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CRITIQUE
Qui a déjà rêvé d'une ville dont les rues montent soudain à la verticale pour former des parois masquant l'horizon ? C'est la belle affiche d'Inception, mais aussi son problème. L'action est supposée se tenir, le plus souvent, dans la tête de dormeurs en pleine activité onirique, mais le film peine à restituer à l'écran le monde et la logique des rêves. Christopher Nolan, l'auteur doué de Memento ou du dernier Batman (The Dark Knight), l'un des rares, à Hollywood, à écrire ses scénarios, a obtenu un budget considérable (200 millions de dollars) pour concrétiser un projet qui lui tenait à coeur depuis dix ans. Mais le blockbuster le plus attendu de l'été paraît lesté, sinon écrasé, par ses gros moyens.
Le héros, Leonardo DiCaprio, sait comment s'approprier les secrets d'autrui en pénétrant les rêves. Il démarche de riches industriels aux quatre coins du monde et vend sa méthode d'espionnage. Ce genre d'élucubration pseudo-scientifique passait comme une lettre à la poste avec la fantaisie bricoleuse d'Eternal Sunshine (de Michel Gondry). Ici, l'absence totale d'humour est de mauvais augure. Quand DiCaprio, sérieux comme un VRP, explique à un client les mécanismes du rêve ou le concept d'« extraction » - le cambriolage d'une idée dans un cerveau -, cela ferait plutôt sourire. Or, ce n'est visiblement pas prévu.
L'heure est grave. C'est l'ultime mission qui pourrait permettre à l'espion, recherché par la police, de rentrer enfin chez lui. Contrairement au héros d'Avatar, celui d'Inception n'aspire qu'à quitter les rêves pour la réalité, programme modérément excitant. Mais il lui faut d'abord réussir mieux qu'une extraction, une « inception » : l'implantation d'une pensée dans la tête de l'héritier d'une multinationale. Une fois la cible capturée et endormie commence un très long songe, en réseau : les membres de la « dream team » de DiCaprio sont tous interconnectés.
La fausse bonne idée de Christopher Nolan consiste précisément à mettre en scène le rêve comme un jeu vidéo en ligne. Dont il ne retient que la propension des joueurs à canarder tout ce qui bouge. Sans nécessité dramaturgique, les fusillades monstres s'enchaînent, par niveaux de difficulté croissants, dans des décors toujours plus spectaculaires, ne demandant qu'à exploser. L'intrigue psychologique, empreinte d'un freudisme simplet, n'a qu'un strapontin : l'épouse défunte vient hanter les rêves du héros. C'est Marion Cotillard. Est-ce en hommage à sa performance dans La Môme qu'on entend à plusieurs reprises Non, je ne regrette rien ? DiCaprio se retrouve, lui, en veuf torturé par la culpabilité, exactement comme dans Shutter Island, de Scorsese, l'intensité en moins. Soit deux « hasards » bien malheureux...
Si Inception se veut un thriller à la Philip K. Dick, sur les mondes virtuels, sur la réalité et l'illusion, il tend sans l'égaler vers Matrix, autre film d'action mental, nourri de jeu vidéo, mais beaucoup plus riche, conceptuel et élégant. Si Christopher Nolan ambitionne une plongée en plein cauchemar, le résultat fait pâle figure, pour rester poli, comparé au dernier chef-d'oeuvre du genre, Mulholland Drive, de David Lynch. Ici, les idées intéressantes ne manquent pas : la mort comme seul moyen de se réveiller ; les rêves dans le rêve, avec des effets de dilatation ou de contraction du temps. Mais ce ne sont que des trucs passagers, au service d'une histoire décevante, et ensevelis sous un déluge visuel, à l'insistance plus soporifique qu'onirique.
Louis Guichard
Télérama, Samedi 24 juillet 2010
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