Né d'une expérience de Chris marker, venu filmer la gréve de la rhodiaceta en 67, et confronté aux réactions négatives des travailleurs mobilisés, des "groupes médvedkines" sont constitués d'abord a Besancon, puis a sochau (autour des Peugeot) par des ouvriers membres d'une organisation d'éducation populaire
A regarder le dvd accompagné d'un livre de témoignage sur l'expérience pour ces ouvriers de se confronter avec "l'outil cinéma" (et ses difficultés, y compris les confrontations avec les bureaucraties syndicales ou "le travailleur du rang") on se rend compte que l'intéret de ces films n'est pas uniquement historique, mais aussi une recherche de forme extremement intéressante ! Il n'y a pas a ma connaissance de reportages fait PAR LES OUVRIERS eux meme sur leurs conditions, leur luttes, leur réves, leurs espoirs !
écouter le reportage d'arte radio : http://www.arteradio.com/son.html?243
un article sur ces DVD
Entre 1967 et 1970 à l’usine Rhodiaceta de Besançon, puis de 1970 à 1974 dans les ateliers Peugeot de Sochaux, les ouvriers réunis par leur travail, solidarisés par la grande grève de février 1967 à Besançon et par l’extension de la lutte syndicale qui suivit, sont à l’origine de 14 films. Leur parution en DVD accompagnés d’un livret qui présente une riche documentation et une bibliographie complète à leur sujet constitue un ensemble remarquable. Non seulement parce qu’il rend largement accessible et compréhensible une expérience témoignant de l’énergie magnifique qui traverse alors le mouvement ouvrier en lutte, mais encore parce qu’il fait apparaître avec évidence le monument que constitue cet ensemble des groupes Medvedkine dans l’histoire du cinéma, par sa cohérence, par l’ampleur de son propos et par la puissance des formes qu’il invente pour répondre à son utopique démesure.
Prendre en main son image
En février-mars 1967, une grève d’un mois est menée par les ouvriers de la Rhodiaceta qui occupent leur usine. La force de ce mouvement, l’organisation et la détermination dont il témoigne font la fierté des travailleurs qui luttent pour une augmentation de leurs salaires mais aussi pour une amélioration de leurs conditions de travail, revendiquant le droit à la dignité, à la culture, à une vie décente. Ces revendications qui préfigurent les événement de mai 68 ne sont pourtant pas entendues par les pouvoirs patronaux et politiques en place. La réalité vécue de la grève se trouve défigurée dans le discours officiel qui tente de réduire à une vaine agitation ce qui était ressenti par les ouvriers comme un premier pas vers cette reconnaissance qu’ils cherchaient à obtenir.
(JPEG) C’est ainsi que, par l’intermédiaire du Centre Culturel Populaire de Palente-les-Orchamps et de son fondateur René Berchoud, Chris Marker et Mario Maret arrivent à Besançon pour rencontrer les ouvriers et pour représenter leur mouvement, leurs aspirations selon un point de vue autre que celui de l’information d’Etat. Ils réalisent A bientôt j’espère. En voyant le film cependant, les hommes et les femmes qui en sont les « acteurs » et le sujet se sentent encore étrangers à leur propre image. Lors du débat qui suit la projection (dont l’enregistrement est reproduit dans l’édition sous le titre deLa charnière), ils décident donc, encouragés par les cinéastes, de prendre les choses en main. Eux seuls peuvent, par leur lutte, changer à leur avantage l’organisation du travail dans l’usine. De la même façon, c’est à eux qu’il revient de produire une représentation plus juste de leur situation. Ainsi débute l’aventure cinématographique des groupes Medvedkine.
Une émancipation collective
Pour éclaircir la question des deux groupes qui se succèdent, l’un à Besançon, l’autre Sochaux, il faut parler de Paul Cèbe, militant syndicaliste, responsable de la bibliothèque du personnel à l’usine Rhodiaceta, impliqué dans l’activité du Centre Culturel Populaire de Palente-les-Orchamps en banlieue de Besançon, puis employé par le comité d’entreprise CGT et CFDT des usines Peugeot de Sochaux au Centre de Culture et de Loisirs de Clermoulin. C’est son départ de la Rhodiaceta qui marque la rupture de 1970. Cela souligne d’une part l’importance des hommes en présence, de leur implication et du phénomène de la rencontre dans la création des collectifs. D’autre part, aussi, l’importance de la culture, montrée par des passeurs comme Cèbe comme un outil d’émancipation dont il appartenait à chacun de se saisir.
