voici quelques documents et extraits du livre en question que m'a envoyé Caroline Fourest
a écrit :«Ramadan est un chef de guerre»
propos recueillis par Claire Chartier
Caroline Fourest, auteur de Frère Tariq (Grasset), décrypte la stratégie politique du prédicateur
Vous avez disséqué les discours, fouillé la pensée de Tariq Ramadan. Représente-t-il une réelle menace pour la démocratie?
Tariq Ramadan est non pas un poseur de bombes, mais un poseur d'idées particulièrement nocives pour les libertés publiques. Sa plus grande force est de ne pas être un intégriste caricatural, immédiatement repérable. On ressent une sorte de malaise en lisant ses livres, mais on en a le c¦ur net après avoir écouté ses cassettes, dans lesquelles Tariq Ramadan s'adresse à son public - souvent de jeunes diplômés sensibles aux thèses islamistes. On y découvre le Ramadan chef de guerre, qui donne ses consignes et livre ses objectifs politiques: modifier la laïcité et faire évoluer les choses vers «plus d'islam». Malheureusement, il s'agit de diffuser non pas un islam éclairé et moderne, mais, tout au contraire, un islam fondamentaliste et réactionnaire, intégriste, que Tariq Ramadan souhaite voir grandir au détriment de l'islam libéral grâce à la dawa (le prosélytisme). Il faut reconnaître qu'il sait mieux que quiconque inciter les jeunes musulmans à agir et à en finir avec leur posture de victimes. Malheureusement, c'est pour mieux les transformer en petits soldats de l'intégrisme.
«Il affaiblit la résistance laïque face à l'intégrisme en tissant des alliances avec des associations laïques et antiracistes»
Ramadan veut «plus d'islam», dites-vous. Mais cela ne signifie pas qu'il veuille islamiser la société tout entière, non-musulmans compris.
Je ne vois personne d'aussi efficace que Tariq Ramadan, aujourd'hui, pour faire avancer l'intégrisme en France. Il radicalise les musulmans sous son influence en les initiant à la pensée de Hassan al-Banna (c'est l'introduction de ses séminaires enregistrés sur cassette), puis il les met en contact avec les idéologues actuels des Frères musulmans: Youssef al-Qaradhawi, l'un des rares théologiens musulmans à approuver ouvertement les attentats des kamikazes, ou Fayçal Mawlawi, qui est non seulement un Frère musulman, mais aussi le principal chef d'une organisation terroriste libanaise. Et ce n'est pas tout. Il affaiblit la résistance laïque face à l'intégrisme en tissant des alliances avec des associations laïques et antiracistes. Il a réussi un tour de force: rendre l'islamisme séduisant aux yeux de certains militants de la gauche alter-mondialiste! Sa tactique est simple: envoyer des jeunes acquis à sa cause s'inscrire dans des associations antiracistes et dans des partis de gauche. Ils proposent des tables rondes, comme au Forum social européen de Saint-Denis, en novembre 2003, et il vient faire son numéro.
Comment a-t-il pu pénétrer la gauche laïque?
En 1995, Tariq Ramadan est apparu comme un martyr lorsque Jean-Louis Debré [alors ministre de l'Intérieur] l'a interdit de séjour pour «menace à l'ordre public» à cause de ses discours et de ses fréquentations. En l'occurrence, on le soupçonnait de fréquenter des anciens du Fida, le groupe du GIA chargé du meurtre des intellectuels en Algérie, à une époque où la France était visée par le GIA... Honnêtement, il y avait de quoi être inquiet en voyant un prédicateur aussi sulfureux gagner du terrain en France. Mais la droite pouvait légitimement être soupçonnée de faire du «délit de faciès». Sitôt réautorisé à entrer en France, il a été sollicité par la Ligue de l'enseignement pour figurer, en vedette, dans la commission Islam et laïcité, dont la Ligue des droits de l'homme a ensuite repris le flambeau. Les musulmans libéraux membres de cette commission ont eu beau claquer la porte face aux prises de position de Ramadan, certains intellectuels laïques, tel Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l'homme, ont pris fait et cause pour Ramadan, persuadés qu'ils avaient affaire à un vrai réformateur.
Comment expliquer un tel aveuglement?
