le bouquin de Picquet

Message par Barnabé » 10 Déc 2003, 23:31

Dans Rouge cette semaine, la critique du bouquin de Picquet:
a écrit :"La République dans la tourmente. Essai pour une gauche à gauche, Christian Picquet, Syllepse, 226 pages, 16,50 euros.
L'actuelle littérature politique se déploie le plus souvent selon deux lignes de fuite : l'analyse sectorielle et conjoncturelle, non sans danger de dispersion, et la théorisation spéculative, menacée de perdre prise avec le concret. Le grand mérite du livre de Christian Picquet est de résister à cette double attraction. Pour travailler à une synthèse ambitieuse des données de la période, orientée selon une perspective militante : la nécessité d'un projet alternatif à la droite réactionnaire et aux impasses du social-libéralisme. A cette fin est indispensable une problématique suffisamment intégratrice pour articuler les divers champs étudiés, et ceux-ci à la dynamique transformatrice revendiquée.  Christian Picquet propose celle de la République , "non en ses formes instituées mais dans ses principes aussi prometteurs que jamais aboutis".  Et c'est en cela qu'il risque d'essuyer bien des reproches, au risque que se trouvent relativisées, voire oubliées, bien des questions soulevées par le livre qui appellent réflexion et débat.
Et d'abord la question du Front national. Si généralement tout à chacun y va de son explication, aussi définitive que peu étayée, l'auteur souligne au contraire une "indéniable difficulté à identifier" l'objet. Constat à partir duquel il devient possible de contester les facilités de la notion de "populisme", et de prendre l'exacte mesure de cette force politique qui prône la "préférence nationale" : un fascisme.
Des analyses, avivées par les enseignements du 21 Avril, sont proposées des diverses crises que nous traversons: de la société française, de la droite, des institutions, du mouvement ouvrier... Elles conduisent à une réflexion largement partagée quant à la nécessité de dégager une issue à la crise de la gauche. "Comment changer la donne globale à gauche ?" Telle est bien, en effet, la question qui domine notre présent militant et qui est au coeur du livre.
Le souci de rechercher, non un "modeste rééquilibrage", mais un "changement du centre de gravité de la gauche", conduit légitimement à embrasser celle-ci dans sa totalité, avec toutes ses contradictions, et à proposer une orientation radicale, renouant le "fil rouge de la lutte des classes". L'ambition d'en appeler à une "convergence des forces anticapitalistes et antilibérales" implique de ne pas se borner au rassemblement de la seule extrême gauche. Elle amène aussi à soulever des problèmes de portée stratégique : la nécessité d'occuper "tout l'espace de la transformation sociale, celui de la “réforme” autant que celui de la “révolution”", les questions de la démocratie, placée "au coeur des moyens et des objectifs du changement social" et de l'autogestion...
Autant de questions qui, souvent débattues sinon unanimement partagées, nourrissent ce riche Essai pour une gauche à gauche. En revanche, la problématique républicaine, qui donne son titre à l'ouvrage, apparaît originale, et par là plus contestable. Elle vise à fournir, sous l'autorité de Blanqui, la cohérence d'une continuité historique entre les origines de notre combat et son avenir: l'exigence de la souveraineté du peuple. On admettra également volontiers qu'elle éclaire des passions politiques toujours bien vivantes. Et toujours promptes à précipiter dans la rue le peuple de gauche : lorsque la liberté et la justice apparaissent menacées, les mobilisations citoyennes ne manquent pas, qui viennent périodiquement confirmer la puissance de ce ressort. Mais la question à débattre est de savoir si, face aux surdéterminations d'un capitalisme mondialisé, et lorsque pèse le poids écrasant des catastrophes auxquelles ont conduit les expériences prétendument socialistes, ce "singulier rapport qu'entretient dans ce pays le peuple de gauche avec la République", pour incontestable qu'il fût, représente la clé d'une refondation du projet d'émancipation.

Francis Sitel
Barnabé
 
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Message par com_71 » 10 Déc 2003, 23:43

a écrit :la question à débattre est de savoir si, face aux surdéterminations d'un capitalisme mondialisé, et lorsque pèse le poids écrasant des catastrophes auxquelles ont conduit les expériences prétendument socialistes, ce "singulier rapport qu'entretient dans ce pays le peuple de gauche avec la République", pour incontestable qu'il fût, représente la clé d'une refondation du projet d'émancipation.


