"L'armée du crime" de Guédiguian

Message par Aumance » 11 Oct 2009, 17:22

salut Zelda(que)-de-passage !!

je n'ai pas vu le film mais je tenais juste à te faire un petit coucou !!

pardon pour le hors-sujet ............. je me sauve ..........
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Message par gerard_wegan » 12 Oct 2009, 05:11

Je ne souhaitais pas entrer dans trop de détails pour ceux qui compteraient aller voir le film, mais puisque Zelda m'y pousse... ;)
Les éventuels concernés sont donc prévenus : ne pas lire la suite si vous voulez conserver toute la surprise du scénario.

Parmi les scènes auxquelles il est vraiment impossible de croire figure précisément celle mentionnée par Zelda : des combattants FTP à quatre pattes dans une rue déserte, de nuit en plein couvre-feu, à proximité d'un lieu bondé de soldats allemands, cherchant en s'invectivant la goupille d'une grenade qu'ils ont renoncé à lancer. Tout simplement ridicule ! Éclats de rire dans la salle, c'est tout dire...

Autre scène grotesque lors de la première attaque menée par Manouchian lui-même : de retour sur les lieux où il vient de grenader un groupe de soldats allemands, il y croise le regard approbateur du responsable de la MOI qui l'a poussé à s'engager dans l'action armée. On se demande d'ailleurs ce que ce dernier fait là, tant il est idiot de penser qu'un dirigeant ait pu prendre le risque de venir sur un lieu d'opération ! Ridicule encore...
Pour l'anecdote, Boris Holban cite dans ses Mémoires cet épisode où Manouchian, à l'occasion de sa première action, revient effectivement sur ses pas pour voir le résultat au lieu de s'éloigner comme prévu des lieux de l'attentat... mais c'est pour dire qu'il s'est fait vertement engueuler par le responsable militaire quand cela s'est su !
Le problème surtout est que Guédiguian utilise cette improbable ficelle scénaristique pour illustrer un revirement supposé de Manouchian, qui aurait été jusque là une sorte de poète idéaliste répugnant à tout usage des armes : voir un dialogue surréaliste sur l'éthique, quelques scènes plus tôt !
Pure invention, manifestement ! C'est pourquoi je rappelais ce qu'évoque Mélinée Manouchian elle-même dans ses souvenirs : arrêté en septembre 1939 comme militant communiste, Missak Manouchian demande à être libéré pour s'engager dans l'armée française, ce qu'il fera d'ailleurs même s'il ne sera pas envoyé au front mais chargé de l'entrainement de soldats. On trouve d'ailleurs dans son livre une photo de Manouchian permissionnaire, en uniforme de l'armée française...

Au registre des libertés inutilement prises avec l'Histoire et la chronologie figure ce qui concerne Henri Krasucki. Ce dernier était responsable des groupes de la Jeunesse communiste et a été arrêté avec le réseau des "jeunes" au printemps 1943. Il a été déporté en juin, avant la longue traque des FTP-MOI qui a conduit à leur démantèlement presque complet au terme de mois de filatures à partir de l'été 43. Henri Krasucki n'a donc pas été déporté avec Simon Rayman, arrêté en même temps que son frère Marcel, Missak Manouchian et les autres.
Il semble qu'auparavant Marcel Rayman ait échappé à la vague d'arrestations du printemps 43 grâce à l'alerte donnée par un policier (l'épisode est d'ailleurs repris dans le roman de Daeninckx, Missak)... mais pas par un membre des Brigades spéciales des renseignements généraux de la préfecture de police de Paris ! Tout le passage où Guédiguian essaye de faire avaler au spectateur cette histoire de flic, acharné de la chasse aux résistants juifs et communistes, mais tentant fin 43 de sauver un Marcel Rayman déjà identifié comme assassin du général SS Julius Ritter, au nom d'une parole prétendument donnée pour une histoire de cul, est vraiment minable !

