Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par com_71 » 21 Avr 2020, 10:04

libération a écrit : «L'effacement de l’histoire ouvrière reproduit un mépris de classe»
Par Damien Dole et Gabriel Pornet — 21 avril 2020 à 06:08

A l’occasion de la diffusion sur Arte de la série documentaire «le Temps des ouvriers», l’historien Xavier Vigna revient sur le peu de place accordée dans les médias à l’histoire populaire.

«L'effacement de l’histoire ouvrière reproduit un mépris de classe»

La crise sanitaire a remis en lumière, pour ceux qui en avaient besoin, la place indispensable des ouvriers et des «OS du tertiaire», ces employés (infirmières, caissières, livreurs, manutentionnaires) qui assurent des tâches répétitives et sont insuffisamment rémunérés. Si l’on se fie à la catégorisation de l’Insee, le nombre d’ouvriers est passé de 38 % de la population active à la fin des années 60 à 20 % aujourd’hui. Un recul qui ne doit pas faire oublier l’importance primordiale qu’ont jouée les forçats de la chaîne depuis trois siècles pour rendre concrets les progrès techniques ou faire évoluer, par la lutte, les conditions sociales de tous.

Une importance qui ne se matérialise pas forcément dans la place que les médias grand public donnent à l’histoire ouvrière, lui préférant celle des «grands hommes» ou des batailles militaires. Une inégalité de traitement que tente d’estomper le Temps des ouvriers de Stan Neumann, diffusé sur Arte le 28 avril et dont le premier épisode est disponible sur Libération.fr à partir de ce mardi. Conseiller sur le documentaire, l’historien Xavier Vigna, professeur à l’université de Nanterre, revient sur le traitement de l’histoire ouvrière dans les médias.

Comment les médias traitent-ils habituellement l’histoire ouvrière ?


Il n’y a pas de discours des médias sur l’histoire ouvrière, ou quasiment pas. Il y a un discours, éventuellement, sur ce qu’ont été les organisations politiques (le Parti communiste essentiellement) ; on parle des grèves de 1936 de temps en temps. Sinon, on ne parle quasiment jamais, dans les médias grand public, des ouvriers et de cette histoire-là. Surtout si on la compare à l’histoire des «grands hommes», des guerres, et de plus en plus des rois de France. Cela reproduit un mépris de classe très ancien, très prégnant, et dont Emmanuel Macron est le parangon.

Sans compter le risque de tomber dans le misérabilisme ou le «pittoresque» ?

Oui, on veut faire pleurer. On va insister sur les conditions de vie épouvantables au XIXe siècle. Et on va présenter un tableau caricatural et doloriste, sans montrer ce qui a été constitué et construit par les ouvriers eux-mêmes. Je le vois par exemple quand je l’enseigne à mes étudiants : le mouvement pour l’autodidaxie, le mouvement pour l’accès à la culture, les formes d’organisation, le mouvement ouvrier comme le mouvement coopératif, tout ce que les ouvriers ont tenté de construire dans leur quartier, dans leur ville et à partir de leurs ressources propres, toute cette histoire est méconnue. Quand on en parle, les étudiants sont intéressés, pourtant ! Montrer l’importance, jusqu’à une date extrêmement récente, des usines dans les espaces urbains, c’est central, par exemple. Paris a longtemps été une ville très ouvrière, et les Hauts-de-Seine, n’en parlons pas…

Peut-on dire qu’il y a une invisibilisation de l’histoire ouvrière ?


C’est exactement le terme qui convient.

Et dans les productions culturelles aussi ?


Non, il y a beaucoup de textes, de documentaires qui en parlent. La question reste ensuite l’accès de ces productions aux publics. Je prends un exemple : Joseph Ponthus [interviewé dans le documentaire, ndlr] a publié l’an dernier le roman A la ligne, qui a connu un grand succès, qui parle de l’expérience d’un ouvrier en conserverie puis en abattoir. Le succès de ce livre montre qu’il y a un public possible.

