Certains d'entre vous ont peut-etre vu Opération Tuquoise, un téléfilm diffusé sur Canal +.
L'opération Turquoise fut menée au Rwanda en juin 1994 par des éléments de l'armée française, à la fin du génocide des Tutsi, alors que les forces du Front patriotique rwandais venues de l'Ouganda, et soutenues par les Anglo-Américains approchaient de Tigali. Cette opération, autorisée par l'ONU, avait officiellement un but "humanitaire". Son objectif réel était, d'une part d'essayer encore de contenir l'avance du FPR, d'autre part de sauver les génocidaires "amis de la France".
Ca se passait sous Mitterrand/Balladur.
Faute de pouvoir contenir le FPR, l'armée française s'est contentée de sauver les génocidaires en les protégeant et en les exfiltrant vers l'Europe et le Zaire voisin.
Ce sujet est de toute évidence encore brûlant, vu que la plupart des responsables sont encore vivants, voire en activité dans l'armée et la classe politique. On pouvait donc penser que s'attaquer à un tel sujet représentait un certain courage. Et, du réalisateur Alain Tasma - auteur de Nuit noire -, on pouvait espérer un film dénonçant le rôle de l'Etat français dans le génocide.
Hélas, si Tasma a déjà fait quelques compromis dans Nuit noire, il a fait tant de compromis dans Opération Turquoise, que ce téléfilm apparait comme une oeuvre de plus à la gloire de l'armée française. Visiblement, Tasma a essayé de dire un certain nombre de choses tout en donnant des gages à ses patrons et financiers, en ménageant une institution telle que l'armée.
Par exemple, s'il essaie de rappeler que des instructeurs français ont formé les génocideurs, il le fait avec tant de maladresse que cela se retourne contre son propos : l'ex-sergent instructeur est si sympathique que le spectateur ne peut que comprendre qu'il a été abusé par des militaires rwandais fourbes.
Quant aux militaires engagés dans l'opération, on les voit comme tous les militaires des films colonialistes : sincères, courageux, s'ils ne peuvent pas aider davantage les victimes, c'est par manque de moyens et parce qu'ils reçoivent des ordres confus et contradictoires. Sur le terrain, ils protègent les populations, soignent les victimes.
De leur mission de sauvetage des génocidaires, on ne voit qu'un unique officier qui tente de cacher un responsable présumé de massacres. Cela apparait comme une initiative purement individuelle. (Et encore, on n'est pas très sur que ce type ne s'est pas caché dans un camion à l'insu de notre brave officier tricolore.).
A coté de nos valeureux militaires, ceux qui ont la faveur du réalisateur, ce sont deux journalistes honnêtes. Dont le comportement correspond bien peu à celui de l'ensemble de la profession qui a bourré les cranes en vantant le caractère "humanitaire" de l'opération...
Bref, en tentant de ménager la chèvre et le chou, Tasma, qui est probablement un homme de gauche, s'est assez tristement planté et n'a réalisé qu'un habile film de propagande à la gloire de "nos" soldats...
Ce ratage montre bien les limites de ce qu'on peut faire à la TV sur des sujets sensibles. Nuit noire et le SAC, diffusés aussi par Canal +, pouvaient se permettre d'aller beaucoup plus loin dans la mesure où il s'agit d'affaires vieilles de plus de 40 ans...