a écrit :Avant-gardes en Russie 1908-1928
Etonnament révolutionnaires
La Fondation Maeght accueille des oeuvres russes du début du siècle. Retour sur les mouvements artistiques de l'époque et leur accueil par l'Etat soviétique.
Même si la direction de la Fondation Maeght a curieusement choisi d'évacuer toute mention de l'URSS dans cette superbe exposition à Saint-Paul-de-Vence, la profonde dynamique créative de la révolution est omniprésente et revendiquée à travers les oeuvres et les artistes présentés. Ici, les mots "révolution" et "avant-garde" maintiennent humblement et magnifiquement leur sens profond. Cent cinquante oeuvres réalisées entre 1908 et 1928 par quarante-six artistes dits d'avant-garde et "russes" nous offrent un panorama fascinant de l'extraordinaire émergence de courants artistiques, esthétiques et culturels avant, pendant et après la révolution d'octobre 1917. Le choix du commissaire de l'exposition, Jean-Louis Prat, s'est centré presque exclusivement sur une définition formelle de "l'avant-garde" artistique de cette période ô combien effervescente. Les artistes sélectionnés ont appartenu aux mouvements néoprimitiviste, cubo-futuriste, rayonniste, suprématiste, constructiviste. On ne trouve pas les autres courants - notamment expressionniste - qui se sont aussi développés à l'époque. Normal, vu que le thème est ici l'avant-garde. L'exposition nous propose principalement des peintures à huile, mais il y a aussi des dessins, des gravures, des affiches, des revues, des publications et une magnifique collection de sculptures constructivistes. Outre Marc Chagall, Vassily Kandinsky et Kazimir Malévitch, peu représentés, les 46 artistes exposés, parmi lesquels beaucoup de femmes, sont inconnus du grand public. Un beau cadeau supplémentaire dans une exposition dont l'affluence est très importante.
L'art au service de l'Homme
Les artistes qui s'inscrivaient dans le processus révolutionnaire, autant après les événements avortés de 1905 qu'après la victoire de 1917, parlaient d'avant-garde russe, d'art de gauche, d'art au service de l'Homme. A côté de son tableau, Les Vachères, peint en 1914, les paroles de Paviel Filonov en 1923 : "Je suis le peintre de l'épanouissement mondial, et par conséquent un prolétaire." La moitié des oeuvres exposées a été exécutée avant 1917. Le travail de Malévitch, un génie créateur, est un bon exemple. De Moissonneuse 11 et Le Faucheur (1912) - dans le pur style d'art populaire primitif ou naÔf - on passe à Portrait perfectionné d'Ivan Klioune (1913), un bel exemple du cubo-futurisme, puis au célèbre triptyque épigraphique de 1923, Le Carré noir, Le Cercle noir et La Croix noire, véritable symbole du suprématisme. On est souvent stupéfait par la radicalité de la rupture et par l'originalité des nombreuses oeuvres par rapport à l'époque. Elles lancent des ombres hilares sur la pauvreté générale de l'art contemporain d'aujourd'hui. Les oeuvres de MikhaÔl Larionov, particulièrement L'Eté (1912), celles de Natalia Gontcharova, avec La Forêt et Le Vélocipédiste (1913), celles de Paul Mansouroff entre 1923 et 1929 et de MikhaÔl Matiouchine avec sa série Objet-forme-couleur (1929-30) en sont des exemples. On est émerveillé par les dix tableaux-compositions-esquisses d'El Lissitzky, créés pour l'opéra La Victoire sur le soleil en 1920-1921, ou par les sculptures spatiales non objectives de Rodtchenko. Tant d'oeuvres préfigurent l'avenir. L'image d'une jeune URSS qui a écrasé et effacé l'art moderne et ses protagonistes en prend un coup hautement salutaire. Jusqu'à la fin des années vingt, les artistes et l'Etat communiste (l'autre mot totalement absent de l'exposition) ont participé à l'organisation régulière de grandes expositions et de réalisations publiques multiples. Dès 1917, les avant-gardes, de toutes expressions artistiques, explosent partout. Des expositions, lieux de création, théâtres, clubs, et une avalanche de revues et publications inondent la future capitale, Moscou, mais aussi, progressivement, les autres grands centres de l'URSS. La Fédération des artistes de gauche est créée.
Une URSS méconnue
En 1918, une grande exposition regroupe 180 participants avec 700 oeuvres. En 1919, en pleine guerre civile, la dixième exposition nationale, intitulée "Création sans objets et suprématisme", présente 220 oeuvres de neuf artistes d'avant-garde. L'année 1920 marque le début du mouvement constructiviste, avec l'installation à Pétrograd du fameux modèle de Vladimir Tatline, Monument à la IIIe Internationale, dont l'original devait atteindre 400 mètres de hauteur. En 1922, année de la création de l'URSS, Sterenberg organise la première exposition d'art russe à Berlin et à Amsterdam. En 1925, l'URSS participe à l'exposition internationale des arts décoratifs à Paris avec un grand pavillon qui symbolise le constructivisme soviétique. En 1928, l'Art français contemporain et l'Ecole de Paris organisent des expositions qui regroupent 36 ressortissants russes travaillant en France. Pendant les années vingt, la vitalité collective est débordante, prolixe et exceptionnelle dans sa diversité. Tout est soutenu activement par l'Etat qui a nationalisé les grandes collections privées (Chtchoukine, Morozov, Ostroukhov...) et pris le monopole de l'organisation des expositions d'art dès 1918. Nombreux parmi les artistes présentés ont impulsé et animé des comités, syndicats et commissions en liaison avec l'Etat. Chagall et Kandinsky sont revenus temporairement de l'étranger pour prendre des responsabilités importantes dans l'élaboration d'une nouvelle politique culturelle de l'Etat soviétique. L'avant-garde et d'autres courants modernes d'art plastique, du théâtre, de l'architecture et de la littérature ont eu libre cours pendant les années 1920 mais, à partir des années 1930, le carnage stalinien a pris la suite. Une bonne partie des artistes de l'âge d'or révolutionnaire ont survécu et sont restés chez eux, d'autres sont partis, souvent pour la France. Ces mouvements artistiques nouveaux, certes pas uniques en Europe, ont trouvé dans l'expérience "russe" et révolutionnaire les expressions, discours et manifestations d'une ampleur, d'une richesse et d'une fécondité incomparables. Ils ont eu et ont toujours des retentissements majeurs sur la culture artistique mondiale. En regardant l'exposition, on comprend que cette période soit perçue comme l'une des plus grandes et plus profondes révolutions en art... et pas simplement en Art.
Stanislav Demidjuk
- Exposition jusqu'au 5 novembre, Fondation Maeght, Saint-Paul-de-Vence (Alpes-Maritime), 04 93 32 81 63. - L'excellent catalogue de l'exposition comprend toutes les oeuvres exposées et notices biographiques des artistes ainsi qu'un tableau synoptique indispensable.
a écrit :bon j'imagine bien que Brecht et le réalisme socialiste ce n'est pas votre tasse de thé
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