"Reds" dimanche 11 novembre sur Arte

Message par com_71 » 15 Nov 2007, 12:05

(Vérié @ jeudi 15 novembre 2007 à 11:49 a écrit :
(Vérié @ mardi 13 novembre 2007 à 18:21 a écrit : LE POINT DE VUE DE TROTSKY SUR ZINOVIEV

"Je le répète : Staline n'a pas le monopole de la déloyauté. Zinoviev, qui, à sa façon, a formé toute une école, a travaillé dans le même sens. Maslow et Fischer étaient incontestablement les représentants les plus éminents de cette école... (Extrait des oeuvres de Trotsky -disponibles sur le Net - 19 septembre 1929.)


Je remets en ligne ce passage de Trotsky, que certains semblent avoir ignoré...
Cette discussion n'a pas grand sens...

Rappelons par exemple que quelques années après avoir écrit ces lignes, Trotsky plaçait Maslow et Fischer au sein de la direction de l'opposition de gauche internationale...
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
Avatar de l’utilisateur
com_71
 
Message(s) : 6402
Inscription : 12 Oct 2002, 00:14

Message par Vérié » 15 Nov 2007, 12:10

(com_71 @ jeudi 15 novembre 2007 à 12:05 a écrit : Cette discussion n'a pas grand sens...

Rappelons par exemple que quelques années après avoir écrit ces lignes, Trotsky plaçait Maslow et Fischer au sein de la direction de l'opposition de gauche internationale...

Cela, j'avoue que je l'ignorais ou l'avais oublié. Ca semble indiquer que Trotsky, soit s'exprimait sur le coup de la colère, soit était mal informé sur ces deux personnages, soit qu'il a fait feu de tout bois si l'on peut dire, comme il l'avait fait en s'alliant avec Zinoviev...

Mais tout de meme, j'insiste sur le fait que ces jugements sévères de Trotsky sur Zinoviev se recoupent avec les points de vue des historiens comme Broué, Shapiro, Carr etc sur la bureaucratie de Léningrad dirigée par Zinoviev...
Vérié
 
Message(s) : 0
Inscription : 08 Sep 2007, 08:21

Message par artza » 15 Nov 2007, 12:16

(jeug @ jeudi 15 novembre 2007 à 12:00 a écrit :
(Zelda @ jeudi 15 novembre 2007 à 11:40 a écrit : (...) l'histoire aurait pu faire de Zinoviev un compagnon de route fiable de Trotsky (...)

Un compagnon de route, probable, mais pas mieux, justement.
Et dans les circonstances de l'époque, il aurait fallu plus que ça.
Dommage !

Mais il le fut (l'Opposition unifiée)! Fiable, je ne sais pas.

Je laisse juge les "théoriciens" et les "stratèges" dont je ne suis pas, comme Zinoviev, mais qui semblent légion sur ce forum puissent-ils être aussi des "agitateurs né".

Allez, salut.
artza
 
Message(s) : 2527
Inscription : 22 Sep 2003, 08:22

Message par artza » 15 Nov 2007, 12:35

(Vérié @ jeudi 15 novembre 2007 à 12:10 a écrit :

Mais tout de meme, j'insiste sur le fait que ces jugements sévères de Trotsky sur Zinoviev se recoupent avec les points de vue des historiens comme Broué, Shapiro, Carr etc sur la bureaucratie de Léningrad dirigée par Zinoviev...

Franchement, Carr, Broué et Shapiro rien à carrer.

Ils ont une expérience qui ne dépasse pas les pages des docu. qu'ils ont consulté.

Pour commenter, les choses sont claires, Zinoviev n'a pas la côte comme Jules Guesde d'ailleurs (autre fil).
Par contre Gramsci et Boukharine sont adulés. Rakovsky, Bordiga, Rosmer ignorés.

Pourquoi?

Poser la question c'est-y répondre dirait?

Que chacun lise un peu et on en recausera...peut-être :wavey:
artza
 
Message(s) : 2527
Inscription : 22 Sep 2003, 08:22

Message par Vérié » 15 Nov 2007, 14:50

(artza @ jeudi 15 novembre 2007 à 12:35 a écrit :
(Vérié @ jeudi 15 novembre 2007 à 12:10 a écrit :

Mais tout de meme, j'insiste sur le fait que ces jugements sévères de Trotsky sur Zinoviev se recoupent avec les points de vue des historiens comme Broué, Shapiro, Carr etc sur la bureaucratie de Léningrad dirigée par Zinoviev...