L'un des boucliers qui protègent le plus Tariq Ramadan de la critique lucide, c'est le différentialisme culturel. Par souci de tolérance, et surtout par peur d'être accusés de racisme antimusulman, voire d' «islamophobie» - terme chéri des islamistes - ses interlocuteurs lui pardonnent des propos qu'ils ne pardonneraient pas une seconde à un intégriste chrétien. Si un prédicateur chrétien venait vous dire: «Je pense que l'homosexualité, l'adultère et la sexualité hors mariage sont des crimes devant Dieu», ou: «Je suis pour que les femmes se voilent, en signe de sujétion, comme saint Paul le demandait», personne ne croirait une seconde qu'il s'agit d'un chrétien libéral! Pourquoi s'obstine-t-on à présenter Ramadan comme un musulman libéral alors qu'il tient des propos similaires? Nous sommes tellement habitués à l'idée que l'islam est une religion archaïque que, lorsqu'un représentant musulman parle gentiment ou propose un moratoire sur la lapidation, nous percevons cela comme une formidable avancée! L'islam, qui est une religion beaucoup moins rigide qu'on ne le croit, laisse tout à fait la place à l'ijtihad (l'interprétation) et à la choura (la délibération), donc à l'esprit critique. Pourquoi n'entend-on pas les vrais musulmans libéraux, qui souhaitent réellement moderniser l'islam? Parce que Tariq Ramadan parle à leur place sur les plateaux de télévision.
Que reproche-t-il aux musulmans laïques?
Aux yeux de Ramadan, les musulmans qui s'avisent de vouloir réformer leur religion dans le sens du progrès et de la modernité, ou qui souhaitent tout simplement évoluer vers une foi individuelle, plus culturelle que politique, sont de faux musulmans, accusés d'avoir vendu leur âme à l'Occident. Il les méprise et les combat à partir du camp adverse: celui des fondamentalistes, plus exactement des salafistes réformistes. Il ne faut pas se méprendre sur l'adjectif. Contrairement aux salafistes littéralistes, les salafistes réformistes disent vouloir replacer les enseignements du Prophète dans leur contexte. Mais, même chez eux, «contextualiser» ne veut jamais dire «actualiser». Pour Ramadan, réexaminer un principe du Coran au nom des droits de l'homme, par exemple abandonner le port du voile, revient à trahir l'islam. Ramadan a joué un rôle majeur dans l'éclosion des voiles dans les banlieues. Il veut bien que les filles prennent leur temps pour se faire à l'idée de porter le foulard - c'est ce qu'il appelle le temps du «cheminement». Mais son but est de leur faire comprendre qu'une bonne musulmane est une musulmane pudique et discrète, donc voilée.
Tariq Ramadan est le petit-fils du fondateur des Frères musulmans, Hassan al-Banna, ce dont on peut difficilement le tenir pour responsable. En revanche, vous affirmez qu'il est bien l'héritier politique de son grand-père. Pourquoi en êtes-vous si sûre?
Pour avoir étudié ses propos et ses écrits, j'ai été frappée de constater à quel point le discours de Tariq Ramadan n'est souvent qu'une répétition de celui que tenait Banna au début du XXe siècle en Egypte. Il ne critique jamais son grand-père. Au contraire, il le présente comme le modèle à suivre, un homme irréprochable, non violent et injustement critiqué à cause du «lobby sioniste»! Ce qui fait froid dans le dos quand on sait à quel point Banna était fanatique, qu'il a accouché d'un mouvement dont sont issus les pires jihadistes (comme Ayman al-Zawahiri, n° 2 d'Al-Qaeda) et qu'il voulait établir une théocratie dans chaque pays comptant un musulman!
Tariq Ramadan soutient qu'il n'est pas un Frère musulman. Comme tous les Frères musulmans... puisqu'il s'agit d'une confrérie aux trois quarts secrète, où il est permis de nier tout lien organique pour éviter d'être repéré. Un Frère musulman est avant tout quelqu'un qui adopte la méthode et la pensée de Banna. Or Ramadan est l'homme qui a le plus fait pour diffuser cette pensée et cette méthode. Qui plus est, il ment lorsqu'il nie tout lien organique avec la confrérie: il occupe le poste d'administrateur au QG de sa branche européenne, le Centre islamique de Genève!
Quel enseignement tirer de l'ascension d'un personnage comme Tariq Ramadan?
Il va bien falloir que l'on fasse le bilan de la complicité de tous ceux - intellectuels et politiques - qui ont facilité l'emprise de prédicateurs tels que lui. Depuis dix ans, les pouvoirs publics ont abandonné les quartiers populaires à des prêcheurs censés ramener les jeunes dans le droit chemin grâce à la religion. Tariq Ramadan est le produit de cette démission.
