une nouvelle

Message par gipsy » 16 Août 2003, 12:39

j'ai trouvé cette nouvelle assez sympa sur le site du mib:

CITATION LE SAINT
nouvelle de Mimoun Guélaï "Veste de Paille"...



De loin en loin, des lumières jaunes bornaient la voie ferrée dans l'obscurité. La rame de métro traversa en trombe un tunnel traçant une courbe qui donnait aux voyageurs l'impression d'être penchés, voir même le vertige. Un vacarme mécanique accompagna cette fulgurance jusqu'à son paroxysme. Les vitres, les portes et les sièges vibrèrent de concert, ainsi que les barres métalliques autour desquelles s'aggripaient une nuée d'hommes et de femmes en sueur, ceux qui n'avaient pas eu la baraka de "pécho" une place assise. Ils étaient serrés comme des sardines dans une petite boite en fer toute vibrante. Il faisait vraiment chaud, l'air manquait malgré qu'on avait baissé les vitres.

L'atmosphère, si viciée, tellement chargée des 15000 odeurs avariées qu'exhalaient tous ces tas de chairs en macération, pesait même sur les épaules des voyageurs assis qui se sentaient assiégés, pressés de se libérer. Ces derniers se doutaient bien qu'une place assise ne constituait pas une chance absolue, étant donné qu'ils leur restaient à se frayer un chemin jusqu'à la porte de sortie en évitant une masse d'obstacles qui se tenaient debout ou posés par terre; ce qui était loin d'être gagné, surtout quand on sait que les portes pouvaient se refermer sur eux sans qu'ils n'aient eu le temps de s'évader, les obligeant à revenir sur leur rail à la station suivante.

Après le virage, la vitesse diminua. Déjà, ici ou là, culs sur sièges ou têtes dans les nausées, des voyageurs se levèrent ou s'apprêtèrent à sortir comme si la machine assourdissante se trouvait à l'arrêt. Des bruits de paquets et de bagages qu'on rassemblait difficilement formèrent une rumeur dont l'amplitude grossit au fur et à mesure qu'approchait le bout du tunnel. Tous ces prévoyants savaient très bien à quoi s'en tenir, et malheur aux rêveurs, aux endormis et aux novices qui n'étaient pas au parfum des règles du souterrain.
Dès le départ de la rame à Porte de Clignancourt, les chalands qui s'en revenaient du marché aux puces avaient pris d'assaut tous les wagons dans une ruade qui tint de la bataille rangée plutôt que de l'esprit civique. A l'abordage, pas de quartier ! Les femmes et les enfants après! Comme d'habitude, ce fut à ce prix que l'on avait obtenu sa place assise au milieu de cette société égoîste que résume si bien cet entêtement rageur à vouloir bousculer celui qui se trouve devant soi, et cela même s'il marche avec des béquilles. Quelques stations plus loin, à Chateau Rouge et à Barbès, affluèrent les foules bigarrés des marchés exotiques et des magasins Tati, toutes encombrées de leurs achats. Une pagaille indescriptible suivit la rencontre de ceux qui sortaient et ceux qui voulaient accéder aux wagons sans attendre que ceux d'en face soient tous descendus, et tout cela dans un brouhaha entrecoupé de noms d'oiseaux, de cris et parfois de méchantes prises de becs. Il y avait tellement de monde et un manque de savoir vivre si évident qu'il fallait prendre les devants d'une évacuation qui ne se déroulait pas toujours de façon conviviale.

Tout à coup, la rame sortit de l'ombre et entra en pleine lumière. La décélération et le freinage hurlèrent des larsens stridents. Puis, en quelques secondes, la chenille de wagons blindés s'immobilisa sur le quai de la station Gare du Nord. Un ouf de soulagement poussé par une foule de voyageurs qui l'attendaient sur le même quai l'accueillît. Elle l’cha ses gaz, les portes s'ouvrirent et un bordel de merde se déversa sur le quai.
Tout d'abord, la foule se rua comme un seul homme vers la bordure du quai et marqua une pose qui fit croire qu'elle laisserait descendre les voyageurs arrivés à destination. Devant et derrière la pôle position marquée par une bande blanche, l'impatience sembla trahir cette apparente bonne volonté, des frémissements de voix s'élevèrent en crescendo: au coude à coude, ces hommes et ces femmes chauffaient seulement les moteurs nerveux qui allaient les propulser dans la course. A peine laissèrent-ils descendre quelques voyageurs pour montrer qu'ils leur restaient quand même un fond d'humanité que le départ fut donné sans qu'on pût le prévoir. D'un éclair, la foule devint meute lancée dans une précipitation avide, argneuse, vorace: le monde tel qu'en lui même, des rats enfermés dans une cage commune et qui jouaient aux rapaces alors que leur esprit était incapable de s'envoler à tire d'aile. Dans de telles conditions, la collision fatale se produisit.


