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Message Publié : 30 Mars 2005, 11:31
par NazimH
Il s'agit d'un film de Sembene Ousmane -auteur de nombreux romans dont Les bouts de bois de Dieu, histoire d'une grève dans l'Afrique coloniale française.

Ce film raconte la révolte des femmes dans un village africain contre l'excision.
Il est très touchant et se place volontairement du côté de ceux qui luttent pour changer les choses.
On apprend de très nombreuses choses sur les relations sociales dans un village de paysans car l'auteur a pris le parti d'être extrêmement pédagogique et de montrer de nombreux personnages différents, leurs activités, un peu de leurs aspirations et des liens qu'ils ont les uns avec les autres.
On voit ainsi la vie dans une famille polygame, ce que peut représenter l'émigration en France, la vie d'un colporteur ambulant, le role d'un chef africain et celui du conseil des notables (hommes) ou encore les réunions des femmes du village. Pour ceux ont du mal à imaginer ce qu'est un griot (un espèce de chanteur de louanges), le film donne une idée de son action.
Mais l'essentiel du film c'est quand même la lutte d'une femme, qui saura en entraîner d'autres, contre la barbarie de l'excision et ceux qui veulent perpétuer des "traditions" d'oppression.
Le film ne montre pas d'images de l'acte mais ce qu'il montre on ne l'oublie pas et on n'oublie pas non plus le visage des gamines qui se battent pour ne pas être mutilées.
Moolaadé est un film d'espoir et de combat qui ne cache pas l'horreur de la situation mais qui montre des femmes (et quelques hommes) qui savent se dresser contre.

Il faut donc tout faire pour le voir - à Paris il ne passe que dans quelques salles minuscules, en province, je n'ose pas y penser (les sociétés de cinéma françaises sont pour la "diversité culturelle" et la "résistance à l'hégémonie américaine" mais uniquement pour défendre des chef-d'oeuvres comme Iznogoud).

Et bravo =D> et merci à des gens comme Sembene Ousmane qui pensent encore que les artistes, les intellectuels peuvent faire des films qui soient des armes.

Message Publié : 30 Mars 2005, 12:24
par NazimH
une interview dans l'Humanité...


Entretien avec Sembene Ousmane
- Le désir de s’exprimer, d’abord en écrivant, vous est-il vraiment venu après la guerre, pendant les grandes grèves des cheminots du Dakar-Niger ?

Sembene Ousmane : Les grèves à Dakar ont créé un vécu qui m’a nourri, mais c’est dans les années cinquante, à Marseille, au sein du Parti communiste, que j’ai découvert la littérature, le théâtre, les ciné-clubs. C’était la naissance de la Fédération des étudiants d’Afrique noire où je militais aussi. Ainsi qu’à la CGT des dockers. Pour moi, qui suis né à Ziguinchor, un petit village de Casamance, l’école du Parti était une école formidable. C’était mes universités.

- Vous avez écrit le DOCKER NOIR, lors des grèves à Marseille, contre l’embarquement des armes pour l’Indochine. Avez-vous connu Paul Carpita ?

J’ai tourné dans son film LE RENDEZ-VOUS DES QUAIS, mais j’ai été coupé au montage. J’étais alors loin du cinéma. Sur les trois mille dockers de Marseille, on n’était pas plus de dix Noirs. C’est un métier très dur mais on formait une famille qui m’a permis de découvrir non pas la France mais le peuple de France. Il y avait deux corps de métier, à l’époque, à la pointe du combat : les dockers et les mineurs. Le Parti communiste était très fort, et le vieux militant que je suis doit dire qu’il m’a fait découvrir la littérature avec “Les Cahiers du Sud”, qui se situaient en face de la “Marseillaise”. Mes premiers textes ont été édités par “L’Action Poétique”, qui avait publié les poèmes de Kateb Yacine, puis à “Présence Africaine”. Être docker et lire, aller au théâtre, écouter Beethoven, c’était incroyable, non ?


- En 1960, le Sénégal devient indépendant. Vous avez alors le désir de vous adresser au plus grand nombre par l’intermédiaire du cinéma.

Je suis rentré à Dakar et j’ai fait le tour de l’Afrique. Je voulais connaître mon propre continent. Je suis allé partout à la rencontre des peuples, des ethnies, des cultures. J’avais quarante ans et l’envie de faire du cinéma. Je voulais donner une autre impression de l’Afrique. Comme notre culture est orale, je voulais montrer la réalité à travers les masques, les danses, la représentation. La publication d’un livre écrit en français ne touche qu’une minorité, alors qu’avec un film on peut faire comme Dziga Vertov, du “Kino Pravda“, du cinéma forain qui permet de discuter avec les gens, de brasser des idées. Les meilleures critiques sont ceux de son propre peuple. Je suis venu voir Georges Sadoul à Paris, et André Bazin a tout arrangé pour que j’aille à Moscou. Donskoï, que je connaissais par les livres de Gorki qu’il avait adaptés, a été mon professeur attitré. J’ai étudié aussi avec Guerassimov, un “aristocrate“ qui avait des responsabilités, un ambassadeur du cinéma de son pays. Comme Bondartchouk. Tous m’ont enseigné que rien ne s’acquiert sans travail. Les meilleurs cinéastes africains, jusqu’à aujourd’hui, ont été formés à l’école de cinéma de Moscou.