Un dernier mot sur celui qui apparaît dans le film de Guédiguian sous le nom de Petra. Là encore, j'avoue n'avoir pas compris le pourquoi des libertés prises avec une Histoire maintenant bien documentée. Je dis "maintenant" parce qu'il y a eu, voilà en gros 25 ans, toute une polémique (avec notamment le film de Mosco, Des terroristes à la retraite) sur l'origine et le rôle d'éventuelles dénonciations dans la chute des FTP-MOI parisiens. Était en fait visée la direction du PCF, accusée par certains d'avoir à l'époque "lâché" voire "sacrifié" Manouchian et ses hommes. Ce qui semblait donner quelque consistance à cette thèse était l'attitude du PCF dans l'immédiat après-guerre, posant au grand parti de la résistance française sinon de la France résistante... et donc peu porté à rappeler qu'en 43-44 seuls les groupes de la MOI étaient encore capables d'actions militaires spectaculaires dans la capitale, comme l'assassinat de Ritter, responsable du STO ! Pour la vantardise nationaliste, le geste du Colonel Fabien ou le martyre des fusillés de Châteaubriant étaient certainement plus vendeurs que les actions d'obscurs Arméniens, Italiens, Espagnols, Roumains, Hongrois ou Polonais ! De l'élimination de l'Histoire à la complicité d'élimination physique, il n'y avait qu'un pas que certains ont franchi avec pas mal de légèreté. Et le fait (point de départ du roman de Daeninckx) que le PCF ait tronqué, dans les premières reproductions de lettres de fusillés, le passage où Manouchian évoque « celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus » ne pouvait qu'apporter de l'eau au moulin des soupçons, alimenté d'ailleurs par Mélinée Manouchian elle-même. Mais tout cela date d'avant l'ouverture des archives de la préfecture de police de Paris et l'accès aux rapports concernant la traque des FTP-MOI par les brigades spéciales des renseignements généraux. Depuis le travail de Denis Peschanski, Stéphane Courtois et Adam Rayski, corroboré par les Mémoires de Boris Holban -- les deux ouvrages datant de 1989 --, il ne fait guère de doute que ce sont essentiellement les longues filatures policières qui ont permis le démantèlement des réseaux des Jeunesses communistes puis des FTP-MOI parisiens en 1943. Pour Peschanski & Co. comme pour Holban, les trahisons et les informations obtenues sous la torture n'ont joué qu'un rôle secondaire, quoique non négligeable en permettant d'identifier les responsabilités de militants déjà "logés" et filés.
C'est ici que s'inscrit l'épisode de l'arrestation en octobre 1943 du commissaire politique des FTP-MOI parisiens, Joseph Davidovitch, dit Albert... renommé Petra par Guédiguian, présenté comme Roumain ou Hongrois (je ne sais plus) alors qu'il était Polonais, et dont le film situe l'arrestation en même temps que celle de Manouchian alors qu'elle est antérieure. Allez savoir pourquoi... Ce qui ressort du récit de Holban comme du travail sur les archives est que Davidovitch aurait parlé, confirmé l'organigramme du groupe déjà largement connu par les renseignements généraux, voire donné des points de départ de nouvelles filatures. Mais contrairement à ce que montre le film, Davidovitch, arrêté avant la chute du groupe de Manouchian en novembre 1943, est relâché après, probablement pour tenter de remonter encore plus haut dans l'organigramme des FTP, de la MOI et du PC (fragilisé puisqu'au rdv où est arrêté Manouchian tombe aussi Joseph Epstein, responsable de tous les FTP de la région parisienne). Démasqué, Davidovitch est exécuté par les FTP-MOI en décembre 43. Est-ce ce genre d'épisodes que Guédiguian a voulu masquer en triturant la chronologie ?

Pour la biblio, je renvoie à nouveau à :
Le sang de l'étranger - Les immigrés de la MOI dans la Résistance – Stéphane Courtois, Denis Peschanski & Adam Rayski (Fayard, 1989)
Testament - Après 45 ans de silence, le chef militaire des FTP-MOI de Paris parle... – Boris Holban (Calmann-Lévy, 1989)
et au documentaire :
La traque de l'Affiche rouge – Jorge Amat & Denis Peschanski (Compagnie des Phares et Balises, et trouvable sur DailyMotion)