-Ah, mon sac ! s'écria Mohamed Filouhoui, mon sac ! Il tenta de ressaisir son bien tombé au bord de ce qui servait de marche-pied, mais une cavalcade de pompes écrasa sans pitié ce sac en plastic qui contenait presque toute sa fortune: un pantalon en velours de couleur bordeaux et une paire de mocassins flambants neufs, tout fraîchement acquis au marché de Clignancourt dont il revenait avec son ami Mourad Daïdaï.

Après avoir arpentés toutes les allées du marché et s'être essoufflés dans des marchandages sans fin, ce court voyage les avait exténués et l'arrivée à Gare du Nord les fracassa, cela d'autant plus qu'ils devaient encore prendre un train pour retourner chez eux dans un coin perdu de la banlieue.

"Arrêtez, bande d'abrutis, vous marchez sur mes fringues !" reprit-il alors de plus belle, désespéré, hors de lui, la face rouge comme un piment. "Arrêtez ou j'vous nique vos mères !"
Sa mise en garde fut aussitôt suivie d'effet et il put récupérer son sac. Sans vouloir se rendre compte qu'il gênait à son tour les entrées et les sorties, il fouilla dedans pour constater si rien n'avait été massacré: le pantalon était sortit indemne, la boite à chaussures fut éventrée et les mocassins furent légèrement froissés. Ce n'était pas bien grave mais son sang ne fit qu'un tour. Sans bouger, il chercha des yeux la personne qui l'avait bousculé d'un coup d'épaule carabiné. Les voyageurs bloqués par l'embouteillage qui avait suivi commençèrent à manifester leur mécontentement : "C'est bon, vous l'avez votre sac, laissez nous passez voyons !"
"Fermez vos gueules, vous attendrez !" répliqua sèchement Mohamed en brandissant un doigt haineux. Ayant très vite repéré sa proie, il se jeta sur elle et libéra le passage où s'engouffrèrent les deux courants contraires.

"Espèce d'enculé, tu pouvais pas attendre que je descende pour monter?! Hein?! Tu pouvais pas attendre?! Pour un agent de la SNCF, vous n'avez pas honte!
-Mais, mais je suis comme vous. J'ai aussi mes problèmes: il, il m'arrive aussi d'être en retard et je, je , je redeviens comme tout le monde. Je suis désolé.
-Désolé, désolé, tu me fait marrer. Quand tu chopes des gens sans billet parce qu'ils n'ont pas une tune et que tu les alignes sans pitié, tu ne fais pas autant de sentiments. Tu ne te dis pas que tu pourrais être comme eux ! "

La personne resta sans voix, saisie par la peur que lui inspirait ce visage déformé par une violence brute, à fleur de peau, bršlante! Tout à coup, un signal sonore annonça la fermeture des portes. Mohamed était si convulsé qu'il n'entendait plus que l'embrasement crépitant de sa fureur: des coulées de lave bouillonnaient dans ses veines palpitantes.
"Allez viens, laisse béton, cria Mourad à son ami, on va rater le train !" Mohamed intercepta le message. Il prit juste le temps de lui asséner un coup de tête, de tourner les talons en se précipitant vers la sortie qu'il gagna en fendant une foule qui l'avait à son tour ferré comme un brochet ; mais les deux portes qui se refermèrent le prirent en sandwich. La personne se releva de ses émotions. Voyant Mohamed prit en tenaille, il lui vint l'idée de prendre sa revanche et tenta d'arriver jusqu'à lui.
Avec l'aide de Mourad, Mohamed réussit à se dégager, la porte se referma et la rame prit enfin son départ. Les deux amis eurent à peine le temps de voir le visage sanguinolent qui les maudissait derrière la vitre: "Je vous aurai, je vous aurai..."
Dans sa foulée, la rame freina brutalement en même temps que retentit une sonnerie, les roues crissèrent contre l'acier de la voie ferrée et des éclairs d'électricité jaillirent de ce frottement insupportable.
"Merde, s'exclama Mourad, il a tiré le signal d'alarme !"
Les deux amis se regardèrent sans se parler. Mais ce regard suffit à leur faire comprendre qu'une méchante galère venait de prendre un fâcheux départ qui allait peut-être leur couler toute ce samedi dont ils espéraient tant de bons vents. Sans plus attendre, ils mirent les voiles à toute allure. Ils s'esquivèrent au détour d'un couloir et se fondirent dans une foule qui l'avait investit comme la marée montante du mont Saint Michel.
Cette marée les porta jusque dans la salle d'attente réservée aux trains de banlieue. Beaucoup plus petite que celle des trains de grand large, elle était aussi beaucoup plus sombre car elle n'était pas chapeautée par une verrière qui s'ouvrait sur un horizon céleste, rappelant la mer du Nord par son toit si bas.

