Podcast de l'émission de Jean-Noël Jeanneney "Concordance des temps" (France Culture) du 15/06/2019 :
https://www.franceculture.fr/emissions/ ... dun-poisonDe l'amiante aux pesticides, la liste est longue des substances dangereuses qui peuplent notre monde. Chacun le sait et pourtant y consent. A travers l'histoire du plomb, Judith Rainhorn s'interroge sur la fabrication d'un poison légal.
Une confrontation primordiale s'inscrit au cœur de notre siècle entre l'écologie et la puissance du système capitaliste. L'un des aspects les plus impressionnants de ce tête-à-tête concerne l'opposition entre les exigences de la santé publique et celles des diverses industries qui la concernent, de près ou de loin.
On nous en propose des exemples quasiment chaque semaine, à hauteur de la planète entière. Telle la condamnation, ces jours-ci, en Californie, de Bayer-Monsanto à des milliards de dollars d'indemnités pour la diffusion à des particuliers de l'herbicide cancérigène Round-up, à base de glyphosate. La question de l’amiante s’impose au même chapitre. Mais on se tromperait à croire qu'il s'agisse seulement des fruits vénéneux de notre modernité.
Je vous propose, ce matin, l'histoire d'un précédent, l'histoire de la peinture au plomb. Ce poison était ravageur pour les ouvriers, dont le corps en était marqué tragiquement, et pourtant son usage a accompagné tout au long les révolutions industrielles. Le monde scientifique en a repéré tôt le caractère maléfique, mais sans qu'une loi de prohibition ait pu, pendant très longtemps, triompher de l'intérêt des entreprises. Celles-ci, pour servir leurs profits, imposèrent l'usage de la céruse, appelée aussi "blanc de plomb", jusqu'à la Grande guerre au moins, en le défendant bec et ongles contre tous les efforts contraires des publicistes et des législateurs que la médecine avait alertés. Clemenceau, qui fut l'un de ces bons combattants au cours des années 1900, écrivit dans un article, pour résumer le propos : " Il s'agit d'empêcher des hommes de tuer des hommes, tout simplement".
Judith Rainhorn, professeure à l'université de Paris-I Panthéon-Sorbonne et membre du Centre d'histoire sociale des mondes contemporains, vient de consacrer un livre important à ce sujet trop peu connu et cependant riche d'enseignements et lourd d'inquiétudes toujours prégnantes. Elle est donc mon invitée.