- Pendant le tournage de votre dernier film, MOOLAADÉ, sur le refus de l’excision, l’actrice malienne qui joue Collé Ardo, un personnage combattif contre cette pratique, ne semble pas convaincue elle-même.

Ce sont les contradictions de l’être humain. Elle est elle-même excisée. Au Mali, il n’y a pas de loi contre l’excision, contrairement au Sénégal ou au Burkina. Elle dit qu’au Mali on n’aborde jamais le sujet à la télévision. C’est pourquoi je vais aller y présenter mon film. Quand j’ai fait FAAT KINÉ (1999), un film dédié aux femmes, j’ai organisé des débats et je pensais que les hommes allaient me casser la figu re. Pas du tout. Ce changement de comportement, initié par des femmes universitaires, est récent. Les hommes ne parlent pas de l’excision. Les Africains sont très pudiques - même s’ils sont nus - dans la façon de regarder. L’impudeur est dans ce que l’oreille entend. Lorsque Collé Ardo s’adresse aux hommes, elle leur fait comprendre que “c’est maintenant ou jamais“. Elle n’est pas une “pétroleuse“. Elle subit, jusqu’au moment où elle décide que ça doit changer. Les Africains sont très fatalistes : la femme qui donne son enfant à celle dont la petite fille est morte de l’excision scelle quelque chose de très profond.
Dans EMITAÏ (1971), je montrais combien les femmes dioula de Casamance étaient indépendantes. L’homme cultive la terre mais, au moment de la récolte, le riz appartient aux femmes. Il représente leur force. Même l’armée française, pendant la Deuxième Guerre mondiale, ne pouvait rien contre elles. Je les connais bien parce que ma mère était dioula. Elle a “kidnappé“ mon père, qui était venu de Dakar pour faire fortune, et l’a fait rester en Casamance, où je suis né. Il n’y a que de la vie quotidienne dans mes films..


- Vous aimez regarder comment la vie se modifie au jour le jour.

En Afrique, c’est toujours aujourd’hui ou jamais. Ce n’est pas élaboré. En ce moment les femmes évoluent vers une libération des anciens carcans de la société. Les gouvernements ne proposant pas de projet de société, les gens se laissent séduire par le libéralisme à tous crins, dans lequel il n’y a pas de place pour la culture. L’Afrique imite la France et recule. C’est pourquoi je dis qu’il faut nous regarder nous-mêmes. Nous avons, comme tous les peuples de la planète, nos forces et nos qualités. Il ne faut pas que nous soyons coupés du monde. Nous devons refuser de vivre en autarcie, mais savoir ce qui est bon pour nous et le faire.


- N’est-ce pas ce que vous faîtes lorsque vous décidez d’aller tourner au Burkina Faso, avec des techniciens burkinabé et des acteurs maliens ou ivoiriens ?

Je suis pour l’unité, et je voulais que l’ensemble de la région participe au film pour donner une impulsion aux jeunes. Nous baignons dans la même culture, nous devons nous unir mais je crois que les Africains ne sont pas encore mûrs pour le développement. Nous luttons contre nous-mêmes. En plus de quarante ans d’indépendance au Sénégal, nous avons tué plus d’Africains que depuis le début de l’esclavage. Je demande pourquoi des gens volent l’argent du peuple pour le blanchir ? Dans le trafic de la drogue, des enfants. Est-ce que ma société déraisonne ? Je suis retourné au village burkinabé pour présenter le film - tous les habitants ont joué dedans et les femmes étaient contentes qu’on soulève le problème de l’excision - Il faut dire aux africains que des mariages avec des filles aussi jeunes sont de l’ordre de la pédophilie. En 2004, ces pratiques ne posent pas problème en Afrique !

- Que se passe-t-il avec le président Wade et la censure ?

Il ne se passe rien. C’est lui qui décide de tout mais il ne peut pas censurer les films puisqu’il n’y en a pas ! Mon film est sénégalais mais il ne l’a pas vu. Il le verra s’il paye son billet, mais le film n’est pas encore sorti. La distribution est très limitée, c’est pourquoi je fais du cinéma forain. Je pose des questions et le public répond. Je parle dans toutes les petites radios de village. Ça fait bouger les populations. En Afrique, on ne fait pas du cinéma pour vivre mais pour communiquer. Pour militer..






Propos recueillis par Michèle Levieux - L’ humanité - Edition du 15 mai 2004

Message Publié : 30 Mars 2005, 12:36
par NazimH
Et une aute interview qui donne des précisions sur le contexte du fim...



Sembène Ousmane, une vie de cinématographie
Le grand réalisateur sénégalais parle de son dernier film
Dossier Festival de Cannes 2004

vendredi 14 mai 2004


Dans le deuxième volet de son tryptique sur l’Afrique moderne, Sembène Ousmane s’érige contre l’excision. A l’occasion de la présentation de « Moolaadé » au Festival de Cannes 2004, le grand réalisateur sénégalais revient sur son engagement et son parcours cinématographiques. Interview.