Le souffle court, le coeur balloté par des flots d'angoisse, Mourad et Mohamed se retournèrent sans voir personne leur coller au train. Ensuite, ils scrutèrent tout autour d'eux pour vérifier qu'aucun policier ne patrouillait dans ces eaux devenues dangereuses pour eux. Vigie à l'oeil sšr, Mourad signala du doigt: "Regarde là-bas !" En effet, au loin, derrière la ligne de tourniquets d'accès aux trains, une armada de garde-côtes de la SNCF faisait le guet, prêts à appréhender les éventuels resquilleurs.
"Oh, t'inquiètes pas, répondit Mohamed, c'est pas pour nous !
-Qu'est ce qui te fait croire ça ?
-On a mis deux, trois minutes, voir cinq pour arriver jusqu'ici. Je suis persuadé que le conducteur de la rame n'a pas eu le temps de se rendre compte exactement des faits et de les signaler au central de sécurité. Pour serrer quelqu'un, il faut des éléments clairs qui permettent de l'identifier. Dans ce foutoir rempli de gens, de têtes différentes, comment, qui arrêter? Et quand bien même il l'ešt fait, tous ces garde-chiourmes n'auraient pas eu le temps de rappliquer en si grand nombre et en si peu de temps. Mais peut-être crois-tu qu'ils ont chacun une photo de nous. Sois sérieux, nous ne sommes pas des voyous de grand chemin, ni des ennemis publics numéro un. Et puis, ce n'est pas la banque de France qui vient d'être attaquée mais un simple fonctionnaire dont tout le monde se fout, à commencer par ceux qui lui donnent à bouffer. Tu as vu dans le wagon, personne n'a osé bouger le petit doigt pour le défendre: personne! C'est eux les enfoirés, les l’ches, il faut toujours qu'ils déléguent des flics pour faire la sale besogne là où eux même auraient pu en faire une bonne. Et c'est toujours les premiers à s'plaindre de payer trop d'impôt!
-Ok, ok, ok, mais en attendant, avec ton bavardage, tu nous fais perdre du temps. Aller, on y va.
-Mais comment?
-Et bien on va prendre un ticket pour la prochaine gare, comme ça on pourra passer les tourniquets sans être inquiétés.
-Mais ça va nous coûter du fric, on roule pas sur l'or!
-Oh, reste tranquille, on paye pour la première gare pas pour le terminus où on doit atterrir. Et puis, après tout ce ramdan, ce n'est pas le moment de faire le rapace, vaut mieux raser les murs comme un lézard. Si tu veux, je paye ton billet. Mais "ziva" on s'casse!"

"Mais tu me prends pour qui ? ricanna Mohamed d'un geste brusque, tu crois que je suis en train de te faire la manche ou quoi ? Moi, si j'veux pas payer, ce n'est pas pour leur gratter deux sous, mais pour l'principe ! Les contrôleurs, j'ai la haine contre eux, et ça m'suffit à m'donner raison. Ils représentent l'infamie qu'on nous fait subir. Ne touchent-ils pas des primes selon le nombre d'amendes qu'ils rapportent chaque jour ?
-Mais qu'est-ce que tu racontes ? Qu'est-ce que cela veut dire ?"

La vérité ressurgit de l'ombre: pleine de lumière. Elle faisait mal à voir mais il fallait la regarder en face. Elle était comme elle avait toujours été, mais il fallait l'avaler. Mohamed pensa à sa grand-mère qui lui répétait tout le temps:"ceux qui n'ont pas peur de regarder la vérité en face ne meurent jamais d'empoisonnement; et si elle te brûle les yeux, ma foi, tant mieux, c'est signe que tu ne la reverras pas de sitôt."
Il fixa Mourad droit dans les yeux comme dans un moment de vérité.
"Toi, tu m'poses une question pareille? Pourtant tu es bien placé pour comprendre sans que j'ai à te donner d'explications. Et bien oui, ma haine veut dire que j'ai toujours les poches vides et que je ne sais jamais quand est-ce qu'elles vont se remplir. Par contre, ce que je sais, c'est qu'il faut toujours que je courre pour joindre les deux bouts, même pour acheter un paquet de cigarette. Pour tout c'est pareil, toujours à compter ce qu'il me reste avant de me rendre compte de ce que je sais pertinemment, à savoir que la mise est trop courte et que je suis condamné à me mordre la queue jusqu'à l'éternité. On en arrive toujours au même point: quémander inlassablement ce qui manque à droite à gauche by any means necesary, se lier aux servitudes de l'usure impitoyable. J'ai beau faire des efforts, suivre le pas des valeurs établies et bien observer autour de moi, mais aucun espoir ne vient déblayer les obstacles qui jonchent notre vie de galérien. Tout vient à point nommé pour me dégoutter de faire comme il se doit. Et pourquoi chercher à être méritant si la voie du mérite est truffée de chausse-trappes ? Il n'y a qu'une seule chose dont je suis sûr : je ne veux pas vivre d'envies jamais exaucées. Je ne veux pas passer mon temps à mater comme un voyeur ceux qui ont la baraka de "quécro la ive" à pleines dents. Maudits soient les quartiers de Paris qui nous tiennent à l'écart des terrasses de café, des restaurants, des magasins, des boites de nuit et de tous ces endroits où nous sommes astreints de montrer patte blanche. Maudites soient nos virées à Paris qui ne font que remuer le couteau dans la plaie, rallument à chaque fois le ressentiment qui nous rongent de ne pas être au coeur des choses et nous ramènent là où notre rage ne peut qu'allumer le feu de l'embrouille pour se donner au moins l'illusion d'exister. Mais que soient maudites au centuple la SNCF et la RATP de nous empêcher d'aller nous emmerder dans ces endroits où nous cherchons d'autant plus à nous incruster qu'on nous en barre l'accès et qu'on les déteste comme la peste. Qu'elles soient maudites de nous forcer à payer le ticket de notre ennui, de notre merde, de ce qui fera peut-être le lit de notre propre tombe. Seuls les artistes de rue savent nous rendre notre dignité si tu n'as rien à donner. Un regard fraternel suffit et il en dit plus long que tous les biftons réunis. C'est sans doute pour cette raison que les képis de tous poils les pourchassent sous prétexte de cumuler deux crimes : celui d'être un mauvais contribuable et celui de troubler l'ordre public. Si je dois perdre à l'instant un peu d'argent, autant le donner à celui qui sait comprendre ce que j'ai du mal à exprimer. Mais vu que tu t'proposes de faire le bon samaritain, je ne vais pas me prendre la tête plus que ça. "