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L'Express du 18/10/2004
Frère Tariq
Extraits exclusifs
Un livre de Caroline Fourest
Respecter la Constitution... sauf si elle s'oppose à l'islam!
En théorie, même dans ses cassettes, Ramadan ne voit aucune contradiction entre le fait d'être musulman et français, ou musulman et suisse, etc. (...) «Comme résident de ce pays ou comme citoyen, je respecte la Constitution. C'est un principe islamique (1)» [dit-il]. Mais une précision de taille vient donner un tout autre sens à cette déclaration d'intention. Il précise en effet qu'il faut respecter la Constitution et la loi à partir du moment où «tout ce qui dans ce pays, d'un point de vue social, culturel, économique et légal, ne s'oppose pas à un principe islamique (...) devient islamique (2)». Ce complément d'information est évidemment décisif. Jusqu'ici, on pouvait comprendre que l'appartenance citoyenne et l'appartenance religieuse n'étaient pas incompatibles, mais l'on se demandait encore qui devait l'emporter en cas de conflit. La réponse de Tariq Ramadan est claire: un musulman respecte les lois d'un pays tant que ce cadre ne s'oppose pas à un principe islamique! Toujours dans cette cassette, il insiste: «Tout ce qui dans la culture dans laquelle nous vivons ne s'oppose pas à l'islam, on peut le prendre.» Ce qui exclut le reste. (...)
Dans une conférence sur «Notre identité face au contexte: assimilation, intégration ou contribution?», il fait cette proposition à ses coreligionnaires: «Nous sommes d'accord pour l'intégration, mais c'est nous qui allons mettre le contenu.» Or, quel est ce contenu? «J'accepte ces lois tant que ces lois ne m'obligent pas à faire quelque chose contre ma religion (3).»
(1) et (2) Cassette de Tariq Ramadan, Vivre en Occident: les cinq fondements de notre présence, partie II, QA 40, Tawhid.
(3) Cassette de Tariq Ramadan, Notre identité face au contexte: assimilation, intégration ou contribution, QA 44, Tawhid.
Prêt à combattre pour défendre l'identité musulmane
Apparemment insatisfait par les cinq piliers de l'islam concernant le culte, Tariq Ramadan y ajoute quatre autres piliers (tous politiques), censés former l'identité musulmane de façon non négociable. La foi: «Pouvoir vivre notre spiritualité et notre pratique complètement.» La compréhension: «Apprendre notre religion.» L'éducation: «Pouvoir transmettre et éduquer nos enfants dans le message.» L'action: «Pouvoir agir au nom de notre foi.» En apparence, cette proposition paraît anodine. Elle n'a choqué aucun de ses lecteurs voyant en lui un musulman moderne et laïque. Sans doute se montreraient-ils plus curieux s'ils avaient entendu également la version cassette de cette présentation de l'identité musulmane, où Tariq Ramadan précise: «S'il y a une société qui m'enlève un de ces quatre points-là, cette société, je lui résisterai, je la combattrai (1).» (...)
(1) Cassette de Tariq Ramadan, L'Identité musulmane: construire notre discours, QA 28, Tawhid.
La laïcité à la mode Ramadan
Tariq Ramadan est très clair sur le fait que les musulmans doivent militer pour faire évoluer la laïcité de façon qu'elle coïncide avec leur vision fondamentaliste et politique de l'islam: «L'Etat ne peut pas ne pas tenir compte d'un peuple qui change, donc il faut changer le peuple», explique-t-il dans sa cassette Islam et laïcité (1) (...). Il est bien question que les musulmans deviennent citoyens pour pouvoir agir sur leur environnement, mais il n'est pas question que cet environnement ou que leur citoyenneté influencent ces musulmans. Ramadan propose d'intégrer tout ce qui est islamique, mais il milite de toutes ses forces pour que la communauté reste étanche à tout ce qui ne l'est pas: «J'intègre le bien au nom de l'universel, je ne me dissous pas, je ne me relativise pas.» A côté de quoi, «je viens avec une pensée globalisante (2)». L'échange n'est donc possible que dans un seul sens: les musulmans sont priés de ne pas se dissoudre dans les sociétés occidentales, mais de se saisir de leur citoyenneté pour mieux islamiser leur environnement. (...) C'est bien ce qu'il faut entendre lorsqu'il parle de «contribution» musulmane, qu'il présente comme une troisième voie entre intégration et assimilation. Voici très précisément comment il traduit ce concept auprès de ses fidèles: «Il faut s'engager dans tous les domaines qui sont les nôtres où l'on peut amener à changer les choses vers plus d'islam (3).»
