UNE HISTOIRE POPULAIRE DES ETATS-UNIS , DE 1492 A

Message par Louis » 31 Oct 2002, 12:41

Une histoire populaire des États-Unis. De 1492 à nos jours
La synthèse d’Howard Zinn


THIERRY DISCEPOLO
ÉDITEUR de l'ouvrage (Agone).
Ce texte est une version écourtée des conférences de présentation données par l'éditeur à la sortie de l'ouvrage.




ous les livres ont leur petite histoire, qui n’intéresse le plus souvent que ceux qui les ont fait. Mais la petite histoire de ce livre d’histoire est un peu plus longue déjà. Et certains de ses éléments nous ont paru mériter la publicité.

L’histoire de ce livre en France est d’abord celle de son absence. Édité en 1980 aux États-Unis, il a fait l’objet en 22 ans de 5 rééditions. Le titre existe en version courte (seulement le xxe siècle) ; et en version lue par Matt Damon, jeune star du cinéma américain. Vendu à plus de 950 000 exemplaires aux États-Unis (et 65 000 en Angleterre), ce livre est traduit depuis 20 ans en espagnol, en russe et en japonais ; les éditions turques, arabes, roumaines et grecques sont en cours ; l’Italie et l’Allemagne boudent semble-t-il plus encore que la France.

Sa parution, en 1980 donc, a aussitôt fait l’objet d’une recension de deux pages dans Le Monde diplomatique. Et puis le livre a attendu 20 ans que les éditions Agone soient assez solides pour envisager la traduction et l’édition d’une somme de 812 pages – qui a mobilisé une équipe de six personnes. Une chose est certaine, l’acquisition des droits de ce livre auprès de l’éditeur américain ne s’est pas faite dans une ambiance de concurrence.

Pourquoi une si longue négligence ? Les États-Unis sont-ils un pays qui compte pour si peu dans l’histoire politique et sociale, économique et commerciale, intellectuelle et artistique du monde contemporain ?

Personne n’a dit aussi bien que Pierre Nora, directeur de la collection « Bibliothèque des histoires » chez Gallimard, les raisons pour lesquelles l’édition française répugne à publier de tels ouvrages – il s’agissait alors de L’Âge des extrêmes, d’Éric Hobsbawm, mais rien n’a changé depuis : « Tous les éditeurs, bon gré mal gré, sont bien obligés de tenir compte de la conjoncture intellectuelle et idéologique dans laquelle s’inscrit leur production. Or, il y a de sérieuses raisons de penser qu’un tel livre apparaîtra dans un environnement intellectuel et historique peu favorable. D’où le manque d’enthousiasme à parier sur ses chances. La France ayant été le pays le plus longtemps et le plus profondément stalinisé, la décompression, du même coup, a accentué l’hostilité à tout ce qui, de près ou de loin, peut rappeler cet âge du philosoviétisme ou procommunisme de naguère, y compris le marxisme le plus ouvert. Cet attachement, même distancié, à la cause révolutionnaire [conclut Nora], Éric Hobsbawm le cultive certainement comme un point d’orgueil, une fidélité de fierté, une réaction à l’air du temps ; mais en France et en ce moment, il passe mal. »

Conjoncture intellectuelle et idéologique des plus défavorable en effet. Mais disons-le autrement : celle de l’amalgame entre recul de la critique marxiste du capitalisme et effondrement de l’Union soviétique. Un amalgame bien utile au nouvel ordre néolibéral pour invalider toute croyance en la possibilité d’une organisation sociale qui se fonde sur le bonheur du plus grand nombre décidé par eux-mêmes plutôt que sur la liberté individuelle de faire des profits et de s’accomplir dans la seule consommation.

C’est la raison pour laquelle, justement, dans notre pays où la parole publique la mieux autorisée et la plus bavarde semble celle de renégats communistes, maoïstes ou trotskistes, il nous a paru particulièrement urgent de donner à lire l’attachement de Howard Zinn à une cause révolutionnaire qu’il « cultive comme un point d’orgueil, une fidélité de fierté, une réaction à l’air du temps ». Une attitude d’autant plus singulière qu’elle débarque d’un pays qui ne nous a plus trop habitués à de telles exportations.

« Une autre histoire » aurait pu donc être le titre de ce livre. Un livre qui rassemble d’ailleurs à peu près tout ce qui fait la ligne éditoriale d’Agone, notamment dans ce travail d’éducation populaire qui doit plus à la contre information qu’à la vulgarisation. Car Zinn ne livre pas seulement une synthèse de la connaissance historique disponible sur le pays qui prend le plus de place dans le quotidien de bien des gens qui s’en priveraient volontiers… On trouve déjà sur le marché une telle production savante et semi-savante. Mais il s’agit là des versions officielles d’une histoire des dominants par leurs clercs – telles que déclinée par un universitaire de presse comme Nicole Bacharan (attachée au Monde et à France Inter), avec son Good morning America : ceux qui ont inventé l'Amérique (paru en 2001) –, qui installent le lit sur lequel peut croître et se développer la production d’une vieille ganache réactionnaire comme Jean-Francois Revel – son L’Obsession anti-américaine : son fonctionnement, ses causes, ses inconséquences vient de paraître, aussitôt loué par le quotidien du soir Le Monde.

