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JEAN JAURES
Le 31 juillet, à l'occasion du 30ème anniversaire de l'assassinat de Jaurès par la bourgeoisie, les démagogues de Paris et d'Alger ont éprouvé la nécessité commune d'exhumer le cadavre de leur victime, afin de tenter d'identifier leur politique sordide et criminelle à cette grande figure qui évoque le courage et le désintéressement.
Mais comme le moyen employé doit forcément correspondre au but qu'on se propose, ils n'ont pu utiliser la mémoire de Jaurès qu'en la salissant. En effet, sous prétexte qu'il n'était pas marxiste, on nous l'a présenté comme un ennemi acharné du marxisme, comme un socialiste "national" et, selon qu'il s'agissait d'Alger ou de Paris, comme un socialiste d'union sacrée ou de "collaboration" : un Jouhaux ou un Henriot, voilà comme ils nous ont montré Jaurès !
Mais la classe ouvrière sait faire la différence entre le bureaucrate parvenu et traître à sa classe, ou le démagogue grassement payé par la bourgeoisie, et le grand tribun socialiste au caractère noble et généreux.
Par ses origines sociales, par son éducation, par sa formation intellectuelle et morale, Jaurès était un intellectuel bourgeois. Mais sa probité intellectuelle ainsi que des connaissances historiques et philosophiques étendues et un sincère dévouement au bien de l'humanité, l'amenèrent à se ranger aux côtés de la classe ouvrière dans sa lutte pour le socialisme : car il avait compris que l'émancipation du prolétariat sera celle de l'humanité toute entière. En raison du caractère politique de son époque (lutte parlementaire pour des réformes), il n'avait pas saisi la nécessité du marxisme comme arme théorique indispensable dans la lutte pour le socialisme ; il croyait que la marche de l'humanité vers le socialisme pourrait se réaliser progressivement et pacifiquement par la lutte des classes sur le terrain du parlementarisme démocratique.
Pourtant il connaissait et avait assimilé d'importants aspects du marxisme : son œuvre historique a beaucoup contribué et contribuera encore à l'éducation du prolétariat révolutionnaire. De plus, son courage et sa fermeté de caractère le portèrent toujours à prendre, en toutes circonstances, la défense des socialistes marxistes contre la bourgeoisie : les divergences d'opinion dans le camp ouvrier ne lui servirent jamais de prétexte pour soutenir le camp bourgeois.
De tout son être et par toute son œuvre politique il appartenait à la classe ouvrière, et ce, bien plus que certains "marxistes orthodoxes" qui ne soutinrent la lutte révolutionnaire de classe qu'aussi longtemps que celle-ci se présentât comme une perspective lointaine et qui, au moment de la crise décisive de juillet-août 1914, désertèrent le marxisme et le prolétariat et préférèrent prendre place dans les fauteuils ministériels plutôt que de payer de leur personne leur attachement à la cause socialiste.
Jaurès au contraire entendit, en juillet 1914, rester fidèle "au traité qui le liait à la race humaine" et décida de "continuer sa campagne contre la guerre " en dépit des menaces de mort.
Dans les conditions politiques du parlementarisme d'avant 1914, la classe ouvrière française, avec ses qualités et ses défauts, ne pouvait trouver de meilleur représentant de sa mentalité et de ses aspirations que Jaurès. De tous les chefs socialistes, il était le seul pour qui le socialisme fût autre chose que des phrases, et qui n'entendait pas le trahir : c'est pourquoi il fut assassiné.
Et si la bourgeoisie essaie aujourd'hui, trente ans après l'avoir tué, d'utiliser sa mémoire en l'avilissant, cela ne doit pas nous étonner : n'ayant à son service que "les loups, les cochons et les sales chiens de la vieille société" (Marx), elle est bien obligée, quand elle veut cacher sa bestialité derrière une figure humaine et désintéressée, de la prendre dans le camp du prolétariat !
par M.Bucholz, cf. LDC n° 67 du 18.09.46