A propos de Paul Carpita

Message par gerard_wegan » 01 Mai 2010, 20:33

J'ai un peu honte de l'avouer mais c'est tout à fait par hasard, en cherchant à commander Le rendez-vous des quais en DVD, que j'ai appris voici quelques jours le décès de Paul Carpita, survenu le 23 octobre 2009.

Mais personne ne l'ayant évoqué ici, je m'autorise avec retard quelques mots sur lui...

Comme beaucoup d'autres sans doute, j'ai découvert Paul Carpita en 1989, lorsqu'est ressorti Le rendez-vous des quais, un film qu'il a réalisé à partir de 1953 et qui a été saisi juste après sa première projection, en août 1955. L'auteur lui-même pensait que les bobines n'avaient pas survécu à la censure... jusqu'à ce qu'elles soient retrouvées par hasard, presque 35 ans plus tard, aux archives du film de Bois d'Arcy !

Marseillais d'origine et de coeur, militant du PC, instituteur, cinéaste à ses heures, Paul Carpita avait fait de la grève des dockers du port de Marseille, en 1950, donc en pleine guerre d'Indochine, la toile de fond du film, son premier long métrage. Cela suffit à le faire interdire.

Fiction sur fond de grève, le film est aussi à la gloire de la CGT et du PC, présentés comme menant alors la lutte des dockers à la pointe du combat anticolonialiste. Mais il se garde bien de dire l'échec que connut finalement le mouvement...

C'est pour resituer le film et la période qu'il évoque dans leur contexte politique qu'une exposition avait été présentée à la fête marseillaise de Lutte Ouvrière, en 1990. Je n'ai malheureusement pas conservé les photos qui l'illustraient, parmi lesquelles des coupures de presse locale sur la grève, photographiées aux archives municipales. J'ai par contre retrouvé le texte : sans les illustrations, c'est un peu décousu mais donne une idée de la critique qui était faite. Il est reproduit ci-dessous, à quelques corrections près.

Il y avait aussi un texte sur les réquisitions d'entreprises à la Libération, épisode "héroïque" pour l'historiographie PC locale : il est disponible en pièce jointe.

Sinon, ici, des passages de témoignages de Paul Carpita, réunis par son fils en avril 2005 et qu'on retrouve en partie dans les bonus du DVD (chez Doriane Films).
Il existe aussi un livre d'entretiens, préfacé par Ken Loach, mais que je n'ai pas lu.
Enfin, sur le forum, une interview extraite de L'Humanité, où Ousmane Sembene, en 2004, évoquait au passage Paul Carpita et Le rendez-vous des quais.

a écrit :[center]Le film Le rendez-vous des quais, réalisé par Paul Carpita…[/center]
Mené à bien avec l’appui de la CGT, le film fut saisi dès sa sortie par la police. Tourné dans les quartiers populaires du port de Marseille, et sur le port même, il a pour toile de fond la grève des dockers de 1950 à Marseille.
[center]a l’intérêt de montrer la classe ouvrière de l’époque…[/center]
Mettre en scène des travailleurs, des dockers, des ouvrières dans leur vie quotidienne, même avec la vision caricaturale du PCF de l’époque, est déjà exceptionnel. Les montrer dans des luttes et des affrontements avec les flics et les patrons est tellement rare que ce film a, au moins pour cela, du mérite.

Le fil conducteur est une histoire d’amour entre une ouvrière d’une biscuiterie et un docker occasionnel dont le frère est le dirigeant de la grève. Le rôle du dirigeant est tenu par Roger Manunta, dans la vie militant syndical sur le port.
[center]et présente, dans cette grève des dockers de 1950, la CGT comme le fer de lance du combat anticapitaliste et anticolonialiste.[/center]
Cette grève, dirigée par la CGT et le PCF, se veut exemplaire. Elle nous montre aussi comment le PCF, se présentant lui-même comme le premier parti stalinien, voyait les travailleurs, les syndicalistes et avait la facilité d’oublier les événements précédents.

Pour le dirigeant de la grève s’il y a des problèmes pour les travailleurs, s’il n’y a plus autant de travail qu’avant sur les docks, c’est à cause de cette « sale guerre » que l’on mène en Indochine. C’est parce que le matériel militaire a remplacé les cargaisons de marchandises. Car du travail, il y en avait avant, à la Libération, mais « ça n’a duré que deux ans »… sous-entendu jusqu’au départ du PCF du gouvernement.

Justement, dans la période précédente, celle de la participation des ministres communistes au gouvernement, les grèves n’étaient pas si bien vues. Au contraire, il fallait travailler, produire et se taire.

Dans le film, le seul personnage qui conteste le syndicat est un docker flic, indicateur et provocateur à la solde des patrons. Cela laisse-t-il sous entendre que quiconque n’est pas d’accord avec la politique de la CGT ne peut être qu’un flic, un indicateur ou un provocateur ?

Même avec l’accent de Marseille, le stalinisme reste quand même le stalinisme.
[center]De 1945 à 1947, lorsqu’ils étaient au gouvernement, les dirigeants du PCF avaient été beaucoup moins anticapitalistes et anticolonialistes.[/center]
La guerre avait laissé le pays en ruine.

À Marseille, sur les quais, 280 grues sur 300 étaient au fond de l’eau, 140 navires coulés et échoués barraient les passes d’accès et les 7 formes de radoub étaient détruites.

