(Crockette @ jeudi 31 mars 2011 à 09:02 a écrit :la science sans conscience (c'est ce qui se passe avec la science qui se retrouve ds le système capitaliste...) n'est qu'une ruine de la civilisation...
Comme je considère que c'est un lieu commun réactionnaire, je pense que ça vaut le coup d'ouvrir un fil là dessus, vu qu'il revient régulièrement dans pas mal de discussions et dans la propagande écolo - cf. la photo ci-dessous, que j'ai prise sur le campus de Lyon 1 après le passage de militants anti-nanotechnologies. J'avais déjà relevé ce poncif dans un autre fil, il y a près d'un an. Je vais donc pour l'essentiel répéter ce que j'avais écrit à ce moment là, et aller un peu plus loin...
À l'origine de ce lieu commun, il y a une phrase de Rabelais dans "Gargantua". Cette phrase, c'est : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme". Chez Rabelais, cela fait partie d'une réflexion sur l'éducation. "Science", à l'époque de Rabelais, signifie "savoir", d'une façon générale : toutes sortes de savoir, ce qu'on appellerait aujourd'hui la "culture". Et "conscience" se rapporte à la morale individuelle. Quant à la deuxième partie de la phrase, d'ailleurs presque toujours passée sous silence ou transformée (comme chez Crockette), la "ruine de l'âme" dont il est question a évidemment un sens chrétien. En gros cette citation dans son contexte veut dire qu'une éducation basée uniquement sur le transfert d'un savoir et qui n'inclue pas la transmission de valeurs morales construirait des individus mauvais, sans aucune chance de salut. On pourrait reformuler cette phrase comme ça : "pousser les enfants à se cultiver en négligeant de leur enseigner la morale chrétienne les conduira tout droit en enfer". Ce n'est pas l'image qu'on a de Rabelais, mais c'est pourtant ça le sens de cette phrase. Cette idée n'a pas que du mauvais, elle est à la base de l'éducation depuis la Renaissance. Mais l'enfer n'existe pas, pas plus que l'âme. Il est évident que tout le monde de cette époque, Rabelais compris, était pétri de morale chrétienne. Dans la Bible, Adam et Ève ont été chassés du jardin d'Eden et doivent subir les souffrances de la Terre pour racheter leur péché originel, qui était d'avoir goûté aux fruits de l'arbre de la Connaissance. Comme quoi un lieu commun peut en cacher un autre.
Aujourd'hui, lorsqu'on parle de "science sans conscience", on sort cette phrase de son contexte pour lui donner sens encore différent, et pour le coup extrêmement réactionnaire. Car le mot de "science" a changé de sens : il signifie maintenant un certain type de savoir, le savoir scientifique, c'est à dire celui issu de la méthode scientifique, qui consiste (pour aller vite) à refuser la croyance et à confronter les théories à l'expérience. Et par "science", on entend aussi les techniques qui necessitent un savoir scientifique.
Utiliser un bout de phrase comme "science sans conscience", qui frappe parce qu'on a tous entendu un jour la phrase de Rabelais (c'est un des musts de l'Education Nationale), qu'on ait pris ou non la peine de réfléchir à son sens, c'est évidemment très pratique pour ceux qui pensent que de toutes façon les scientifiques sont des inconscients. C'est ça qu'on appelle un procédé démagogique : couper court à toute logique, et s'en remettre à la sagesse populaire.
En passant, Crockette, tu as écrit : "c'est ce qui se passe avec la science qui se retrouve ds le système capitaliste". Sans blague ? Mais la science au sens moderne, elle n'a pu se développer que dans le système capitaliste ! La science du Moyen-Âge, c'était répéter ce que disait Aristote et s'acharner à prouver que c'était bien en accord avec les Saintes Ecritures. Que ce soit la Bible ou le Coran d'ailleurs ! Toutes les avancées se sont faites pour des raisons techniques, et c'est l'émergence du capitalisme qui en a bénéficié. La bourgeoisie a adopté la pensée scientifique parce que c'était un formidable outil qui lui a permis de se développer.
Alors tu écris ensuite que cette science (sans conscience) "n'est qu'une ruine de la civilisation"... Comme quoi, on cesse de croire en Dieu, en l'âme, en tout ça, on se dit matérialiste, mais dans le fond les vieux poncifs religieux, on les retrouve sous une autre forme. Science sans conscience, c'est la ruine de quelque chose, non, pas l'âme, mais... la civilisation ?! Mais c'est des bêtises ! la civilisation que tu connais, elle est pétrie de culture scientifique !