Franchement, Carr, Broué et Shapiro rien à carrer.

Ils ont une expérience qui ne dépasse pas les pages des docu. qu'ils ont consulté.

(...)
Que chacun lise un peu et on en recausera...peut-être :wavey:
J'ignore pourquoi tu t'obstines à défendre Zinoviev. Apparemment, Artza, aucun historien trotskyste ne trouve grace à tes yeux. Comme je connais ta culture et ton interet pour ces questions, ta remarque sur le témoignage de Victor Serge m'a interpellé. J'ai donc fait l'effort de rechercher les passages dans lesquels il évoque l'opposition de Léningrad. Dans Mémoires d'un révolutionnaire et dans Le tournant obscur (Ed Albatros).

Voici ce qu'il dit à propos de l'allinace de Trotsky avec Zionoviev, qui était discutée dans de petits cercles trotskystes qui se réunissaient discrétement dans des appartements très modestes de Léningrad :

"Personnellement, je pensais que le régime bureaucratique établi par Zinoviev dans le parti ne saurait s'aggraver ; rien ne serait pire... Au contraire tout changement pourrait donner des chances d'assainissement." (Page 125)

Plus loin (page 126, évoquant la politique de Zinoviev qui a causé sa perte) :"Dans le parti, les répressions, les épurations, les vilénies multipliées contre Trotsky."

Et encore, page 127, cette remarque intéressante sur un aspect caractéristique de la mentalité du bureaucrate qu'on retrouve fréquemment :"Zinoviev, sincèrement démagogue, croyait ce qu'il disait de l'attachement des masses ouvrières de Léningrad à sa coterie. Il prenait pour une opinion vivante l'opinion fabriquée par ses sous-ordres de la Pravda de Léningrad. Il rentra pour en appeler au parti et aux masses, alors que le parti n'était plus que l'ombre des bureaux et que les masses, indifférentes, se réservaient. LA RESISTANCE DE LENINGRAD FUT BRISEE EN QUINZE JOURS."

A noter, Rakowski dans "Les dangers professionnels du pouvoir" raconte exactement la meme chose : Zinoviev prenanit pour argent comptant les applaudissements obligatoires de ses auditoires...

L'alliance avec Zinoviev a d'ailleurs suscité beaucoup de réticences parmi les partisans de Trotsky qui détestaient Zinoviev. Le plus triste, c'est que les "troupes" de Zinoviev, qui avait été le "patron" de la plus grosses ville ouvrière d'URSS se limitaient à quelques centaines de militants. Et encore, Victore Serge précise "Nous doutions de ce chiffre". Quant aux Trotskystes, ils étaient une dizaine à Léningrad entourés d'une vingtaine de sympathisants au maximum... Donc ce renfort douteux pouvait sembler le bienvenu.

Artza, je ne veux donc pas te faire la leçon, mais je t'invite moi aussi à relire tout ça...
Vérié
 
Message(s) : 0
Inscription : 08 Sep 2007, 08:21

Message par com_71 » 15 Nov 2007, 15:41

(lutte ouvrière a écrit :90 ans après la révolution d'Octobre 1917 : une haine de la révolution qui n'a pas disparu.

La commémoration du 90e anniversaire de la révolution d'Octobre en Russie a donné lieu à une série d'articles et d'émissions dans les médias. Leur point commun : chercher à opposer la révolution de Février, qui renversa le tsarisme, à celle d'Octobre 1917, qui renversa la bourgeoisie au profit des soviets ouvriers et paysans. Avec en prime, souvent, la volonté de faire croire qu'il y aurait une continuité, sinon une identité entre le léninisme et le stalinisme. Cela sur fond d'hostilité généralement déclarée à tout ce qui peut évoquer une révolution sociale triomphante.

La plupart ont décrit Octobre 1917 comme une « révolution en trompe-l'œil » (Le Figaro), un « étrange coup d'État » (Le Monde) perpétré par une minorité de bolcheviks. À les croire, la révolution d'Octobre serait « un grand mythe [qui relève] d'une réécriture soviétique de l'histoire » (Télérama, citant les auteurs du documentaire, 1917, la révolution russe diffusé par Arte).

