L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Cyrano » 29 Jan 2024, 13:49

Dans le Misanthrope de Molière, Alceste disait que le poème d'Oronte, était une curiosité:
Franchement, il est bon à mettre au cabinet.
Vous vous êtes réglé sur de méchants modèles,
et vos expressions ne sont point naturelles.


J'ai bien aimé la vacherie (surjouée? quoique…) avec laquelle Trotsky critique une petite brochure destinée à l'éducation du soldat rouge… Alceste est un gentil, à côté.
C'est dans le volume 2, c'est un texte paru dans un journal, en janvier 1919:
PS: Le Misanthrope était joué au théâtre Korch, à Pétrograd, durant ce début d'année 1919.
La section d’enseignement général, près du département militaire du Comité central exécutif, vient de publier un premier livre dc lecture destiné aux soldats. Je ne sais qui a rédigé cc livre, mais clairement il s’agit de quelqu’un qui, premièrement, ne connait pas les destinataires de son livre, deuxièmement, ne maitrise pas les sujets qu’il traite et troisièmement n’est pas familier avec la langue russe. Ces qualités sont insuffisantes pour un premier livre de lecture destiné à nos soldats.

En guise d’introduction à cet ouvrage de trente-deux pages, un «Mémorandum pour le soldat et le révolutionnaire». Alors que chaque mot devrait y être pesé avec soin, il est rédigé en une langue affreuse. «Une poignée de généraux et dc ministres ont foule aux pieds les ossements (!!!) de millions de soldats qui livrèrent bataille». Comment peut-on piétiner les ossements des personnes qui se rendent au combat ? «Dans les villages, ni pain ni verre de lait, tout avait été livré aux propriétaires et à leurs chiens (!!!)», «Le diabolique fabricant cupide a dilapidé des millions à l'étranger, mais si le travailleur demandait quelques (!!!) fifrelins, il était impitoyablement abattu. La conclusion déclare au nom du soldat : «Outre la force, j’aurai besoin d’une seconde force, la connaissance et l‘alphabétisation». A l'évidence, l’auteur voulait dire : «Outre la force des armes, j’ai besoin d‘une autre force : la connaissance et l'alphabétisation». L’auteur a simplement oublié que «la force de l’alphabétisation » est également nécessaire à ceux qui rédigent les manuels.
Parmi les aphorismes, dans la deuxième partie, nous trouvons quelques perles comme : «Il réfléchit et réfléchit, et pensa à quelque chose» ou, «Un soldat sans armes est pire qu‘une vieille femme», etc.

Là, les auteurs sont habillés pour l'hiver, comme on dit – et l'hiver russe est rude. Poursuivons avec quelques autres extraits du même article.
Le meilleur de tout restent les petits articles anonymes: Le globe terrestre, La richesse, Les différences sociales, La terre nourricière, et j‘en passe. Nous lisons ceci : «Le monde appartient à tous et doit être partagé à égalité entre tous.» L'auteur n'explique pas comment le monde doit être partagé équitablement ni en combien de parties.
[…]
Quant aux «différences sociales», l’auteur les récuse, sans que nous comprenions pourquoi. En conclusion, il recommande à l’humanité entière de suivre «le chemin bien lisse de l'uniformité (!) et de l’égalité».
[…]
En page 20, nous trouvons un hymne à l’Armée rouge, signé Nicolas Germachev. On y lit: «ll fait toujours sombre au-dessus de la terre, partout pas assez dc lueurs pour voir... » (d’ailleurs par qui et quand cc glorieux titre d’hymne fut-il accordé à Germachev?)
D’abord, ce n’est pas du russe : on ne dit pas «on ne voit partout aucune lueur», mais «on ne voit nulle lueur». De plus, un poète révolutionnaire ne se permettrait jamais de définir ainsi notre époque. Ces mots auraient à la rigueur leur place dans les années 80, mais sont déplacés durant notre époque tumultueuse.

Pointilleux, le monsieur, sur sa langue, comme d'autres sur la langue française. Ça devrait plaire aux instits' en retraite qui d'aventure oseraient fréquenter le forum. Justement, tiens, on arrive à la langue française:
Cerise sur le gâteau, un extrait dc Guy de Maupassant repris dans le manuel devient prétexte à le recommander comme chantre «des souffrances éternelles de la fraction la plus pauvre de l'humanité, notamment du prolétariat français». Maupassant chantre des souffrances du prolétariat français? Est-ce possible? Dérision? Moquerie? De qui se moque-t-on?

