La journée de la jupe

Message par Vérié » 28 Mars 2009, 11:12

Avez-vous vu La journée de la jupe, qui est passé deux fois sur Arte et sort en salle ?

Sans trahir le suspense, c'est l'histoire d'une prof qui disjoncte et prend se sélèves en otage. Ce film a beaucoup de qualités, à commencer par l'interprétation. Mais il m'a mis mal à l'aise dans la mesure où :
-Le personnage le plus antipathique, vraiment odieux, est un voyou black
-Le personnage le plus sympa et le plus "positif" est un flic chargé des négociations. (L'excellent Denis Poladides).

Je redoute donc, même s'il existe bien évidemment des voyous blacks et des flics sympas, que ce film renforce l'esprit sécuritaire et raciste, même si, de toute, évidence, le réalisateur n'est pas raciste, bien au contraire.

J'aimerais avoir l'avis de ceux qui l'ont vu, et notamment des enseignants.
Vérié
 
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Message par Vérié » 28 Mars 2009, 12:09

(El convidado de piedra @ samedi 28 mars 2009 à 11:51 a écrit : Ton réalisateur me semble  de moins en moins fréquentable.

Les critiques du film sont très contrastées. Par exemple, beaucoup d'organisations "communautaristes" et antiracistes estiment que le film stigmatise les musulmans, alors que Riposte laïque - site franchement islamophobe - applaudit bruyamment, ce qui renforce mon malaise...


Voici une critique hostile et intelligente que je viens de trouver sur le net.
Personne d'entre vous ne l'a vu ?

a écrit :

Pourquoi je n'ai vraiment pas aimé «La journée de la jupe»
Le film avec Isabelle Adjani est une vision grossière et fausse de la réalité sociale.
| jeudi 26 mars 2009


Pas de doute: «La Journée de la jupe» est un succès. Triomphe critique - on salue partout le grand retour de l'éternelle absente du cinéma français, Isabelle Adjani; record d'audience historique lors de sa diffusion sur Arte avec 2.245.000 spectateurs; sortie en salles prometteuse. Or le film de Jean-Paul Lilienfeld m'a mis très en colère. Passons sur sa médiocrité en tant qu'objet artistique: jeu approximatif des comédiens; pathos d'une insupportable démagogie; situations terriblement artificielles, d'Adjani qui fait répéter le vrai nom de Molière à ses élèves en leur braquant un pistolet sur la tempe à Denis Podalydès, improbable policier du RAID qui tente de rattraper sa femme au téléphone tout en gérant une prise d'otages... Le vrai problème est ailleurs, dans le regard que le réalisateur pose sur la banlieue, dans la direction qu'il indique pour trouver des solutions au problème réel et douloureux de l'école dans les quartiers difficiles.

La situation de départ est éloquente: Sonia Bergerac - Adjani, donc, qui ne quitte pas le registre de l'hystérie — est une prof de français dépassée par ses élèves. On la découvre bousculée, insultée, malmenée à l'entrée de la salle où elle compte leur faire répéter «Le Bourgeois gentilhomme». Ses cris pour ramener l'ordre ne servent à rien. Le Lexomil qu'elle avale avant d'entrer en classe non plus. Les élèves, noirs et arabes pour l'essentiel mis à part un petit rouquin arrogant, la méprisent ouvertement, et se comportent - le mot est employé à plusieurs reprises - comme «des sauvages».

Et puis, le scénario en a décidé ainsi, elle trouve un revolver dans le sac de Mouss N'Diop (Yann Ebonge), s'en saisit, le pointe sur sa classe et entreprend de faire cours. Ah, le symbole est fort: c'est qu'avec un peu de discipline, il y aurait moyen de faire cours aux élèves les plus difficiles! Sous la menace d'une vraie sanction (la mort, rien de moins), ils écoutent, les bougres, ils font moins les fiers! Drôle de vision de l'éducation : quel savoir peut-on bien transmettre sous la contrainte, dans la terreur? Evidemment, devant le pistolet, chacun répète sagement le nom de «Jean-Baptiste Poquelin»... Félicitations, Madame Bergerac!

Syndrome de Stockholm

Son revolver à la main, ravie d'avoir enfin le silence, la prof ne s'arrête plus de parler: elle lit la vie de Molière dans son exemplaire du «Bourgeois gentilhomme», témoignant au passage d'un sens approximatif de la pédagogie. Le regard qu'elle porte sur ses élèves est d'une incroyable agressivité. Elle moque leur prétention sexuelle: «ça parle que de sauter les filles et ça a pas un préservatif en poche!». Elle ricane: «le fric, les journaux people, la Star Ac, y a que ça qui vous intéresse!». Enfin, dans une scène hallucinante, elle leur explique qu'ils ne doivent surtout pas se voir comme des victimes, car leurs difficultés sociales ne sont pas une excuse... «Ne faites pas ça! Ne vous prenez pas pour des victimes!», répète-t-elle les larmes aux yeux, alors qu'elle les retient tous prisonniers grâce à une arme à feu!

