c'est pas pour m'accrocher au mot "sans espoir" que j'ai employé, mais je voulais exprimer un peu la même chose qu'Artza.
Cela dit, et même si le film décrit du pas nouveau, c'est quand même le retour... Les situations à la Traven (un bateau, une poubelle flottante avec des sans papiers des années 20) ou à la Malaquais (des sans papiers bossant dans des conditions pas possibles dans les années 30) ça existait avant guerre, c'est vrai, mais cela avait considérablement régressé dans les années de croissance, les années 50-70. Ce qui choque le spectateur comme le personnage du père de l'héroïne, c'est le retour de ces situations, et un retour massif, ouvert.
Ce qui me semble une descente d'un film à l'autre, le côté "sans espoir", c'est le fait que les syndicalistes, ceux qui ont une conscience, disparaissent petit à petit de son horizon, de Riff Raff à Free World, que cette conscience collective s'estompe. C'est presque pire ici, où la vengeance (la défense ?) des ouvriers vient d'organisations de type mafia que l'on entrevoit à un moment (n'en racontons pas plus).
Ken Loach n'a jamais été un révolutionnaire, ne lui demandons pas d'être ce qu'il n'est pas et ne jouons pas à Besancenot et à Rouge à nous faire croire qu'il l'est, on serait déçus comme toujours. Il est sensible, il témoigne et tant qu'à témoigner je préfère ses témoignages sur le monde du travail à La buche ou Fauteuil d'orchestre sur les états d'âme (bien joués) de la grande bourgeoisie !
édit : j'ai retrouvé un reportage sur les façons de travailler de Ken, Loach :
a écrit :Conserver l'indépendance : la méthode de l'équipe Loach
Depuis ses débuts, Ken Loach a fait du travail l'un de ses sujets d'élection : " Sa nature, les conditions dans lesquelles il s'accomplit, les rapports de forces, la façon dont les syndicats ont été attaqués et vaincus ", résume-t-il. It's a Free World ! est le nouvel épisode de cette chronique des modes de production, et l'occasion de faire le point sur le travail de cinéma selon Loach.
Depuis la fin de sa traversée du désert en 1990, le cinéaste a rassemblé un groupe de collaborateurs qui ont développé une façon de tourner originale et élaboré une méthode de production qui lui permet de conserver une totale indépendance. Rebecca O'Brien, sa productrice depuis 1991, explique : " Nous avons un noyau dur de financiers, les distributeurs dans chacun des grands pays européens. " En France, c'est Diaphana qui distribue les films de Loach depuis quinze ans. Grâce aux avances de ces partenaires, O'Brien peut se permettre de changer de partenaire britannique : " Les structures du cinéma anglais ne cessent de changer. Il faut s'adapter aux règles nouvelles. Ces derniers temps nous avons développé une relation privilégiée avec Pathé U.K., mais pour It's a Free World !, nous avons préféré travailler avec Channel 4 en vue d'une diffusion à la télévision. "
Si célèbre que soit Loach de par le monde, chez lui, ses films ne sont jamais distribués sur plus de quarante copies. " Nous n'avons pas de vedette, pas de Hugh Grant, la seule publicité que nous aurons est celle des interviews que je donne, et je suis parfois fatigué de répéter toujours les mêmes choses. Alors que la télévision nous permet de toucher un million de personnes d'un seul coup. "
REVENIR AU MONDE PRÉSENT
Avec un budget de 2,5 millions de livres sterling (3,8 millions d'euros), It's a Free World ! est un petit film comparé à son prédécesseur, Le vent se lève, Palme d'or à Cannes en 2006, qui avait coûté 4,5 millions de livres (6,10 millions d'euros). Après un film historique, Loach et Paul Laverty, son scénariste depuis Carla's Song en 1996, avaient envie de revenir au monde présent.
Laverty, un Ecossais qui vit à Madrid, a exploré l'actualité et s'est vite intéressé au sort des travailleurs précaires, parcourant le royaume, de Glasgow à Londres, interviewant les cueilleurs de fraises comme les manutentionnaires. " J'ai été frappé de la vitesse à laquelle les choses changent. C'est comme si on avait aboli 250 ans d'histoire pour revenir à des pratiques très anciennes. J'ai rencontré un soudeur polonais qui avait été obligé de se faire envoyer un masque de chez lui parce que son employeur ne voulait ni lui en donner ni lui avancer l'argent pour qu'il s'en achète. " Une fois le sujet arrêté, " il faut qu'un personnage surgisse, explique Loach, et ça c'est le travail de Paul ". Pour It's a Free World ! ce fut celui d'Angie, salariée d'une entreprise d'intérim qui se met à son compte et passe de l'autre côté de la barrière.
Vient alors l'étape du casting, confié à Kahleen Crawford, une jeune femme qui court les agences et sort les dossiers qui dorment depuis des mois, parfois des années. Kierston Wareing avait décidé d'être actrice, mais faute de rôles elle s'était résolue à se faire secrétaire juridique : " Je n'avais plus que deux mois de cours avant mon diplôme quand j'ai appris que j'intéressais Ken Loach. " Plutôt que de lui faire jouer le scénario, le metteur en scène lui a fait improviser des scènes difficiles, violence conjugale, licenciement subi ou infligé. Pour les rôles dits secondaires, Loach et son équipe préfèrent faire appel à des non-professionnels dont la vie est proche de leurs personnages. Le père d'Angie est un ancien délégué syndical des dockers qui n'a pas eu à se forcer pour reprocher à sa fille son reniement de la condition ouvrière.
PRÉPARATION RIGOUREUSE
En même temps, le premier jet du scénario de Laverty est réécrit, avec le concours d'un ancien collègue de Loach à la BBC, Roger Smith. Il s'agit de " poser les questions que tout le monde redoute " mais qui doivent être résolues avant le premier clap. Il fallait montrer les travailleurs précaires sous un jour combatif, pas comme de simples victimes. Par ailleurs Paul Laverty accepte aussi de réécrire certaines scènes en fonction des nécessités. L'embuscade du Vent se lève aurait dû impliquer des centaines d'hommes, le budget a fait qu'ils n'étaient que quelques dizaines.
Cette préparation rigoureuse vise à aboutir au tournage " efficace, mais dans une humeur détendue ", que désire Loach. Pas de caravanes pour les acteurs, pas de rails de travelling, le moins de projecteurs possible. " Il faut que le fossé entre le cinéma et le reste du monde soit le plus étroit possible ", ajoute le cinéaste. Le but est d'obtenir des acteurs qu'ils jouent vrai. " Je me souviens à mes débuts de plateaux à l'ambiance détestable, raconte Loach. Les acteurs se réfugiaient dans leur caravane et livraient une performance technique. " Pour éviter ça, les comédiens ne découvrent leurs scènes que le matin du tournage (qui se fait dans l'ordre chronologique du scénario, quitte à augmenter le coût). Lorsqu'il s'agit de situations violentes, il arrive souvent que les acteurs ne soient pas prévenus.
Et pour que la surprise des spectateurs soit aussi totale, Ken Loach et Paul Laverty refusent de dire quoi que ce soit de leur prochain film. On saura juste que l'Ecossais vient de terminer une première version du scénario.
Thomas Sotinel
© Le Monde