Ben, dis-donc !
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par Louis » 10 Déc 2003, 23:47

ben quoi ? ils l'ont pas fait critiquer par barikad, son bouquin... Mais meme a fleuret moucheté, je trouve que ça atteint bien sa cible...
Louis
 
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Message par Louis » 10 Déc 2003, 23:59

tu vois, cher byrrr, ca te fait du mal de ne pas lire ce que je dis depuis quelques mois, sinon tu n'aurait pas dit une telle sotise ! :247:

En ce qui concerne ce livre, j'en ai dit deux trois mot (mais pas plus, parce que je l'ai rapidement feuilleté) sans l'avoir voulu, en plus puisque c'est un coup (et un sale coup) de faupatronim je vais essayer de te retrouver cette contribution essentielle...
Louis
 
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Message par Barikad » 11 Déc 2003, 00:06

(LouisChristianRené @ mercredi 10 décembre 2003 à 23:47 a écrit : ben quoi ? ils l'ont pas fait critiquer par barikad, son bouquin... Mais meme a fleuret moucheté, je trouve que ça atteint bien sa cible...
Ben, j'aurais pas pu de toute maniere, pas le temps: je suis en pleine relecture du "Renegat Kaustky" :D :D :D
Barikad
 
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Message par Louis » 11 Déc 2003, 00:16

pourtant, parait que ça se lit comme un polard...
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Message par Louis » 11 Déc 2003, 01:12

quel jeu de mot laid ! y'a pas plus révérencieux que moi Et j'aime bien la littérature noire !
Louis
 
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Message par Barnabé » 08 Fév 2004, 22:29

Dans le dernier numéro d'Aventi:
a écrit :
La République dans la tourmente de Christian Picquet : une critique

"Ses revendications politiques ne contiennent rien de plus que la vieille litanie démocratique connue de tout le monde : suffrage universel, législation directe, droit du peuple, milice populaire, etc[…]Cette espèce d' « Etat de l'avenir », c'est un Etat bien actuel"
Karl Marx, Gloses marginales au programme du Parti Ouvrier allemand

Voici plusieurs années qu'il est redevenu à la mode de se proclamer « républicain ». De Mégret au PT en passant par Sarkozy, Hollande ou l'inénarrable Chevènement, chacun s'affiche désormais comme le meilleur défenseur de la République et de ses valeurs. A cette empoignade s'est maintenant joint notre camarade Christian Picquet. Son dernier livre La République dans la Tourmente (Essai pour une gauche à gauche) entend en effet montrer que les valeurs de la République, mises en danger par le patronat et le néofascisme, guident la résistance des travailleurs au libéralisme, et qu'il revient à la gauche d'en réaliser les promesses.
Dès les premières pages la thèse de la « révolution inachevée » est revendiquée. La République française ne s'est imposée « qu'à la faveur de grands mouvements sociaux (…) au travers desquels se forgera le mouvement ouvrier contemporain ». En revanche ce sont des élites que sont venues les tentatives de la renverser. « Pour cette raison, la République ne sera jamais apparue comme la simple enveloppe politique de la domination capitaliste ».
Dans les chapitres suivants du livre sont examinés les dangers qui menacent la République en France, suivant une analyse couvrant essentiellement les vingt dernières années : crises de projet des partis de gouvernement traditionnels, nouvelle modernité du fascisme. Sur ce dernier point un chapitre entier, riche de données et de réflexions.
Pour parer à de nouveaux séismes qui « laissent augurer de nouvelles percées du néofascisme » (p.106), notre camarade recommande de « changer de République » (p.113) : abolir l'institution présidentielle, redonner plus de pouvoir au parlement, lui subordonner l'exécutif, instaurer la révocabilité des élus, la transparence… Cependant, ajoute-t-il la République continuerait à souffrir d'inachèvement si elle ne devenait pas aussi une « République sociale ». Il conviendrait pour que la démocratie s'étende au domaine de l'économie, du travail, de mélanger services publics refondés et institutions autogestionnaires.
« Le cadre des États-nations n'est pas actuellement dépassable » (p.157) continue notre camarade, il ne faut donc pas être surpris si, dans le plan du livre, ce n'est que maintenant que la République Sociale française autogérée est constituée, que la question internationale, en l'occurrence européenne, est posée. Notre camarade constate que les traités et le projet de constitution de l'union européenne ont vu la disparition progressive de l'« Europe sociale » défendue par les sociaux-démocrates. Des ruptures sont nécessaires « avec les traités, avec le Pacte de stabilité, avec l'indépendance de la Banque centrale, avec une conception impérialiste de la relation au monde passent inévitablement par une crise de la construction européenne actuelle. »
Pour tout cela il faut donner une expression à la lutte des classes, « changer de gauche » : nous sommes alors de retour dans le cadre national. Un nouveau parti devra donc apparaître, pour « faire le pari d'une clarification sur le long terme d'une série d'aspects relevant de la stratégie et du projet » (p.193).