Mais alors, que faire, monsieur le professeur Léon? Il conclut ainsi:
Composer un livre dc lecture, plus encore, un premier livre de lecture à l’intention des soldats, est une tâche difficile et impose une lourde responsabilité. Il importe de choisir des extraits ct des oeuvres avec une grande attention et du flair littéraire et psychologique. Et, surtout du hon sens. il faut choisir des classiques ou en tout cas des ouvrages connus. A mon avis, ni le camarade Germachev ni l‘auteur anonyme qui recommande un partage en parts égales de la terre, comme une poire, ne sont des classiques. Ils doivent eux-mêmes s’instruire avant d’en instruire d‘autres. Voilà pourquoi ce Premier livre de lecture ne vaut pas un clou.

Pas un clou, OK? Bref, à mettre au cabinet.Bon, bin, ça c'est fait. Il aurait pu rajouter les trois préceptes de Cicéron mais ne soyons pas plus royaliste que le bolchévik (si je peux me permettre cette formule hardie).
Cyrano
 
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Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Gayraud de Mazars » 29 Jan 2024, 15:31

Toujours d'un excellent niveau notre ami Cyrano et si passionnant ! :)
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Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Cyrano » 29 Jan 2024, 17:15

Les volumes 2 et 3 sont les volumes ayant le plus de textes ou discours ou rapports, datés du cœur de la guerre civile. Mais fallait d'abord construire une armée. J'ai deux textes qui me semblent résumer la tâche que ça présume.

Page 201 du tome 3:
Construire une véritable armée, c'est-à-dire créer un appareil complexe d’administration militaire; enrôler la population selon le principe des classes d’âge pour la conscription ; mobiliser les classes qui n‘exploitent pas les autres; lutter de manière circonstanciée contre les manquements au devoir militaire; choisir l’effectif de commandements approprié, le contrôler ; former, souder et éduquer les unités militaires ; les rassembler dans des formations à l’échelon supérieur ; rester patient face aux revers, les corriger par l'expérience est une tâche difficile et banale dans ses détails...
Ne pourrait-on pas tromper l'histoire en la capturant par des applaudissements, en la contournant par ses flancs arrière et un petit détachement dc guérilla ? Telle est le fond de la pensée secrète du petit-bourgeois révolutionnaire. ll se moque de la science militaire, des exigences techniques, du système, des spécialistes militaires, des structures et des règlements. ll promet de remplacer tout cela par l'improvisation révolutionnaire. Il finit par prendre dans la figure, le premier râteau sur lequel il marchera.

Ça doit faire mal, ça, un râteau dans l'pif.
On retourne en arrière? Dans un rapport sur la création de l'Armée rouge, en juillet 1918, Trotsky détaillait aussi l'appareil administratif militaire à mettre en place. C'est en page 332 et suivantes du volume 1:
Actuellement, avant toute autre chose, nous devons créer un appareil d’administration militaire dans les cantons, districts, provinces et régions. Je ne parle même pas des commissariats dc canton : ils n’existent que dans un nombre infime dc cantons. Mais même les commissariats de districts ne sont pas organisés partout et complètement, ne disposent pas toujours de spécialistes. Même les commissariats de province sont souvent boiteux, et parfois des deux pieds: ils n’ont pas de collaborateurs compétents, de commissaires solides et en nombre suffisant. Et faute de tout cela, camarades, il est bien entendu que nous ne créerons pas d‘armée.

