Le dirigeant trotskiste Peter Taafe est mort !

Le dirigeant trotskiste Peter Taafe est mort !

Message par Gayraud de Mazars » 29 Avr 2025, 14:24

Salut camarades,

Peter Taaffe, était un théoricien trotskiste international et combattant pour le socialisme, il est mort le 23 avril 2025, selon l'avis de décès du Secrétariat international du CIO/CWI (Comité pour une Internationale Ouvrière), des suites d'une longue maladie. Pour le CIO sa disparition porte un coup dur au mouvement ouvrier et au trotskisme international.

Depuis son engagement dans le mouvement révolutionnaire en 1960, Peter Taafe a apporté une contribution indispensable, tant théorique que pratique, au dur labeur nécessaire à la construction d'un parti et d'une internationale révolutionnaires. Peter a été avec Ted Grant et Alan Woods de la grande aventure du groupe Militant en Angleterre avant la scission des années 90'. Il était devenu ensuite un membre éminent du Secrétariat international du CIO, secrétaire politique du Parti socialiste d'Angleterre et du Pays de Galles, et pendant de nombreuses années son secrétaire général.

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Peter Taafe du CIO
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"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
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Re: Le dirigeant trotskiste Peter Taafe est mort !

Message par Gayraud de Mazars » 29 Avr 2025, 16:58

Salut camarades,

En lien, l'article publié par la Gauche Révolutionnaire section française du CIO, suite au décès de Peter Taafe...

https://www.gaucherevolutionnaire.fr/pe ... ocialisme/

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Re: Le dirigeant trotskiste Peter Taafe est mort !

Message par Gayraud de Mazars » 30 Mai 2025, 12:44

Salut camarades,

Sur Peter Taaffe mais aussi du comrade Ted Grant sur le groupe "Militant Tendancy", ce long article une histoire du trotskysme britannique...

Discussion, Histoire, Internationale, Mouvement ouvrier
Sur les origines de Militant et du Socialist Party. Par Sean Matgamna.
Vendredi 30 Mai 2025
article publié sur le site d'Aplutsoc

https://aplutsoc.org/2025/05/30/sur-les ... -matgamna/

ted-grant-hyde-park-speaker.jpg
Ted Grant
ted-grant-hyde-park-speaker.jpg (63.91 Kio) Consulté 1682 fois


A l’occasion de la disparition en avril dernier de Peter Taaffe, figure historique centrale du Militant puis du SP (CWI), Sean Matgamna revient sur la trajectoire de ce courant et d’un de ses dirigeants centraux. Nous soulèverons par la suite dans un autre article un certain nombre de questions au regard des critiques développées par Matgamna vis-à-vis de Ted Grant et son courant.

Les parties entre crochets […] sont des ajouts de notre fait pour aider à la compréhension des lecteurs non avertis des particularités de cette tranche de l’histoire du mouvement révolutionnaire.

J’ai assez bien connu Peter Taaffe [né le 7 avril 1942], décédé le 23 avril 2025, à une époque où il était à Liverpool et pendant sa première année et demie à Londres en tant que secrétaire national de la Revolutionary Socialist League, plus connue sous le nom de Militant Tendency, qui était alors la section en Grande-Bretagne de la Quatrième Internationale (« Mandeliste ») (« United Secretariat / Secrétariat Unifié ») [ jusqu’à son expulsion au congrès mondial de 1965].

J’ai été un membre pas tout à fait convaincu de la RSL pendant environ 18 mois, jusqu’en octobre 1966, lorsque j’ai dit au Comité national élargi (ENC) de la RSL que Rachel Lever, Phil Semp et moi partions, et Rachel et moi avons alors quitté la réunion.

Le Comité national élargi était en réalité un regroupement national de la RSL. Toutes les réunions du Comité national étaient des CN élargis ; le CN n’était donc qu’une sorte de franchise différentielle en cas de vote. La RSL était dirigée par un petit organe de cinq personnes, appelé le Secrétariat.

Peter Taaffe est devenu secrétaire de la RSL début 1965. Il avait environ un an de moins que moi, il devait donc avoir 22 ans à l’époque [L’auteur de ces lignes est né en 1941]. Pendant une trentaine d’années, il a été au cœur du Militant, avec, ou plutôt sous la direction de Ted Grant ; puis, pendant trente années supplémentaires, son propre oracle, sans Ted Grant, au cœur du Socialist Party.

Peter signifie « roc », comme le savent tous les catholiques et ex-catholiques, et Taaffe était le pilier organisationnel du Militant. Son nom de parti préféré était Tom Peters.

Avant lui, le groupe avait eu comme secrétaire Jimmy Deane, électricien et père de plusieurs familles. Deane consacrait son temps libre à la RSL, mais il en avait peu. L’histoire du groupe dans les années 1950 et après fut celle de Grant. C’est Grant qui prit la parole au nom du Militant lors du congrès du Parti travailliste de 1983, alors qu’ils étaient sur le point d’être exclus du Parti.

Grant avait été le « théoricien » de la WIL [Workers International League, non reconnue au congrès de fondation de la QI en 1938] et du RCP [Revolutionary Communist Party, section britannique de la QI, né en 1944 de la fusion des diverses fractions sous la houlette de la WIL qui, seule face à ces rivales, avait subi avec succès le test de la guerre], les groupes trotskistes britanniques de la fin des années 1930 et des années 1940. Avec le principal organisateur du WIL-RCP, Jock Haston, et d’autres, après 1945, il s’était farouchement opposé à un tournant vers le Parti travailliste, qui avait formé un gouvernement majoritaire cette année-là.