(1) et (3) Cassette de Tariq Ramadan, Islam et laïcité: compréhension et dialogue, QA 18, Tawhid.
(2) Cassette de Tariq Ramadan, Islam d'Europe entre religion minoritaire et message universel, HC 024, Tawhid.
De l'obsession de la pudeur à celle de la non-mixité
Derrière un message apparemment serein, Tariq Ramadan se révèle d'une bigoterie surannée, obsédé par la pudeur et par le risque de transgression. (...) Il est d'accord pour qu'un homme et une femme se parlent en public, bien sûr, mais il trouve immoral qu'une femme et un homme non mariés se retrouvent seuls dans une chambre. Il préfère même que l'on évite les poignées de main entre homme et femme, sauf si cela peut être interprété comme un geste intégriste: «Essayez de l'éviter, mais, quand on vous tend la main, vous donnez la main.» Il mène aussi un vrai combat pour des piscines non mixtes, comme le montre sa colère lors d'une conférence sur les «grands péchés» tenue à la Réunion: «Aujourd'hui, les piscines, à l'île de la Réunion, ne sont pas islamiques! Certains hommes y vont quand même en disant: «Mais moi je protège ce que je dois protéger»; mais qu'est-ce que tu regardes à la piscine: tu peux pas y aller parce que ton regard est posé sur des choses que tu ne dois pas voir! Parce que tu vas là-bas et forcément ça t'attire! Donc il faut développer des lieux où c'est sain, où l'on aura des piscines tout en respectant nos principes éthiques (1).»
(1) Cassette de Tariq Ramadan, Les Grands Péchés, QA 4, Tawhid.
Le voile comme étendard
Dans ses cassettes sur La Femme musulmane face à son devoir d'engagement (1), il encourage vivement les femmes à ne pas se laisser intimider, à mettre le voile et même à porter plainte si on leur refuse ce droit: «Il faut aussi se faire entendre par la législation, se faire entendre par le droit, et faire en sorte d'être respecté par rapport à ça.» Il ajoute qu'il n'est pas question de céder devant l'adversité, par peur d'avoir des «problèmes avec les collègues» ou «à l'école». Tout en rendant hommage aux filles qui font preuve de ce «courage», il demande à la communauté musulmane de les épauler: «Il faut une communauté qui les soutienne.» (...) En général, Tariq Ramadan et son frère ne sont jamais loin lorsqu'une affaire de voile éclate dans la presse. Le prédicateur [Tariq Ramadan] explique volontiers aux musulmans comment justifier ce choix pour faire en sorte que les choses changent et que le voile soit de plus en plus répandu et accepté: «Plus on sera présent, plus des femmes avec leur hidjab seront présentes, sur le plan social, présentes dans la discussion, expliquant leur démarche, expliquant qui elles sont (...), plus on habituera les mentalités, et plus les choses changeront (2).»
(1) Cassette de Tariq Ramadan, La Femme musulmane face à son devoir d'engagement, QA 22, Tawhid.
(2) Cassette de Tariq Ramadan, Vivre en Occident: les cinq fondements de notre présence, partie II, QA 40, Tawhid.
«Eduquer nos enfants dans le message»
Dans les actes du Colloque international des musulmans de l'espace francophone, rédigés sous la houlette de Ramadan en 2001, parmi les recommandations stratégiques adressées par le comité de pilotage qu'il préside, on peut lire que «l'éducation est un domaine où les stratégies doivent être très exigeantes». Les musulmans francophones sont incités à «veiller au contrôle des programmes scolaires et empêcher de véhiculer des valeurs non conformes à nos principes», à «promouvoir les structures intégrant le cursus officiel et l'éducation islamique, qu'elle soit déclarée ou non» et, enfin, à «investir l'école publique en utilisant les espaces libres pour dispenser un enseignement religieux complémentaire». (...) Dans ses cassettes, non content de prôner un enseignement complémentaire antidote à la théorie de l'évolution, Ramadan encourage très clairement les jeunes filles à ne pas participer à toutes les activités sportives: «Il n'est pas permis aux femmes de faire du sport dans des conditions qui dévoilent leurs corps aux hommes (1).»