Mourad ne put s'empêcher de rigoler après une tchatche pareille. Et, pour lui répondre, il parla en kabyle et en imitant l'accent matois de sa vieille grand-mère:
"Oui, Saint Momo, Sidi Mohamed de la cité du 18 juin 1940. Un jour, tu auras ta kouba au milieu de la cité, après que ta voix ešt portée l'appel de ta révélation. Une fontaine jaillira tout à côté du dôme blanc sous lequel dormira ta dépouille. Son eau contiendra ta baraka. Et, chaque année, les gens de la cité et d'ailleurs, tous les estropiés de la vie, viendront dans la transe d'une procession libératrice pour te demander en plus que l'eau fasse de l'effet."


Puis, retrouvant sa voix habituelle, il essaya de mettre un terme à cette ridicule prise de tête sur un ton qui n'était plus de la comédie:
"Bon, forget it, man, ok, forget it ! Maintenant on va prendre les tickets et s'casser. Si tu veux, dans l'train, on tapera l'carton d'la politique, on aura le temps de refaire le puzzle du monde. La tranquillité, mon frère, la tranquillité... et puis, si tu détestes tant ces endroits où tu es sûr de t'embrouiller, pourquoi cherches-tu à y retourner sans cesse ?
-Normal puisque tout le monde s'accorde pour te dire que rien ne se fait en dehors des lumières de la ville, du centre ville, nombril du monde. Alors, comme tout le monde, tu cherches le centre. Malheureusement, quand tu le trouves, que tu accèdes au périmètre, les bruits de casseroles font aussitôt la ronde. Ils te rappelles que tu n'es qu'un zonard et que ta germination heureuse dans le cercle des élus ne peut être que de la graine de parvenu. Et, effectivement, pour rester dans l'orbite fondamentale, tu deviens un parvenu: tu dois d'abord ressembler aux jardiniers qui t'ont toujours pris pour une mauvaise herbe et leur montrer que tu sais arracher aussi bien qu'eux. Que peux-tu faire là où ne poussent que des raisins vert si ce n'est cultiver l'art de la révolte. Même si la révolte n'est qu'une étoile filante qui explose dans l'orbite d'un monde si imbu de sa propre atmosphère qu'il cherche à l'éteindre de sa mémoire, on garde toujours le souvenir de son éclat qui fut si bref. Transmise sous le manteau, elle continue sa route alors qu'on la croit morte, elle coule comme l'eau qui dort, tranquille, sans se méfier, prête à tirer son feu d'artifice de la galère où l'eau a pris sans avoir pu mouiller ses pétards."

"Oh, interjecta Mourad, tu t'crois où? On n'est pas dans une AG de ton association de chômeurs. On n'est seulement à gare du Nord, on doit prendre le train et rentrer tranquillement chez nous. Nous en sommes qu'à la moitié de la journée. Rappelle toi que ce soir la nuit sera à nous, pense qu'on va aller s'éclater d'enfer. Ne gâche pas l'autre moitié de paradis qui doit nous déposer aux portes incandescentes de la gare des plaisirs faciles."

"Maudite soirée, contra Momo, n'est elle pas la source de tous nos soucis? N'est-ce pas à cause d'elle que nous sommes allés jusqu'à Clignancourt et que j'ai grillé une bonne partie de mes économies. Des économies que j'avais patiemment accumulées en me privant de ci de ça, et en utilisant des moyens que le Grand Livre Saint réprouve catégoriquement."