En otages prévisibles, les élèves en viennent vite à prendre son parti (à part le méchant Mouss, bien sûr, et son acolyte blanc, Sébastien). Le bon vieux syndrome de Stockholm s'empare d'ailleurs du film tout entier. Quiconque s'oppose à Sonia et à sa prise d'otages est représenté comme un imbécile (le principal, alias Jackie Berroyer), un lâche de gauche (le prof qui se laisse tabasser par les jeunes sous prétexte qu'il comprend leur malaise) ou un psychopathe dangereux (Bechet, le policier du Raid joué par Yann Collette). Les personnages sympathiques en revanche expriment leur solidarité:  une collègue qui parle sans langue de bois de ses difficultés; Labouret (Podalydès), qui comprend très bien qu'on puisse «péter un boulon, ça arrive à tout le monde»; les parents et le mari de Sonia qui l'avait quitté mais revient dare-dare en entendant parler de l'incident; et enfin ses élèves, notamment Nawel (Sonia Amori) qui partage les revendications de la prof - le droit au respect pour les femmes - et la remplace même à un moment dans le rôle de la preneuse d'otages.

Racisme impardonnable

Une ligne de partage est également tracée entre bons et méchants à l'intérieur même de la classe. Les bons, ce sont ceux qui, après avoir vu le pistolet, acceptent d'écouter Madame Bergerac. Le méchant, c'est Mouss qui, malgré la menace, ne change pas d'attitude. Quel culot! Les autres peuvent être dressés, mais pas Mouss. Il cumule toutes les tares :  violent, gangster, macho, antisémite, complice d'un viol, et enfin balance... On nous demande clairement à nous, spectateurs, de comprendre la prof qui braque ses élèves, mais surtout pas cet ado dangereux, cause profonde de tous les problèmes de la classe. C'est la bonne vieille technique du bouc émissaire. Il existe certainement quelque part en France un ado comme Mouss, macho, antisémite et criminel. Là n'est pas la question. Mais si c'était ce cas extrême, ce personnage singulier, qui intéressait Jean-Paul Lilienfeld, il aurait dû nous raconter le face-à-face de deux individus spécifiques - Sonia et Mouss -, pas les transformer en symbole, en faire l'affrontement de l'école laïque et du sauvageon de banlieue. En chargeant le personnage de grand Black fou furieux de représenter le danger de la cité, le film tombe dans un racisme impardonnable.

Raciste, «La Journé de la jupe»? Pourtant, dans une péripétie bien calculée, on découvre que Sonia Bergerac est arabe et que ses parents sont des immigrés du bled, exactement comme ceux de ces élèves. Les parents en question sont dignes et silencieux - tout comme la mère de Mouss d'ailleurs et le père de Mehmet (Khalid Berkouz)... Une façon pour le film de distinguer la génération des parents (qui se sont sacrifiés, souligne la prof, pour faire le bonheur de leurs enfants et qui se montrent remarquablement calmes et soumis à l'autorité, coopérant avec la police) et d'accentuer le contraste avec les jeunes tapageurs, agités, dangereux. Entendant la prof parler arabe, une élève lui demande: «Madame, pourquoi vous nous l'avez pas dit?». Et Madame Bergerac de répondre : «Parce que je suis prof de français!»

Que signifie cette scène au juste, cette sympathie soudaine de l'élève, sa question qui laisse supposer qu'une telle révélation aurait tout changé? Ainsi, si la prof leur avait révélé qu'elle était arabe, les élèves l'auraient écoutée? Ils auraient bien travaillé à l'école, appris le vrai nom de Molière sans pistolet sur la tempe? On comprend à ce moment précis ce que le film — peut-être à son corps défendant — finit par dire. Que ce qui se joue dans nos écoles de ZEP, c'est le clash des civilisations. Le personnage le plus tourné en ridicule du film n'est-il pas le prof qui amène le Coran en cours? Comme si le vrai affrontement n'est pas entre profs et élèves mais entre laïques et musulmans. Il y a là une vision grossière et fausse d'une réalité sociale complexe, un regard qui exclut et qui divise, caché sous les oripeaux flatteurs du film citoyen.