La République : késako ?
Le mot ne doit pas obscurcir la chose : partout en Europe, y compris dans les pays qui se déclarent officiellement des monarchies, ce n'est pas la « république », mais la démocratie parlementaire ou démocratie bourgeoise (avec suffrage universel, liberté d'association, liberté de la presse) qui a peu à peu remplacé, depuis deux siècles, les formes aristocratiques de gouvernement. C'est elle qui fut le résultat de la révolution mondiale commencée à la fin du dix-huitième siècle. C'est l'instauration tumultueuse de la démocratie parlementaire en France aussi, et non celle d'une « république » abstraite, qui fut le grand progrès du dix-neuvième siècle.
C'est bien le premier danger du fétiche républicain que de faire croire à une spécificité française. Un mélange de fierté nationale et de pessimisme opportun ont rendu populaire chez les penseurs de la gauche médiatique le lieu commun selon lesquels on n’aurait qu'en France une conception très spécifique des services publics ou la laïcité de l'Etat, et que cela serait dû aux valeurs républicaines. C'est une fable qui ne résiste pas à l'examen : les sujets des monarchies scandinaves, espagnole ou britannique savent parfaitement ce que veut dire un service public des transports ou de la santé, et considèrent très largement que la religion ne doit pas jouer de rôle en politique. Malheureusement Christian Picquet a laissé son horizon se réduire par ce discours. S'il avait reconnu que la question qui se pose dans les pays capitalistes avancés aujourd'hui de façon massive n'est pas celle de la République, mais bien celle de la démocratie parlementaire et de sa légitimité – partout la participation aux scrutins faiblit comme la confiance envers les gouvernants – il aurait évité l'erreur pénible de proposer tout une série de réformes dessinant les contours d'une république socialiste en France tout en négligeant complètement la nécessité de l'alliance des prolétaires par-delà les frontières pour affronter le capital international. D'ailleurs – mais c'est la conséquence ultime de cette erreur – l'appropriation sociale est certes proposée comme un but souhaitable, mais la résistance que la bourgeoisie internationale pourrait lui opposer sont complètement tues. Notre camarade pense-t-il que l'appropriation sociale peut se faire dans un seul pays, à coup de référendums constitutionnels et de circulaires administratives ?

