S'occuper en relisant

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Message par Cyrano » 18 Avr 2020, 14:50

J'ai ressorti un de mes bouquins, et re-parcouru très rapidement une lecture de saison :
Journal de l’Année de la Peste, par Daniel Defoe.
Mon édition : Gallimard, Folio Classique, imprimé en 2014.
Le livre de Daniel Defoe est paru en 1722 (y'a presque pile-poil 300 ans!)

C'est un roman, écrit- du point de vue d'un commerçant. Voici la quatrième de couverture du Folio :

« En 1665, pour la quatrième fois dans le siècle, la peste ravage Londres où elle fait en un an 70.000 morts. En 1720 elle est de nouveau à Marseille. Journaliste toujours à l’affût d’une grande affaire, Defoe voit là l’occasion d’un livre qui rappelle un drame très proche et mêlera les conseils prophylactiques aux réflexions morales sur les décrets de la Providence. S’aidant peut-être de ses souvenirs mais réunissant surtout avec une rigueur toute scientifique témoignages et documents, Defoe a laissé de la peste une description digne des grands cliniciens du xixe siècle. Description médicale et aussi description sociologique : comme il y a une société du crime, il y a une société de la peste qui a pesé très lourd dans l’histoire des mentalités

And now, un butinage au hasard parmi le bouquin, scannage puis OCR, le droit à la paresse.


Allez, on se confine, avec des provisions :

Quant à ma petite maisonnée, ayant fait, comme je l’ai dit, provision de pain, de beurre, de fromage et de bière, je suivis le conseil de mon ami le médecin et je nous enfermai, résolu à supporter la privation de viande pendant quelques mois plutôt que d'en acheter au péril de notre vie.
Mais bien qu’ayant confiné ma maisonnée, je ne pus dominer ma curiosité insatisfaite au point de rester moi-même entièrement à l’intérieur; et bien que je rentrasse généralement plein de crainte et de terreurs, je ne pouvais me retenir. Seulement je ne sortais pas aussi souvent qu’au début.

Vous avez remarqué? Dans les provisions, il y a de la bière. Voilà un monsieur distingué et de de qualité.
Y aurait-il des porteurs sains (ou du moins sans symptômes de la maladie) ?

« Ici aussi, je dois faire une remarque pour le bénéfice de nos descendants au sujet de la façon dont les gens s’infectaient les uns les autres : ce n’était pas seulement des malades que les gens sains prenaient directement le mal, mais aussi des bien-portants. Je m’explique : par malades, j’entends ceux qui étaient connus pour tels, qui avaient pris le lit, qui avaient reçu des soins ou qui portaient des enflures ou des tumeurs. Ceux-là, tout le monde s’en méfiait ; ils étaient ou dans leur lit ou dans un état tel qu’ils ne pouvaient pas le dissimuler.
Par bien-portants, j’entends ceux qui avaient reçu la contagion, qui l’avaient réellement sur eux et dans leur sang, et dont, cependant, l’aspect extérieur n’en révélait rien ; bien mieux, qui ne s’en rendaient pas compte eux-mêmes, comme il arrivait pour beaucoup de gens pendant plusieurs jours. Ceux-là exhalaient la mort en tous lieux et sur toutes les personnes qui les approchaient ; leurs vêtements mêmes retenaient l’infection, leurs mains contaminaient les objets qu’ils touchaient, surtout si elles étaient chaudes et moites, ce qui était fréquent. »

La quarantaine n'est-elle pas trop longue? quatorzaine?

