Putain d'usine, de J. P. Levaray, éditions de l'Insomniaque, 7 euros.
Ouvrier en 3x8 dans une usine touchée par des plans sociaux, l'auteur raconte "l'enfer salarial [...] toute cette vie bouffée, une vie déjà trop petite que le salariat grignote encore davantage". On y travaille avec des substances dangereuses (c'est une usine de type AZF classée Seveso), le travail posté est usant, aggravé par les réductions d'effectifs et la flexibilité avec les 35 heures, le matériel moderne sert seulement les besoins de la production et non les salariés... Et ce sont donc les pressions, comme celle sur ce cadre à qui la direction fait croire qu'en se crevant au travail il sera reconnu... ou ces accidents d'intérimaires, de travailleurs poussés à finir des chantiers au plus vite... Et au lendemain d'un accident mortel, l'engagement dans le syndicat qui a dénoncé l'incurie de la direction, cause de la mort d'un camarade.
Ces notes rédigées en partie à l'usine racontent comment les ouvriers existent, quand ils disent non, "car dire non est jubilatoire", dire non, ça peut être prendre du temps sur le temps de travail au moment de l'apéro, ou quitter l'usine pour une "virée" au siège social pour réclamer des comptes à la direction... Ou alors les grèves qui, à l'aide de militants ouvriers, "éclatent souvent au bout d'un long cheminement : une demande accrue de travail, des heures supplémentaires en pagaille, des congés qu'on ne peut pas prendre, un chef de service qui vous prend pour des cons ou même un mélange de tout ça. On sent que ça monte. La tension qui s'installe entre les équipes, on en parle à la relève avec les autres. Au fil des jours [...] voire des mois, [...] on sait qu'on va vers le conflit. On sait qu'on ne fera pas l'économie d'une grève. [...] Demande est faite d'être reçus par la direction. Au début, c'est toujours non, mais on ne se laisse pas faire [...] On s'invite. Vêtus de nos tenues de travail, on se rend dans leurs bureaux. Ils n'aiment pas nous voir en bleus. [...] J'énonce nos revendications et les collègues ensuite prennent la parole. Là, c'est fort : quand, malgré le vernis qui les recouvre, nos patrons doivent écouter leurs salariés. Ceux qu'ils ne veulent pas connaître ; ceux qui ne représentent à leurs yeux qu'une masse salariale, un coût fixe qu'il faut réduire [...]".
Ce récit se termine avec, à la nouvelle de l'explosion d'AZF Toulouse, l'exigence des salariés d'une enquête indépendante des patrons. En militant pour la sécurité industrielle et l'emploi, l'auteur dit : "Qu'on ne nous parle pas " d'amour du travail ", il y a longtemps que cette " étrange folie " nous a quittés. C'est le salaire qui fait tenir, un point c'est tout." Et il réclame plus globalement que les hommes travaillent, aidés par les machines, pour leur propre compte et non pour quelques bourgeois parasites.
Ce petit livre est un reflet des ravages de la mondialisation et d'une résistance ouvrière au quotidien, avec "ces moments, lorsque l'étincelle brille dans les yeux des ouvriers en grève, lorsqu'ils se réapproprient leurs vies". A mettre dans la poche du bleu et à faire circuler...