Trotsky s'intéresse à tout. Quelque part, il rappelle que Napoléon supervisait tout (dans les volumes 4 ou 5), lui, il fait pareil. Par exemple, en octobre, pour l'hiver qui arrive, il réclame des vêtements chauds en détaillant tout «sans négliger la plus modeste possibilité» et en clamant:
«Jamais encore notre victoire n'a dépendu autant qu'aujourd'hui de l'aiguille du tailleur et de l'alène du cordonnier

En lisant le tome 4 et 5, j'me disais, pfff, mouaih… le côté administratif, on y pense à la fameuse remarque de Lénine: «un engouement exagéré pour le côté purement administratif des chose». Ottokar, lui aussi, commer moi : «quand Lénine reproche à Trotsky d'être parfois "trop attaché au côté administratif des choses", c'est un peu ce qu'on ressent malgré tout

Mais, finalement, après avoir lu ces cinq volumes, je m'enhardis, je me dis que peut-être que Lénine aurait dû s'intéresser un peu plus au côté purement administratif des choses, et descendre jusqu'aux plus modestes possibilités de l'organisation des choses. Lénine ne s'est pas rendu une seule fois sur le front de la guerre civile : il passa ses journées dans son bureau pendant quatre ans, il ne sortait pas de Moscou (sauf pour prendre des repos forcés).
Trotsky a crée une armée de quelques millions de soldats en partant de bataillons de gardes rouges enthousiastes. Il lui fallait avoir une vision de toute la machinerie, le côté administratif, tout ça.
Ce côté administratif, c'est des histoires d'appréciation qui sont bien délicates à juger.
Cyrano
 
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Message par Cyrano » 29 Jan 2024, 17:16

et merci à Gayraud, pour sa lecture attentive et suivie.
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Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Gayraud de Mazars » 29 Jan 2024, 18:26

Salut camarade Cyrano,

Ce qui me surprend toujours après ces lectures, c'est que Trotsky n'était pas un militaire, pas un soldat, ni un homme de guerre, seulement un dirigeant révolutionnaire, pourtant il a su forgé une Armée Rouge de millions d'hommes, avec presque rien au départ, et la mener à la victoire contre les blancs et les armées impérialistes, sur un front de 8 000 km, c'est prodigieux !

Fraternellement,
GdM
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Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Cyrano » 29 Jan 2024, 19:30

Oui, Gayraud, un front un peu étendu! On a page 212 du volume 3, Un texte publié en août 1920, dans le bulletin En route, donne une idée du front. Trotsky a une formule saisissante pour illustrer les années 1918-1920: «la Russie soviétique n‘avait que des fronts et pas de frontières.»
En 1918-1919, la Russie soviétique n‘avait que des fronts et pas de frontières. Le nord était entre les mains dos Blancs qui menaçaient Vologda et même Petrograd. Le front est (de Koltchak) traversait l’Oural et même la Volga. A l’ouest, nous étions en état de guerre ouverte ou larvée avec la Finlandc, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et la Roumanie. Au sud, le front de Denikine dépassait Orel. Un soul ct même ennemi menait la guerre sur tous les fronts : l’impérialisme des pays de l’Entente. Mais aucun de ces pays ni l'Angleterre, ni la France, ni les Etats-Unis n'avait Ia possibilité d’envoyer contre nous sa propre armée : les masses laborieuses ne l’admettraient pas. Aussi les impérialistes recourent-ils à des détours dans leur combat contre nous : d’un côté ils aidèrent les gardes blancs russes à s'emparer d‘une partie de notre littoral : sur la Mer Blanche, sur 1’Ooéan Pacifique, sur la Mer Noire, et sur Ia Mer Caspienne, et ils constituèrent ainsi dos théâtres d’opérations pour les gardes blancs, soit autant de tumeurs malignes sur l'organisme soviétique ; d’un autre côté, les impérialistes de l’Entente lancèrent contre nous les gouvernements bourgeois des petites nations périphériques sorties de l'ancienne Russie tsariste.
Cyrano
 
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Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Cyrano » 02 Fév 2024, 14:41

Gayraud : «il [Trotsky] a su forger une Armée Rouge de millions d'hommes, avec presque rien au départ, et la mener à la victoire contre les blancs et les armées impérialistes, sur un front de 8 000 km, c'est prodigieux!»
Il a forgé. Et ils ont forgé. Sur l'étendue de ce front dont tu parles, il en a fallu des talents, des initiatives, et du courage.
Mais pourquoi l'Armée rouge a-t-elle gagné?... A un moment, tout semblait presque perdu (même pour certains bolchéviks) mais l'Armée rouge a gagné.
Idée saugrenue? On va voir ce qu'en disent ceux qui ont perdu. Je prends ça dans le livre de Jean-Jacques Marie, La guerre des Russes blancs 1917-1920. 540 pages, y'a de quoi lire. Je vais tout de suite au dernier chapitre: "Pourquoi ont-ils perdu? Les raisons de la défaite", pages 446 à 481.
Jean-Jacques Marie résume:
Les généraux se sentaient d’autant plus assures de la victoire qu’ils avaient, pour la plupart, une vision simpliste et caricaturale de la révolution : des agents allemands ou des francs~maçons juifs, les uns et les autres étrangers au peuple, avaient provoqué, puis utilisé la démoralisation de l’armée pour prendre le pouvoir à la tête d’une «populace» ivre de pillage.