« Sans doute est-il opportun de se demander combien de temps les hommes peuvent porter en eux les germes de la contagion avant quelle ne se déclare de cette fatale manière, et combien de temps donc ils peuvent se promener sous une apparence de santé, tout en étant contagieux pour tous ceux qui les approchent. Je pense que les médecins les plus expérimentés ne sauraient répondre plus directement à pareille question que je ne le puis moi-même ; un observateur ordinaire pourra d’ailleurs remarquer quelque chose qui échappera à leur attention. L’opinion des médecins étrangers semble être que la maladie peut rester en sommeil dans les esprits ou les vaisseaux sanguins durant un temps considérable. Quelle autre raison leur ferait exiger une quarantaine pour ceux qui arrivent dans nos ports en provenance de pays suspects? Quarante jours, c’est, penserait-on, bien plus qu'il n’en faut à la nature pour lutter contre un ennemi tel que celui-ci sans le vaincre ou succomber. Pour ma part, je ne puis croire, d’après mes observations personnelles, que l’on puisse être infecté au point d'être contagieux durant plus de quinze ou seize jours au plus. C’est d’après un calcul semblable que, après la fermeture d’une maison de la cité où était mort quelqu’un, si aucun membre de la famille n’avait donné signe de la maladie au bout de seize à dix-huit jours, on se montrait assez coulant pour tolérer que les reclus sortissent secrètement, et, après cela, les gens n'avaient guère de crainte à leur égard, ne les en estimant même que plus fortifiés puisqu'ils n'avaient pas été vulnérables alors que l’ennemi était dans leur propre maison. »

Business is business :

« Ces récits extravagants portaient cependant grand préjudice à notre commerce, tout injustes et injurieux qu'ils fussent en eux-mêmes, car il fallut longtemps après que la peste fut totalement passée pour qu'il pût reprendre dans ces parties du monde. Les Flamands et les Hollandais (surtout ces derniers) en tirèrent de grands avantages, puisque le marché leur était ouvert à eux seuls ; ils en profitaient pour acheter nos produits en différentes régions d’Angleterre où la peste n’était pas, les transporter en Hollande et dans les Flandres et de là les réexpédier, comme étant de leur propre fabrication, en Espagne et en Italie. »


Le patient zéro ?!…

« Il y a aussi une difficulté que je n’ai jamais pu m’expliquer jusqu’à ce jour et à laquelle je ne vois qu’une seule réponse. Voici ce que je veux dire : le premier décès de la peste eut lieu le 20 décembre (environ) 1664, à Long Acre ou de ce côté, et la première personne à avoir eu l’infection la prit, pense-t-on généralement, d’un ballot de soieries importé de Hollande, que l'on ouvrit dans cette maison. »

Mais alors? La quarantaine n'est-elle pas trop… courte?...

« Mais après cela [le premier décès], on n’entendit plus parler d’aucune personne morte de la peste ni de la présence de la maladie dans ce quartier avant le 9 février, c'est-à-dire sept semaines plus tard, quand un autre habitant de la même maison fut enterré. Mais on tut le fait et nous restâmes parfaitement tranquilles dans le public pendant assez longtemps, car le bulletin hebdomadaire ne mentionna aucun autre décès de la peste jusqu’au 22 avril ; il y eut alors deux autres enterrements non dans la même maison, mais dans la même rue ; et autant qu'il m'en souvienne, c'était dans la maison voisina de la première. Cela faisait neuf semaines d'écart et, après cela, nous n’eûmes pas d'autres décès durant une quinzaine de jours, mais alors l'épidémie éclata dans plusieurs rues et s’étendit de tous côtés. Eh bien, l’on peut se poser la question suivante : Où restèrent les germes de l’infection durant tout ce temps? Comment se fait-il quelle soit demeurée si longtemps arrêtée et pourquoi pas plus longtemps ? Ou la contagion ne s’est pas produite immédiatement d’un corps à un autre ou, dans le cas contraire, un corps doit pouvoir rester infecté sans que la maladie se découvre durant de nombreux jours, voire des semaines entières. Ce ne serait donc pas seulement une « quarantaine », mais au moins une « soixantaine » qu'il faudrait, non quarante jours d'isolement, mais soixante et plus. »

Le nombre de cas recule? On déconfine, on dirait que le pic est passé. C'est la joie (imprudente?) :

« Tel est le tempérament irréfléchi de notre peuple (je ne sais s’il en va de même ailleurs dans le monde et ce n’est pas mon affaire de le savoir, mais je l'ai bien vu paraître ici) : tout comme dans la première terreur de l'infection les gens s’évitaient les uns les autres et s’enfuyaient des maisons et de la cité avec une peur irraisonnée et, à mon avis, inutile, à présent que l’idée se répandait que la maladie ne s'attrapait plus aussi facilement et que, même si on la contractait, elle n'était plus aussi mortelle, à présent que l'on voyait journellement se rétablir nombre de gens qui avaient été réellement malades, l'on se prit avec empressement d'un tel courage, l’on devint si insoucieux de soi-même et de l’infection que l'on ne fit pas plus de cas de la peste que de quelque fièvre ordinaire, sinon même moins, non seulement on osait se rencontrer en société - avec ceux qui avaient des tumeurs et des pustules suppurantes et par conséquent contagieuses - mais même on mangeait et buvait avec eux ; que dis-je ? on allait les voir dans leur propre maison et, m'a-t-on dit, jusque dans leur chambre de malade. »

