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histoire d’une enquête
de Florence Beaugé
aux éditions Calmann-Lévy
296 pages
18 €
Septembre 2005
La guerre d’Algérie : des exactions aux abominations
La parole est enfin donnée aux victimes algériennes, anciens combattants pour l’indépendance ou anciennes victimes ayant eu un seul tort c’est d’avoir été là au mauvais moment.
Certains n’étaient que des enfants, il y a bientôt cinquante ans de là, ce qui n’a pas empêché leurs bourreaux de les meurtrir, de les violer même.
Comme beaucoup de militants de ma génération, j’ai lu et relu de nombreux ouvrages sur la guerre d’Algérie mais aucun ne m’a ému autant que celui-ci...
Des survivants, des porteurs de valises ont écrit des ouvrages pour relater les tortures, certains témoignages sont émouvants, difficiles à supporter.
Dans ce livre, l’auteure, journaliste au Monde nous raconte sa quête de vérité qui l’a conduit à rencontrer des acteurs de ce drame, à leur donner la parole, sans utiliser un langage codé.
Il faut que le monde sache, ce que fut cette sale guerre d’Algérie, ce que des militaires sous les ordres ont osé perpétuer comme infâmes crimes.
Certaines scènes décrites donnent la chair de poule, ne faut-il pas aujourd’hui que toute la lumière soit faite sur cette période !?
Les femmes, premières victimes sont les premières à expliquer l’importance de l’ouverture de ces dossiers, pour elles, pour l’histoire, pour l’avenir et pour que plus jamais de pareils actes ne soient commis :
« Nous avons eu l’indépendance de l’Algérie, mais à quel prix ! Dites-le. Dites tout cela. Nous, on va disparaître demain. Parlez des femmes violées dans les montagnes, celles dont on n’a jamais rien su. Il faut que les générations montantes sachent ce qui s’est passé. La torture physique, ce n’est rien en comparaison de la torture morale. A vingt et un ans, quand vous êtes violée, vous êtes « dilapidée » dans votre corps. La mort, c’est la fin, mais la torture morale qui ne se termine jamais, jamais ! Vous comprenez ? »
Tout commence en juin 2000 quand Louisette Ighilahriz, ancienne militante pour l’indépendance algérienne rencontre Florence Beaugé, journaliste au monde. Elle révèle alors les sévices qu’elle a subis et met en cause les généraux Massu et Bigeard.
Inlassablement, avec opiniâtreté, la journaliste reconstitue les faits n’hésitant pas à rencontrer les différents « acteurs » de l’époque.
Bigeard nie complètement mais Massu exprime des regrets. Alors qu’au début la direction du Monde est réticente, les premiers aveux du vieux général constituent un feu vert pour une longue enquête.
Pendant plus de quatre ans, Florence Beaugé va chercher à savoir, à vérifier les faits, à interroger les victimes et les bourreaux....
Elle nous conte cette enquête minutieuse sans rien oublier : ni l’adulte d’aujourd’hui, né d’un viol, ni les appelés nombreux qui, traumatisés par ce qu’ils ont vu ont besoin que la vérité éclate, ni les entretiens physiques ou téléphoniques qu’elle a eus avec les anciens responsables militaires.
Ce livre se dévore comme un roman mais malheureusement il ne s’agit pas d’un roman mais de la réalité atroce que beaucoup voulaient garder sous silence.
C’est après les premières « révélations » du Monde que le général Aussaresses avoue les tortures et exécutions masquées et sommaires... Quant à Jean Marie Le Pen, il a « été débouté à deux reprises de sa plainte en diffamation contre Le Monde »...La nuit d’horreur dans la Casbah d’Alger est mise à nu et les principaux coupables sont démasqués.
Ce livre est une oeuvre utile et comme l’explique Baya, jeune femme « non seulement torturée mais victime d’un viol collectif » :
« Je voudrais apprendre que le monde entier sait enfin ce qui nous est arrivé et que les bourreaux ont été confondus. Si cela arrive et que je suis déjà dans la tombe, je vous demande une chose : venez me voir au cimetière et dites-le-moi tout bas. »
Valière