L’histoire bourgeoise et militaire est souvent individualisée. L’histoire ouvrière est-elle, de son côté, toujours collective ?

Il y a bien des manières d’écrire l’histoire. Le dictionnaire Maitron contient des biographies de militants mais qui sont toujours tissées autour du collectif. On peut, en histoire ouvrière aussi, mettre la focale sur un homme ou une femme pour éclairer tout un pan de l’histoire sociale à partir d’une trajectoire singulière. Mais il est vrai que, traditionnellement, l’histoire ouvrière est plus une histoire sociale attentive à écrire des histoires collectives.

Dans le Temps des ouvriers, il y a des allers-retours permanents entre hier et aujourd’hui. Peut-on parler d’un phénomène homogène ou faut-il surtout faire attention aux contextes ?

C’est le choix de Stan Neumann de confronter les XVIIIe et XIXe siècles au présent, de manière à susciter la curiosité du spectateur. Je trouve que cette façon de faire est stimulante, car elle montre un certain nombre d’invariants (la subordination, le contrôle du temps, des gestes). Mais en même temps, il ne dit jamais que tout est toujours pareil.

Le temps est une problématique qui revient tout au long du documentaire. Est-ce quelque chose qui définit la condition ouvrière ?


Le temps est un enjeu de lutte entre le capital et le travail. La question de savoir combien de temps un patron pourra faire travailler ses salariés est une question cruciale car plus l’ouvrier travaille, plus les profits du patron peuvent être importants. Et inversement, le temps que peut soustraire l’ouvrier aux patrons est un temps qui libère, qu’il peut utiliser comme il l’entend. Il suffit d’entendre le chef du Medef dire «attention, il va falloir rattraper le temps perdu pendant la crise sanitaire» pour voir que c’est une question cruciale. C’est un mouvement de fond, qui n’est jamais interrompu. Le taylorisme, fondamentalement, c’est vouloir que le temps passé à l’usine soit un temps productif. En face, on s’y oppose, on veut reprendre son temps, on veut un autre rythme. Il y a des luttes à ce sujet, absolument passionnantes, qui commencent dès le XVIIIe siècle.

Est-ce le même problème pour les autres salariés ?


Ce qui est intéressant, c’est que les dispositifs de contrôle inventés dans les usines ont été étendus à d’autres univers de travail. Par exemple, l’ordinateur et l’univers numérique permettent à la direction de l’entreprise de contrôler le travail opéré par les salariés, et on veut aussi qu’il soit maximisé.

Les ouvriers non politisés apparaissent-ils dans l’histoire ouvrière ?

Il faut faire très attention à bien distinguer l’histoire ouvrière, comme histoire sociale, de l’histoire du mouvement ouvrier, comme histoire politique. Cette dernière va insister sur les luttes, les grèves et les combats. L’histoire ouvrière sociale, quand elle analyse le travail, le logement, les consommations, les loisirs, a comme sujet principal ces hommes et ces femmes «ordinaires», qui vivent leur vie, ne sont pas spécialement mobilisés et dont une bonne partie est conservatrice sur les questions de la propriété ou de la foi, par exemple. L’histoire sociale des mondes ouvriers, celle que j’aime et pour laquelle je plaide, elle prend en compte cette réalité-là.

Y a-t-il encore une conscience de classe aujourd’hui dans le monde ouvrier ?


La réponse immédiate que l’on pourrait faire, c’est non. Car les formes d’organisation qui portaient cette conscience ont disparu. En même temps, au risque de me tromper, même s’il y a eu une phase de repli, on est entré dans un cycle différent depuis quelques années. Les mouvements des gilets jaunes et des retraites, et la violence de la politique des gouvernements depuis une dizaine d’années ont contribué à ce que, dans le monde du salariat, il y ait des formes de réveil qui soient apparues. Un des problèmes reste la manière dont ces mouvements parviennent ou non à se cristalliser, mais j’ai le sentiment que dans les classes populaires, il y a une défiance et une opposition qui traduisent une forme de conscience de classe.