Mais gaffe au rebond :

« En effet, lorsque, dès l’apparition de la première diminution importante du chiffre des décès, cette idée se fût répandue par toute la ville avec la rapidité de l’éclair, tournant la tête des gens, nous vîmes que les deux bulletins suivants n'accusèrent plus une décroissance en proportion. J'en trouve la raison dans le fait que les gens se précipitaient aussi inconsidérément dans le danger, renonçant à toutes les précautions, à tous les soins qu'ils avaient pris et à la méfiance qu'ils avaient pratiquée jusque-là, sûrs qu'ils étaient que la maladie ne les atteindrait pas ou que, si elle le faisait, ils n’en mourraient pas.
Les médecins s'élevèrent de toutes leurs forces contre cette humeur inconsidérée et distribuèrent des notices imprimées, les répandant par toute la ville et les faubourgs, pour conseiller aux gens de maintenir leur réserve et d’agir toujours avec la plus grande prudence dans leur conduite de tous les jours malgré la décroissance de la maladie. Ils cherchèrent à les terrifier en leur représentant le danger où étaient les imprudents d’amener une rechute générale sur la cité entière et leur disaient combien pareille rechute risquait d’être plus dangereuse, plus fatale que toute l’épreuve qu’ils avaient déjà endurée ; et, pour expli¬quer et prouver cette assertion, ils accompagnaient tout cela d’arguments et de raisons qu’il serait trop long d’exposer ici.
Mais ce fut en vain. Ces êtres audacieux étaient si bien possédés de leur première joie, si surpris de la satisfaction de constater une grande diminution dans les bulletins hebdomadaires qu'ils restaient imperméables à toute nouvelle terreur. Ils refusèrent de se laisser persuader que l’amertume de la mort n’était point passée, et leur parler, c’était tout comme de prêcher dans le désert : ils ouvrirent leurs boutiques et s’entretenaient avec n’importe qui à toute occasion, d’affaires ou autre, sans s'inquiéter de la santé de leurs interlocuteurs, sans même ressentir l’appréhension d'un danger quelconque quand ils les savaient malsains.
Cette conduite imprudente et irréfléchie coûta la vie à un grand nombre de gens qui, usant de prudence, s'étaient auparavant enfermés avec grand soin, s’étaient retirés, pour ainsi dire, de l’humanité entière et étaient restés, grâce à cela et sous la providence de Dieu, préservés durant toute l’ardeur de l’épidémie. »

Finalement, londoniens ou parisiens...
Cyrano
 
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Message par Gayraud de Mazars » 18 Avr 2020, 16:41

Salut camarade Cyrano,

Merci, récit palpitant, qui donne une envie de lire ce livre...

Fraternellement,
GdM
"Un seul véritable révolutionnaire dans une usine, une mine, un syndicat, un régiment, un bateau de guerre, vaut infiniment mieux que des centaines de petits-bourgeois pseudo-révolutionnaires cuisant dans leur propre jus."
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Re: S'occuper en relisant

Message par Plestin » 18 Avr 2020, 16:59

Oui, merci Cyrano pour ce texte édifiant.
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Re: S'occuper en relisant

Message par Cyrano » 18 Avr 2020, 19:54

Tant mieux si vous aussi vous êtes frappé par une certaine pertinence.
Lorsque je l'avais lu, j'avais trouvé que Daniel Defoe raisonnait bien mais bon, euh, mouaih, ça faisait parfois un peu abstrait.
Mais palsembleu! en recherchant les pages que j'avais coché, comme ça résonne autrement, morbleu! ça me parle concrètement, cornegidouille! j'en suis étonné! Saperlipopette! Et je trouve que le bouquin de Robinson Crusoé (excuses: Daniel Defoe) est bien foutu (mieux foutu que je ne l'avais trouvé y'a 2 ou 3 ans).