De film en film, malgré les ruptures donc, et la précarité des conditions matérielles, un ensemble s’est constitué, affirmant une cohérence d’autant plus forte qu’elle se révèle a posteriori plus comme une conséquence que comme un préalable à leur réalisation. Cette cohérence est le fait non pas d’un programme, mais d’une intention constante entre tous, celle d’établir à travers le tournage et le montage des rushes une correspondance entre les destins collectifs et individuels réunis dans la lutte. La foule des ouvriers en grève, prise à juste distance, laisse affleurer la singularité de tous ceux qui la composent. Elle s’oppose nettement dans Sochaux, 11 juin 68 à la foule des CRS, tous semblables dans leur uniforme et qui, sur ordre de la préfecture, allaient ouvrir de force l’usine Peugeot occupée. Il faut remarquer à cet égard que si, en mai, les chars ne sont pas entrés dans Paris pour contenir les étudiants, la violence fut en juin sans retenue face aux travailleurs. Des balles ont été tirées qui firent deux morts, des grenades furent lancées qui estropièrent plusieurs personnes. Dans le film, l’image de la foule laisse place aux témoignages d’hommes présents pendant le combat. Là encore, la bonne distance de l’opérateur capte la stupeur chez les uns, la détermination chez les autres et, chez tous, le sentiment vif que la lutte des classes n’est pas une fable mais une réalité inscrite jusque dans leur chair.
Une lutte sans frontières
Dans Classe de lutte, le premier film réalisé par le collectif Medvedkine de Besançon, en réponse à A bientôt j’espère, la foule s’ouvre sur le visage d’une jeune femme, Suzanne, qui parle de son engagement. Par cette correspondance de l’individuel et du collectif, il s’agit que le film soit le lieu a-topique, le lieu sans lieu d’une rencontre demeurée impossible avant lui. Ainsi il relie, par exemple, des situations régionales et internationales avec Septembre chilien, le dernier des films Medvedkine que Bruno Muel part tourner à Santiago quelques jours après l’assassinat de Salvador Allende.
(JPEG) Les films des groupes Medvedkine sont donc des films de témoignage qui montrent l’effort d’organisation d’une classe et les armes qu’elle se forge au cours du combat. Mais aussi des films qui témoignent pour ces hommes et ces femmes du désir d’apparaître à la fois dans le moment de l’action politique ou syndicale et dans le temps suspendu de l’enregistrement cinématographique. De cette inscription sur la pellicule vient la joie hautement photogénique d’avoir poussé en quelque sorte les portes de l’histoire officielle, pour placer eux-mêmes dans le livre qu’elles protègent quelques pages qui seront toujours prêtes, pour peu qu’on les lise, à en faire exploser la reliure.
Hélène Raymond
La conclusion de chris marker
« Un train, un homme qui mettait le cinéma « entre les mains du peuple » (comme Medvedkine nous le dirait lui-même plus tard), cela avait de quoi faire rêver un demi cinéaste égaré dans cette jungle où le professionnalisme mondain et le corporatisme se rejoignent pour empêcher le cinéma de tomber entre les mains du peuple. J¹ai donc passablement brodé sur le thème du « ciné-train », pour découvrir, en rencontrant Medvedkine, que tout ce que j¹avais inventé était encore très au-dessous de la réalité.
On se demande quelquefois ce qui a décidé un groupe d'ouvriers français, débutant précisément dans cette difficile entreprise de prendre le cinéma entre leurs mains, à choisir de se baptiser Groupes Medvedkine. Je suis heureux d'apporter pour la première fois une réponse historique à cette importante question. C'est exactement au moment où, racontant le ciné-train à Besançon en 67, l¹année des grandes grèves, dans la cuisine de René Berchoud en compagnie de Georges, de Yoyo, de Daniel, de Pol, de Geo et de quelques autres, que j'ai cité Medvedkine : nous emmenions avec nous des cartons déjà tournés, pour insérer dans les films. Et il y en avait un que nous prenions en bobines entières, parce qu¹il servait toujours, dans tous les films. Celui qui disait : « CAMARADES, ÇA NE PEUT PLUS DURER ! » »