Plutôt donc qu’une actualisation de ces histoires du point de vue du pouvoir, Zinn en propose comme le contre-modèle, l’antidote qui nous permet de nous soigner de l’histoire écrite par les dominants pour désespérer les dominés de tout changement.

Au moment de chercher comment illustrer en quelques phrases cette chose, « l’histoire écrite par les dominants », n’étant en rien historien des États-Unis ni de quelqu’autre territoire ou période que ce soit, je me suis trouvé bien embêté. Mais on peut toujours faire confiance en la brutalité bestiale de quelque journaliste pour nous fournir régulièrement des illustrations comme sur un plateau. Ainsi Jean-Marie Colombani, directeur du Monde, expliquait-il le 11 septembre dernier à un interlocuteur africain que la destruction du World Trade Center était « un événement historique » tandis que le génocide rwandais n’était qu’une « guerre civile africaine ». Autrement dit, que le premier concernait l’histoire du monde et pas le second ; que l’un est une leçon d’histoire et l’autre un détail de l’histoire. Au moins, c’est clair. Déclinaison d’un réflexe du sujétion totale au puissant que le même patron de presse avait ramassé le lendemain des attentats dans la formule : « Nous sommes tous américains. » Autrement dit, la douleur des dominants ne nous concerne pas au même titre que celle de dominés. On ne porte que le deuil des maîtres et seule la mort des maîtres est inscrite dans les chroniques. Voilà comment l’histoire avance en oubliant le plus grand nombre.

On voit bien toute la difficulté de raconter cette histoire des oubliés de l’histoire. Et notamment dans l’usage des sources, celles que, justement, Zinn invoque : sources non officielles, ignorées ou sous-utilisées, telles que récits d’esclaves, confessions de prisonniers, correspondance de soldats, journaux de femmes, biographies et autobiographies, auditions publiques et autres documents de la tradition orale. (Ce qui n’empêche pas Zinn d’utiliser également des pièces majeures telles que les Pentagon Papers, rédaction de l’histoire du Vietnam par le département de la Défense, document confidentiel de 7 000 pages qui fut rendu public par deux employés scandalisés par leur expérience directe de la guerre et horrifiés par ce que l’Amérique faisait subir au peuple vietnamien. Ils photocopièrent le document en juin 1971 avant d’en envoyer copie à quelques membres du Congrès et au New York Times. Ce fut, vous l’imaginez, un tollé général.)

Zinn ne tient pour histoire que l’histoire du plus grand nombre. Il prend acte du fait que seule la mémoire des défaites (souvent) et des victoires (rares) des dominés nous enseignent correctement le monde tel qu’il va. Au contraire de la mémoire des États, qui n’est qu’une mémoire déformée selon les exigences idéologiques (ou les modes publicitaires), version aplatie d’un présent toujours renouvelé qui nie l’impact du passé sur le présent et le futur, Zinn propose de rendre à l’histoire son potentiel de subversion, forçant le lecteur à tirer les leçons du passé. Pour croire qu’un autre monde est possible, ça aide bien de savoir que d’autres en ont rêvé avant, et que leur échec n’a rien d’inéluctable mais, au contraire, qu'il fut l’objet d’une mobilisation de tous les instants par ceux qui avaient des intérêts rien moins que théoriques à ce que rien ne change : des questions d’argent, de pouvoir, de confort dans un ordre social soutenu par les lois, la manipulation de l’opinion et la force physique.
Louis
 
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Message par zejarda » 31 Oct 2002, 14:53

j'ai acheté le livre a la fête de LO aupres des camarades de Spark, et c'est excellent, a lire et faire lire. Même en anglais, la lecture n'est pas trop dure (pour ceux qui lisent un peu l'anglais).
zejarda
 
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Message par Louis » 31 Oct 2002, 17:09

d'autant que cela viens d'etre traduit en français (disponible a la breche, excellente librairie par ailleurs)
Louis
 
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Message par Louis » 21 Déc 2002, 01:03

je me le suis fait offrir pour noel (on le trouve aussi a la fnac, pour les ceusses que la breche donne des boutons !


Génial ! Une histoire des usa avec un point de vue de classe ! L'arrivée de Christophe colomb a elle seule justifie l'achat du livre !

Allez courir chez votre libraire ! En plus, c'est exellement traduit contrairement a Bertinoti
Louis
 
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Message par Louis » 17 Jan 2003, 21:31

Maintenant que le film de Scorcese sort, ca peut etre intéressant de voir l'histoire des usa du coté des prolo vu par un marxiste (non trotskyste, mais bon écrivain, ca aide)
Louis
 
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