Un groupe autour de Gerry Healy se sépara du RCP en 1947 et rejoignit le Parti travailliste. Il existait alors deux groupes reconnus par la Quatrième Internationale en Grande-Bretagne : James P. Cannon, aux États-Unis, et Michel Pablo, [secrétaire] de la Quatrième Internationale, soutenaient Healy.

En 1949, Haston et Millie Lee souhaitaient quitter le parti et rejoindre le Parti travailliste, se tournant vers le réformisme. Grant annonça que, bien que toujours opposé à toute activité au sein du Parti travailliste, il la recommandait désormais comme une concession à Haston. Grant perdit toute crédibilité, et Haston démissionna malgré tout.

Les groupes se réunirent en 1949-1950 sous la direction de Gerry Healy. Healy expulsa ses opposants politiques de tous bords. Lors d’une conférence, il fit preuve d’une nouvelle brutalité en criant à Grant : « Retourne à ton fumier, Grant ! » Bill Hunter, que les récents membres du RCP considéraient comme leur homme d’organisation et successeur de Haston, changea de camp et se rallia à Healy.

Lors du Troisième Congrès de la Quatrième Internationale en 1951, Congrès de refondation de la QI, Ernest Mandel proposa l’expulsion de Grant, et celui-ci le fut. Après cela, Grant se retrouva désemparé, ayant perdu Jock Haston, l’« organisateur ». Grant publia un tout petit magazine, The International Socialist , et fit partie du groupe Socialist Current.

Les Healyistes, le plus grand groupe trotskiste [en GB], faisaient partie du « Comité international de la Quatrième Internationale » de James P. Cannon, formé après une scission avec Mandel et Pablo en 1953. Le groupe pro-Pablo en Grande-Bretagne devint membre du Parti communiste. Ils jouissaient d’une grande visibilité au sein du Parti travailliste de St Pancras jusqu’à leur exclusion en 1958 et leur adhésion ouverte au PC.

Les Healyistes racontaient une histoire malicieuse : pendant la crise du stalinisme de 1956-1957 [sous le double effet de la Révolution hongroise et du rapport Khrouchtchev] , Michel Pablo passa une annonce dans l’hebdomadaire travailliste de gauche Tribune, invitant ceux qui souhaitaient former une section de sa « Quatrième Internationale » à y répondre. L’annonce fut publiée, et Grant prit la tête de la section britannique de la Quatrième Internationale (Secrétariat international), la Ligue socialiste révolutionnaire (RSL). Grant dut se séparer de certains membres de Socialist Current, comme Sam Levy, pour rejoindre la QI de Pablo. Socialist Current continua de paraître pendant des décennies.

Pablo publiait une revue de la Quatrième Internationale en anglais, pour laquelle Pierre Frank rédigeait une série d’articles sur l’histoire du trotskisme britannique. Il en était arrivé au « RCP et à sa direction empirique » lors du rapprochement entre Grant et Pablo ; et là s’arrêtait, selon Frank, l’histoire du trotskysme britannique.

La RSL semblait avoir beaucoup d’atouts, avec environ 70 membres présents à sa conférence fondatrice. Avec l’aide de la QI de Pablo, Grant publia un magazine bimestriel, Workers’ International Review , et un journal bimensuel, Socialist Fight. Le groupe comptait deux membres permanents, Grant et John Fairfield.

Mais ce sont les Healyistes qui ont recruté et grandi. La RSL s’est disloquée. Des divergences sur les « perspectives économiques » sont apparues. Grant s’est retrouvé dans la même situation que dans le RCP.

Tout comme Cannon avait la minorité Healy pour fidèle, Pablo et son Internationale utilisaient les « loyalistes » comme fraction. La figure équivalente au rôle de Healy au sein de la RSL s’appelait Pat Jordan. Sa fraction « loyaliste de la QI » s’est scindée en 1959, je crois, et la RSL a décliné. John Fairfield, l’autre membre permanent avec Grant, a rejoint le groupe Jordan. Il est devenu posadiste pendant un temps, partisan de la Troisième Guerre mondiale parce qu’elle favoriserait le « communisme ». Puis Fairfield a viré à droite. Il est finalement devenu fasciste.

Socialist Fight est devenu un mensuel dupliqué. Le premier numéro de SF que j’ai vu, début 1960, titrait en première page « Le socialisme, seule voie », ou quelque chose d’intemporel du même genre.

Ted Grant avait besoin d’un organisateur. Il en avait toujours eu besoin. C’est là qu’intervint Peter Taaffe. En tant que secrétaire de la RSL, Taaffe sillonnait le pays avec Grant et présidait ses réunions. C’était une façon de se faire connaître, du moins c’est ce qu’on m’a laissé entendre.

James P. Cannon aurait déclaré, du vivant de Trotsky, que Trotsky était son cerveau. Taaffe aurait pu dire la même chose de Grant.

Je me souviens du moment où, le premier jour, un samedi, d’une compétition de deux jours de la RSL réunie en Comité National élargi en 1966, j’ai décidé de quitter la RSL. C’est un discours de Peter Taaffe qui m’a décidé. Rachel Lever et moi avions rédigé un document essentiel, à la suggestion de Grant et Taaffe. Il existait physiquement sur des stencils, mais les dirigeants bloquaient sa diffusion. Après avoir essayé diverses tactiques, ils ont opté pour la formule suivante : le diffuser uniquement au CN.