Cette volonté de réduire la révolution d'Octobre à un coup de force minoritaire n'a rien à voir avec la réalité des faits, ni avec leur logique. Car, face à la formidable coalition de la bourgeoisie russe, de l'aristocratie et du corps des officiers blancs qui allaient déclencher la guerre civile, avec l'appui armé et financier des grandes puissances, comment une poignée de révolutionnaires aurait-elle pu s'emparer du pouvoir, et surtout le conserver, sans la participation active de millions d'ouvriers, de paysans, de déshérités ? Ce sont eux qui avaient abattu le tsarisme en Février. Et ce sont les mêmes, rejoints par d'autres, qui renversèrent le gouvernement provisoire issu de Février qui protégeait les intérêts de la bourgeoisie, pour instaurer leur propre pouvoir, celui des soviets.

L'art de ressusciter Lénine...

À cette question, pas un article, pas une émission n'a apporté de réponse. Aucun ne l'a d'ailleurs posée, car elle aurait jeté sur Octobre 1917 un éclairage qui n'a jamais été vraiment de mode.

S'il ne s'agissait que de juger du manque de sérieux de ces commentaires, il suffirait de rappeler comment, présentant un documentaire sur Trotsky, le supplément télévision du Monde a « informé » ses lecteurs. Lénine, y lisait-on, aurait expulsé Trotsky d'URSS... même si c'est Staline qui l'a fait, en janvier 1929, cinq ans après la mort de Lénine. Et cela alors que la plupart des compagnons de Lénine, qui avaient engagé la bataille contre le stalinisme, avaient été vaincus !

Pour certains commentateurs, mieux vaut ne s'embarrasser ni des faits, ni de la chronologie, quand il leur importe de tracer un trait d'égalité entre le bolchevisme et sa négation contre-révolutionnaire, le stalinisme.

... pour enterrer (à nouveau) les idéaux d'octobre.

Le documentaire déjà cité d'Arte sur 1917, présentant des images d'archives fort intéressantes sur la révolution russe, ne se bornait pas à exposer un point de vue hostile à celle-ci. En cela, sa relative neutralité tranchait sur la plupart des médias, qui ont soit passé sous silence l'événement, soit déversé sur lui des tombereaux de mensonges et de calomnies.

Dans le genre, le numéro d'octobre de la revue L'Histoire n'a pas fait dans la nuance. Sa une, titrant sur Les crimes cachés du communisme en prétendant s'appuyer sur des « archives inédites », annonçait la couleur. Il s'agissait d'une resucée de mensonges aussi vieux que la révolution russe. Pour cela, cette revue a fait appel à des auteurs connus pour leur anticommunisme et certains pour leur passé stalinien, ce dont ils ne se vantent pas, alors que cela explique aussi leur aversion pour tout ce qui touche à la révolution.

Revendiquant ouvertement son but, dénigrer toute véritable révolution sociale, un « professeur émérite » de sciences politiques, Michael Winock, disait qu'il voulait dénoncer « la mécanique infernale qui, de la Révolution française à l'URSS de Staline, a conduit à la terreur ». Et un historien, Nicolas Werth, y expliquait, à propos de la guerre civile imposée par les anciennes classes dominantes au pouvoir soviétique, que « la terreur blanche ne fut jamais érigée en système (et) presque toujours le fait de détachements incontrôlés échappant à l'autorité militaire ou politique ». Il a « échappé » à ce monsieur que les massacres de Juifs les plus terribles commis en Europe avant le génocide hitlérien ont été le fait des contre-révolutionnaires blancs. Ou que le général blanc Kornilov, ayant échoué à noyer dans le sang Petrograd la rouge juste avant Octobre, avait ensuite déclaré : « Même si nous devons brûler la moitié de la Russie et tuer les trois quarts de sa population pour la sauver, nous le ferons. »

Au niveau du caniveau.