Le PCF, appelé par De Gaulle au gouvernement, s’était employé alors à montrer à la bourgeoisie française qu’il était un véritable parti de gouvernement, un parti responsable.
[center]La reconstruction se fit en freinant les revendications.[/center]
Les dirigeants du PCF mirent tout leur poids pour convaincre les travailleurs de produire, produire et encore produire et de se serrer la ceinture. La CGT déclarait à Marseille en 44 : « Le nouvel esprit de la CGT n’est pas celui de 1936… Notre formule nouvelle c’est tout pour la guerre, d’abord produire, revendiquer ensuite. »

La classe ouvrière produisait, mais c’était le rationnement, les cartes et les tickets pour le pain, les œufs, la viande, le lait, etc. La spéculation et le marché noir faisaient flamber les prix. Les profits grimpaient en flèche, les salaires se traînaient et ne permettaient pas de vivre. Et quand les travailleurs essayaient de se servir sur les quais, la CGT leur faisait de la morale : « Nous savons que des circonstances atténuantes seront mises en avant : difficultés d’approvisionnement, insuffisance des salaires. Mais pour nous, syndicalistes communistes, il ne peut y avoir d’atténuation à une action délictueuse. Un vol reste un vol, une action malhonnête. »
[center]Les entreprises réquisitionnées ne le furent pas au profit des travailleurs…[/center]
À Marseille, en 1944, quinze entreprises regroupant plus de treize mille ouvriers furent réquisitionnées. Parmi elles, cinq compagnies d’acconage chargées de l’embauche et regroupant plusieurs milliers de dockers :
- Industrielle Maritime
- Société Marseillaise de Trafic Maritime
- Société Générale de Transbordement Maritime
- Société de Travaux et d’Industrie Maritimes
- Compagnie des Docks et Entrepôts
[center]mais pour le plus grand bien de la bourgeoisie.[/center]
La CGT se montra un syndicat responsable devant la bourgeoisie. Elle participa à la gestion des entreprises réquisitionnées. Les actionnaires en restaient légalement propriétaires. Dans les bilans, une indemnité de 12 francs par heure de travail était retenue pour indemniser les anciens patrons.

La CGT et le PCF mirent tout leur poids pour pousser les travailleurs à produire plus, à crever les plafonds.

« Il faut absolument que nos camarades sachent que le seul moyen d’attirer des navires, c’est d’augmenter le trafic avec des meilleurs tarifs, un rendement accru ; qu’augmenter le trafic avec les entreprises réquisitionnées ce n’est plus augmenter les bénéfices des actionnaires, mais c’est travailler pour la nation, c’est garantir un travail sûr. »Rouge Midi, 19 janvier 1946

Le journal du PCF appelait tous les jours les travailleurs à produire plus, à travailler le samedi et le dimanche a constituer des “équipes de choc”.

Les dirigeants syndicalistes s’efforcèrent de prouver qu’ils pouvaient, eux, mettre la classe ouvrière au travail.

Une fois l’économie remise sur pieds en 1947, les entreprises “réquisitionnées” ont été rendues aux patrons et les bénéfices réalisés à l’État. Et ce fut en juin 1946, alors que le PCF était encore au gouvernement et avec son accord, que le décret annulant les réquisitions d’entreprises fut publié.

Dans cette même période où le PCF était au gouvernement, les sales guerres coloniales avaient aussi débuté avec la sanglante répression de Sétif en Algérie, le 8 mai 1945, et le bombardement d’Haïphong, le 23 novembre 1946.
[center]La grève resta isolée aux dockers de Marseille…[/center]
Le 10 mars 1950, le port de Marseille fut paralysé par la grève des dockers, des primeuristes, des ouvriers d’entretien, des conducteurs d’engin, des employés et même des agents de maîtrise. En même temps ont eu lieu d’autres luttes moins importantes, également revendicatives, à l’initiative de la CGT, pour des augmentations de salaire et la renégociation des conventions collectives.

À son début, le mouvement des dockers de Marseille sembla pouvoir faire tâche d’huile : les grutiers de la chambre de commerce refusaient de travailler en présence des militaires, des marins immobilisaient les treuils pour empêcher les jaunes de travailler. Les dockers de Sète et de Nice refusaient de débarquer les bateaux déroutés.

Mais pour la CGT, malgré les revendications communes, les 3 000 Francs par mois pour tous, l’heure n’était pas à l’unification des luttes et la grève des dockers marseillais resta isolée. Le patronat, lui, réagit collectivement en envoyant des briseurs de grève et fit appel à l’aide de l’État qui réquisitionna, envoya la troupe et arrêta des dirigeants syndicaux.

Mais la lutte des dockers ne fut pas seulement revendicative. L’entrave du transport d’armes vers l’Indochine lui donna, dans les faits, un caractère anticolonial. Et pour le PCF, cette grève lui servit à montrer qu’il agissait contre la guerre coloniale.

Mais seuls les dockers de Marseille étaient en grève et boycottaient, dans les faits, le transport d’armes ; dans ce combat ils constataient amèrement que les ouvriers qui fabriquaient des canons et des chars continuaient à les fabriquer, les cheminots à les transporter, etc.

La seule solidarité organisée par la CGT consista en un soutien financier et à l’hébergement des enfants des grévistes chez des militants communistes de toute la France. Le film ne montre à aucun moment ni les limites de cette politique ni la fin de la grève.
[center]et se termina par une défaite.[/center]
Car, dans la réalité, la grande victoire annoncée par le journal La Marseillaise avait été une très lourde défaite des dockers : 900 dockers avaient été licenciés, les deux équipes de huit heures chacune, matin et après-midi, remplacées par une seule équipe et les heures supplémentaires étaient devenues “obligatoires”. Cet horaire permit aux patrons d’embaucher beaucoup moins de dockers et de les faire travailler plus longtemps, souvent dans des conditions très dures.

Ce n’était qu’une fois sorti du gouvernement, avec le début de la guerre froide, que le PCF était devenu “revendicatif” et “anticolonialiste” avec beaucoup de limites, ce qui (faute de place ou de temps ?) n’est pas dit dans le film…


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