Une révolution achevée
Si la démocratie parlementaire s'est imposée dans tous les pays capitalistes avancés, ce n'est pas un hasard : l'accumulation du capital par les différentes bourgeoisies européennes, la modification du mode de production qu'entraîna celle-ci (la révolution industrielle, l'extension du capitalisme aux dépens des modes de production féodal et artisanal) firent exploser des Etats dont la fonction était de perpétuer la fixité héréditaire des rapports sociaux. Le pouvoir du capital ayant remplacé le pouvoir de l'hérédité, il fallait qu'un régime s'instaure qui reconnaisse l'égalité entre les citoyens « abstraits » c'est à dire considérés en-dehors de leur rapport au capital.
Il est certain que l'alliance de la bourgeoisie avec les autres classes contre l'aristocratie et le clergé n'alla pas sans conflits internes. Mais il est complètement faux de prétendre que la république démocratique n'est pas une œuvre bourgeoise, qui témoigne encore aujourd'hui du rôle progressiste éminent que joua cette classe.
Notre camarade passe ainsi sous silence les Paine, les Jefferson, les Tocqueville qui sont encore aujourd'hui des références incontournables pour les idéologues bourgeois. C'est pourtant bien parce que la bourgeoisie est profondément imprégnée de cette idéologie libérale qu'elle n'a aucun mal à se proclamer la meilleure défenderesse de la démocratie. Que la bourgeoisie ait été une classe révolutionnaire, que la république démocratique soit la forme politique qui correspond le mieux à sa domination, Marx l'avait déjà compris à une époque où la grande quantité de régimes autoritaires en Europe pouvait donner quelque crédit à l'idée qu'il suffisait de parfaire la démocratie bourgeoise pour en faire une démocratie prolétarienne. Il est curieux de voir notre camarade renoncer à cette partie de l'héritage marxiste – sans même expliquer pourquoi.
Il est vrai que nous devons favoriser tout ce qui permettrait l'approfondissement de la démocratie existante : représentation proportionnelle, contrôle accru de l'exécutif par les élus, démocratie participative, liberté d'expression, transparence etc. L'appétit pour la démocratie vient en mangeant, et tout ce qui peut faire que nos citoyens contrôlent effectivement leurs représentants, que ce n'est donc pas la corruption ou la professionnalisation de ceux-ci qui sont la raison de l'incapacité de l'Etat bourgeois à confronter le pouvoir du capital est un pas dans la bonne direction. Mais même en additionnant toutes ces mesures on ne parviendra jamais qu'à une constitution du genre de celle de la Suisse !
Oui, la démocratie est bien au cœur du projet socialiste. Il est heureux que la LCR réfute le schéma de l'avant-garde de révolutionnaires professionnels prenant le pouvoir au nom du prolétariat, et exerçant la dictature en son nom (et à ses dépens). Mais quand des camarades laissent entendre que le budget participatif, le contrôle du législatif sur l'exécutif ou encore l'élection d'une assemblée constituante en Europe sont des mesures de lutte contre le pouvoir du capital, on ne peut que s'émouvoir. Quand Christian Picquet en arrive enfin à la question de l'appropriation sociale, il commence par invoquer l'autogestion en suggérant la possibilité formidable que « des assemblées territoriales élues au suffrage universel direct et secret puissent entrer en synergie avec le maximum de structures d'auto-organisation à la base, offrant à l'action populaire l'occasion de s'exercer au quotidien et sans intermédiaires ». Certes, mais en quoi est-ce différent de la synergie qui existe déjà entre collectivités locales et associations présentes sur un territoire ? Peut-être en ce que toutes les entreprises seraient autogérées, c'est-à-dire qu'on aurait exproprié leurs anciens propriétaires ? Notre camarade propose pudiquement que « les salariés » (les salariés ? il y a donc encore un salariat ?) se verraient reconnaître « un droit de regard, d'investigation et de décision sur la gestion de leurs entreprise. Des structures élues assureraient leur représentation collective, dotées de prérogatives dont les actuels comités d'entreprise se trouvent dépourvus : un pouvoir de veto, de proposition ou de contre-propositions, de contrôle des directions. » (p.144) D'où viennent ces directions, on ne le saura pas.
On a l'impression distincte que notre camarade, jugeant la question de l'expropriation des capitalistes trop amère pour ses lecteurs, a considéré qu'il fallait l'enrober dans des sucreries démocratiques connues : il ne s'agit que d'approfondir encore et encore les principes de la démocratie existante, en n'oubliant certes pas de leur ouvrir les portes de l'entreprise, ce qui visiblement ne devrait pas poser plus de problèmes que l'instauration du budget participatif (Porto Alegre et le Rio Grande do Sul sont cités en illustration de la conception de l'autogestion que défend Christian Picquet). D'ailleurs « la révolution doit désormais être appréhendée comme un processus. Un processus long et tortueux – que l'on ne saurait confondre avec les vieilles lunes du "passage graduel au socialisme" ». (p.141-142). Long, tortueux, mais non pas graduel : c'est évident.

Oui, le socialisme
Tout cela pointe la même faille qui au-delà des thèses franchement réformistes de Christian Picquet affaiblit toute une partie du discours de l'extrême gauche en général et de la LCR en particulier : le socialisme serait un mets si puissant qu'on ne saurait le servir sans moult sauces et hors d'œuvres. En l'occurrence il s'agit de séduire le travailleur en lui servant de la proportionnelle, du participatif, du contrôle de l'exécutif, avant de glisser dans le dessert un poil d'autogestion.
Or le progrès décisif de la démocratie que nous défendons, c'est l'appropriation collective du capital elle-même. C'est parce que les moyens de production de distribution et d'échange seront gérés démocratiquement qu'une démocratie réelle pourra s'épanouir, et non l'inverse. Quelle confiance pourront donner les travailleurs à des forces qui ne proposent que des mesures démocratiques susceptibles d'être aussi bien défendues par l'UDF, ou bien qui ne prennent tout leur sens que dans une perspective socialiste, alors que nous ne disons « socialisme » que dans notre barbe et en regardant par terre ?
Sylvestre Balazard
Barnabé
 
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