Mais même cela pourrait passer pour sérieux comparé au « récit » en trois épisodes que Le Monde a publié sur la révolution d'Octobre. L'auteur, un certain Jan Krauze, ne connaît visiblement rien à son sujet tant il accumule d'erreurs. Mais s'il mélange les époques sans le dire, invoque des témoins sans les nommer, cite des bobards sortis dont ne sait où, c'est dans un but précis : celui de nuire. Ainsi, prétend-il, Trotsky, comme d'autres bolcheviks, aurait vécu dans un domaine, celui du prince Ioussoupov, « avec suite de domestiques attenante ». Mieux, quand Trotsky parcourait le front dans son train blindé, il y aurait disposé, selon ce monsieur, « d'une cuisine de premier choix ». Comment cela aurait-il été possible, surtout en pleine zone de combat, dans une Russie où le ravitaillement, inexistant, se résuma à une question de vie ou de mort quotidienne durant des années ?

Ailleurs, il prétend que « Zinoviev traîne partout une ribambelle de prostituées » - en invoquant Gorki, alors terré à l'étranger car violemment hostile aux bolcheviks, avant de rallier Staline, ce que Krauze omet bien sûr de préciser. La haine le dispute tellement à la bêtise que même ses employeurs pourraient reprocher à ce monsieur de ne pas faire assez d'effort pour paraître crédible quand il ment.

Ce qui inspire Jan Krauze ou ses pareils, on le voit bien quand celui-ci s'indigne qu'après la prise du Palais d'Hiver, la « foule [...] s'abreuve de Château Yquem », qui se trouvait dans les caves du tsar, mais pas que sa cour ait fait bombance quand le pays mourait de faim. Et lorsque, pour mettre fin à la beuverie « on - mais il ne précise pas que c'est le pouvoir bolchevik, car cela nuirait à sa démonstration - fait vider le vin dans la rue, les passants se mettent à boire dans le caniveau ». On retrouve, comme à chaque révolution, tout le mépris des possédants et de leurs larbins pour la population exploitée.

Que, malgré toutes ses difficultés, la Russie soviétique ait représenté un immense espoir pour les opprimés du monde entier - ce dont témoignait le film Reds diffusé le 11 novembre sur Arte -, que la révolution d'Octobre ait fait faire un immense pas en avant, socialement et économiquement, à une Russie qui comptait plus de 80 % d'illettrés avant 1917, la plus élémentaire honnêteté exigerait de le reconnaître.

Mais il ne faut pas trop demander à des gens qui, quatre-vingt-dix ans après la révolution d'Octobre, ne cessent d'enterrer le communisme, de crainte qu'un jour les exploités du monde entier n'y voient à nouveau un drapeau : celui d'un avenir débarrassé de l'exploitation et de l'injustice de classe.

Pierre LAFFITTE.


En ce concerne le film "Reds", ce film revu à bien des années de distance, ne m'a, cette fois pas convaincu. Reed, Zinoviev, Radek,etc. peu crédibles. Seule E. Goldman semblait à sa place. Un comble !
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
Avatar de l’utilisateur
com_71
 
Message(s) : 6402
Inscription : 12 Oct 2002, 00:14

Message par Vérié » 15 Nov 2007, 15:50

Oui, comme on l'a dit sur un autre fil, les trois articles sur la Révo russe de Jan Krauze dans Le Monde sont vraiment ignobles. On croirait lire le Figaro de l'époque de la guerre froide.
Vérié
 
Message(s) : 0
Inscription : 08 Sep 2007, 08:21

Message par com_71 » 15 Nov 2007, 23:27

(artza @ mercredi 14 novembre 2007 à 09:20 a écrit :
(com_71 @ mercredi 14 novembre 2007 à 08:58 a écrit :

Il faudrait déjà relire les compte-rendus du congrès de Bakou (disponibles sur MIA).

En français?
Non, j'ai du rêver.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
Avatar de l’utilisateur
com_71
 
Message(s) : 6402
Inscription : 12 Oct 2002, 00:14

Message par com_71 » 15 Nov 2007, 23:35

[quote=" (com_71 @ mercredi 14 novembre 2007 à 08:58"]

J'ai rencontré également (dans un bouquin de Carrère d'Encausse, pas une référence indiscutable) cette expression dans la bouche de Zinoviev : "l'IC représente Mahomet sur la terre", ce qui est loin d'être une horreur.

cf. ci-dessous

http://www.google.fr/books?id=Z3tKAAAAMAAJ...v&pgis=1#search
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
Avatar de l’utilisateur
com_71
 
Message(s) : 6402
Inscription : 12 Oct 2002, 00:14

Message par ianovka » 16 Nov 2007, 09:43

Je profite de ce fil pour y faire figurer la lettre d'adieu d'Adolf Joffé qui figure sur l'éphéméride d'aujourd'hui.