Les jurons, c'est que j'ai vu hier soir le docu sur Georges Brassens et comme je suis un garçon influençable...
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Message par Cyrano » 21 Avr 2020, 13:58

Je ressors quelques uns de mes livres, je feuillette, je remets en rayon. Et je trouve parfois un passage que j'avais sorti de ma mémoire depuis bien longtemps.

L'Idiot, de Fiodor Dostoïevski.
Publié en 1868 et 1869 (en feuilleton) puis en deux volumes en 1874.

Le Prince Mychkine (l'Idiot) revient de Suisse où il a été soigné pour ses problèmes nerveux. A Saint-Pétersbourg, il se rend chez le général Epantchine pour être reçu. Le domestique le fait attendre, le Prince entame la discussion avec lui, sans façon.
La discussion tourne à un moment sur les tribunaux et la peine de mort (qui n'existait pas en Russie). Le Prince Mychkine va livrer à un vibrant et subtil plaidoyer contre la peine de mort:

– «[Le Prince Mychkine] Je ne saurais vous répondre. J’ai entendu dire beaucoup de bien des nôtres [les tribunaux russes]. Chez nous, par exemple, la peine de mort n’existe pas.
– [le domestique] Et là-bas on exécute ?
– Oui. Je l’ai vu en France, à Lyon ; Schneider m’a emmené assister à une exécution.
– On pend ?
– Non, en France on coupe la tête aux condamnés.
– Est-ce qu’ils crient ?
– Pensez-vous ! C’est l’affaire d’un instant. On couche l’individu et un large couteau s’abat sur lui grâce à un mécanisme que l’on appelle guillotine. La tête rebondit en un clin d’œil. Mais le plus pénible, ce sont les préparatifs. Après la lecture de la sentence de mort, on procède à la toilette du condamné et on le ligote pour le hisser sur l’échafaud. C’est un moment affreux. La foule s’amasse autour du lieu d’exécution, les femmes elles-mêmes assistent à ce spectacle, bien que leur présence en cet endroit soit réprouvée là-bas.
– Ce n’est pas leur place.
– Bien sûr que non. Aller voir une pareille torture ! Le condamné que j’ai vu supplicier était un garçon intelligent, intrépide, vigoureux et dans la force de l’âge. C’était un nommé Legros. Eh bien ! croyez-moi si vous voulez, en montant à l’échafaud il était pâle comme un linge et il pleurait. Est-ce permis ? N’est-ce pas une horreur ? Qui voit-on pleurer d’épouvante ? Je ne croyais pas que l’épouvante pût arracher des larmes, je ne dis pas à un enfant mais à un homme qui jusque-là n’avait jamais pleuré, à un homme de quarante-cinq ans ! Que se passe-t-il à ce moment-là dans l’âme humaine et dans quelles affres ne la plonge-t-on pas ? Il y a là un outrage à l’âme, ni plus ni moins. Il a été dit : Tu ne tueras point. Et voici que l’on tue un homme parce qu’il a tué. Non, ce n’est pas admissible. Il y a bien un mois que j’ai assisté à cette scène et je l’ai sans cesse devant les yeux. J’en ai rêvé au moins cinq fois
– C’est du moins heureux, observa-t-il, que la souffrance soit courte au moment où la tête tombe.
– Savez-vous ce que je pense ? rétorqua le prince avec vivacité. La remarque que vous venez de faire vient à l’esprit de tout le monde, et c’est la raison pour laquelle on a inventé cette machine appelée guillotine. […]. Or ce ne sont pas les blessures qui constituent le supplice le plus cruel, c’est la certitude que dans une heure, dans dix minutes, dans une demi-minute, à l’instant même, l’âme va se retirer du corps, la vie humaine cesser, et cela irrémissiblement. La chose terrible, c’est cette certitude. Le plus épouvantable, c’est le quart de seconde pendant lequel vous passez la tête sous le couperet et l’entendez glisser. Ceci n’est pas une fantaisie de mon esprit : savez-vous que beaucoup de gens s’expriment de même ? Ma conviction est si forte que je n’hésite pas à vous la livrer. Quand on met à mort un meurtrier, la peine est incommensurablement plus grave que le crime. Le meurtre juridique est infiniment plus atroce que l’assassinat. Celui qui est égorgé par des brigands la nuit, au fond d’un bois, conserve, même jusqu’au dernier moment, l’espoir de s’en tirer. On cite des gens qui, ayant la gorge tranchée, espéraient quand même, couraient ou suppliaient. Tandis qu’en lui donnant la certitude de l’issue fatale, on enlève au supplicié cet espoir qui rend la mort dix fois plus tolérable. Il y a une sentence, et le fait qu’on ne saurait y échapper constitue une telle torture qu’il n’en existe pas de plus affreuse au monde. Vous pouvez amener un soldat en pleine bataille jusque sous la gueule des canons, il gardera l’espoir jusqu’au moment où l’on tirera. Mais donnez à ce soldat la certitude de son arrêt de mort, vous le verrez devenir fou ou fondre en sanglots. Qui a pu dire que la nature humaine était capable de supporter cette épreuve sans tomber dans la folie ? Pourquoi lui infliger un affront aussi infâme qu’inutile ? Peut-être existe-t-il de par le monde un homme auquel on a lu sa condamnation, de manière à lui imposer cette torture, pour lui dire ensuite : « Va, tu es gracié ! » Cet homme-là pourrait peut-être raconter ce qu’il a ressenti. C’est de ce tourment et de cette angoisse que le Christ a parlé. Non ! on n’a pas le droit de traiter ainsi la personne humaine ! »