Là, il faisait allusion à une combine fort prisée des pêcheurs d'argent de poche à laquelle il avait eu recours. Juste avant chaque fin de mois, pour que Momo puisse se rendre à son lycée, sa mère lui remettait la somme devant lui servir à acheter son coupon de carte orange mensuel. Et, tous ces derniers mois, il s'était rendu régulièrement chez un vieux recéleur qui avait poussé le vice jusqu'à se faire appeler El Hadj. Ce dernier avait acquis auprès d'un jeune camé à la gorge cet appareil merveilleux qui permet d'inscrire sur les coupons de carte orange le mois et l'année d'utilisation, fruit du braquage d'un buraliste. El Hadj récupérait le maximum de coupons périmés. Il les passait dans une potion magique qui dissolvait l'encre bleu signalant la période d'utilisation passée. Une fois les coupons redevenus vierges de toutes inscriptions, El Hadj n'avait plus qu'à les passer dans sa machine qui réinscrivait la période d'utilisation du moment opportun. L'illusion était parfaite. Quand on les présentait aux contrôleurs, ils n'y voyaient que du feu. Cependant, ces vrais faux coupons n'avaient qu'un inconvénient. L'utilisateur ne pouvait pas les faire valider par les lecteurs des barrières électroniques. Ils savaient lire le contenu de leur bande magnétique et, là, l'incendie ne prenait pas, un voyant rouge annonçait le blocage de la barrière électronique en faisant bip bip bip: ce qui forçait l'utilisateur à sauter l'obstacle. Malgré ce point faible, il suffisait de bien repérer la présence des contrôleurs avant d'entrer sans frapper. Pour le reste, vu qu'El Hadj les vendait moitié moins chers que les prix officiels, Momo ne cracha pas sur l'occasion de voyager et d'épargner tout à la fois: il prit aussitôt l'habitude d'acheter son coupon chez lui. Ce fut en récupérant chaque mois la différence de la somme que sa mère lui octroyait qu'il put égayer sa garde robe des nouveaux éléments que la foule du métro avait piétinés.

"Le Grand Livre Saint réprouve certes un tel commerce, ajouta Mourad avec perfidie, mais tu es allé au marché sans rechigner, la bourse ne t'a pas brûlé les doigts. Et puis, ne mets pas tout sur le dos de la soirée. Tout à l'heure, tu ne parleras pas comme ça quand tu verras toutes les meufes qui nous attendent.
-En tout cas, on s'rait pas tomber sur ce mec qui m'a mis la haine, on aurait eu aucun problème!
-Si tu veux mec, si tu veux... mais partons, putain de merde, partons !"

Momo passa la frontière tant redoutée en bombant le torse devant des contrôleurs qui ne firent aucun cas de lui, insensibles à celui qui paye le péage. Devant lui, plusieurs trains gris stationnaient, d'autres entraient ou sortaient, les gens allaient et venaient, une rumeur montait au plafond. Quant à lui, Mourad inspecta d'un regard l'immense tableau des départs et la pendule qui les surplombaient au dessus d'eux.
"Magne toi, s'écria-t-il, notre train va se faire la malle !"
Aussitôt, les deux compères détalèrent comme des lièvres. Essoufflés, ils s'installèrent dans le deuxième wagon, dans un coin où se trouvaient déjà trois jeunes du même âge qu'eux. Cinq minutes après, la locomotive dormait comme une tortue et la chenille n'avait toujours pas fait un pas.

"Franchement, pourquoi tu m'as fait courir pour rien ?" demanda soudainement Momo qui venait de prendre conscience de la part dérisoire que la vie peut infliger au cours du temps. A peine eût-il parlé qu'un signal sonore annonça le départ imminent du train comme pour répondre à sa question. Ils entendirent les bruits de l'air comprimé qui actionna la fermeture des portes. Le train se mit en branle, prit de la vitesse et s'installa dans sa vitesse de croisière.

L'un des trois jeunes pencha la tête pour regarder à l'autre bout du wagon. Il aperçut les képis de deux contrôleurs qui sortaient des toilettes où ils s'étaient planqués pour ne pas être repérés par le gibier.
"Oh, les gars, y'a les leur-leurs, s'écria-t-il en se levant sans faire de bruit ou de gestes brusques, y'a les leur-leurs. Jésus, viens avec moi, on va se cacher sur le marche-pied. C'est tout ce qui nous reste à faire !"
Aussitôt dit aussitôt fait. Sans hésitation, ils ouvrirent une porte du train en marche. Un paysage de tours, de HLM, d'usines et d'entrepôts défilaient à vive allure. Leurs cheveux volaient au vent. Ils s'accroupirent sur le marche-pied en se tenant aux barres d'appui qui se trouvaient sur les côtés. Et, d'un geste, ils refermèrent la porte sur eux. Sous leurs pieds, ils voyaient les rails que le train avalait à la chaîne. Tout vibrait, le soleil les aveuglait de lumière: ils goutèrent à l'ivresse de jouer dans un film d'Alfred Hitchcok.
Bientôt, les contrôleurs arrivèrent : "Messieurs, bonjour. Contrôle des billets, s'il vous plaît." Le gars qui était resté assis, Momo et Mourad présentèrent leurs titres de transport. "Au revoir, bon voyage, merci." conclurent-ils après vérification. Ils disparurent dans le wagon suivant et le gars se précipita vers la porte qu'il ouvrit d'un geste nerveux. Ses amis remontèrent.
Une fois la porte fermée, l'un deux s'exclama:

"Ooooh, comment on les a niqués mon frère, comment on les a mangés tout cru !" Et ils se tapèrent les mains, fiers de leur exploit.
"Putain, s'exclama Jésus en trépidant sur place, quand on va raconter ça aux copains, ils vont pas nous croire. Ooooh, on les a "géman", on les a "géman"....mangééés les hijos de puta !"