A noter qu'à la fin de son livre, Boris Holban répond, de façon à mon avis convaincante, à Mélinée Manouchian (Manouchian, EFR, 1974), Philippe Ganier-Raymond (L'affiche Rouge, Fayard, 1975) et Philippe Robrieux (L'affaire Manouchian, Fayard, 1986)... mais d'autres peuvent avoir un avis contraire.
Il y a par ailleurs un livre plus récent Joseph Epstein, bon pour la légende (Séguier, 2007) que j'ai acheté mais pas encore lu, et qui revient sans doute sur tout cela...
gerard_wegan
 
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Message par yannalan » 12 Oct 2009, 10:55

Je rajouterais à la bibliographoie "la mémoire d'Hélène", d'Hélène Elek, la mère de Tamas Elek.(maspero)
Elle raconte le coup de la goupille dans son livre.
Pour ce qui est de l'arrestation, un groupe clandestin a très peu de chances d'y échapper s'il agit, les forces de répression ont en général des moyens supérieurs.
yannalan
 
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Message par Ottokar » 12 Oct 2009, 11:04

Dans le sang de l'étranger, on voit la traque policière à l'oeuvre. Des dizaines de flics filant absolument tout le monde durant plus de 6 mois... des heures et des jours de filatures, au hasard, systématique. Quasi impossible d'y échapper, mais ils y mettent des moyens colossaux.

Plus discutables sont les choix du groupe (le terrorisme) et du PC : faire des attentats plus pour monter qu'il existe que par choix d'efficacité militaire, même au prix de retombées sur la population (les otages fusillés). Autant que je m'en souvienne, Raysky dans "le sang de l'étranger" attribue même au PC le calcul cynique que les représailles retourneront l'opinion contre les allemands...
Ottokar
 
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Message par gerard_wegan » 12 Oct 2009, 14:44

(yannalan @ lundi 12 octobre 2009 à 10:55 a écrit :Je rajouterais à la bibliographoie "la mémoire d'Hélène", d'Hélène Elek, la mère de Tamas Elek.(maspero)
Elle raconte le coup de la goupille dans son livre.

J'avais volontairement écarté La mémoire d'Hélène (Maspero, 1977) de la biblio ci-dessus. Non que ce soit un mauvais livre ; il est au contraire très bien pour ce qu'il est : les souvenirs d'une mère évoquant, en même temps que sa propre vie, la mémoire de son fils fusillé à 19 ans par les nazis, 30 ans plus tôt. Mais c'est un livre de souvenirs, qui plus est tardifs et non étayés par des documents (si ma mémoire est bonne, elle les a simplement dictés à François Maspero), pas un livre d'histoire. Je n'en ai bien sûr plus en tête tous les détails, mais ce qu'elle peut rapporter des opérations des FTP-MOI n'est évidemment jamais de première main. Je ne me souvenais plus de l'épisode de la grenade dans le livre, mais s'il est raconté comme le montre Guédiguian (je vérifierai mais j'en doute quand même, tant la mise en scène est grotesque), cela montre simplement le peu de recul pris par rapport au texte de Hélène Elek pour écrire le scénario !
Dans son roman Le tombeau de Tommy, paru à la rentrée et évoqué ici, Alain Blottière fait utiliser au narrateur les souvenirs de la mère de Tommy... mais avec plus de prudence !

Sinon sur les aspects politiques soulevés par Ottokar, je suis entièrement d'accord sur le fond. Après, concernant tel ou tel point, il convient bien sûr d'être prudent sur ce qui touche à une réinterprétation critique, par l'un de ses acteurs, d'une politique menée 45 ans plus tôt : Adam Rayski, ancien responsable de la section juive de la MOI pour la zone nord, n'est pas forcément très objectif lorsqu'il relate les calculs d'alors de la direction du PC, après sa propre rupture avec le stalinisme (voir Nos illusions perdues, Balland, 1985). Mais, là comme ailleurs, le cynisme des staliniens n'est malheureusement guère improbable : euphémisme...

