Bourdieu j'ai lu " Les Héritiers " et " La Reproduction " et récemment y a un bouquin de Duru-Bellat nommé " Le mérite contre la justice " qui est très bien et actualise certains points de la critique de Bourdieu.

Zappa
 
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Message par luc marchauciel » 25 Août 2010, 23:05

L'idée que l'école joue un rôle de reproduction sociale (d'ailleurs, je préfère : "reproduit les inégalités sociales", ça sonne moins "plan machiavélique") est certes banale, Sterd, mais ce qui l'est moins, c'est de le démontrer pour chaque époque, de décortiquer, au delà des slogans un peu creux, comment cela se passe précisément. Et il me semble que Bourdieu et son école ont produit des trucs importants sur ce sujet (et d'autres).
C'est là que la question de la méthodologie est importante. Et oui, Zappa, je devais avoir plus ou moins consciemment en tête les noms que tu cites (ou d'autres) comme exemples de discours philosophiques largement désincarnées qui à mon avis n'apportent pas grand chose. Mais je connais pas bien du tout ces philosophes, alors j'en dis pas plus.
Là, ce n'est pas seulement le fait qu'ils donnent des chiffres qui fait "scientifique" : c'ets la manière dont ils fabriquent leurs données, en articulant le quantitatif et le qualitatif. C'est leur démarche générale pour se poser des questions et se donner les moyens d'y répondre, c'est leur manière de mener l'enquête (telle qu'elle est présentée dans l'artcile de Médipart, j'ai pas lu le livre). C'est pas seulement qu'il y a des statisitiques, c'est qu'elles ont l'air d'être très bien construites et mises en perspective.
Et tant mieux si cela va au final dans le sens de nos convictions politiques. D'ailleurs, en cas contraire, nous n'aurions plus qu'à changer nos convictions sur ce point. Mais je crois que c'est pas demain la veille qu'une sociologue nous produira un travail aussi rigoureux pour nous prouver que la concurrence entre établissements tire tout le monde vers le haut et que tout le monde en profite...
Là, pour le coup, il me semble que ce sont nos adversaires qui fonctionnent à grand coup de slogans désincarnés et de pseudo-évidences, et qu'ils n'ont en fait pas beaucoup de billes dans les sciences sociales pour étayer leurs thèses.
luc marchauciel
 
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Message par Latina » 26 Août 2010, 01:19

Salut,
je ne suis pas abonnée à Mediapart et je n'ai pas lu le livre. Du coup, je suis bien d'accord avec le fait que la concurrence tire les lycées ghettos vers le bas, mais j'aimerais comprendre par quel mécanisme elle tire l'ensemble du système vers le bas. (je trouve l'explication de luc un peu contradictoire dans le 1er post, pourrais-tu développer ? c'est pas de la concurrence entre élèves au sein d'une classe, mais de la concurrence entre établissements que l'on parle, non ?)
Latina
 
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Message par luc marchauciel » 27 Août 2010, 10:43

Bonjour Latina

En réponse, je te poste rapidement un autre extrait du papier de Médiapart, qui je crois répond à ta question :

a écrit :
Deuxième surprise : là où les établissements sont les plus hiérarchisés, tous les groupes sociaux ont des résultats plus bas, même si les plus pénalisés restent les enfants des classes défavorisées. La faute, selon les auteurs, à une compétition scolaire, entre et à l'intérieur même des établissements, qui pertube les conditions d'apprentissage. Ils avancent trois explications, nourries par des enquêtes qualitatives dans cinq départements (Yvelines, Seine-Saint-Denis, Loire-Atlantique, Hérault et Loire) et leur expérience du terrain:

Le cercle vicieux dans lequel s'enfoncent les collèges-ghettos. Stigmatisés et fuis par les meilleurs élèves et les enseignants expérimentés, ces collèges concentrent les élèves les plus démunis et souvent en grande difficulté scolaire.

La déstabilisation des élèves aux parents professions intermédiaires et employés. Initialement parmi les meilleurs dans leur école et collège de secteur, les enfants de classe moyenne chutent souvent lors de leur passage dans un établissement plus sélectif choisi par des parents soucieux de leur réussite. En cause, la fatigue et perte de temps liées à l'éloignement du nouvel établissement, le sentiment de déclassement scolaire ainsi que la démotivation face à l'élévation brutale des exigences scolaires.

  La logique de compétition scolaire qui pousse les établissements très sélectifs à privilégier leurs meilleurs élèves pour se maintenir dans la hiérarchie des établissements, mettant ainsi en échec des élèves jusqu'ici en réussite.
luc marchauciel
 
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Message par clavez » 28 Août 2010, 10:06

Chercher l'écart entre les résultats effectifs et les résultats prévisionnels me pose quelques questions, même si le résultat de l'étude donne un résultat qui me plait bien.
En effet si le modèle prévisionnel ne donne pas les résultats effectif c'est peut ête qu'il est mauvais.

Certain ont essayé de calculer le nombre de victimes du communisme en prenant la population russe de 1913, en la multipliant par le taux de croissance habituel de la population et en comparant ce résultat avec la population soviétique de 1930..... On connait le résultat.

clavez
 
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