D'abord parce que je trouve cette lettre réellement émouvante, qu'elle montre à quel point certains sont restés intègres et fidèles à la révolution.

Et aussi parce qu'elle met en évidence ce à quoi étaient soumis les opposants à la bureaucratisation au sein du parti.
Joffé y mentionne également l'exclusion de Zinoviev.

a écrit :
Adolf Joffé était l'un des hommes les plus capables qui entouraient Lénine au temps de la révolution et avait consacré toute sa vie au mouvement communiste. Il prit une part active à la révolution de 1905 ; emprisonné d'abord, il fut ensuite déporté en Sibérie et soumis au régime du travail forcé. Après la révolution d'octobre, dans laquelle il joua un rôle de premier plan, Lénine le désigna pour deux des postes diplomatiques alors de la plus haute importance pour la Russie soviétique : Berlin - il avait présidé la délégation russe à Brest-Litovsk – puis Tokyo. Il se tua le 16 novembre 1927, d’un coup de revolver dans la tempe. On trouva auprès de son corps la lettre ci-dessous.

Son enterrement sera l’occasion de la dernière grande manifestation de l’Opposition de Gauche en Russie.



Lettre d'adieu
16 novembre 1927

A Léon Trotsky
Cher Léon Davidovitch,

Toute ma vie j'ai été d'avis qu'un homme politique devait comprendre lorsque le moment était venu de s'en aller ainsi qu'un acteur quitte la scène et qu'il vaut mieux pour lui s'en aller trop tôt que trop tard.

Pendant plus de trente ans j'ai admis l'idée que la vie humaine n'a de signification qu'aussi longtemps et dans la mesure où elle est au service de quelque chose d'infini. Pour nous, l'humanité est cet infini. Tout le reste est fini, et travailler pour ce reste n'a pas de sens. Même si l'humanité devait un jour connaître une signification placée au-dessus d'elle-même, celle-ci ne deviendrait claire que dans un avenir si éloigné que pour nous l'humanité serait néanmoins quelque chose de complètement infini. Si on croit, comme je le fais, au progrès, on peut admettre que lorsque l'heure viendra pour notre planète de disparaître, l'humanité aura longtemps avant trouvé le moyen d'émigrer et de s'installer sur des planètes plus jeunes. C'est dans cette conception que j'ai, jour après jour, placé le sens de la vie. Et quand je regarde aujourd'hui mon passé, les vingt-sept années que j'ai passées dans les rangs de notre parti, je crois pouvoir dire avec raison que, tout le long de ma vie consciente, je suis resté fidèle à cette philosophie. J'ai toujours vécu suivant le précepte : travaille et combat pour le bien de l'humanité. Aussi je crois pouvoir dire à bon droit que chaque jour de ma vie a eu son sens.

Mais il me semble maintenant que le temps est venu où ma vie perd son sens, et c'est pourquoi je me sens le devoir d'y mettre fin.

Depuis plusieurs années, les dirigeants actuels de notre parti, fidèles à leur orientation de ne donner aux membres de l'opposition aucun travail, ne m'ont permis aucune activité, ni en politique, ni dans le travail soviétique, qui corresponde à mes aptitudes. Depuis un an, comme vous le savez, le bureau politique m'a interdit, en tant qu'adhérent de l'opposition, tout travail politique. Ma santé n'a pas cessé d'empirer. Le 20 septembre, pour des raisons inconnues de moi, la commission médicale du comité central m'a fait examiner par des spécialistes. Ceux-ci m'ont déclaré catégoriquement que ma santé était bien pire que je ne le supposais, et que je ne devais pas passer un jour de plus à Moscou, ni rester une heure de plus sans traitement, mais que je devais immédiatement partir pour l'étranger, dans un sanatorium convenable.

A ma question directe ; « Quelle chance ai-je de guérir à l'étranger, et ne puis-je pas me faire traiter en Russie sans abandonner mon travail », les médecins et assistants, le médecin en activité du comité central, le camarade Abrossov, un autre médecin communiste et le directeur de l'hôpital du Kremlin m'ont répondu unanimement que les sanatoriums russes ne pouvaient absolument pas me soigner, et que je devais subir un traitement à l'Ouest. Ils ajoutèrent que si je suivais leurs conseils, je n'en serais pas moins sans aucun doute hors d'état de travailler pour une longue période.

