Procès, violences policières

Procès, violences policières

Message par Patrocle » 23 Fév 2018, 10:02

Un procès en forme de vœu pieux: préserver la police des violences policières
23 février 2018 Par Antoine Perraud

À chacun son angle de vue ou d’attaque, au second jour du procès en correctionnelle des quatre policiers du XIIe arrondissement de la capitale, accusés de violences aggravées par une action collective de dix-huit jeunes gens – trois plaintes sur quarante-quatre ont été retenues, faute de preuves irréfutables.

De 13 h 30 à minuit, jeudi 22 février, la Xe Chambre du tribunal de grande instance de Paris a débattu de ce que devrait être ou ne pas être l’autorité policière, à partir de faits, voire de forfaits, commis par des membres du GSQ (groupe de soutien de quartier) d’une zone dite difficile, entre la gare de Lyon et la place de la Nation (le secteur Reuilly-Montgallet-Rozenhoff).

Un garçon mineur au moment des faits, Yacine, a expliqué avoir été victime de deux contrôles d’identité ayant mal tourné : frappé d’un coup de tête dans un véhicule de police et violemment giflé au sein du commissariat en juillet 2014, puis à nouveau contusionné en janvier 2015, en bas de son immeuble. Une jeune fille de 14 ans en mai 2015, Julie, raconte pour sa part avoir été traitée de « sale pute » par un policier alors qu’elle s’interposait suite à l’arrestation arbitraire de Ryan – avec lequel elle était « en relation amoureuse ». Le policier, après l’avoir injuriée, l’avait brutalisée avec une matraque, tandis qu’un autre lui projetait sur le visage le contenu d’une bombe lacrymogène.

La présidente du tribunal, Caroline Viguier, qui a de bout en bout mené les choses avec une rare justesse de ton et d’approche, s’interroge à haute voix sur l’absence de « turnover » au sein de ce GSQ. Les fonctionnaires qui le composaient – ils se faisaient appeler « les Tigres » en référence à l’écusson agrémentant leur uniforme – étaient depuis des années aux prises avec les mêmes « moineaux », comme ils nommaient ces groupes d’adolescents prompts à déguerpir. À force de jouer au chat et à la souris, chacun avait fini par se regarder en chiens de faïence. Tous les inconvénients de la proximité sans le moindre avantage, du fait de tant de haines recuites au cours des ans…

Les quatre policiers, qui semblent saisis d’une amnésie collective, ne voient rien à redire, s’en tenant à une position commune qu’ils répètent à la barre, après visiblement moult séances de répétition sous la houlette de leur conseil. Rien ne fut jamais à signaler. Tout s’est toujours passé dans les règles de l’art pour « évincer les perturbateurs indésirables ». Aucune faute à se reprocher. « Je ne vois pas comment », « c’est impossible », « ça ne s’est pas du tout passé comme ça », sont leur leitmotiv.

Aux accusations documentées par des certificats médicaux, des témoignages accablants, des investigations de la police des polices (l’IGPN), la bande des quatre tente d’opposer le calme des vieilles troupes. Les tabassages auxquels ils sont accusés de s’être livrés deviennent des gestes techniques : « Faire blocage » (à propos de Julie envoyée valdinguer avant matraquage puis épisode gazeur), « obliger à se décaler » (au sujet de Yacine victime d’une clef de bras et ensuite roué de coups).

Ce culot d’acier dans le déni peut-il tromper son monde ? Une avocate des parties civiles, Anaïs Mehiri, a la riche idée de présenter aux fonctionnaires accusés de violence la photographie de Julie après qu’elle eut été aspergée de lacrymogène. Le visage est ravagé, les yeux bouffis. Le lendemain, un médecin constaterait une hémorragie conjonctivale. Mais les policiers n’y voient que du feu : « Y’a rien, pas de larmes, elle ferme les yeux, c’est tout. »

À l’instar de ces chefs de famille battant leurs enfants comme plâtre sans vergogne puisqu’ils ont des droits patriarcaux sur eux, ces policiers paraissent incapables de se remettre en question. Au lieu de montrer leur force pour ne pas avoir à s’en servir, ils en abusaient. Ils étaient pris dans une rivalité mimétique, ils se mettaient au même niveau que cette jeunesse, certes aussi pénible qu’exaspérante aux yeux de paisibles riverains du quartier, mais traitée en dépit d'un sens des proportions nécessaire à l’équilibre démocratique.