Chicanerie

Raisonnable ? Mais le CN ne s’est jamais réuni, sauf en CN élargi, en assemblée. Il s’agissait en fait d’une proposition visant à discuter du document lors d’une future assemblée, mais de ne laisser qu’une petite partie de la réunion le lire avant la discussion. Il s’agissait d’une manœuvre bureaucratique désespérée de la part de personnes qui me semblaient habituellement très incompétentes.

J’ai décidé de partir lorsque Taaffe a prononcé un discours justifiant leur proposition en se référant à la pratique du Parti travailliste. « C’était parfaitement démocratique », a-t-il déclaré. « C’est ainsi que le Parti travailliste procédait. » L’ensemble des membres l’ont accepté. J’aspirais à quelque chose de plus élevé que le Parti travailliste et j’ai décidé que je n’étais pas dans la bonne organisation.

Mais la RSL allait connaître des succès inattendus. Les partisans de Healy, la SLL, étaient de loin le groupe le plus important de l’aile jeune alors dynamique du Parti travailliste, les Jeunes Socialistes (plus tard rebaptisés Jeunes Socialistes du Parti Travailliste, LPYS). L’hebdomadaire de la SLL, The Newsletter , fut interdit [au sein du Labour] début 1959, date à laquelle la SLL fut déclarée et immédiatement interdite (le groupe n’avait auparavant pas de nom officiel). Leur mensuel jeune, Keep Left, fut interdit, je crois, en juillet 1962.

La SLL décida de quitter le Parti travailliste, dans lequel elle était plongée depuis 1947, à la veille d’un nouveau gouvernement travailliste. (Le Parti travailliste prend le pouvoir en octobre 1964).

La SLL a elle-même provoqué ses expulsions locales. Les anciens membres de la SLL du Parti travailliste (je pense à Ted Knight, en 1965) ont déclaré que Healy adoptait la bonne tactique pour « la jeunesse ». Pendant les trois années qui ont suivi, tout ce que les Healyistes ont fait l’a été au nom des « Jeunes Socialistes ».

Ce qui s’est passé au sein du mouvement de jeunesse travailliste après le départ des partisans de Healy fut étrange et, pour la RSL, bénéfique. Lors de la première conférence de la jeunesse travailliste post-Healy, la direction travailliste a tenté de la dévaloriser. Elle a décrété des changements : le comité national de la jeunesse travailliste serait fédéral et non élu lors de la conférence ; la jeunesse travailliste ne pourrait pas débattre des grandes questions politiques ; etc.

Mais la conférence ne s’est pas laissée faire. Les délégués ont défié la direction travailliste et ont discuté de politique générale, risquant ainsi la fermeture des YS. La direction travailliste a fait marche arrière. Les YS ont été autorisés à poursuivre leurs travaux.

L’élément central, je crois, était que l’ancienne aile gauche du Parti travailliste avait pris le contrôle, après la mort soudaine du leader travailliste [ultra-droitier] Hugh Gaitskell en janvier 1963, et qu’ils voulaient éviter les expulsions et un régime interne strict comme par le passé.

Nye Bevan [considéré comme le père fondateur de l’équivalent britannique de notre Sécu : le NHS en 1946] était mort, mais Harold Wilson, un ancien partisan de Bevan, devint chef du Parti travailliste en février 1963. Les partisans de Healy avaient voulu partir, semant le trouble autant que possible. Mais la RSL était toujours au sein des YS. Elle était le partenaire minoritaire des partisans de Cliff (alors International Socialism, aujourd’hui SWP) dans une publication de jeunesse anti-Healy, Young Guard .

Le nom vient du mouvement de jeunesse du Parti socialiste belge, la Jeune Garde [où alors les militants trotskystes belges autour d’Ernest Mandel étaient fort actifs]. Après une grève générale en Belgique fin 1960 et début 1961, nous étions tous devenus aussi « belges » que possible.

Young Guard a été fondée en 1961 par IS, la RSL et d’autres. C’était un petit journal attrayant, mais politiquement grossier et médiocre. Son seul atout était d’être véritablement un journal de jeunesse (l’organe jeune de la SLL, Keep Left, ne l’était pas). Étonnamment, la RSL, alors section britannique de la Quatrième Internationale, était quasiment absente politiquement de Young Guard, à l’exception de Keith Dickinson, nommé directeur commercial. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais c’était ainsi.

Peter Taaffe était un loyaliste conservateur, qui tentait de justifier la plupart des événements du passé (et il y avait beaucoup à justifier). Mais le rôle de Young Guard et de la RSL dans ce mouvement était l’une des rares erreurs qu’il reconnaissait. Il n’avait pas participé aux décisions, disait-il. (Plus tard, il a eu tendance à rétrograder quelque peu son engagement politique).

Mais IS [le groupe de Tony Cliff] quitta le Parti travailliste en 1967, et la RSL se retrouva seule, parmi les marxistes autoproclamés, au sein des LPYS. Ils obtinrent la majorité au comité national des LPYS, alors encore fédéral, en 1969. À partir de cette date, ou du départ de IS, la RSL fit des YS une importante école de formation politique et de recrutement pour la RSL. Naturellement, l’organisation recruta et se développa.

C’était une affaire extraordinaire que de voir la RSL contrôler le mouvement de jeunesse du Parti travailliste pendant vingt ans. (La direction travailliste a sévèrement restreint les LPYS en 1987 et les ont fermé en 1991.) Andy Bevan, du Militant (sans lien de parenté), a été le représentant officiel permanent du mouvement de jeunesse du Parti travailliste de 1976 à 1988. Je ne connais aucune comparaison dans l’histoire du mouvement ouvrier, aucune analogie même.

