(pelon @ samedi 27 novembre 2004 à 19:38 a écrit :Il y a du bon dans la selection de la brèche. Mais mes préférences sont un peu différentes. Je recommande les 2 bouquins de Traven et, pour ceux qui ne connaissent pas cette femme extraordinaire que fut Flora Tristan, "Périgrinations d'une paria".
J'en profites pour poster la critique parue dans Rouge il y a deux semaines:
("Rouge" a écrit :« La Révolte des pendus », de B. Traven
Révolution permanente
« Le Vaisseau des morts », « La Révolte des pendus » : ces deux romans de B. Traven viennent d’être réédités. À ne pas manquer...
Nous ne sommes pas sur cette terre pour obéir, pour être soumis et par-dessus le marché pour recevoir de mauvais traitements. Non, camarades, nous vivons sur cette terre pour être libres. Mais si nous voulons être libres, muchachos, il faut que nous gagnions tous les jours notre liberté. Celui qui veut se reposer sur sa liberté du moment, celui-là se la verra ravir avant qu’une semaine soit écoulée. Quand vous serez libres, camarades, c’est moi qui vous le dis, vous perdrez votre liberté le jour même où vous la fêterez. » L’homme qui parle ainsi à ses compagnons, Martin Trinidad, est un maître d’école venu se réfugier, pour échapper aux sbires du dictateur mexicain Porfirio Diaz, dans un endroit où personne ne viendra le chercher, un endroit pire que l’enfer, une exploitation forestière dans la jungle, au sud du Mexique. C’est là que sévissent les trois frères Montellano, qui imposent aux Indiens, obligés de travailler comme bûcherons dans leur monteria pour payer leurs dettes, une existence d’esclaves.
Mutinerie
Nous sommes en 1910, la révolte couve dans tout le pays, bientôt la révolution aura mis à bas la dictature et les grands propriétaires qu’elle protège. Mais pas de grande fresque historique dans La Révolte des pendus. La révolution est saisie à travers l’histoire de Candido, de ses enfants, de sa sœur et de quelques dizaines de leurs compagnons, de leur mutinerie contre les propriétaires de la monteria. Pour obtenir des péons les trois ou quatre tonnes de bois qu’ils doivent abattre par jour pour que l’exploitation soit rentable, les frères Montellano ont imaginé un supplice plus efficace que les coups et le fouet, la pendaison : l’ouvrier récalcitrant est suspendu horizontalement, pieds et poings liés à une branche dans la forêt, une journée entière, assailli par les moustiques, les fourmis rouges et les tiques. L’homme ainsi torturé ne meurt pas toujours et la hantise de connaître à nouveau un tel calvaire le pousse à faire, dès le lendemain, le rendement imposé. La mécanique de l’oppression semble bien huilée, les chefs de chantier ont droit de vie et de mort sur les Indiens, les lois, la police, les juges de la dictature veillent à l’intérêt des propriétaires. Les péons ont pu se convaincre qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de se résigner, d’accepter, préservant leur humanité par leur solidarité de frères d’infortune. Lorsque l’un d’entre eux, Urbano, se révolte, c’est que « sa peur s’était muée en un désespoir qui lui donna soudain un courage comme il n’en avait encore jamais ressenti ». Ensuite, « il se vit contraint de pousser son acte jusqu’à ses dernières conséquences ». Quelques jours plus tard, c’est la mutinerie. Dans cette monteria, comme dans des centaines de grandes exploitations mexicaines, les péons s’insurgent, s’organisent, forment l’armée de la révolution.
B. Traven, alias Ret Marut
Dans La Révolte des pendus, B. Traven montre comment la révolte débouche sur la révolution, la puissance des aspirations à la dignité et à la liberté, la force contagieuse des idées d’émancipation amenées, entre autres, par le maître d’école, Martin Trinidad, révolutionnaire avant la révolution. « La biographie d’un créateur n’a absolument aucune importance. Si l’auteur ne peut être identifié par son œuvre, c’est que celle-ci, comme lui-même ne valent rien. Un créateur ne saurait avoir d’autre biographie que son œuvre », écrivait B. Traven, dont l’identité a longtemps été mystérieuse, brouillée par ses nombreux noms d’emprunt. Mais on sait aujourd’hui que l’écrivain mort au Mexique en 1969 avait dû fuir l’Allemagne, après l’écrasement de la révolution de 1918-1919, pour échapper à la répression menée par les corps francs lancés par le gouvernement social-démocrate sur les traces des révolutionnaires. Ret Marut (un autre des noms de Traven) a pris part à la république des conseils en Bavière, en 1919. Publiciste internationaliste pendant la guerre, révolutionnaire d’inspiration libertaire, il vécut plusieurs années la vie d’un sans-papiers de l’époque, en butte à la police de différents États et fut même emprisonné en Angleterre. Le Vaisseau des morts, qui raconte l’histoire d’un marin resté malencontreusement à quai après le départ de son bateau, sans son livret de marin, renvoyé d’une frontière à l’autre par les autorités de plusieurs pays jusqu’au moment où il s’embarque sur un navire voué au naufrage par l’armateur désireux de toucher la prime d’assurance, est en partie autobiographique. C’est en 1924 que Traven se réfugie finalement au Mexique.
Humanité et révolte
L’œuvre de Traven est, à n’en pas douter, riche de ce qu’a vécu son auteur, l’expérience de la Révolution allemande et de son écrasement dans L’État le plus libre du monde, titre d’un des pamphlets de Ret Marut contre l’avilissement de la social-démocratie. La Révolte des pendus pose de manière vivante le problème de la violence révolutionnaire, réponse à la sauvagerie de l’oppression dans un premier temps, nécessité d’affronter et de renverser le pouvoir de l’État dans un deuxième temps, pour empêcher le rétablissement des propriétaires. La révolution ne peut s’arrêter en chemin, il faut qu’elle aille jusqu’à bout, et avant tout jusqu’à la prise du pouvoir par les masses. Albert Einstein aurait répondu, alors qu’on lui demandait quel livre il emporterait sur une île déserte : « N’importe lequel, pourvu qu’il soit de Traven. » La Charrette, Indios, Rosa Blanca, Le Trésor de la Sierra Madre (plus connu parce que porté à l’écran par John Huston, avec comme acteur Humphrey Boggart), Le Visiteur de la nuit (un recueil de nouvelles), tout est bon à lire de Traven. Humanité et révolte à fleur de peau, il ne juge pas, il dit simplement ce qui est.
Galia Trépère
• Le Vaisseau des morts, La Révolte des pendus, La Découverte, « Culte fictions », 13,50 euros chaque. En vente à la librairie La Brèche.