Le mot certitude est souligné par l'auteur dans le texte.
Bientôt, le 2 mai prochain, ça fera 60 ans que Caryl Chessman a été exécuté dans une chambre à gaz. Sa certitude a duré 12 ans (condamné à mort en 1948), et enfin, sa dernière certitude durera presque 10 minutes (c'est le temps qu'il faut pour mourir, assis sur la chaise de la chambre à gaz).
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Re: S'occuper en relisant

Message par com_71 » 21 Avr 2020, 15:41

Le titre de la rubrique n'est décidément pas
se calmer en relisant.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: S'occuper en relisant

Message par Byrrh » 21 Avr 2020, 16:12

Rosa Luxemburg en 1902, à propos des dizaines de milliers de morts consécutifs non pas à une épidémie, mais à l'éruption de la montagne Pelée en Martinique :

Et maintenant, ils se tournent tous vers la Martinique d'un même mouvement et le cœur sur la main, ces meurtriers bienveillants aident, sauvent, sèchent les larmes et maudissent les ravages du volcan. Mont Pelé, géant au grand cœur, tu peux en rire ; tu peux les mépriser, ces carnivores pleurants, ces bêtes en habits de Samaritains. Mais un jour viendra où un autre volcan fera entendre sa voix de tonnerre, un volcan qui grondera et bouillonnera et, que vous le vouliez ou non, balayera tout ce monde dégoulinant de sang de la surface de la terre. Et c'est seulement sur ses ruines que les nations se réuniront en une véritable humanité qui n'aura plus qu'un seul ennemi mortel : la nature aveugle.

https://www.marxists.org/francais/luxem ... 020000.htm
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Re: S'occuper en relisant

Message par Byrrh » 21 Avr 2020, 21:31

Désolé, Com_71 avait déjà cité ce passage sur le fil "Covid-19" le mois dernier...

Pour une meilleure traduction de cet article de Rosa Luxemburg, et pour disposer de notes qui éclairent certaines références historiques, se référer à ce numéro des Cahiers du mouvement ouvrier de 2005, pages 28 à 32 : https://cahiersdumouvementouvrier.org/w ... mo_026.pdf
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Re: S'occuper en relisant

Message par Cyrano » 22 Avr 2020, 15:44

J'ai déjà parlé, je crois, de Pierre Pascal quelque part à un quelconque moment ? je vais faire un effort et poster un semblant de texte politique.