Ces généraux blancs ont souvent cru qu'ils allaient porter le coup de grâce à ces salopards de bolchéviks. Combien d’ordres du jour répètent par exemple celui du général Bakitch déclarant le 11 juin 1919 :
Les ennemis de notre Grande Patrie, les communistes et leurs commissaires, vivent leurs derniers jours, entourés de tous côtés par le cercle d’acier formé par des hommes fidèles et dévoués, qui se sont dressés pour rétablir en Russie la vérité et 1’ordre, et qui sacrifient leur vie pour chasser de ses frontières les traitres et les destructeurs du peuple.

C'est pour avoir si souvent cru que ça y était, les rouges allaient plier, le grand massacre régénérateur allait commencer, c'est pour ça que la défaite fut amère – et que les blancs vont chercher les raisons de leur défaite, et chacun d'y aller de ses raisons.
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Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Cyrano » 02 Fév 2024, 14:43

La défaite des blancs… Jean-Jacques Marie expose toutes les raisons possibles avancées par les blancs.
Certes, il y a l'effort des alliés jugé insuffisant qui étaient plus préoccupés par les échos de la révolution russe dans leur propre pays; mais il y a aussi… les faux alliés qui les auraient trahis, les SR, cet allié-ennemi qui était, selon un membre de l'état-major de Denikine, «Partout au milieu de nous comme un loup recouvert d'une peau de brebis

Il y a cette Armée rouge avec une supériorité numérique évidente sur le papier. Mais l'Armée rouge ne mobilisera au mieux, au même moment, que 900.000 combattants- – avec, bien sûr des réserves dont ne disposaient pas les blancs. Denikine écrit que sa cavalerie de l'Armée des volontaires était pourtant plus nombreuse que celle de l'Armée rouge mais il avoue que sa cavalerie était «privée de volonté et d’audace, ne croyant pas en ses propres forces, elle esquivait tout combat sérieux». Quand le moral va mal…
Les soldats des blancs ne valent pas toujours non plus. Sokolov de l'armée blanche du nord écrit:
Pourquoi ces soldats penchaient-ils vers les bolcheviks ? Car, enfin, ils voyaient clairement que les bolcheviks ne remplissaient pas leurs promesses, que les slogans bolchéviques étaient de la poudre aux yeux. Ils le savaient. Et enfin ils recevaient ici une ration quotidienne abondante, et voyaient la misèe et la famine qui régnaient de 1’autre côté du front; pourtant ils étaient animés par un sentiment plus fort que ces biens matériels : la haine des "maitres".

Quand la haine sociale vient de loin…
Un officier de l'Armée des volontaires raconte: il sait que la compagnie d'infanterie qui est en place dans un village est bien une compagnie blanche. Que nenni. Un cosaque l'informe: «Elle n’est plus des nôtres, lui rétorque tranquillement un cosaque de garde – comme s’il signalait un incident banal. Ils ont tué les officiers et sont passés chez les Rouges.» Quand ça veut pas, ça veut pas.
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Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Cyrano » 02 Fév 2024, 14:46