(1) Cassette de Tariq Ramadan, La Femme musulmane face à son devoir d'engagement, op. cit.
Indulgence sémantique envers les intégristes
Autant [Tariq Ramadan] critique ouvertement les musulmans libéraux, autant il n'emploie jamais de terme critique envers les intégristes musulmans. On désigne par «intégristes» ou «islamistes» ceux qui instrumentalisent le religieux à des fins politiques liberticides. Or Ramadan n'utilise jamais ce terme pour parler des islamistes. Tant qu'ils sont proches des Frères musulmans, les théologiens ou les militants les plus radicaux - de Youssef al-Qaradhawi à Sayyid Qotb, en passant par Banna - ne sont jamais désignés autrement que par des termes flatteurs tels que «musulmans politiques» ou «savants». Une façon de nier leur intégrisme qui échappe à ceux ne sachant pas faire la différence entre musulman et islamiste.
Moratoire pour la lapidation
Cette façon de s'autoriser une interprétation plutôt souple des fondements de l'islam pour continuer à séduire l'extérieur, tout en se déchargeant sur des «savants» islamistes qui bloqueront de toute façon cette avancée exprimée à titre personnel, est un grand classique de Tariq Ramadan. Cette hypocrisie est enfin apparue au grand jour lorsqu'il s'est contenté de proposer un «moratoire» pour mettre un terme à la lapidation pour adultère lors de l'émission 100 Minutes pour convaincre. Cette proposition n'est pas seulement indécente et conservatrice, elle constitue un retour en arrière par rapport aux avancées enregistrées par le Coran lui-même. En effet, comme Jésus avant lui («Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre!»), Mahomet avait souhaité mettre fin à ce châtiment indigne. Aïcha, sa deuxième femme, fut accusée à tort d'avoir été adultère et il ne voulait pas que ce type d'injustice puisse se reproduire. (...) Il faut bien comprendre ce qu'entend Tariq Ramadan par «moratoire». Il parle d'un exercice de délibération (choura) devant se dérouler non pas entre citoyens mais entre savants. Or Tariq Ramadan reconnaît comme savants uniquement des théologiens proches des Frères, c'est-à-dire intégristes. (...) Or que signifie proposer un moratoire entre savants islamistes, majoritairement favorables à la lapidation, si ce n'est proposer un moratoire ne pouvant qu'aboutir au maintien de la lapidation!
S'il désapprouvait réellement le GIA, Ramadan ne serait pas ami avec le seul homme ayant osé écrire que le massacre de Tibéhirine était fondé coraniquement parlant... Yahya Michot. En 1997, ce Belge converti à l'islam s'est fait connaître pour avoir exhumé une fatwa d'Ibn Taymiyya prouvant que le meurtre des moines était justifié du point de vue religieux! (...) Peu de réformistes non jihadistes s'affichent à ses côtés depuis. Tariq Ramadan, lui, fait toujours partie de ses amis. En mars 2002, le prédicateur a même rédigé la préface de son dernier ouvrage, un livre édité par Jeunesse sans frontières. Bien sûr, le livre en question ne porte pas sur Tibéhirine. Il s'agit d'un ouvrage intitulé Musulman en Europe mais la caution apportée par Ramadan à Michot est un signal fort envoyé à tous les jeunes islamistes au fait de ce type de débats (1). (...) Ramadan recommande Yahya Michot comme «un frère et un ami». Il ne cesse de vanter ses mérites et le présente comme l' «un des rares penseurs musulmans qui savent l'élégance de l'humour généreux et digne». Dans ce cas... Ramadan prend tout de même soin d'assurer ses arrières par cette phrase sans aucune portée, mais dont il pourra toujours se targuer: «Plus d'une fois nous n'avons point été d'accord, souvent nous nous sommes confrontés.» Sur quoi? Les jeunes qui liront ce livre ne le sauront pas.
(1) Yahya Michot, Musulman en Europe, préface de Tariq Ramadan (éd. Jeunesse sans frontières).