La question sociale semble revenir aujourd’hui au premier plan…

C’est une question politique de première importance en France. La vieille question sociale va être à l’agenda politique. Il y a une brèche qui est possible et dans laquelle les forces progressistes devraient s’engouffrer.

La crise sanitaire a-t-elle mis en lumière l’importance des classes populaires dans notre société ?


On a redécouvert que les paysans, le personnel soignant ou les ouvriers, étaient essentiels pour faire tourner le pays. Vitaux même. Et on s’est rendu compte que la localisation de l’appareil productif était un enjeu non pas simplement économique, mais politique, de souveraineté. C’est un formidable désaveu apporté aux politiques successives menées par la gauche socialiste et la droite depuis le milieu des années 80, qui ont abandonné l’appareil productif, spécialement l’appareil industriel. On en voit aujourd’hui les conséquences : la France est incapable, par exemple, de produire suffisamment de masques et de médicaments. Avec cette crise, le monde ouvrier a regagné en légitimité.
Damien Dole , Gabriel Pornet

https://www.liberation.fr/france/2020/0 ... se_1785708

Quelqu'un a-t-il vu ?
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par Gayraud de Mazars » 21 Avr 2020, 10:22

Salut Com,

Oui, c'est en ligne depuis ce jour, 21 avril 2020, sur Arte...

Voici le lien pour voir...

https://www.arte.tv/fr/videos/RC-019317 ... -ouvriers/

Au sommaire :

Le temps des ouvriers (1/4) - Le temps de l'usine

https://www.arte.tv/fr/videos/082189-00 ... riers-1-4/

Le temps des ouvriers (2/4) - Le temps des barricades

https://www.arte.tv/fr/videos/082189-00 ... riers-2-4/

Le temps des ouvriers (3/4) - Le temps à la chaîne

https://www.arte.tv/fr/videos/082189-00 ... riers-2-4/

Le temps des ouvriers (4/4) - Le temps de la destruction

https://www.arte.tv/fr/videos/082189-00 ... riers-4-4/

Fraternellement,
GdM
Dernière édition par Gayraud de Mazars le 21 Avr 2020, 10:38, édité 2 fois.
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par com_71 » 21 Avr 2020, 10:33

Gayraud de Mazars a écrit :Oui, c'est en ligne depuis ce jour, 21 avril 2020, sur Arte...


La question était, quelqu'un l'a-t-il vu ? ;)
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par Gayraud de Mazars » 21 Avr 2020, 10:38

Salut Com,

Oui, j'ai vu le premier, c'est très bien fait à mon sens, c'est très recommandable !

Fraternellement,
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par artza » 21 Avr 2020, 11:39

Et cet aprem. Com_71 peut pas...il a piscine!

Allez le vieux va s'y coller :D
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par com_71 » 21 Avr 2020, 11:53

Normal, je viens de prendre connaissance d'une étude statistique de l'INRIA : un être humain sachant nager a moins de chance de mourir noyé que d'être emporté par une grippe saisonnière.
:D
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par Gayraud de Mazars » 21 Avr 2020, 16:15

Salut camarades,

J'ai vu les 4 volets, c'est vraiment pas mal... Une ode pour notre chère classe ouvrière... Témoignages, chansons, textes, héros, qui parlent au coeur ! La classe ouvrière n'est pas morte, je l'ai retrouvé sur Arte !

Fraternellement,
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Le temps des ouvriers (1/4)Le temps de l'usine

Message par Proculte » 23 Avr 2020, 20:30

Du début du XVIIIe siècle à nos jours, Stan Neumann déroule sur plus de trois siècles l’histoire du monde ouvrier européen, rappelant en une synthèse éblouissante ce que nos sociétés doivent aux luttes des "damnés de la terre".