Jonathan Schel
Vérié
 
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Message par clavez » 02 Avr 2009, 17:35

J'ai bien aimé le film et je crois qu'il ne faut pas lui en demandé plus qu'il ne peut en donner. Par bien des aspects si vous invitez 4 ou 5 profs à manger chez vous vous obtiendrez les délires qui font la moitié du film.
Le principal du collège faisait beaucoup rire une de mes amies: "c'est exactement ça, on est comme ça, on préfère nos tarés plutôt que ceux des autres qu'on ne connait pas", alors on les garde, ou on fait des échanges avec un collège ami.
au fil de la plume je dirai que c'est plus un film sur les profs qu'autre chose. Et la morale du film serait : bon, mauvais ou en crise, avant toute chose, les profs aiment les élèves. (ce qui reste à prouver)
bref c'est un petit film sympa, il ne faut pas lui demander de péter plus haut que son cul.
clavez
 
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Message par Vérié » 02 Avr 2009, 18:03

(clavez @ jeudi 2 avril 2009 à 17:35 a écrit : bref c'est un petit film sympa,

Eh bien, à la réflexion, je ne le trouve plus du tout sympa, et j'ai même un peu honte de m'être laissé pièger en partie sur le coup, peut-être par Adjani, par un ou deux autres bons comédiens, par le suspense et la pub énorme faite autour du film. Pas complètement tout de même, puisque je m'interrogeais sur ce fil...

Je suis maintenant convaincu que c'est un film caricatural qui va contribuer à propager la haine des jeunes de banlieue et je trouve excellente la critique que j'ai mise en ligne. RIen de plus à dire, rien de moins.
__
Pour une fois, j'approuve la réaction de Convidado...
Vérié
 
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Message par clavez » 02 Avr 2009, 18:17

Quand j'ai vu le film, il n'y avait dans la salle que des retraités de la fonction publique. Les jeunes en question je ne les croisent que quand je vais voire des films de vampires.
clavez
 
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Message par Vérié » 02 Avr 2009, 18:23

Voici un autre article d'un enseignant, pris sur Rue 89. Qui signale notamment que le film est encensé par l'extrême-droite.

a écrit :
La Journée de la jupe", la triple imposture

Par Bernard Girard | Enseignant blogueur | 02/04/2009 | 15H30

Molière, une enseignante, une femme d'un côté, de l'autre des élèves, des jeunes, des Arabes, des Noirs. Un film peut-être nourri au départ des meilleures intentions mais qui, à trop forcer le trait, tourne à l'imposture. (Voir la vidéo)





Imposture éducative d'abord. En reprenant le thème éculé de la culture classique, du savoir, qui auraient démissionné devant les hordes de barbares qui peuplent les collèges, le réalisateur montre une très grande ignorance de la réalité et des pratiques scolaires.

Comme le rappelle judicieusement un enseignant exerçant en éducation prioritaire, Molière est l'auteur les plus étudié en collège, souvent -malgré la difficulté de la langue et un contexte historique éloigné du nôtre- avec profit.

Que certaines classes soient résolument rétives à cet aspect des programmes n'autorise pas à jeter l'opprobre sur l'ensemble du système, ni, surtout, à implorer le retour à une école mythique, quand les élèves savaient rester à leur place, écoutant sans broncher la parole du maître.

Pas davantage qu'elle aurait renoncé à enseigner l'histoire, les sciences, les mathématiques, l'école d'aujourd'hui n'a jamais démissionné devant les savoirs ni devant les élèves. Seule a changé peut-être - mais ce n'est pas certain, compte tenu du conservatisme de l'institution scolaire - la façon de considérer les apprentissages.

Et après tout, si dans le film, Molière a autant de mal à passer, c'est peut-être aussi parce que la prof s'y prend mal, qu'elle manque de… pédagogie, tout simplement. Lorsque le réalisateur Jean-Paul Lilienfeld affirme qu'il faut « remettre le professeur au centre de l'école, pas l'élève », prenant ainsi le contrepied de la loi d'orientation de 1989 qui prônait de placer « l'élève au centre », il s'inscrit résolument dans la rhétorique réactionnaire des nostalgiques de l'école du passé, qui, d'ailleurs, lui font un triomphe. Lilienfeld semble bien avoir choisi un camp contre l'autre.

Un attribut qui fut longtemps le signe de l'oppression des femmes

Imposture, également, avec ce thème de la jupe symbole de la liberté de la femme. On a sans doute oublié qu'il n'y a pas si longtemps, le port du pantalon était interdit aux jeunes filles, cette interdiction étant vécue par les intéressées comme une forme d'oppression, dans un contexte où la mixité n'avait pas encore gagné la partie et où la séparation des sexes était considérée comme le gage d'une bonne moralité.