Double discours
Il [Tariq Ramadan] assume volontiers son école de pensée lorsqu'il se produit devant un public «ami», mais évite soigneusement de la mettre en avant devant un public potentiellement critique. Interviewé par Beur FM en novembre 2003, il reconnaît appartenir au réformisme salafiste: «Il y a la tendance réformiste rationaliste et la tendance salafi, au sens où le salafi essaie de rester fidèle aux fondements. Je suis de cette tendance-là, c'est-à-dire qu'il y a un certain nombre de principes qui sont pour moi fondamentaux, que je ne veux pas trahir en tant que musulman (1).» On ne saurait être plus clair. Si Tariq Ramadan est bien réformiste, c'est uniquement en tant que «salafiste», c'est-à-dire en tant que fondamentaliste (le mot arabe salaf signifiant «nos pieux ancêtres»). Autant le terme «réforme» indique bien sa volonté de renouveler la compréhension de l'islam, autant l'adjectif «salafiste» nous renseigne sur l'orientation souhaitée par ce changement, en l'occurrence une lecture passéiste et non progressiste. (...) Le 25 février 2004, moins de quatre mois après son interview sur Beur FM, [Tariq Ramadan] tiendra un tout autre discours lors d'un colloque organisé à l'Unesco. Mis en difficulté par Ghaleb Bencheikh, connu pour représenter le courant réformiste libéral, il a retourné la salle en accusant son contradicteur de lui faire un faux procès: «Je ne suis pas salafiste! "Salafi" signifie littéraliste. Je ne suis pas littéraliste.» (...) Joli tour de passe-passe en vérité. Tariq Ramadan est pris en flagrant délit de double discours. «Salaf» évoque les fondements et non le littéralisme. Et Tariq Ramadan est bien salafiste, même s'il n'est pas littéraliste. Il conseille effectivement aux musulmans d'être fidèles à l'esprit des textes et non à leur formulation exacte - «Ce qui est absolu, ce n'est pas la lettre mais c'est le principe (2)» - mais il considère néanmoins toute recommandation énoncée au VIIe siècle, dans un contexte historique bien particulier, comme étant «une parole éternelle dans son principe». Si bien que son salafisme non littéraliste reste une invitation à refuser de moderniser ou d'adapter des principes datant du VIIe siècle.
(1) Dépêche AFP du 15 novembre 2003.
(2) Cassette de Tariq Ramadan, L'Islam et le fondamentalisme religieux, QA 11, Tawhid.
Virtuose de la rhétorique
Depuis quinze ans qu'il s'exerce à parler tour à tour devant un public d'islamistes ultraradicaux comme devant un public de militants laïques ultrasceptiques, Tariq Ramadan est devenu un virtuose du désamorçage rhétorique et sémantique. Un art qu'il enseigne à ses fidèles, à qui il explique la nécessité d'une «stratégie de communication» pour établir des «sphères de collaboration»: «On a effectivement énormément de gens qui sont prêts, des intellectuels, des penseurs, des gens sur le plan social, qui seront sur la même ligne de résistance avec nous à une seule condition, c'est que nous développions la communication (1).» Afin d'être plus efficaces, il invite les musulmans à s'adapter en fonction de leurs publics cibles et donc à bien les connaître: «Je dois développer un discours à la mesure de l'oreille qui l'écoute (2).» (...)
Tariq Ramadan a dirigé - et en grande partie rédigé - un petit précis sur «la compréhension, la terminologie, le discours» destiné aux musulmans francophones. On peut y lire que l'objectif premier de ce travail consiste à «avoir un discours fidèle à nos références» tout en étant «compris». Un passage précise: «La fidélité à nos principes reste prioritaire.» Edité par les éditions Tawhid, cet opuscule sert d'actes au Colloque international des musulmans de l'espace francophone qui s'est tenu à Abidjan du 4 au 6 août 2000. Ramadan y animait un atelier de redéfinition sémantique sur les mots «droit, rationalité, démocratie et communauté». Pour chaque terme, le livre explique comment ce mot peut être compris par les Occidentaux, en quoi il pose problème aux musulmans, et propose une «formulation de concept» qui ressemble fort à une redéfinition propre à troubler ses interlocuteurs. On retrouve ainsi toutes les astuces sémantiques du prédicateur. Le mot «rationalité», par exemple, n'est plus synonyme d'esprit critique issu des Lumières, mais d'un «cheminement intellectuel permettant de redécouvrir la foi». Un exemple parmi d'autres. En fait, pour chaque mot clef sur lequel il se sait attendu, Ramadan a développé une seconde définition - à laquelle ont accès ceux qui ont suivi ses cours oraux ou lu ses livres les plus confidentiels. Ce qui lui permet de tenir un discours apparemment inoffensif tout en restant fidèle à un message éminemment islamiste sans avoir nécessairement besoin de mentir ouvertement, en tout cas pas à ses yeux.