Par Valérie Ganne
Cannes, correspondance particulière

Afrik : Pourquoi avoir choisi de traiter le sujet de l’excision, maintenant, à plus de 80 ans ?
Sembène Ousmane : Ce n’est pas vraiment un choix. J’avais décidé de faire un triptyque sur l’Afrique moderne, sur les femmes et les hommes d’aujourd’hui, à la ville et à la campagne. La campagne Africaine n’est plus ce qu’elle était même si les traditions sont restées. Parmi les coutumes il y a des choses à enlever, et l’excision, contre laquelle beaucoup de femmes militent, en fait partie. Cette évolution lente de l’Afrique, c’est ce que j’appelle « l’héroïsme au quotidien », ce sont ces gens dont on ne parle jamais et qui font bouger l’Afrique.

Afrik : Collé, l’héroïne de Moolaadé, en est un exemple ?
Sembène Ousmane : Oui, il ne s’est rien passé dans sa vie, si ce n’est ce combat contre l’excision. L’actrice qui incarne Collé, Fatoumata Coulibaly, anime des émissions radio au Mali, est elle-même excisée, et milite contre l’excision. Dans le film, jouent beaucoup de femmes militantes. Le soir, après la journée de tournage, il y avait des débats entre les partisans et les militants de l’excision.

Afrik : Comment avez-vous trouvé le village du film, au Burkina Faso ?
Sembène Ousmane : Je l’ai cherché pendant un an et je l’ai déniché à 600 km de Ouagadougou. Je voulais un endroit où la nature est toujours verte, où les habitants n’ont pas faim. Je tenais à sortir de la représentation de l’Afrique miséreuse. La mosquée est un élément très important du village : c’est une des plus vieilles du pays. Il y en a plusieurs de ce genre, elles datent du 7e ou 8e siècle, des débuts de la conversion de l’Afrique à l’Islam. Au plus haut du toit, il y a un œuf d’autruche, car dans la mystique des Bambaras, le monde a commencé dans un œuf d’autruche. Ce n’est que bien plus tard que sont apparus les croissants de lune sur le toit des mosquées Africaines. La forme de la mosquée est aussi inspirée des termitières. Je voulais montrer aux Africains que nous avons un passé. Par exemple, dans ce village, il n’y a pas de cimetière, chaque famille enterre ses morts à la maison. C’est une tradition africaine. Ce village s’appelle Djiery So, c’est toute une légende, cela signifie « terre de sang » : c’est un lieu où il y a eu beaucoup de batailles. Il y a encore trois ethnies différentes qui y cohabitent.

Afrik : Quelles langues sont parlées dans le film ?
Sembène Ousmane : Il fallait que je trouve une belle langue et des gens qui la parlent très bien. En Afrique de l’Ouest, les deux langues les plus parlées sont le Pulaar et le Bambara, et ce sont dans ces deux langues qu’il y a le plus de femmes excisées : ce sont les langues du film, qui sont parlées au Burkina aussi.

Afrik : Vous montrez que l’excision est également une affaire de pouvoir, des hommes contre les femmes, des anciens contre les jeunes. Mais Collé, l’héroïne, utilise la tradition pour se battre contre la tradition...
Sembène Ousmane : C’est le conflit de deux valeurs africaines : le droit d’asile (le Moolaadé) et l’excision. Ces deux valeurs s’affrontent.

Afrik : Comment sera diffusé le film en Afrique ?
Sembène Ousmane : Le Mali, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire sont partenaires de ce film, la diffusion pour moi est déjà prête, je vais faire des avant-premières dans ces trois pays. Il faut absolument que ce film circule. Nous pouvons le sortir en vidéocassette, nous appuyer sur les mouvements de femmes, comme introduction aux discussions. Et j’espère bien que j’aurais les télévisions africaines, que je n’ai pas pour l’instant.

Afrik : Pensez-vous que Moolaadé puisse faire changer des choses ?
Sembène Ousmane : En Afrique, hommes et femmes doivent travailler là-dessus. C’est un film contre l’oppression de la liberté, cette oppression des femmes qui est aussi une oppression des hommes : le père dit à son fils qu’il ne peut pas épouser celle à qui il était promis car elle est « bilakoro », c’est-à-dire non excisée. Lorsque le fils décide de s’y opposer, c’est déjà un acte de courage. La majorité des hommes sont contre l’excision, mais ils ne l’avouent pas. Par mon travail, je suis bien placé pour dire les choses, je suis à même d’exprimer la parole non dite de la majorité des personnes. C’est mon métier qui me confère cette autorité.

Afrik : Pouvez-vous nous en dire plus sur le troisième volet de votre triptyque, un projet sur la corruption ?
Sembène Ousmane : Oui, il est déjà écrit, cela s’appellera « La confrérie des rats ». Un juge est assassiné en pleine ville. Il enquêtait sur l’enrichissement illicite. La presse fait des articles, attaque le gouvernement, qui nomme un autre juge : ce dernier va découvrir pourquoi on a tué son prédécesseur et ses découvertes vont faire trembler la Nomenklatura.