Ces policiers faisaient preuve, de surcroît, d’une propension itérative à effacer les traces : aucune mention de Julie dans la main courante du jour de ses malheurs. Niée, disparue de la circulation ! Et après les coups reçus par Yacine au pied de son immeuble, la main courante affirme « pas de blessé », en une forme de démenti préventif comme seule peut en rêver la cause freudienne.

La présidente fait entrer la mère de Yacine, figure archétypale prête à tout pour défendre « ma chair » en cas d’injustice : « Mais s’il fait une bêtise, il assume, c’est normal. » Son fils l’avait appelée au secours, du trottoir, en janvier 2015, après avoir été frappé. Elle avait déboulé du huitième étage, persuadé que son rejeton avait été victime d’une bagarre entre adolescents. Quand Yacine désigne les policiers comme auteurs des coups, elle leur réclame leur matricule. Les pandores se moquent et la raillent méchamment parce qu’elle prononce « immatricule ». Ils l’invitent à venir constater le numéro sur leur uniforme, mais le recouvre de la main quand elle s’approche. Ils la font tourner en bourrique.

Elle a six enfants, lutte contre un cancer. Elle est prête à remuer ciel et terre pour porter plainte, mais Yacine refuse : « Ce n’est pas toi qui vas ensuite prendre les coups en représailles au commissariat », fait-il valoir. « Chaque coup que tu reçois m’atteint à l’intérieur », l’assure-t-elle. Mais rien n’y fait. Aucune plainte ne sera déposée. Ce qui fait dire à la défense des féroces gardiens de la paix que rien ne s’est passé puisque rien n’a été signalé : sans fumée, il n’y a pas de feu…

Aucun fait, aucun argument ne semble pourvoir faire déciller les quatre policiers, chaperonnés par leur conseil, soutenus par leurs collègues présents dans la salle d’audience pour cimenter la cause commune corporatiste. Revenir en arrière serait se couper des siens. Avouer serait trahir. Alors ils se posent en victimes. Toutes ces années de service public, à 2 600 € net par mois à tout casser, pour être ainsi cloués au pilori, « c’est dégueulasse ». Honneur de la police. Leur avocat, Jérôme Andrei, en une plaidoirie aussi complotiste que paranoïaque, pourfend les associations, Mediapart et tutti quanti : « C’est une instrumentalisation au service d’un buzz médiatique. On a fait de ce tribunal une vitrine politique et j’en suis écœuré, révolté. Nous ne sommes pas là pour militer ni pour faire de la morale, mais pour dire le droit. Dans une enceinte judiciaire, tout ce qui n’est pas prouvé n’existe pas. »

L’effet est désastreux, qui confirme la logique d’impunité dans laquelle s’enferme et s’enferre une phalange incapable de comprendre ce qui lui est reproché. Il y a là une logique de commando, qui s’est forgé des catégories légales et mentales au nom de ses pouvoirs régaliens. En se cramponnant à une fiction intenable de fonctionnaires exemplaires ayant leur conscience pour eux, en refusant d’admettre les abus, les dérapages, les engrenages, Jérôme Andrei ne sauve pas la police, il l’enfonce. Le mensonge ne protège pas mais lézarde.

Et Me Andrei donne rétrospectivement raison à son confrère Michel Tubiana qui, au nom de la Ligue des droits de l’homme, l’avait auparavant comparé, dans ce qui avait pu sur le moment ressembler à un procès d’intention, aux négationnistes soulevant les moindres détails pour masquer l’essentiel – en une critique pointilliste échappant à toute intelligence de la réalité. Fustigeant d’abord et avant tout des « choix politiques visant à résoudre les problèmes en accroissant les pouvoirs de contrôle avec tous les excès que cela implique », Me Tubiana avait adjuré le tribunal d’entrer en voie de condamnation « pour dire que la police nous appartient à tous et n’est pas la seule affaire de certains ».