Toujours la défaite des blancs, avec toujours le livre de Jean-Jacques Marie…

Et puis, tous ces généraux qui voulaient libérer… libérer quoi au fait? La Russie? Le peuple? Bref, au-dessus des mesquineries politiques. Comme Denikine, chef de l'Armée des volontaires, qui s'était entouré uniquement… de gens les plus à droite possible, pas très peuple. Et pour s'allier le peuple, Denikine ne trouve pas mieux que déclarer: «Dans la situation pesante, maladive où nous vivons, quand ne restent de la Russie que des lambeaux, ce n’est pas le moment de régler les problèmes sociaux.» Des mots qui ne vont pas aider à mobiliser les paysans. Timochenko rappellera pourtant à Denikine qu'une guerre civile est avant tout... une guerre sociale.
Foin des mesquineries politiques, des aspirations sociales incompréhensibles, vive la grande Russie une et indivisible, bref la Russie impériale.
Jean-Jacques Marie écrit:
Le général Chkouro fait de cette exigence acharnée à rétablir la Russie une et indivisible l’une des raisons de l’échec final : «Ce slogan, écrit-il, était désormais interprété au quartier général dans le sens le plus étroit, c’est-a-dire comme la négation de la structure fédérale de l’Etat; cela engendra l’impossibilité de s’entendre avec Petlioura, puis déboucha sur la lutte armée avec lui, les malentendus avec la Rada du Kouban et avec la Géorgie, les heurts sanglants avec le Daghestan et avec l’Azerbaïdjan, l’hostilité dans les relations avec la Pologne, etc. Tout cela divisa les forces et les moyens de l’armée, engendra la nécessité de maintenir de fortes garnisons sur nos arrières et fit obstacle à la constitution d’un front antibolchévique uni
Cette exigence a, en particulier, dressé l’Assemblée et les cosaques du Kouban contre Denikine et contribué à sa défaite.
Wrangel, aussi sévère, dénonce l’accumulation d’adversaires que cette politique impériale a ligués contre les Blancs : «On faisait la guerre aux bolcheviks, on faisait la guerre aux Ukrainiens, aux Géorgiens et aux Azerbaïdanais, et il s’en est fallu de très peu qu’on ne fit la guerre aux cosaques. Apres avoir proclamé la Russie une, grande et indivisible, on a fini par diviser toutes les forces russes antibolchéviques et toute la Russie en quantités d’entités gouvernementales hostiles les unes aux autres

Avec les armées blanches, il y avait pourtant une revendication sur l'exigence de la terre, mais c'était les grands propriétaires qui réclamaient «que la terre soit rendue à ses anciens propriétaires.»
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Re: L. Trotsky, Comment la révolution s'est armée.

Message par Cyrano » 02 Fév 2024, 14:50

Encore avec les blancs… qui manquent de tribuns. Pas d'équivalence de Zinoviev ou de Trotsky, de Bonaparte et autres dans les rangs des blancs. Une méconnaissance évidente de l'adversaire et de ses réalisations que les gens, eux, ont entendu parler. Il manque aussi un penchant pour les aspects administratifs des choses, alors qu'en face… – pas la peine de faire un dessein.
L'incapacité à soulever les foules de paysans ou autres vient aussi de ce que la foule ressent. C'est pas dit – surtout pas, pas affirmé – jamais de la vie, mais derrière tout ça, les gens devinent ce qui anime ces chefs blancs : la réhabilitation de la monarchie et de ses règles. Jean-Jacques Marie rappelle l'excellent mot d'Emile de Girardin:
un drapeau que l'on cache est un mouchoir.

Contre ces blancs, les Rouges diraient que le bolchévisme était une nécessité historique? Jean-Jacques Marie laisse le dernier mot à Denikine:
Denikine, lui, trouve une explication plus rationnelle. Le tome 3 de son énorme ouvrage sur la guerre civile s’ouvre par ces lignes à la résonance étrange dans la bouche du chef de 1’année des Volontaires : «Au fil du temps l'histoire nous découvrira les racines du bolchévisme, ce phénomène énorme et effrayant, qui a écrasé la Russie et ébranlé le monde; elle définira les causes lointaines et proches de la catastrophe, cachées dans le passé historique du pays, 1’esprit de son peuple, et les conditions sociales et économiques de son existence. Dans la chaîne des événements qui ont frappé les contemporains par leur caractère totalement inattendu, sa perversité cruelle et leur inconséquence chaotique, l'histoire trouvera un lien serré, une sévère cohérence, voire une nécessité tragique»

Voilà! J'ai trouvé pertinent de voir un peu quelle était la vision des blancs face à cette Armée rouge dont on a suivi la construction en 5 volumes. Et vous? Z'en pensez quoi?
Cyrano
 
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