Après quoi, la commission médicale du comité central, bien qu'elle eût décidé de m'examiner de sa propre initiative, n'entreprit aucune démarche, ni pour mon départ à l'étranger, ni pour mon traitement dans le pays. Au contraire, le pharmacien du Kremlin, qui, jusqu'ici, m'avait fourni les remèdes qui m'étaient prescrits, se vit interdire de le faire. J'étais ainsi privé des remèdes gratuits dont j'avais bénéficié jusque-là. Cela arriva, semble-t-il, au moment où le groupe qui se trouve au pouvoir commença à appliquer sa solution contre les camarades de l'opposition : frapper l'opposition au ventre.

Tant que j'étais assez bien pour travailler, tout cela m'importait peu ; mais comme j'allais de mal en pis, ma femme s'adressa à la commission médicale du comité central, et, personnellement, au docteur Semachko, qui a toujours affirmé publiquement qu'il ne fallait rien négliger pour « sauver la vieille garde » ; mais elle n'obtint pas de réponse, et tout ce qu'elle put faire fut d'obtenir un extrait de la décision de la commission. On y énumérait mes maladies chroniques, et on y affirmait que je devais pour un an environ me rendre dans un sanatorium comme celui du professeur Riedländer.
Il y a maintenant huit jours que j'ai dû m'aliter définitivement, car mes maux chroniques, dans de telles circonstances, se sont naturellement fortement aggravés, et surtout le pire d'entre eux, ma vieille polynévrite, qui est redevenue aiguë, me causant des souffrances presque intolérables, et m'empêchant même de marcher.

Depuis neuf jours je suis resté sans aucun traitement, et la question de mon voyage à l'étranger n'a pas été reprise. Aucun des médecins du comité central ne m'a visité. Le professeur Davidenko et le docteur Levine, qui ont été appelés à mon chevet, m'ont prescrit des bagatelles, qui manifestement ne peuvent guérir, et ont reconnu qu'on ne pouvait rien faire et qu'un voyage à l'étranger était urgent. Le docteur Levine a dit à ma femme que la question s'aggravait du fait que la commission pensait évidemment que ma femme voudrait m'accompagner, "ce qui rendrait l'affaire trop coûteuse" . Ma femme répondit que, en dépit de l'état lamentable dans lequel je me trouvais, elle n'insisterait pas pour m'accompagner, ni elle, ni personne. Le docteur Levine nous assura alors que, dans ces conditions, l'affaire pourrait être réglée. Il m'a répété aujourd'hui que les médecins ne pouvaient rien faire, que le seul remède qui restait était mon départ immédiat pour l'étranger. Puis, ce soir, le médecin du comité central, le camarade Potiomkrine, a notifié à ma femme la décision de la commission médicale du comité central de ne pas m'envoyer à l'étranger, mais de me soigner en Russie. La raison en était que les spécialistes prévoyaient un long traitement à l'étranger et estimaient un court séjour inutile, mais que le comité central ne pouvait donner plus de 1000 dollars pour mon traitement et estimait impossible de donner plus.

Lors de mon séjour à l'étranger il y a quelque temps, j'ai reçu une offre de 20 000 dollars pour l'édition de mes mémoires ; mais comme ceux-ci doivent passer par la censure du bureau politique, et comme je sais combien, dans notre pays, on falsifie l'histoire du parti et de la révolution, je ne veux pas prêter la main à une telle falsification. Tout le travail de censure du bureau politique aurait consisté à m'interdire une appréciation véridique des personnes et de leurs actes - tant des véritables dirigeants de la révolution que de ceux qui se targuent de l'avoir été. Je n'ai donc aujourd'hui aucune possibilité de me faire soigner sans obtenir de l'argent du comité central, et celui-ci, après mes vingt-sept ans de travail révolutionnaire, ne croit pas pouvoir estimer ma vie et ma santé à un prix supérieur à 1000 dollars. C'est pourquoi, comme je l'ai dit, il est temps de mettre fin à ma vie. Je sais que l'opinion générale du parti n'admet pas le suicide ; mais je crois néanmoins qu'aucun de ceux qui comprendront ma situation ne pourra me condamner. Si j'étais en bonne santé, je trouverais bien la force et l'énergie de combattre contre la situation existant dans le parti ; mais, dans mon état présent, je ne puis supporter un état de fait dans lequel le parti tolère en silence votre exclusion, même si je suis profondément persuadé que, tôt ou tard, se produira une crise qui obligera le parti à expulser ceux qui se sont rendus coupables d'une telle ignominie. En ce sens, ma mort est une protestation contre ceux qui ont conduit le parti si loin qu'il ne peut même pas réagir contre une telle honte.