L’avocat de la Ligue des droits de l’homme avait également fait référence à la vidéo de contrôles policiers mise en ligne par Mediapart : « On y voit de l’illégalité de A à Z. » Une telle remarque a fortement déplu au parquet. La procureure se justifia longuement, prise entre deux feux.

D’un côté en effet, les parties civiles, par la voix de Slim Ben Achour, enfoncent le clou : « Les contrôles, palpations, fouilles, violences, entendent humilier, asservir, déshumaniser, dans un cadre d’opacité, des gamins français avant tout perçus comme arabes ou noirs. Et c’est l’impensé du dossier. Des enfants sont fragilisés dans leur identité nationale – pour leur faire comprendre que leur appartenance à cette communauté n’est pas immuable, qu’ils ne sont pas tout à fait français. Mais on s’attaque aussi à leur identité sociale : elle est entre les mains de policiers qui peuvent la défaire. On sape également l’identité, voire l’intégrité sexuelle, d’adolescents en construction avec une banalité traumatisante. Le tout dans le mépris des règles, de la procédure, du droit et de l’État de droit, en dévoyant le dispositif des contrôles d’identité prévu par l’article 78-2 et 78-3 du code de procédure pénale. »

Mais de l’autre côté, au nom de la défense des quatre fonctionnaires incriminés, Jérôme Andrei attaque violemment : « Le parquet n’a pas eu le courage de classer sans suite. Pas le courage de signifier à l’Inspection générale de la police nationale qu’elle avait travaillé pour rien puisque le dossier est vide. Le parquet n’a, de plus, pas eu le courage de résister à sa hiérarchie puisque le procureur de Paris avait donné des consignes sur ce dossier. »

On a beau savoir que la justice est affaire de compromis, le savant mi-chèvre mi-choux lié à ce dossier ne cesse d’étonner. L’IGPN – la police des polices et non un organisme indépendant comme le voudrait l’exigence démocratique – est un édredon, qui a laissé filtrer trois cas à juger sur quarante-quatre accusations d’actes de violence. Le parquet, pour sa part, s’avère amortisseur. La procureure réclame en effet la relaxe pour le policier accusé d’avoir « gazé » Julie avec sa bombe lacrymogène, dans la mesure où la plaignante vient de laisser échapper, lors de l’audience, qu’un autre membre des « Tigres » aurait pu être l’auteur d’un tel acte : « On ne condamne pas sur un doute. » Aucun doute en revanche concernant « la violence gratuite commise sur des êtres sans défense » par les trois autres policiers. Le parquet réclame cinq mois de prison avec sursis plus une mise à pied de trois mois pour l’un, cinq mois avec sursis pour l’autre et trois mois avec sursis pour « le manque de sang-froid » du troisième.

La République française est-elle à un tournant ? Va-t-elle réaliser ce qu’induit le langage de ces quatre lampistes ivres de leur petit pouvoir octroyé en haut lieu : l’« éviction » de la voie publique, sans rapport avec une infraction, d’individus désignés comme des « indésirables » ? Cette dernière notion, selon Me Ben Achour, recoupe « les femmes insoumises au XIXe siècle, les juifs dans les années 1920-1930, puis les Français d’Algérie et aujourd’hui nos gamins des quartiers difficiles et des cités. Les quatre prévenus réactivent, j’espère inconsciemment, des catégories qui n’ont pas lieu d’être et qui renvoient aux épisodes les plus douloureux de notre histoire ».

Jugement mis en délibéré au 4 avril à 9 heures…

https://www.mediapart.fr/journal/france ... policieres
Patrocle
 
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Re: Procès, violences policières

Message par Plestin » 23 Fév 2018, 20:35

Ben voyons, du sursis ! "Pas bien, hein, les gars, ce que vous avez fait, vous ne recommencerez plus, hein, promis ?"
Plestin
 
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