Donc voila : Michel Onfray, philosophe médiatique, nietzschéen, vaguement libertaire, bon vulgarisateur mais penseur pour le moins agaçant, vient de sortir un bouquin intitulé Le Crépuscule d'une Idole, qui se veut, si j'ai bien compris, une biographie de Freud et une analyse de son œuvre, donc de la théorie psychanalytique, et qui se place clairement du côté de l'anti-psychanalyse.
Voici une Interview de Michel Onfray qui éclaire un peu de quoi il s'agit... Je précise que je n'ai pas lu le bouquin.
(Libération @ Société, 17/04/2010 à 00h00 a écrit :«Je suis tombé de ma chaise…»
INTERVIEW - Surpris de découvrir en le réétudiant un Freud «affabulateur», le philosophe s’attend aux critiques car «une milice freudienne» s’est installée dans les médias «pour défendre sa religion» :
Recueilli par R.M.
Michel Onfray imagine bien le type de critiques que son Crépuscule d’une idole va recevoir. Tranquille, il revient ici sur certains thèmes de son livre.
Vous évoquez, dans la préface, des événements ou une situation de votre enfance-adolescence pour expliquer pourquoi, ensuite, Nietzsche, Marx et Freud sont devenus vos «amis». Faut-il se rapporter aussi à des éléments de votre biographie pour expliquer pourquoi vous vous êtes éloigné de Freud ?
Les choses sont beaucoup plus simples : j’ai créé l’Université populaire (UP) de Caen en 2002 comme une réponse concrète et technique à la disparition de la gauche dès le premier tour de la présidentielle. Dans l’hystérie du moment, je souhaitais moins pétitionner, appeler à voter à droite, réaliser l’union sacrée derrière un candidat qui, de toute façon, serait élu, que de réactiver le vieux concept d’UP créé au moment de l’affaire Dreyfus par Georges Deherme, un ouvrier alors proudhonien qui reprenait le flambeau du Condorcet des Lumières qui croit possible de «rendre la raison populaire» en faisant de la culture non pas un signe de distinction bourgeoise mais une arme critique pour comprendre le monde et s’y mouvoir plus librement. Dès lors, en 2002, je commence une Contre-Histoire de la philosophie en prenant les choses par leur commencement, à savoir ceux que la tradition philosophique platonicienne nomme les «présocratiques». Huit ans de travail plus tard arrive chronologiquement le tour de Freud… A l’UP, j’essaie soit d’aborder des philosophes inconnus, soit d’appréhender de manière inédite un philosophe connu. Freud, je souhaitais l’aborder comme un philosophe vitaliste, un genre d’héritier de Nietzsche - ce qu’il est d’une certaine manière… J’ai donc lu pour les croiser, selon ma méthode pour construire mes cours, l’œuvre complète, les biographies, la correspondance. J’ai souhaité également connaître le dossier des antifreudiens en sachant que, dans les mille personnes qui assistent à mon cours, il y aurait probablement des lecteurs du Livre noir de la psychanalyse que la presse dans sa presque totalité avait faussement présenté comme un livre suspect fabriqué par des antisémites, des révisionnistes, des consciences peu scrupuleuses vendues aux laboratoires pharmaceutiques, des boutiquiers tout à la promotion des thérapies comportementales cognitives. J’ai donc lu leurs travaux par conscience professionnelle, car j’avais moi-même été victime de cette propagande anti-livre noir, et je suis tombé de ma chaise car ils disent vrai…
Y avait-il aujourd’hui une urgence, politique, intellectuelle, idéologique, etc., dans un monde qui connaît tant d’injustices, à prendre pour cible l’«affabulation freudienne» ?
La création de l’UP de Caen et celle d’Argentan, que j’anime avec mes amis, est ma réponse philosophique et politique concrète aux problèmes des injustices qui ne se règlent pas par un livre de plus… Réduire concrètement la fracture culturelle, intellectuelle, mener un combat pour la culture en province ou, à Argentan, travailler en binôme avec une association de réinsertion sociale pour éduquer au goût, au sens large du terme, du goût gastronomique au goût esthétique, voilà ma modeste proposition pratique à la «question sociale», pour le dire dans une expression que j’aime.
La psychanalyse a toujours été l’objet de critiques. Qu’est-ce qui fait qu’elle a résisté ou été peu ébranlée ?
Il faudrait préciser «en France». Et répondre : parce que la psychanalyse s’est installée dans notre pays par les littéraires, d’Apollinaire aux surréalistes en passant par le formidable accélérateur des Gallimard et parce que la coterie intellectuelle et littéraire, souvent parisienne, agit comme une juridiction d’exception. Par ailleurs, une milice freudienne sans foi ni loi s’est formidablement installée dans la machine médiatique pour y célébrer leur religion, avec succès d’ailleurs, et transformer en antisémite et en révisionniste quiconque travaille pour l’histoire et contre la légende.
En considérant ce qu’a déjà apporté le Livre noir, lesquelles de vos critiques estimez-vous les plus efficaces ?
Mon livre d’un million de signes se termine avec une bibliographie commentée d’une vingtaine de pages dans laquelle je rends hommage aux travaux des historiens critiques. Je n’ai donc rien découvert sur le terrain historique et je le fais savoir clairement. En revanche, je propose une lecture nietzschéenne dont j’ai la faiblesse de croire qu’elle est originale : la psychobiographie de Freud à partir de l’idée de Nietzsche qu’une philosophie est toujours l’autobiographie de son auteur, sa confession intime, ne me semble pas avoir été déjà écrite. Et puis cette mise en perspective d’une dédicace élogieuse à Mussolini, d’un soutien à l’austro-fascisme de Dollfuss et d’une collaboration de Freud avec les instances de l’Institut Göring pour que la psychanalyse puisse exister dans un régime nazi, le tout corroboré par sa théorie sur le grand homme et les masses, ne me semble pas avoir beaucoup défrayé la chronique par le passé.
L’«autre psychanalyse», celle de Jung, doit-elle selon vous être aussi radicalement critiquée que celle de Freud ?
Oui, ce travail pourrait être fait avec Jung, avec Lacan aussi bien sûr…
A quel type de réponse - «sans injures ni haine» ? - vous attendez-vous de la part des avocats du freudisme ?
On ne touche pas impunément à une religion, fut-elle laïque, sans encourir les foudres des croyants, car il est dans leur nature de ne pas se réjouir d’être déniaisés : le propre de la croyance est qu’elle n’est jamais propice au dialogue. Quand le croyant a les moyens de sa violence, il effectue des autodafés, insulte, méprise, interdit. Mais le vent a tourné, nous n’en sommes plus là. Les illusions ne peuvent durer éternellement, elles aussi meurent.