Le 16 avril (3 avril du calendrier russe) Lénine arrive de Suisse en ayant traversé l'Allemagne par le fameux train. Durant le parcours il a rédigé les célèbres thèses d'Avril qui vont prendre le contre-pied du ronron bolchévique.
Pierre Pascal, avant de présenter ces thèses parues dans la Pravda le 7 avril (calendrier russe), nous livre une introduction particulièrement vivante de l'arrivée de Lénine et de la première présentation (le soir même!) de ses thèses. Surprise désagréable assurée.
En lisant la présentation de Pierre Pascal, on comprend mieux que Staline ait mis le holà à la publication des pages choisies et le volume III sera - hélas - le dernier.

Pages Choisies de Lénine, volume III (1914-1917), par Pierre Pascal. Editions Les Bons Caractères.
Présentation de l'arrivée de Lénine, par Pierre Pascal (pages 135-139) :

----------------------------------------
« Les principaux leaders du Parti bolchevique étaient allés à la rencontre de Lénine jusqu’à la frontière finlandaise et avaient pu déjà lui fournir les premières informations. En débarquant à la gare de Finlande au milieu d’un peuple enthousiaste d’ouvriers, de marins et de soldats, il prononça ses premiers discours, terminés par le cri imprévu de : «Vive la révolution socialiste universelle ! » […]

L’opinion moyenne des dirigeants du parti était alors représentée par les deux résolutions du bureau du comité central : "Sur le gouvernement provisoire" et "Sur la guerre et la paix". La première, tout en reconnaissant l’incapacité du gouvernement provisoire « à résoudre les problèmes posés par la révolution», en invitant le prolétariat à se grouper « autour des soviets de députés ouvriers et soldats, comme embryon de pouvoir révolutionnaire seul capable... de réaliser les exigences de la démocratie révolutionnaire» et en recommandant, pour «développer et approfondir la révolution», l’armement général du peuple et la formation d’une garde rouge, ne donnait aucune directive concrète sur la conduite à tenir vis-à-vis du gouvernement, et surtout aucune perspective d’avenir sur la révolution socialiste.

La seconde, elle aussi, était un compromis entre ceux qui étaient pour faire la guerre à la guerre par tous les moyens et ceux qui ne voulaient préconiser aucun moyen de nature à faire accuser le Parti bolchevique de désorganiser l’armée: aussi y parlait-on « d’obliger le gouvernement provisoire non seulement à renoncer à tout plan de conquête, mais aussi à... offrir la paix à tous les belligérants à des conditions garantissant l'affranchissement de tous les peuples opprimés... », mais il n’était question ni de dénonciation des traités secrets, ni de fraternisation sur le front.

Entre ces résolutions timides et modérées dans la théorie comme dans la pratique et le cri de « Vive la révolution socialiste!» développé par Lénine dès ce premier discours, il y avait un abîme. Cependant aucune discussion n’eut lieu encore.

Le lendemain au palais de Tauride, où siégeait le soviet, avait lieu une conférence commune de tous les social-démocrates, bolcheviks, mencheviks et autres (mejdouraiontsy), membres des organisations centrales ou délégués à la conférence panrusse des soviets qui venait de se terminer la veille : le but était d’arriver à une sorte de fusion de toutes les tendances. Lénine vint à cette réunion. D’abord il se rendit dans le local où se réunissait la fraction bolchevique ; là il donna lecture de quelques thèses écrites durant le voyage, qu’il accompagnait de commentaires. Puis, tous les bolcheviks descendirent dans la salle de la conférence, où Lénine répéta son exposé.

Voici comment un témoin raconte cet événement mémorable1 :
«La salle était pleine. Le petit groupe des bolcheviks occupait les fauteuils de gauche. Lénine était en face, du côté du président. Près de lui vinrent s’asseoir les mencheviks les plus acharnés et c’était une chose bizarre de le voir ainsi entouré. Enfin, la parole lui fut donnée. Avec son entrain ordinaire, il s’élança à la tribune et sans faire attention à nos applaudissements, entreprit aussitôt une analyse étonnante de la situation. »