Un petit ajout pour donner le ton de la polémique que je mentionnais plus haut. Le bandeau de l'édition Marabout du bouquin de Ganier-Raymond, L'Affiche rouge (Fayard, 1985), porte : "La vérité sur les partisans sacrifiés" !
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Message par gerard_wegan » 12 Oct 2009, 22:52

Bon, spécialement pour Zelda puisqu'elle a le souci de la précision :17: , quelques points supplémentaires qui me reviennent en mémoire ; après j'arrête de tirer sur l'ambulance !
Ce sont des détails, mais ça rend précisément irritant de penser que Guédiguian ait voulu y toucher alors qu'il aurait simplement pu ne pas le faire.

1) Sauf erreur de ma part, ce n'est qu'après l'assassinat de Julius Ritter en septembre 43 que les FTP-MOI ont appris qui il était vraiment. Ils l'avaient repéré et organisé l'opération contre lui en sachant évidemment qu'il s'agissait d'un haut gradé mais ignoraient apparemment son rôle de responsable en France du STO. Pourquoi alors faire dire au film explicitement le contraire ?

2) On comprend évidemment que Guédiguian ait limité dans le film non seulement le nombre de personnages principaux mais aussi de personnages secondaires. Tous les membres du groupe ne sont donc pas mentionnés, même dans l'énumération au tout début ; pas de problème. Mais, là aussi sauf erreur de ma part, Armenak Manoukian apparaît à plusieurs reprises dans le film (au début, lors de la première action armée de Manouchian, pendant la fête à l'occasion de l'anniversaire de l'Arménie soviétique, etc.)... mais sous les traits d'un jeune homme qu'il n'était plus ! (cf. ici). Que Guédiguian ait choisi de ne pas développer sur l'« ancien trotskyste », soit, mais pourquoi alors ne pas se contenter de ne pas en parler ?

3) Guédiguian choisit de citer, juste à la fin du film, la dernière lettre de Missak Manouchian à sa femme. Mais il la coupe, et en plus de façon ridicule ! Parmi d'autres passages, il supprime celui qui évoque « celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus »... mais il tient à citer le post-scriptum où il est question de dettes à rembourser ! Pas grave, certes, mais ça agace...

Allez, j'arrête... :wavey:
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Message par Ottokar » 13 Oct 2009, 07:41

"Je n'ai pas vu le film, mais" comme diraient certains... bon, je signale juste (pour ne pas avoir l'air d'assassiner le film à tout prix) qu'un de mes camarades l'a vu et a été touché. Il m'a dit avoir ressenti la justesse de ce que Barta avait écrit à l'époque, le "regardez-les ces visages". Il les a vus effectivement comme ce texte que nos camarades avaient publié, des jeunes courageux, et surtout des jeunes prolos.

Moi je me tais, puisque je n'ai pas vu le film...
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Message par gerard_wegan » 13 Oct 2009, 14:31

Ok pour ne pas "assassiner le film à tout prix" : il ne le mérite pas ! Pour ma part, je suis critique et déçu, sans plus, et ce d'autant plus que Guédiguian avait tout (des trouvailles intelligentes dans le scénario, de bons acteurs...) pour faire vraiment un bon film historique. Gâché, c'est dommage :(
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Message par Lao She » 23 Oct 2009, 16:30

J'ai vu le film dans un centre culturel d'une ville à municipalité PC, placé entre des jeunes du collège et quelques vieillards encore alertes.
J'ai été touché par les personnages de ce film.
Le fils de Joseph Epstein est venu dialogué à la fin du film.
Il a rectifié quelques erreurs. L'arrestation de la bande des jeunes avec Krasucki en mars et non en nov comme celle du groupe de Manouchian.
La jeune qui a fait tombé le groupe des jeunes a bien existé mais elle n'était pas la copine de Marcel.
Il a fait état du travail de Peschanski qui dit-il lui a fait découvrir son père, parce qu'ils ont, à l'occasion du bouquin, rencontré tout un tas de protagonistes de cette histoire.
Les questions des jeunes étaient centrés sur l'aspect humain : que sont devenus les déportés, et ceux qui n'ont pas été pris, etc.
Et les vieux racontaient leurs souvenirs.
Georges Duffau (fils de J. Epstein) a insisté beaucoup sur le fait qu'il s'agissait de jeunes qui s'étaient engagé entièrement dans la lutte... et a été applaudi par tous les gamins présents.

A la fin du film Guédiguian indique qu'il a modifié l'ordre des évènements.
Lao She
 
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