Dès le début du XVIIIe siècle, en Grande-Bretagne, une nouvelle économie "industrielle et commerciale", portée par le textile, chasse des campagnes les petits paysans et les tisserands indépendants. Pour survivre, ils doivent désormais travailler contre salaire dans des fabriques (factories) qui rassemblent plusieurs milliers d'ouvriers, sur des métiers appartenant à des marchands devenus industriels. C’est la naissance de la classe ouvrière anglaise. Le travail en usine, le Factory System, où seul compte le profit, impose aux déracinés une discipline et une conception du temps radicalement nouvelles. Avec la révolution industrielle de la fin du XVIIIe siècle, ils subissent un dressage plus violent encore, sous la loi de machines qui réduisent l’ouvrier à un simple rouage.
Surexploitée et inorganisée, cette classe ouvrière primitive, qui oppose à la main de fer de l’industrie naissante des révoltes spontanées et sporadiques, va mettre plusieurs générations à inventer ses propres formes de lutte, dans une alliance parfois malaisée avec les républicains anglais, inspirés par la Révolution française de 1789. Ses revendications sont sociales et politiques : réglementation du travail des enfants, salaires, durée du temps de travail, liberté syndicale, droit de grève, suffrage universel... Dans les années 1820, après des décennies de combats perdus, une classe ouvrière anglaise puissante et combative semble en mesure de faire la révolution.

Temps complet
La classe ouvrière a-t-elle disparu, ou simplement changé de forme, de nom, de rêve ? Conciliant l’audace et la rigueur historique, l’humour et l’émotion, le détail signifiant et le souffle épique, Stan Neumann (Austerlitz, Lénine, Gorki – La révolution à contre-temps) livre une éblouissante relecture de trois cents ans d’histoire. Faisant vibrer la mémoire des lieux et la beauté des archives, célébrissimes ou méconnues, il parvient à synthétiser avec fluidité une étonnante quantité d’informations. Les séquences d’animation, ludiques et inventives, et un commentaire dit par la voix à la fois présente et discrète de Bernard Lavilliers permettent de passer sans se perdre d’un temps à l’autre : celui du travail, compté hier comme aujourd’hui minute par minute, celui des grands événements historiques, et celui, enfin, des changements sociaux ou techniques étalés parfois sur plusieurs décennies, comme le processus de légalisation des syndicats ou du travail à la chaîne. En parallèle, le réalisateur donne la parole à des ouvriers et ouvrières d’aujourd’hui et à une douzaine d’historiens et philosophes, hommes et femmes, "personnages" à part entière dont la passion communicative rythme le récit. On peut citer Jacques Rancière, Marion Fontaine, Alessandro Portelli, Arthur McIvor, Stefan Berger, avec Xavier Vigna comme conseiller scientifique de l’ensemble des épisodes. Cette série documentaire virtuose, où l'expérience intime coexiste avec la mémoire collective, au risque parfois de la contredire, révèle ainsi combien nos sociétés contemporaines ont été façonnées par l’histoire des ouvriers.

Disponible du 21/04/2020 au 26/06/2020
Prochaine diffusion le mardi 28 avril à 21:00 ARTE
Proculte
 
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par com_71 » 23 Avr 2020, 21:30

Gayraud de Mazars a écrit :J'ai vu les 4 volets, c'est vraiment pas mal... Une ode pour notre chère classe ouvrière... Témoignages, chansons, textes, héros, qui parlent au coeur ! La classe ouvrière n'est pas morte, je l'ai retrouvé sur Arte !

À partir des années 30 ça se gâte quand même. Juin 36, on ne sait plus bien qui a fait grève, les ouvriers ou le gouvernement. L'Espagne, les anarchistes manient les bombes, d'ailleurs ça fait partie des enseignements de Bakounine... 68, c'est la violence ouvrière. Pourquoi pas, sociologues et historiens ont le droit d'être borgnes. L'un d'eux à la fin se refuse à être prophète. Heureusement !
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Re: Sur Arte, le temps de la classe ouvrière

Message par artza » 24 Avr 2020, 06:22

Une remarque étonnante
"Hongrie 56...la dernière fois en Europe où on vit la classe ouvrière les armes à la main".

D'ordinaire il y a un large accord du PCF à l'extrême-droite "une révolte anti-communiste".
artza
 
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