S'il n'est pas acceptable que l'affirmation de leur féminité par des enseignantes ou par des élèves donnent lieu à des brimades, à des pratiques de harcèlement, n'est-il pas tout autant ridicule de faire passer pour un emblème de libération un attribut vestimentaire qui fut pendant longtemps le signe de l'oppression des femmes ?

De nos jours, la séparation des sexes à l'école a retrouvé des partisans, de même d'ailleurs que l'uniforme scolaire. Il n'est peut-être pas inutile de rappeler aux plus jeunes que des femmes se sont battues pour obtenir le droit de se vêtir librement, de troquer la jupe pour le pantalon et qu'en conséquence, il y a tout lieu de se méfier de la récupération que ne manqueront pas de faire de « La Journée de la jupe » ceux qui n'ont jamais accepté la mixité ni la liberté des femmes.

Imposture, enfin, dans le choix par le réalisateur d'une classe de collège où dominent les élèves à la peau brune.

Une profonde impression de malaise

On dira sans doute, et cela est vrai, que les scènes vues dans ce film existent bel et bien, ne sont pas inventées mais il faudra quand même qu'on nous explique pourquoi un film censé dénoncer l'intolérance et le sexisme dans les établissements scolaires montre presque exclusivement des Noirs et des Arabes, alors que les établissements scolaires sont fréquentés très majoritairement par des blancs ? Des blancs qu'on ne voit jamais dans des films censés dénoncer l'intolérance ou le sexisme…

Un film sur le machisme, le sexisme, la bêtise et l'intolérance, on pouvait en tourner partout dans de petits collèges ruraux de la France profonde, dans les lycées des beaux quartiers, privés ou non, dans les grandes écoles.

Pourquoi a-t-il fallu que Lilienfeld plante sa caméra là où il n'y a que des Noirs et des Arabes ? Pourquoi, lorsque l'on veut montrer la violence et l'intolérance, ne montre-t-on jamais que les Arabes et les Noirs ? Parce que les Arabes et les Noirs seraient culturellement ou génétiquement violents et intolérants ?

Que « La Journée de la jupe » soit encensée par l'extrême droite n'est pas le fait du hasard ; on y retrouve avec le thème d'une immigration inassimilée et inassimilable les « évidences » martelées par Le Pen depuis un demi-siècle.

Quoique le réalisateur s'en défende, ce film, avec tous ses sous-entendus, sur l'école, sur les jeunes, sur l'immigration, laisse une profonde impression de malaise.

Vérié
 
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Message par Matrok » 02 Avr 2009, 19:15

(critique sur Rue89 citée par Vérié a écrit :On dira sans doute, et cela est vrai, que les scènes vues dans ce film existent bel et bien, ne sont pas inventées mais il faudra quand même qu'on nous explique pourquoi un film censé dénoncer l'intolérance et le sexisme dans les établissements scolaires montre presque exclusivement des Noirs et des Arabes, alors que les établissements scolaires sont fréquentés très majoritairement par des blancs ?

Le type qui écrit ça est peut-être enseignant, mais ça ne l'empêche pas d'écrire de grosses conneries...
Matrok
 
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Message par Vérié » 02 Avr 2009, 19:25

(Matrok @ jeudi 2 avril 2009 à 19:15 a écrit :
(critique sur Rue89 citée par Vérié a écrit :On dira sans doute, et cela est vrai, que les scènes vues dans ce film existent bel et bien, ne sont pas inventées mais il faudra quand même qu'on nous explique pourquoi un film censé dénoncer l'intolérance et le sexisme dans les établissements scolaires montre presque exclusivement des Noirs et des Arabes, alors que les établissements scolaires sont fréquentés très majoritairement par des blancs ?

Le type qui écrit ça est peut-être enseignant, mais ça ne l'empêche pas d'écrire de grosses conneries...

Ben, j'imagine qu'il veut dire qu'à l'échelle nationale, il y a plus de Blancs que de Noirs et de Beurs dans les écoles. Statistiquement, ça semble évident, non ?
Il n'a pas écrit que les Blancs sont majoritaires dans TOUS les établissements scolaires...

Et aussi que les Noirs et les Beurs n'ont pas le monopole du sexisme, de la violence et de l'intolérance. Ce qui semble tout aussi évident.
Vérié
 
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Message par Matrok » 02 Avr 2009, 19:31

Mais justement, puisque les blancs ne sont pas majoritaires dans tous les établissements scolaires, son reproche n'a aucun sens.
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