Momo et Mourad se regardèrent en silence, complètement ahuris. Ils n'en revenaient pas d'avoir été les témoins d'une scène si invraisemblable, si folle. Ils en avaient vécu des aventures avec les contrôleurs. Ils en avaient entendues de bien plus rocambolesques que les leurs. Et il en existait des histoires. C'était un vrai genre littéraire, oral, mais littéraire quand même, même si certains pensaient que ce genre rimait toujours avec faits divers. Mais, là, ils n'avaient jamais osé imaginer le film qu'ils venait de voir. Le choc fut si intense qu'ils oublièrent leurs chamailleries. Jusqu'au terminus, ils ne cessèrent de tenir salon comme chez Pivot et de vider le gros volume du genre. Ils évoquèrent leurs propres aventures passées et celles des autres. Ils firent des comparaisons, des commentaires. Des commentaires si longs, qu'à l'arrivée, nos deux critiques estimèrent, presqu'à regret, que le voyage avait été trop court. Il ne leur resta plus qu'à prendre le bus. Cette dernière étape à passer accentua leur regret, creusa soudain leur appétit et raviva leur hâte d'en finir, de rentrer à bon port et de jeter enfin l'ancre dans la mare tranquille.

Gr’ce à une course effrénée, nos deux compères réussirent à prendre le bus qui s'apprêtait à démarrer sous leur nez. Pas désespérés, ils se retapèrent une santé en évoquant la soirée à laquelle ils étaient invités et les promesses qu'elle avait éveillées en eux. Ils discutèrent fringues, coupes de cheveux, gel ou pas gel, pompes glacées ou mocassins en cuir. Ils se virent déjà au paradis: sapés comme des princes, beaux gosses, à taper des passes de danse dans le tourbillon de la boule à facettes. Exalté, Mourad se mit à chanter: "Ooooh Let the music play..." "Shake you body, lui répondit Momo qui entra dans la transe, down to the ground. Oh, shake you body..."
Pour faire de la surenchère, Mourad esquissa un pas de danse. Dans le mouvement, son pied heurta le cabas bien garni de Mme Slimani toujours secondée par sa fille Zlika qui la suivait comme son ombre partout où elle allait. Cette redoutable vieille fille se laissait paraître plus idiote qu'elle ne l'était en réalité.
Pour combler son infortune en entrant au service exclusif de sa mère, Zlika avait fait la fortune de cette dernière en matière de renseignement. La commère ne broncha pas, resta droite et hautaine. Comme un fidèle écuyer, Zlika se précipita pour réparer les dégâts.
Quand elle eût terminée sa tache, Mme Slimani gifla Mourad d'un regard furtif, rapide qui en disait long. "J'ai enregistré, disait-il, j'ai enregistré, on verra si ta mère apprécie qu'on lui casse des oeufs." Mourad rougit des pieds à la tête.


"Je me demande ce qu'elle va aller encore raconter, glissa Mourad de façon à ce que Zlika n'entende pas leur conversation, je ne te dis pas les costards qu'elle taille aux gens. Elle serait capable de raconter que j'étais saoul ou que j'ai fumé du hash.
-Oh, tu t'en fous, tu n'as rien fait, son cabas est tombé mais y'a eu plus de peur que de mal. Te prends pas la tête, tu sais ce que tu as fait, elle peut raconter ce qu'elle veut.
-Ca se voit que tu n'habites pas le même b’timent qu'elle, sinon tu parlerais pas comme cela.
-Ok, ok, conclut Momo heureux comme un joueur qui smatche la balle de match, mais, n'oublie pas, ce soir y'a une soirée d'enfer! Tu me la assez servi sous tous les angles depuis c'matin pour pas que je l'oublie.
-Ah, enfin tu reconnais mes qualités de professeurs! Au fait, dernière leçon: je descends à l'arrêt du Soleil Levant, un arrêt avant Mme Slimani. C'est vrai, le chemin sera plus long pour rentrer chez moi. Mais c'est toujours mieux que d'être obligé de faire la route à pied avec ces deux sorcières. Si je descends avec elles, je ne peux pas faire comme si je ne les connaissais pas. Vingt ans dans la même fourmilière : même les yeux bandés, on se reconnait à l'odeur ! Cela ne se fait pas d'esquiver les voisins, ce serait alimenter une imagination qui n'attend que le savon pour se faire mousser. Avec elles, vaut mieux prévenir que guérir ! Comme dit le proverbe: Fais ce que ton voisin fait, où déplace l'entrée de ta maison.

Au Soleil Levant, la porte du bus s'ouvrit en accordéon devant le regard impatient de Mourad. Mme Slimani put constater amèrement qu'elle ne le ferait pas chanter aujourd'hui. En trois foulées, il se retrouva sur le trottoir. "A tout à l'heure, dit il à Momo.
-Tu verras, ce sera bien.
-Quoi?
-La soirée... mon frère, la soirée, des meufes à gogo, d'la bonne zikmu et du bon matos pédagogique à kifer!
-Moins fort, tu veux que j'me fasse griller !"