S'il m'est permis de comparer une grande chose avec une petite, je dirai que l'événement historique de la plus haute importance que constituent votre exclusion et celle de Zinoviev, une exclusion qui doit inévitablement ouvrir une période thermidorienne dans notre révolution, et le fait que, après vingt-sept années d'activité dans des postes responsables, il ne me reste plus rien d'autre à faire qu'à me tirer une balle dans la tête, ces deux faits illustrent une seule et même chose : le régime actuel de notre parti. Et ces deux faits, le petit et le grand, contribuent tous les deux à pousser le parti sur le chemin de Thermidor.

Cher Léon Davidovitch, nous sommes unis par dix ans de travail en commun, et je le crois aussi par les liens de l'amitié ; et cela me donne le droit, au moment de la séparation, de vous dire ce qui me parait être chez vous une faiblesse.

Je n'ai jamais douté que vous étiez dans la voie juste, et, vous le savez, depuis plus de vingt ans, y compris dans la question de la " révolution permanente ", j'ai toujours été de votre côté. Mais il m'a toujours semblé qu'il vous manquait cette inflexibilité, cette intransigeance dont a fait preuve Lénine, cette capacité de rester seul en cas de besoin, et de poursuivre dans la même direction, parce qu'il était sûr d'une future majorité, d'une future reconnaissance de la justesse de ses vues. Vous avez toujours eu raison en politique depuis 1905, et Lénine lui aussi l'a reconnu ; je vous ai souvent raconté que je lui avais entendu dire moi-même : en 1905, c'était vous et non lui qui aviez raison. A l'heure de la mort, on ne ment pas et je vous le répète aujourd'hui.

Mais vous vous êtes souvent départi de la position juste en faveur d'une unification, d'un compromis dont vous surestimiez la valeur. C'était une erreur. Je le répète : en politique, vous avez toujours eu raison, et maintenant vous avez plus que jamais raison. Un jour, le parti le comprendra, et l'histoire sera forcée de le reconnaître.

Ne vous inquiétez donc pas si certains vous abandonnent, et surtout si la majorité ne vient pas à vous aussi vite que nous le souhaitons. Vous êtes dans le vrai, mais la certitude de la victoire ne petit résider que dans une intransigeance résolue, dans le refus de tout compromis, comme ce fut le secret des victoires de Vladimir Iliitch.

J'ai souvent voulu vous dire ce qui précède, mais je ne m'y suis décidé que dans le moment où je vous dis adieu. Je vous souhaite force et courage, comme vous en avez toujours montré, et une prompte victoire. Je vous embrasse. Adieu.

A. Joffé.

P.-S. - J'ai écrit cette lettre pendant la nuit du 15 au 16, et, aujourd'hui 16 novembre, Maria Mikhailovna est allée à la commission médicale pour insister pour qu'on m'envoie à l'étranger, même pour, un mois ou deux. On lui a répondu que, d’après l'avis des spécialistes, un séjour de courte durée à l'étranger était tout à fait inutile ; et on l'a informée que la commission avait décidé de me transférer immédiatement à l'hôpital du Kremlin. Ainsi ils me refusent même un court voyage à l'étranger pour améliorer ma santé, alors que tous les médecins sont d'accord pour estimer qu'une cure en Russie est inutile.

Adieu, cher Léon Davidovitch, soyez fort, il faut l'être, et il faut être persévérant aussi, et ne me gardez pas rancune.
"Le capital est une force internationale. Il faut, pour la vaincre, l'union internationale, la fraternité internationale des ouvriers." Lénine
Avatar de l’utilisateur
ianovka
 
Message(s) : 174
Inscription : 30 Août 2002, 11:30

Précédent

Retour vers Livres, films, musique, télévision, peinture, théâtre...

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 2 invité(s)