Jacques Côté, Cahiers noirs de l'aliéniste

Jacques Côté, Cahiers noirs de l'aliéniste

Message par Plestin » 17 Juil 2018, 07:35

L'écrivain canadien Jacques Côté a publié en 2010-2011-2013 trois romans intéressants dans un vaste registre policier-historique-social-scientifique, regroupés dans une série dénommée "Les cahiers noirs de l'aliéniste". Ces trois livres (qui s'inspirent de la vie du docteur Georges Villeneuve qui a réellement existé) suivent le parcours d'un jeune médecin québécois intéressé à la fois par la psychiatrie et par la médecine légale. Ils sont (de moins en moins) disponibles en livre de poche.


Tome 1. Dans le quartier des agités

Le docteur Villeneuve vient parfaire sa formation de médecin aliéniste à Paris, à l'hôpital Sainte-Anne. Cela se déroule au moment de l'exposition universelle de 1889. C'est l'époque où les médecins commencent à mieux traiter les patients victimes de maladies mentales, et cherchent à les protéger d'eux-mêmes et des autres. A peine arrivé, Villeneuve est confronté à l'arrivée d'un patient abandonné par quelqu'un devant la porte de l'hôpital et gravement atteint par la consommation d'absinthe ; dans sa poche, on trouve une natte de femme, alors qu'un "coupeur de nattes" et assassin de prostituées sévit dans Paris. Villeneuve mène l'enquête pour retrouver l'identité du patient et découvrir s'il s'agit vraiment de l'assassin.

La police en prend pour son grade (elle a un coupable tout trouvé, elle ne va pas s'embêter à enquêter davantage) ainsi que la religion (l'auteur introduit l'idée de la responsabilité de la religion dans la survenue de certaines maladies mentales). On voit aussi les controverses scientifiques de l'époque : un congrès médical fait débattre une école italienne (autour du docteur Lombroso), qui prétend reconnaître les criminels d'après leur physionomie, et la nouvelle école française (docteurs Magnan et Charcot) qui s'y oppose. Le roman décrit les ravages de l'absinthe et de la syphilis, qui fournissent nombre de patients à l'hôpital Sainte-Anne. On voit également les débuts d'une médecine légale à base scientifique (les insectes sur les cadavres pour déterminer le moment de la mort).


Tome 2. Le sang des prairies

Le plus historique et le moins policier des trois romans. Il s'agit, chronologiquement, d'un retour en arrière, qui décrit l'enrôlement du jeune Villeneuve et de ses camarades dans l'armée canadienne, au sein d'un bataillon québécois. Le bataillon est censé faire la guerre aux Indiens et aux Métis suite au soulèvement de ces derniers, dans l'Ouest du Canada. Mais les troupes québécoises sont plutôt favorables à la lutte des Indiens et Métis (métis de canadiens francophones) et rechignent à se battre contre ces derniers, pour le compte d'un Canada unifié mais marqué par le mouvement orangiste (protestants anglophones très hostiles aux catholiques francophones). Les orangistes et la presse à leur service n'ont de cesse de dénigrer les bataillons québécois, les présentant comme des soudards, et certains activistes cherchent à les provoquer pour créer l'incident.

Arrivé dans l'Ouest du Canada (environs d'Edmonton, Alberta, qui n'était alors qu'un fort et un village), Georges Villeneuve enquête sur un massacre de colons perpétré par des Indiens dans le lieu dit "Lac-à-la-Grenouille", et entend le témoignage d'un métis, François Lépine.

Ce roman concerne un chapitre de l'histoire du Canada somme toute peu connu. En tout cas j'ignorais qu'il y avait eu tant de francophones dans le Centre et l'Ouest du pays (du Manitoba à l'Alberta), qu'ils s'étaient à ce point mélangés aux Indiens, qu'il y avait eu des guerres contre les Indiens autant qu'aux Etats-Unis, et que chez les anglophones il y avait eu un mouvement orangiste important, comme en Irlande.


Tome 3. Et à l'heure de votre mort

Revenu de Paris, Georges Villeneuve doit faire cours à des étudiants en médecine légale et assurer une fonction de médecin légiste à la morgue de Montréal, en attendant de pouvoir devenir assistant-surintendant de l'asile Saint-Jean-de-Dieu (tenu par des religieuses). Villeneuve cherche à introduire les méthodes scientifiques (à la morgue) et les mesures progressistes (à l'asile) apprises à Paris. Son meilleur collègue à la morgue est un canadien anglophone. Tous deux réclament sans succès le remplacement de cette morgue vétuste et artisanale par une morgue moderne comme il en existe dans d'autres grandes villes du monde. Au même moment, un meurtrier sévit dans Montréal, assassinant les femmes qui tentent de se faire avorter clandestinement, avec une mise en scène religieuse de leur mort. Cela déchaîne les médias, les politiciens, le clergé... tandis que Villeneuve enquête aux côtés du lieutenant de police Bruno Lafontaine (qui était son bras droit dans l'armée, dans le roman précédent).

Ce roman décrit le Montréal de l'époque (1894), en pleine mutation, depuis les quartiers ouvriers et insalubres jusqu'aux riches pentes du Mont-Royal. Il met en avant la détresse des jeunes femmes confrontées à une grossesse non désirée. Et l'on retrouve la religion comme facteur de maladies psychiatriques, la presse à sensation prête à tout pour faire vendre, les politiciens prêts à s'emparer des événements pour faire carrière...
Plestin
 
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