Toute affirmation de la RSL selon laquelle elle aurait tourné les LPYS vers l’extérieur et en aurait fait un « mouvement de masse » est pure fiction. Non, ce n’est pas le cas ! Les YS version RSL sont devenues une secte RSL rabougrie, sous le régime du Militant, bien qu’importante, comparée à ce qu’elle était auparavant.

C’était l’époque du mouvement contre la guerre du Vietnam. Militant avait une haute appréciation des staliniens au Vietnam, mais les LPYS n’ont pas rejoint le mouvement !

C’était aussi l’époque de la grande révolution culturelle des jeunes (la pilule séparait sexe et procréation, etc.), mais là encore, les Young Socialists n’y ont pas adhéré, même d’un point de vue de liberté élémentaire. Le gouvernement Wilson (en fait, Roy Jenkins, de la droite du gouvernement travailliste, alors ministre de l’Intérieur) avait légalisé les relations homosexuelles en 1967, mais les Young Socialists sont restés fidèles à leur vieille attitude prohibitive. Sous le contrôle quasi total de la RSL, les Young Socialists rejetaient des résolutions que les Jeunesses du Parti Libéral, voire les Jeunes Conservateurs à l’époque, auraient adoptées. Ils étaient dominés par la moralité d’un Sud-Africain âgé et probablement opprimé, Grant, et d’un Peter Taaffe suffisant qui incarnait les valeurs morales dont la classe ouvrière avait commencé à s’éloigner.

L’acceptation par le Parti travailliste des YS dirigés par la RSL était remarquable. En partie, comme je l’ai dit, cela s’explique par le fait que les dirigeants du Parti travailliste étaient d’anciens partisans de Bevan qui souhaitaient un régime travailliste plus tolérant. En partie, c’est la politique étrange de Militant qui a assuré leur sécurité.

J’ai été témoin d’une étrange expérience lors de la conférence des LPYS en 1974. C’était un rassemblement de la RSL. Seule une minorité des participants étaient de véritables délégués votants des LPYS ; les autres étaient des « observateurs » de la RSL.

Les orateurs avaient tous suivi la même école d’éloquence et utilisaient les mêmes gestes « théâtraux » même pour des choses qui n’en avaient pas besoin. Ils étaient plus nombreux à parler avec l’accent de Liverpool qu’ils n’auraient pu le faire.

Le comité national des LPYS a recommandé le vote de chaque motion. Autrement dit, le « centralisme démocratique » de la RSL était à l’œuvre, et il était intrusif. Mais c’était aussi drôle, si l’on pouvait « oublier » un instant ce qu’ils faisaient subir aux jeunes.

Un jour, le président de séance oublia d’indiquer à la conférence ce que le CN recommandait. Lorsqu’il appela les délégués au vote, aucune main ne bougea. Puis il se souvint de répéter ce que le CN recommandait et reprit le pouvoir de faire voter les délégués.

Il restait, au début, un petit groupe de « tribunistes ». Le président n’arrêtait pas de rappeler à la conférence que les tribunistes bénéficiaient de droits qu’ils avaient refusés au Militant lorsqu’ils étaient majoritaires. C’était vrai, mais c’était inélégant, gratuit, peu subtil et même horrible à regarder.

L’opposition « tribuniste » a fini par disparaître. Le principal autre groupe d’« opposition » (avant l’intervention de Workers’ Fight, précurseur de Workers’ Liberty) était une petite scission de la RSL elle-même, la RSL sous amphétamines, pour ainsi dire. Leurs « discours » allaient accélérer la radicalisation du mouvement ouvrier que Militant et la majorité des LPYS annonçaient toujours imminente. Nul besoin d’être psychiatre pour comprendre que leur leader était aussi fou que le chapelier proverbial. Ils n’ont pas recruté, et ils ont fini par devenir trop vieux pour les YS et ont cessé d’y exister. (Plus tard, ils ont perdu leur radicalisme et ont publié le très fatigué magazine de gauche travailliste, Briefing ).

Peter Taaffe présidait tout cela en tant qu’« organisateur », mais la politique était celle de Ted Grant. Et c’était une politique étrange. Pour la Grande-Bretagne, la RSL appelait à la nationalisation des « monopoles ». Simplement une nationalisation, à la manière du Parti travailliste. Le RCP des années 1940 avait réclamé une nationalisation sous contrôle ouvrier, mais Militant ne l’a pas fait.

Voie pacifique

Je fus surpris de constater que les membres de la RSL se considéraient comme très à gauche en raison du nombre de choses qu’ils souhaitaient « nationaliser ». Il ne s’agissait pas non plus d’une « nationalisation » par un État ouvrier. L’État existant évoluerait pacifiquement et parlementairement vers le socialisme, insistait Militant. (Le plus honnêtement que l’on puisse dire à ce sujet est que la classe dirigeante britannique n’abandonnera le pouvoir que si elle n’a pas le choix d’y résister.)

Ils pensaient que les motions en faveur des nationalisations votées sur un signe de tête par les congrès syndicaux montraient que le mouvement ouvrier britannique était déjà socialiste. Il n’y avait aucune possibilité, ou du moins aucune qu’ils voulaient prendre en compte, que le mouvement ouvrier subisse une défaite sérieuse.

C’est sur le stalinisme qu’ils se sont montrés les plus étranges. Les trotskistes orthodoxes en étaient venus à considérer la révolution socialiste (pour l’instant) comme l’expansion du stalinisme après avoir décidé (Grant en 1947-1948, la majorité de la QI en avril 1949) que les États satellites de la Russie en Europe de l’Est et du Sud étaient des « États ouvriers déformés » (à l’exception de la Yougoslavie qui, pour la QI, n’était pas « déformée »).

