Jacquemart a écrit : Le choix de prendre comme fil rouge le point de vue d'un menchevik « indécis » à la mode Martov est d'ailleurs assez significatif, je crois.
Comme je me suis demandé qui était ce Soukhanov abondamment cité dans le docu. Je découvre qu'il est aussi cité par Trotsky, ce qui m'avait complétement échappé.
Un extrait du texte de trotsky
Lettre au professeur A. Kahun, Université de Californie
Léon Trotsky, Histoire de la Révolution russe. 2- Octobre [1932]
Il vous intéresse de savoir dans quelle mesure Soukhanov a exactement raconté ma rencontre, en mai 1917, avec la rédaction de la Novaïa Jizn ( Vie nouvel-e), à la tête de laquelle se trouvait, pour la forme, Maxime Gorki.
Pour que la suite de ceci soit compréhensible, je dois dire quelques mots au sujet du caractère général des Mémoires sur la Révolution, en sept tomes, de Soukhanov. Malgré toutes les imperfections de cet ouvrage (prolixité, impressionnisme, myopie politique) qui en rendent par moments la lecture insupportable, on ne peut s’empêcher de reconnaître la sincérité de l’auteur qui fait de son ouvrage une source précieuse pour l’Histoire.
Les hommes de loi savent, cependant, que la sincérité d’un témoin ne garantit pas du tout la véracité de ses dépositions :il faut encore prendre en considération le niveau intellectuel du témoin, ses facultés oculaires, auditives, sa mémoire, son état d’âme au moment de tels incidents, etc.
Soukhanov est un impressionniste du type intellectuel et, comme la plupart des gens de cette sorte, incapable de comprendre la psychologie politique d’hommes d’une autre formation. Bien que lui-même se soit tenu, en 1917, à l’extrémité gauche du camp des conciliateurs, par conséquent tout à fait en voisinage avec les bolcheviks, par sa mentalité d’Hamlet il était et restait tout à l’opposé d’un bolchevik.
En lui vit toujours un sentiment d’hostilité, de répulsion à l’égard d’hommes entiers, sachant fortement ce qu’ils veulent et où ils vont. Il résulte de tout cela que Soukhanov, dans ses Mémoires, entasse tout à fait consciencieusement faute sur faute, dès qu’il essaie de comprendre les motifs de l’action des bolcheviks ou de dévoiler leurs intentions de derrière les coulisses.
Il semble parfois qu’il embrouille consciemment des questions simples et claires. En réalité, il est organiquement incapable, du moins en politique, de découvrir le plus court chemin d’un point à un autre.
Soukhanov dépense pas mal d’efforts à opposer ma ligne à celle de Lénine.
Très sensible à l’opinion des couloirs et aux rumeurs des cercles intellectuels — en ceci, soit dit à propos, une des qualités des Mémoires est de donner une abondante documentation sur la psychologie des dirigeants libéraux, radicaux et socia-listes — Soukhanov vivait tout naturellement d’espoirs en la naissance de divergences entre Lénine et Trotsky, d’autant plus que cela devait, du moins partielle-ment, alléger le sort peu enviable de la Novaïa Jizn coincée entre les social-patriotes et les bolcheviks. Dans ses Mémoires, Soukhanov vit encore dans l’atmosphère de ces espérances irréalisées, présentées sous l’aspect de souvenirs politiques et d’hypothèses à retardement. Il s’efforce d’interpréter les particularités de l’individu, du tempérament, du style comme un cours politique particulier. (...)