Ah, la soirée, ils l'avaient tant attendue qu'ils sentirent une peur étrange en comptant le peu de temps qui les en séparait. Ils passèrent l'après midi dans la fièvre. Après déjeuner, ils se retrouvèrent comme pour une ultime veillée d'arme avant l'assaut. Ils fumèrent deux trois pétards, se racontèrent quelques blagues et caressèrent de nouveau les rêves les plus fous pour ce soir. La tête pleine, ils se séparèrent et chacun rentra dans sa demeure. Rendez vous était pris pour ce soir à vingt heures près du vieux marché de la cité. Il n'était plus loin ce moment où ils entendraient la voix du hasard l’cher: "Rien ne va plus, les jeux sont faits, rien ne va plus !"

Momo prit un bain, se pouponna comme la princesse qui va aller à son premier bal: il passa des heures dans sa chambre à essayer des fringues devant une glace tout en écoutant la musique à fond. Parfois, sa mère, pleine de colère, entendait son fils hurler derrière la porte des "shake you body" par ci, des "Come on, baby" par là: "Oh, où te crois-tu ? Tu es toujours dans la maison de ton père! Veux-tu nous rendre sourds?! Mon dieu, une vraie mariée !"


De son côté, Mourad aussi donna de la voix. D'autant plus qu'il se trouva seul à la maison. Toute sa famille était partie rendre visite aux cousins de Valencienne et il avait pris tous ses aises. La chaîne stéréo cracha sans discontinuer un rythme funky. Les sections de cuivres volaient jusque dans la cuisine de Mme Slimani qui s'interrogea devant un parterre de commères qu'elle avait invitées autour d'un café pour sa conférence de presse très courue du samedi après midi :
"Que lui arrive-t-il ? Il tape des mains, ils tape des pieds, la musique fait trembler les murs. Qu'est-ce qu'il prépare? Quand le berger n'est pas là, les agneaux dansent. A mon avis, il se drogue. Rien qu'c'matin il ne tenait pas debout, il dansait en titubant comme un ivrogne et il a fait tomber mon sac avec un coup de pied. Ensuite, pendant tout le reste du trajet, il a eu si honte qu'il m'a tourné le dos avec l'air inquiet de celui qui a quelque chose à se reprocher. Il est même descendu un arrêt avant l'arrêt habituel: il savait bien qu'il n'était pas présentable et qu'il ne voulait pas que je le remarque. Et, maintenant, il nous casse les oreilles. Mon dieu, qu'est-ce que tout cela cache, que manigance-t-il ? Zlika, donne des coups de marteau dans les tuyaux, qu'il arrête son cirque !"


En réponse, rien que pour les angoisser un peu plus, Mourad leur balança un bon vieux tam-tam du sud marocain à la place de la bonne vieille soul. Il dégusta un bon pétard en sirotant un verre bršlant de thé à la menthe. Puis, la chaleur du thé aidant, il se mit à taper de nouveau des mains et des pieds. La fête, la fête, rien que la fête, l'éclate! Tout oublier, entrer en transe, être l'esprit du rythme, du son, trépider, tourner la tête, les yeux comme un possédé, marcher à vif sur les charbons ardents de l'ivresse, tomber d'extase jusqu'au sacrifice rituel. El gnaoui, naoui, naoui, el gnaoui, naoui, naoua!

Ce fût avec ce rythme dans la tête que Mourad se rendit au rendez-vous fixé près du vieux marché. Des vapeurs de haschich transportaient son esprit d'un pas chaloupé. Il était chaussé de pompes glacées noires et portait sur la tête un brushing en forme de parasol.
A son arrivée, une lumière dorée baignait la place du marché. Des bouts de ciel rose s'intercalaient entre les tours et les bâtiments qui l'encerclaient comme les remparts de Carcassonne. Il faisait encore chaud alors que le soleil avait commencé de tirer sa couverture. Des gouttes de sueur coulaient sur son beau visage insolent, jeune, insouciant. Sous les platanes bordant le marché, bruissait une source de fraîcheur.
Mourad suivit son cours. Des voix se firent entendre. Des bruits de mobylette allaient et venaient. Des pneus de voitures crissaient parfois. Des groupes d'enfants jouaient ici ou là, se poursuivaient comme des nuées d'étourneaux en slalomant entre les troncs. Il bifurqua vers les tréteaux du marché. Du reggae lancinant chatouilla ses oreilles, il tira une dernière taffe et se dirigea vers un groupe de jeunes regroupé autour d'un étal vide sur lequel certains s'étaient assis. Mourad aperçut Momo. Il buvait un verre de whisky. Ses yeux pétillaient d'allégresse. Après avoir salué chacun, il se saisit d'un verre que Momo lui tendit en le remplissant en même temps. Le liquide brun et corrosif coulait en grelots d'un flash vert bouteille. De brûlantes retrouvailles s'ensuivirent.