Ted Grant, Jock Haston et Millie Lee, membres du WIL et du RCP pendant la Seconde Guerre mondiale, avaient suivi James P. Cannon aux États-Unis dans le virage radical vers le stalinisme. Après l’invasion de la Russie en juin 1941, ils suivirent Cannon dans l’absurdité spectaculaire de déclarer l’armée russe comme étant en quelque sorte « l’Armée rouge de Trotsky ». En réalité, il ne s’agissait ni de l’Armée rouge ni de celle de Trotsky ; c’était celle de Staline. Ils republièrent le témoignage de Cannon lors de son procès pour « sédition » en 1941.

Après la guerre, ils avaient adopté toute une gamme de positions sur la Russie. À un moment donné, ils (c’est-à-dire l’exécutif du RCP) avaient décidé que la Russie était un pays capitaliste d’État. Tony Cliff allait poursuivre et développer ce point de vue.

Les dirigeants du RCP ont ensuite devancé tous les autres trotskistes orthodoxes en proclamant que la Russie, ses satellites et la Yougoslavie, qui s’était brouillée avec Staline en juin 1948, étaient des États ouvriers, dégénérés (la Russie) ou déformés (les autres).

Le Deuxième Congrès de la Quatrième Internationale, en avril-mai 1948, décida que tous les États satellites, à l’exception de la Russie, étaient capitalistes d’État et réactionnaires. Ce n’était pas cohérent, et ils finirent par les qualifier d’« États ouvriers ». Ted Grant était très fier de sa priorité. Les autres trotskistes orthodoxes avaient tendance à écrire des absurdités, mais au moins, ils s’attaquaient au problème ; Jock Haston et le RCP furent les seuls parmi les trotskistes orthodoxes à saluer (dans Socialist Appeal ) le « coup d’État » stalinien en Tchécoslovaquie en février 1948.

Grant s’attendait à des révolutions staliniennes dans tous les pays sous-développés et considérait cette perspective comme extrêmement progressiste. Il s’attendait à une révolution stalinienne progressiste au Portugal en 1974-1975 et, bien entendu, il la prônait.

Au milieu des années 1960, Grant et Taaffe étaient capables de s’emporter contre Roger Protz, qui avait dirigé les premiers numéros de Militant (Le nom de Taaffe apparaissait tout au long du journal comme rédacteur en chef, afin de le mettre en avant, mais il n’avait jamais dirigé le journal). Protz avait résumé une circulaire interne en annonçant que la Syrie et la Birmanie étaient devenues des États ouvriers déformés. (Grant avait des co-penseurs au sein de la QI « mandéliste » au milieu des années 1960, Livio Maitan par exemple, qui pensaient qu’un tel niveau de nationalisations équivalait à un État ouvrier). La circulaire le disait, mais il n’était pas conseillé de le dire publiquement, comme l’avait fait Protz. Ou pas encore.

Je ne sais pas s’il l’a jamais écrit, mais j’ai entendu Grant dire que la propagation du stalinisme incarnait « le mouvement autonome des forces productives ». Ces dernières ne pouvaient attendre que les travailleurs résolvent ce que Trotsky appelait « la crise du leadership ».

Taaffe et Grant avaient une formule : « Les travailleurs ne comprendraient pas ». Cela signifiait qu’ils pouvaient dire tout ce que, selon eux, « les travailleurs » « comprendraient » – aussi peu ou autant qu’ils le souhaitaient. Par exemple, avant Workers’ Liberty, ils avaient, et le SP a toujours, une position sur la question des « deux États » au Moyen-Orient, affirmant qu’Israël avait le droit d’exister. Mais qui le sait ? C’est très impopulaire au sein de la gauche militante, alors ils le dissimulent.

Couverture

La « perspective » de Grant était que le stalinisme était la vague d’avenir dans la majeure partie du monde, et que c’était la révolution en cours. C’était une couverture réconfortante dont il se couvrait. La progression du stalinisme n’était pas une menace : c’était la révolution socialiste. En fait, ils disaient à peu près ce que Max Shachtman et ses camarades du Workers Party [1940-1948] et de l’ISL [1948-1958] disaient à propos de la progression du stalinisme, sauf que là où Shachtman mettait un signe négatif, ils mettaient un signe positif.

Mais le désir de Grant et Taaffe de jouer les prophètes les a parfois trahis. Lorsque les Russes ont envahi l’Afghanistan à Noël 1979, tous les groupes trotskistes, à l’exception de ce qui est aujourd’hui Workers’ Liberty, ont soutenu les Russes (même si certains ont affirmé qu’il aurait été préférable que les Russes n’envahissent pas le pays, mais que nous devrions les soutenir une fois sur place).

Le SWP-US a déclaré que les Russes étaient « partis au secours d’une révolution ». La RSL-Militant n’était pas aussi catégorique au départ. Grant a écrit un long article dans Militant qui dressait un tableau passable de la « Grande Révolution » stalinienne afghane de 1978, 20 mois avant l’invasion. Il démontrait qu’il s’agissait bien d’un coup d’État militaire mené par des officiers afghans formés en Russie, sans soutien populaire : il se distinguait en cela des révolutions staliniennes comme celles de Chine ou de Yougoslavie.

