par Cyrano » 10 Mai 2020, 17:59
Non-non, ça ne semble pas être la traduction qui serait en cause, mais l'intérêt, tout bêtement, du bouquin "La petite dame dans la grande maison". Mais puisque on parle de traduction…
J'ai bien lu l'interview du responsable Phébus, signalée par Byrrh. Oui, certes, une nouvelle édition des écrits de Jack London avec une traduction mise à jour. Phébus Libretto ont justement édité "La petite dame de la grande maison". J'ai ce volume et celui de la collection 10/18, sousd la férule de Francis Lacassin avec sa traduction Louis Postif.
Dans le volume 10/18 on a 305 pages, dans celui de Phébus on a 321 pages, avec grosso-modo les mêmes occupations de pages. Louis Postif est donc plus lapidaire et a du élaguer un peu le texte de Jack London.
Dans le volume Phébus de "La petite dame..." , Il y a un petit mot de l'éditeur concernant la nouvelle traduction - qui n'est en fait qu'une moitié de nouvelle traduction. Après un hommage mérité au traducteur Louis Postif, on lit :
« On comprendra qu'une édition d'aujourd’hui ne se sente nullement sacrilège de conserver le cadre de cette entreprise titanesque [les traductions de Louis Postif] et, dans la mesure de ses moyens, l’affine. Techniquement, cela signifie que nous avons scrupuleusement comparé la version Postif avec l'original soigneusement conservé par l’université californienne de Berkeley et que nous avons restauré l’intégralité du texte rendu, y compris lorsque les allusions avaient semblé à notre illustre prédécesseur pouvoir être omises, étant trop peu parlantes – nombreuses, du coup, étaient les lacunes, sans parler de celles que, en d’autres temps, on pensait devoir à un jeune public. Au passage, nous nous sommes livrés au travail de réécriture et de réinterprétation, de modernisation en un mot, qui, à nos yeux du moins, s’imposait. Si le terrain, répétons-le, est identifiable, la circulation est nôtre. Espérons avoir œuvré, pour le plaisir du lecteur, dans le sens d’une plus grande authenticité.»
Sous le titre du volume, y'a juste écrit "Traduction Louis Postif". Ça témoigne bien que ne ne sont que des retouches au texte de Louis Postif. Mais ce n'est plus une traduction Louis Postif.
On peut s'amuser? Moi, j'suis en retraite. Et en plus, retraité confiné, mon temps n'est pas minuté – sauf pour les pâtes ou le thé.
Le bouquin "La petite dame dans la grande maison", il commence comme ça (je copie le texte américain sur le site gutenberg.org) :
« He awoke in the dark. His awakening was simple, easy, without movement save for the eyes that opened and made him aware of darkness. »
Traduction Louis Postif :
« Il s’éveilla dans l’obscurité, simplement, facilement, sans autre mouvement qu’un lever de paupières sur un décor d’ombre.»
Traduction Phébus Libretto :
« Il s’éveilla dans l’obscurité. Ce fut un réveil tout simple, sans effort, qui ne requit d'autre mouvement que l’ouverture d’un œil, lequel lui confirma bien qu il était dans le noir. »
Louis Postif ne s'embarrasse pas : la première phrase courte est mixée avec la deuxième phrase et remplace les yeux par les paupières.
Phébus colle plus au mot à mot, au début, mais chaque traduction fait sa propre sauce pour terminer.
«aware», c'est être conscient - c'est le fameux être aware de Jean-Claude Van Damme !
Même paragraphe, la suite :
« Unlike most, who must feel and grope and listen to, and contact with, the world about them, he knew himself on the moment of awakening, instantly identifying himself in time and place and personality. After the lapsed hours of sleep he took up, without effort, the interrupted tale of his days. »
Ce n'est pas Hemingway. Louis Postif :
«A la différence de tant d’autres dormeurs obligés de tâter et d’écouter pour reprendre contact avec le monde, il se reconnut à l’instant même de son éveil, en temps, en lieu et en personne, et reprit sans effort le conte interrompu de sa vie.»
Louis Postif donne un mouvement en mixant les deux phrases.
Phébus :
« La plupart du temps, on s’assure au toucher, à l’ouïe, du monde alentour; pas lui : il retrouva, à peine éveillé, ses repères de temps et d’espace, et reconnut son moi. Après cette interruption de quelques heures dédiées au sommeil, il reprit aisément le fil de son histoire : »
Phébus ré-écrit, un peu, non? Et finalement, je trouve que Postif colle mieux que le charabia utilsé par Phébus. et «…le fil de son histoire : » Oui, y'a deux points. Phébus poursuit le texte par deux points alors que London clôt sa phrase.
« … the interrupted tale of his days. He knew himself to be Dick Forrest, the master of broad acres, who had fallen asleep hours before after drowsily putting a match between the pages of “Road Town” and pressing off the electric reading lamp. »
Louis Postif :
« … sans effort le conte interrompu de sa vie. Il était Dick Forrest, propriétaire de vastes terrains, qui s’était endormi depuis plusieurs heures, après avoir mis une allumette comme signet entre les pages de Road Town et éteint l’électricité.»
Postif met la veilleuse en veilleuse.
Phébus :
« … il reprit aisément le fil de son histoire : oui, il était Dick Forrest, propriétaire de vastes terrains, qui s’était endormi sur son livre Road Town, non sans y avoir glissé une allumette comme marque-page et après avoir éteint sa liseuse.»
Mais, y'a pas deux points, et London n'a pas écrit "yes".
Finalement, Louis Postif trichait, mais toute traduction triche, y compris la nouvelle de Phébus (qui reprend des pans entiers du texte de Postif). Mon sentiment, c'est que c'est bien prétentieux, finalement, la fameuse ré-écriture.