Les verres et les joints tournèrent. Les gars chambrèrent à chaque fois qu'ils ouvrèrent la bouche. Des rires joyeux et francs fusèrent suivis parfois de rumeurs collectives qui s'envolaient d'un coup au dessus de la place. La musique accompagnait ce charivari et les corps rythmaient la cadence des mots que l'ivresse libérait. Quand le flash fut complètement vide, nos deux compères se firent descendre en caisse devant la gare. Leur chauffeur roula comme un conducteur de rallye. Fenêtres ouvertes, leurs têtes dansèrent sous les haut- parleurs du radio cassette poussé au maximum.

Paris, la ville aux mille tours, la reine de nos Tyrs et de nos Babylonne...

Sur le quai, ils montèrent dans un wagon où ils entendirent la basse d'un puissant poste cassette. Un groupe de jeunes en train de faire la bringue attira leur attention. Le ciel s'était embrasé au couchant, un air chaud et humide humectait la peau d'une sueur poisseuse. Parmi ces jeunes, Mourad et Momo reconnurent des connaissances. Ces retrouvailles ravivèrent l'ambiance.
Les deux amis s'installèrent parmi eux. Ils se tapèrent les mains à n'en plus finir, se rappelant sans cesse de bons vieux souvenirs. Ils roulèrent d'autres joints et Mourad eût l'enivrante idée de faire passer sa cassette de gnaouas. Il l'avait gardée, ce rythme était entré en lui. Les mains claquèrent, les pieds redoublèrent d'intensité en frappant le sol du wagon emfumé de volutes illicites. Certains, emportés par leur trop plein d'allégresse, se levèrent pour danser. Ils balançèrent leur corps en avant et en arrière, tout en sautillant sur leurs pieds. Leurs têtes pivotèrent sur elles-mêmes, leurs corps tremblèrent de plus en plus vite en même temps que l'hypnotique martèlement de mains et de castagnettes. La joie était à son comble.

"Et, les gars, fit quelqu'un, y'a les leur-leurs qui rappliquent : J'les vois d'ici, ils sont dans l'autre wagon. Ils ne vont pas tarder."
"On s'en fout, répondit un autre, ce soir on a tous pris un ticket."
Puis s'adressant à Mourad et Momo, il leur demanda:
"Au fait, vous avez ce qu'il faut vous deux ?"
"Bien sûr, répondit Momo, j'ai même une vraie fausse carte orange.
-Fais voir, j'en ai jamais vu."
Momo fouilla dans ses poches, vida son porte feuille, il se rappela qu'il l'avait laissé dans la poche arrière du pantalon qu'il avait porté ce matin. La panique s'empara de lui.

"Putain, Mourad, j'ai oublié ma carte orange. Si j'me prends une prune, mon père va m'faire un oeil au beurre noir dont il a la secrète impulsion. On va découvrir toute ma combine, j'vais m'faire massacrer...Ooooh, que faire ? Les leur-leurs sont déjà entrer dans le wagon !"
Momo jeta des regards perdus partout. La musique emplissait ses oreilles. Soudain, ses yeux se posèrent sur la porte du wagon. "Comment on les a niqués mon frère ! Mais comment !"

"J'ai trouvé, reprit il comme frappé d'une hallucination, il me reste une solution. Faites comme si de rien n'était, continuez de faire "témon" le rythme. Moi, j'vais disparaître quelques instants comme le génie de la lampe."

Il se jeta sur la porte, l'ouvrit, se plaça sur le marche-pied en se tenant d'une main à une barre d'appui et la referma sur ses amis. Le vent souffla dans ses cheveux. Son coeur battait à tout rompre. Les rails défilaient à une vitesse folle. Toute la carcasse métallique du wagon tremblait, vibrait, crissait. La musique battait toujours son plein, il en était gavé, elle lui faisait tourner la tête. De ses pieds, un fourmillement de picotements le gagna peu à peu. Sa peur finit par s'atténuer. Ses yeux émerveillés furent absorbés par le défilement des lumières de la ville. Il se sentit de plus en plus léger. Le vent passait partout en lui, il se confondait avec lui. Il percevait toujours la musique et cela grandissait son ardeur. Face au vent qui fouettait son visage, Momo ferma les yeux et laissa monter en lui la force d'une ivresse inconnue.
A l'intérieur, une fois les contrôleurs passés, Mourad se dirigea aussitôt vers la porte pour mettre fin au calvaire de son ami. Soudain, une sirène retentit, un éclair jaillit des fils électriques, un grand coup de vent balaya le wagon. Un train venait de passer en sens inverse et la musique avait réveillé les esprits: des gouttes de sang s'étaient éclatées sur la vitre de la portière. La musique s'interrompit et le silence lui sauta à la gorge.

"Jusqu'au sacrifice rituel, se souvînt cruellement Mourad en enfonçant ses ongles dans ses cuisses, jusqu'au sacrifice rituel."


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gipsy
 
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Inscription : 14 Oct 2002, 14:03

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