Grant hésita, mais se rallia plus ou moins au retrait russe. Puis, un mois plus tard, Lynn Walsh le corrigea : bien sûr, écrivit-il, de manière ridicule, Grant avait eu l’intention de soutenir la présence russe. La RSL avait eu un mois pour en discuter et, collectivement, avait réussi à oublier ce qui était si particulier et déterminant en Afghanistan avant l’invasion russe : que les officiers staliniens bénéficiaient de peu de soutien en dehors de la petite classe moyenne des villes.

Presque tous les autres trotskystes ont changé d’une attitude pro-russe à une autre en six mois ou un an, à l’exception de Militant, des Spartacistes (et de Workers’ Power et du pauvre Alan Thornett, qui pense que le marxisme revient à connaître un peu les films des Marx Brothers ; mais même les Thornettistes ont changé à un moment donné). Grant et Taaffe, et l’organisation qu’ils avaient créée, ne savaient tout simplement pas faire la différence, pour le marxisme, entre « perspectives » et « perspectives » pour lesquelles on se bat. Ici, ils se sont même trompés sur les perspectives en Afghanistan et sur l’invasion russe.

Pour commémorer Taaffe, ses camarades affirment qu’il est issu d’une « extrême » pauvreté. J’en doute. Il s’agit soit d’un mythe, soit d’une vision de la vie ouvrière vue par des personnes de classes sociales plus élevées.

Je viens de la classe ouvrière semi-analphabète d’Ennis, une ville de l’ouest de l’Irlande. Mon père a été pompier à l’usine de gaz de Salford pendant 25 ans. La famille l’a rejoint. Je me souviens avoir convoité, et je revois encore, une Histoire des États-Unis en deux volumes à couverture verte à la librairie de Shude Hill, qui, à 37 shillings et 6 pence, était bien trop chère pour moi. C’était la pauvreté, je suppose, mais il y avait un bon réseau de bibliothèques publiques à Manchester. Je n’ai jamais manqué de choses essentielles.

Quand j’ai connu Peter Taaffe pour la première fois, en 1964, il était employé de bureau et faisait la paie de la police de Liverpool. Il portait une veste en velours côtelé, résolument « intellectuelle ». Il était présomptueux, lui aussi.

J’avais été malmené par des policiers en civil dans un commissariat de police parce que j’avais essayé d’inciter les travailleurs à adhérer au syndicat TGWU, mais Taaffe a insisté sur le fait , d’après sa propre expérience, il assurait le versement des salaires de policiers joviaux, que la police était vraiment correcte.

Il y avait toujours chez RSL-Militant une certaine jactance, qu’on disait ouvrière, mais qui en réalité se faisait passer pour une classe moyenne. Dans ma tête, cela se traduisait par les paroles d’une chanson popularisée par The Spinners, un groupe folk de Liverpool.

« Et nous, les pauvres marins, étions debout, debout, debout

Et les terriens couchés en bas, en bas, en bas

Et les marins d’eau douce couchés en bas, en bas, en bas ».

Militant a toujours été « nous, les pauvres marins ».

La véritable pauvreté dont souffraient le plus les classes populaires à la fin des années 1950 et au début des années 1960, en période de « plein emploi », était la pauvreté culturelle croissante et en déclin. Taaffe, dans Militant, se glorifiait de cette pauvreté culturelle de la classe ouvrière, et dans le mouvement YS des années 1960-1980, dirigé par Militant, il s’efforça de la perpétuer parmi les jeunes travailleurs.

À l’époque des YS-Militant, les jeunes travailleurs apolitiques étaient généralement moins étroits d’esprit et stricts que les YS eux-même. Par exemple, il était impossible de faire adopter une résolution lors d’une conférence des YS-Militant pour légaliser le cannabis, bien qu’il soit relativement inoffensif et que de nombreux jeunes travailleurs en consomment. Pourquoi ? Un membre des YS-Militant, ou plusieurs, prononçaient un discours pour la RSL affirmant que la légalisation du cannabis ne ferait que créer un nouveau monopole capitaliste, comme pour l’alcool et le tabac. Ce n’était pas le sujet, mais bon, alors ils voulaient interdire l’alcool et le tabac ? Non, non, camarade, « les ouvriers ne comprendraient pas ».

Mettre fin à la persécution des homosexuels n’était qu’une question de libéralisme, mais cette idée avait été adoptée par les socialistes depuis qu’August Bebel avait proposé au Reichstag en 1898 l’abolition du « paragraphe 175 » anti-homosexuel allemand. Et bien avant cela, je suppose. Mais c’était aller trop loin pour la RSL / YS. Et c’était parfois de l’hypocrisie : des camarades qui fréquentaient des bars gays revenaient avec des histoires de rencontres avec des militants qui, dans leur vie de dirigeants politiques, n’avaient même pas soutenu les réformes libérales sur les droits des homosexuels.

Vulgarité

Ce qui m’a le plus frappé chez Derek Hatton et Tommy Sheridan, qui sont devenus les figures les plus connues de Militant pendant un certain temps [deuxième moitié des années 80], c’est que leur idée de « la belle vie », lorsqu’ils ont choisi celle-ci, était par essence celle d’un travailleur apolitique et assez arriéré : la consommation vulgaire et ostentatoire, à la manière des footballeurs célèbres et autres, était leur idée de « la belle vie ».

Taaffe m’a dit un jour – je crois que Ted Grant était présent – ​​que les gens comme nous, lui et moi, avec notre manque d’éducation formelle, ne devraient pas se donner la peine de lire des auteurs « difficiles » comme Plekhanov. Il avait une éducation bien plus poussée que moi – il me flattait. J’ai supposé qu’ils ne voulaient tout simplement pas que je perde du temps à lire de telles choses. J’ai ignoré ce conseil.