Accueilli d’abord par des rires, des remarques ironiques, il fut bientôt écouté dans un silence profond. Quand il prononça le mot de «fraternisation», un député du front, offensé dans ses sentiments patriotiques, fit quelques pas dans la direction de la tribune et se mit à jurer tout ce qu’il savait. Lénine attendit patiemment que le tumulte s’apaisât, puis il reprit à peu près en ces termes :
« Un camarade vient de déverser son indignation devant moi. Je le comprends. Il a raison à sa manière. Il a raison d’abord parce que la liberté a été proclamée et qu’un homme sincère a toujours raison de déclarer son opinion. Ensuite, il vient des tranchées, il a été deux fois blessé et il se demande pourquoi il a versé son sang, pourquoi il a souffert lui et ses frères. On lui a dit qu’il se battait pour la patrie, et enfin de compte il voit qu’on l’a trompé, qu’il a souffert pour des intérêts étrangers, pour les oppresseurs et les rapaces du monde entier. Comment ne pas être indigné? Aussi faut-il prêcher la fraternisation comme un des moyens d’en finir avec la guerre. »

Quand Lénine commenta sa troisième thèse, refusant tout appui au gouvernement provisoire, impérialiste tout comme le gouvernement tsariste, il souleva une nouvelle tempête: les uns demandaient qu’on lui retirât la parole, les autres faisaient signe qu’on avait affaire à un fou. Bogdanov s’écriait: «Mais c’est du délire ! » Le scandale était à son comble.

Lorsqu’il eut fini, Tsérételli, le vieux social-démocrate géorgien revenu depuis peu et représentant la droite du soviet, prit la parole pour montrer que la Russie n’était pas mûre pour le socialisme. Ensuite, Goldenberg, un ancien membre du comité central bolchevique, aujourd’hui en dehors de toute fraction, se fit le porte-voix de la majorité dans un discours cassant, bref et net:
«La place du génial anarchiste Bakounine, demeurée longtemps inoccupée, a trouvé un titulaire. Ce que nous venons d’entendre ici est la négation de la doctrine social-démocrate et du marxisme scientifique... Lénine social-démocrate, Lénine marxiste, Lénine leader de notre parti social-démocrate, est mort. Un nouveau Lénine est né, un Lénine anarchiste. Il n’y a plus de bolchevisme si les bolcheviks acceptent une conception nouvelle et inattendue. »

S’écriant ensuite que Lénine plantait l’étendard de la guerre civile au sein de la démocratie, il constatait qu’il ne pouvait plus être question d’union et appelait tout le monde à combattre ce nouveau danger menaçant la Russie. Lénine et ses amis sortirent de la salle sans écouter les orateurs suivants et quand l’assemblée déclara désirable la convocation d’un congrès d’union de la social-démocratie, le représentant du bureau du conseil central déclara que les bolcheviks ne jugeaient pas utile d’entrer dans la commission organisée à cet effet. C’était un premier effet de l’intervention de Lénine.

Cependant, les bolcheviks même étaient troublés, ne reconnaissaient plus leur vieille doctrine social-démocrate. Il y avait parmi eux plusieurs tendances, une droite, un centre et une gauche, mais Lénine était, comme l’avoue dans ses mémoires Chliapnikov, plus à gauche que la gauche. Les premiers jours, il resta moralement isolé dans son propre parti, il lui fallut le conquérir peu à peu à son idée que la Russie était en marche vers la révolution socialiste. II s’y employa activement et à cet effet, commença la publication, dans la Pravda, des thèses qui faisaient un tel scandale. »
------------------------------------------------

Fin de l'introduction de Pierre Pascal, suivi des thèses présentées dans la Pravda sous le titre : "Les objectifs immédiats du prolétariat dans la présente révolution". Un texte bref de quelques pages. Dès le lendemain, dans la Pravda, Kamenev publie un article sous le titre "Nos dissentiments" et il s'empresse de dire que le texte de Lénine ne représente que «son opinion personnelle». La révolution, c'est pas gagné.
Et notre Pierre Pascal, catholique fervent , est un sacré lurron.
Cyrano
 
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Re: S'occuper en relisant

Message par Cyrano » 28 Avr 2020, 14:07

Un petit fascicule avachi sur un de mes rayons:
"Qu'est-ce que la conscience de classe ?", par le psychanalyste Wilhelm Reich qui le rédigea en 1934.
Avec un sous-titre :
"Contribution au débat sur la reconstruction du mouvement ouvrier"

Ah bin, tiens, je ne crois pas avoir vu citer ce fascicule d'une petite centaine de page ici?
Je vais mettre les extraits de la première partie, dans la partie cérébrale "Histoire et Théorie".
Cyrano
 
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