(1) et (2) Cassette de Tariq Ramadan, Islam et Occident, QA 16, Tawhid.
L'art du mensonge...
En octobre 2001, un mois après les attentats du 11 septembre, le journal [Lyon Mag] brise un tabou et pose la question que tout le monde cherche à esquiver: «Faut-il avoir peur des réseaux islamistes à Lyon?» Le résultat de l'enquête est redoutable pour Ramadan, qui apparaît dans toute son ambiguïté. C'est le premier article réellement susceptible de le dévoiler. C'est aussi la première fois que le prédicateur décide d'attaquer devant un tribunal. Mais Lyon Mag ne se laisse pas intimider. En janvier 2002, la rédaction choisit d'étayer son propos en interviewant Antoine Sfeir, qui confirme leur intuition. Sfeir parle d'un «orateur habile» et d'un «fondamentaliste charmeur», «spécialiste du double langage». (...) Ramadan peut difficilement accuser Antoine Sfeir d'être raciste sans se ridiculiser. (...) Il entame donc un second procès. Les deux affaires, celle contre Lyon Mag et celle contre Sfeir, sont jointes. (...) Le journal Lyon Mag est condamné pour ne pas avoir usé de suffisamment de précautions, ce qui est un classique, mais Sfeir est reconnu comme ayant tenu des propos conformes à une certaine vérité. Le verdict est très dur pour Ramadan. Dans son jugement du 22 mai 2003, la cour d'appel de Lyon estime que les discours de prédicateurs comme Tariq Ramadan «peuvent exercer une influence sur les jeunes islamistes et constituer un facteur incitatif pouvant les conduire à rejoindre les partisans d'actions violentes».
Voilà qui porte un sacré coup au plaignant. Pourtant Ramadan trouvera le moyen de minimiser la casse. (...) Il fait croire qu'il a gagné contre Sfeir en mélangeant les deux plaintes, celle contre le directeur des Cahiers de l'Orient et celle contre Lyon Mag. Ce qui lui permet d'affirmer sur les plateaux de télévision qu'il a gagné ses procès contre tous ceux qui l'accusent de tenir un double discours, comme lors de l'émission Campus du 4 décembre 2003. Ce jour-là, il est repris par Guillaume Durand: «Vous avez perdu votre procès contre Antoine Sfeir...» Mais Ramadan persiste et ment: «Non, j'ai gagné mon procès contre Antoine Sfeir.»
Etablir des «sphères de collaboration»
Dans ses cassettes, [Ramadan] encourage ouvertement ses partisans à tisser des alliances: «J'aimerais que vous vous rendiez compte que nous ne sommes pas seuls à relever le défi de la résistance à l'occidentalisation sans âme et sans conscience. (...) L'avenir est bien à cette double réflexion intelligente: répertorier les sphères de résistance et développer les sphères de collaboration. (...) On ne doit pas se mettre seul contre tous (1).» On pourrait croire que Ramadan invite surtout les musulmans à devenir les alliés des non-musulmans face à la mondialisation. Sauf que nous savons ce qu'entend Tariq Ramadan par résister à l'occidentalisation: non pas une autre mondialisation, mais un «face-à-face des civilisations» qui verra triompher l'islam politique. Voici ce qu'il explique dans ses cassettes à ses partisans: (...) «Qu'est-ce qu'a dit Huntington? Il a dit: les pouvoirs occidentaux doivent chercher dans les pays musulmans ceux qui défendent leur idéologie. C'est-à-dire qu'on va chercher dans les pays musulmans, les musulmans dits «libéraux», ou les musulmans dits «laïques». Les musulmans sans l'islam, quoi! (...) Eh bien nous, ceux avec lesquels on va collaborer, c'est exactement le contraire. On va aller en Occident chercher et collaborer avec tous les êtres qui défendent le droit, la justice et la dignité des hommes. On va développer ces ponts, on va être présent sur le champ du dialogue académique et social. (...) Donc nous sommes contre la philosophie du conflit mais nous sommes pour la philosophie de la résistance dans la collaboration (2).» Peut-on être plus clair?
(1) et (2) Cassette de Tariq Ramadan, Islam et Occident, QA 16, Tawhid.