Mais que Taaffe ait ou non parlé littéralement de Plekhanov, Grant était son cerveau. Il y a une dizaine d’années, Peter Taaffe et moi avons échangé des polémiques. Il a fait référence avec mépris à Max Shachtman, qui décrivait la Russie comme une forme de capitalisme d’État. Peter avait milité pendant 50 ans en politique soi-disant marxiste, il était le dirigeant politique et l’organisateur du Socialist Party – et pourtant, il ignorait la différence entre collectivisme bureaucratique et capitalisme d’État pour désigner le stalinisme dont il soutenait l’expansion !

Et qu’avait-il construit ? Il est rare que les trotskystes aient joué un rôle décisif dans l’issue des grandes luttes de classe, mais la RSL-Militant en a eu l’occasion en 1984, lors de la grève des mineurs, et ils y ont joué le rôle réactionnaire.

La grève des mineurs dura un peu plus d’un an et défia le gouvernement Thatcher. Militant était à la tête du conseil travailliste de Liverpool et des principaux syndicats de la ville, confrontés aux coupes budgétaires des Conservateurs. Il aurait pu faire pencher la balance en défaveur de Thatcher si le mouvement ouvrier de Liverpool, dirigé par Militant, s’était joint aux mineurs pour affronter le gouvernement. Les marxistes convaincus de Liverpool auraient cherché une raison, voire un prétexte, pour se joindre au combat contre Thatcher.

Ce n’est pas le cas pour la très marxiste RSL. Ce n’est pas la « voix marxiste du Parti travailliste » sous la direction de son étrange leader, Derek Hatton ! Militant a conclu un accord avec le gouvernement conservateur en juillet 1984, qui a écarté Liverpool du combat en lui accordant l’autorisation de reporter la crise financière à 1985-1986.

Un an plus tard, les mineurs vaincus, Thatcher s’en prit à Liverpool. Fin 1985, le conseil municipal prévoyait de licencier l’ensemble de son personnel pendant quatre semaines, « à titre tactique », puis révéla qu’il avait procédé à des coupes budgétaires de facto et qu’il pourrait combler le déficit restant grâce à des prêts auprès de banques suisses, négociés des mois auparavant. Les partisans de Militant se discréditèrent, se mirent en position de se faire purger par les dirigeants travaillistes, puis quittèrent le Parti travailliste plutôt que de lutter contre la purge.

Taaffe était, si j’ai bien compris, le dirigeant de Militant chargé des relations avec Liverpool, sa ville natale, et le principal conseiller municipal de cette ville, Derek Hatton. Par la suite, « Degsie » et Taaffe gardèrent un silence diplomatique l’un sur l’autre, de ce qui fut l’une des plus grandes débâcles que la gauche britannique ait connues depuis la grève générale de 1926.

Bien que Taaffe ait écrit un livre sur le sujet plus tard (en 1988), ni Militant, ni le SP, ni Taaffe ne se sont jamais pleinement expliqués. Le mouvement ouvrier subit encore les conséquences de la victoire, peut-être évitable, de Thatcher en 1984-1985.

En Irlande, Militant et Taaffe ont connu l’une des trajectoires les plus étranges. La minorité catholique artificielle d’Irlande du Nord s’est mobilisée pour les droits civiques à la fin des années 1960. Le droit civique le plus important qui leur manquait était l’autodétermination nationale.

Les catholiques des Six Comtés y constituaient une minorité plus importante que ne l’auraient été les protestants de toute l’île dans une Irlande unie. Deux des « Six Comtés », Fermanagh et Tyrone, comptaient des majorités catholiques et nationalistes. Les catholiques étaient majoritaires sur la moitié du territoire des Six Comtés et tout le long de la frontière avec les 26 Comtés.

L’IRA provisoire s’est superposée, avec ses idées politiques étroites, à la lutte des catholiques pour les droits civiques, et a canalisé la révolte vers sa propre conception d’une guerre d’Irlande visant à chasser les Britanniques. Elle y est parvenue parce que la minorité catholique et nationaliste des Six Comtés était imprégnée des chants et des légendes de la longue lutte de l’Irlande catholique contre l’Angleterre.

La guerre des Provos fut aussi inattendue pour la RSL-Militant que pour nous. Mais la « question constitutionnelle » allait dominer la politique irlandaise et britannique pendant le reste du XXe siècle et une bonne partie du XXIe.

C’était l’idée la plus fondamentale du marxisme (voir les Thèses du Deuxième Congrès du Komintern sur la question nationale et coloniale par exemple) que ceux qui vivaient dans le pays oppresseur – la Grande-Bretagne avait partagé l’Irlande et luttait pour maintenir cette partition injuste – devaient soutenir les insurgés nationalistes, quelles que soient les complexités, et essayer de s’attaquer aux questions politiques posées.

Mais la RSL-Militant ne reconnaissait même pas la « question constitutionnelle » qui dominait la politique irlandaise. En cela, ils étaient ultra-gauches. Le Socialist Party finirait par se prononcer en faveur d’une Irlande fédérale unie – la seule Irlande unie possible –, mais seulement après la fin de l’insurrection catholique et de l’IRA provisoire et l’arrêt des combats. Ce virage vers une politique d’Irlande fédérale était positif, mais très tardif et donc insuffisant. C’était aussi un commentaire implicite accablant sur ce qu’ils avaient dit et fait pendant les 23 années de guerre.

Tout au long de la guerre, de 1971 à 1994 (ou en Grande-Bretagne 1997, lorsque les dernières bombes de l’IRA provisoire détruisirent une partie du centre de Manchester), le RSL-Militant-SP, dirigé par Peter Taaffe, proposa comme solution au conflit une milice ouvrière s’appuyant sur les syndicats.

Ce n’était pas l’idée de Militant. Elle fut d’abord lancée par les partisans de Healy, puis circula au sein du Parti communiste d’Irlande et du BICO unioniste, mais elle devint la formule de Militant pendant les années de guerre.

Sectarisme communautaire

C’était une bonne et juste idée, pour une société différente. Le sectarisme [communautaire] était profondément ancré en Irlande du Nord et dans le mouvement ouvrier nord-irlandais. L’attribution des emplois et les promotions étaient faites sur des bases sectaires. Le sectarisme communautaire a gagné les syndicats.

Appeler à une force de défense unie protestante-catholique n’était qu’une autre façon d’appeler à l’unité des travailleurs. C’était une bonne chose, mais cela ne pouvait se faire qu’en unissant un large groupe de travailleurs autour d’une solution à la question « constitutionnelle » (orange-verte, protestante-catholique, pour toute l’Irlande).

Pour l’Irlande du Nord, c’était un pur échappatoire. C’était comme les souris qui faisaient sonner le chat. Le chat prédateur ayant tué beaucoup de souris, les souris se sont alors réunies pour décider de la marche à suivre. « Je sais », a dit une souris : « On devrait mettre une cloche au cou du chat, comme ça on saura où il est, et il ne pourra pas s’approcher de nous. » Excellente idée, ont convenu les souris. Mais comment allaient-elles mettre la cloche au cou du chat ? Une brigade de défense des travailleurs d’Irlande du Nord faisait sonner le chat.

Et ils n’étaient même pas sérieux. Lorsque la grève générale orangiste éclata en mai 1974, Militant oublia sa solution miracle et déclara que les deux communautés devaient se défendre elles-mêmes. C’était l’époque des assassinats massifs de catholiques par les protestants et les unionistes.

Taaffe et Grant manquaient de sérieux et de cohérence dans leur dénonciation des « violences de l’IRA ». En mai 1972, un soldat britannique de 19 ans se rendit chez ses compatriotes à Derry. Il fut capturé par les Républicains officiels locaux, les Républicains de « gauche » si j’ai bien compris, et fusillé. C’était un acte stupide et sanglant.

Même Workers’ Fight (ancêtre de Solidarity ), qui critiquait alors le moins possible les Républicains, se sentit obligé de qualifier cet acte « d’odieux, d’une valeur militaire très douteuse », qui « ne pouvait qu’horrifier et démoraliser la population catholique et creuser inutilement le fossé déjà profond entre protestants et catholiques ». La réaction de Militant fut surprenante. De quel droit, demandèrent-ils, la foutue IRA provisoire avait-elle de critiquer les Républicains officiels sur un sujet pareil ?

Militant avait été le fléau de ce qu’il appelait le « terrorisme individuel » (bien que la guerre ne fût pas du « terrorisme individuel », mais une révolte d’une partie de la minorité catholique d’Irlande du Nord). Les Officiels [Official IRA] avaient fait exploser une bombe sur la base militaire d’Aldershot, en février 1972, tuant accidentellement cinq femmes de ménage. Bien sûr, Militant avait dénoncé cela. Qu’était-il arrivé pour que Taaffe et Grant défendent maintenant, en mai 1972, les « terroristes individuels » ? Militant était en pourparlers avec les Officiels, qui allaient devenir le Parti des Travailleurs.

La tragédie de Peter Taaffe fut d’avoir passé 60 ans à enseigner aux travailleurs qu’il rencontrait, non pas le marxisme, mais d’abord la politique étrange et très subjective de Grant, puis un grantisme plus vague, dont certaines aspérités furent adoucies et remplacées par de vagues généralités socialistes, celui du Socialist Party. Ce parti s’appelait et se qualifie encore de marxiste, mais c’était un curieux mélange d’ultra-gauchisme (sur l’Irlande), de travaillisme et de stalinisme. Le marxisme, le socialisme ouvrier, ce n’était pas et ce n’est pas du tout cela.

Source :

https://workersliberty.org/story/2025-0 ... list-party

Chronologie

Années 1950 : Ted Grant dirige un petit sous-groupe de trotskistes britanniques issu de l’explosion du RCP.

1964-1965 : Le groupe Grant lance Militant ; Peter Taaffe en devient l’organisateur

Fin des années 1960 : Militant prend le contrôle du mouvement officiel de jeunesse travailliste et le conservera pendant deux décennies.

1982-1983 : La tentative ratée des dirigeants travaillistes de purger Militant contribue à son « âge d’or », atteignant peut-être 8 000 adhérents.

À partir de 1984-1985 : La débâcle du conseil travailliste de Liverpool, dirigé par Militant, discrédite Militant. Les dirigeants travaillistes élaguent le mouvement de jeunesse. Des membres de Militant quittent le Parti travailliste.

1992 : La majorité de Peter Taaffe, qui en 1997 se rebaptisera Socialist Party, expulse Ted Grant et d’autres qui veulent continuer à travailler au sein du Parti travailliste : ils forment Socialist Appeal, puis en 2024 (avec leur propre départ du Parti travailliste) le RCP.

Ce que nous sommes et ce que nous devons devenir, document fondateur de la tendance qui est aujourd’hui Workers’ Liberty, écrit en 1966 comme une critique du RSL-Militant.


Fraternellement,
GdM
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
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Gayraud de Mazars
 
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