"Impostures intellectuelles" de Sokal et Bricmont

Message par Louis » 18 Mars 2004, 20:36

(canardos @ jeudi 18 mars 2004 à 16:57 a écrit : lcr, je te rappelle, si tu as lu le premier bouquin de sokal sur son canular, que Sokal se dit lui-meme marxiste, et qu'il affirme qu'il a réagi non seulement en tant que physicien agacé par un verbiage pseudo-scientifique, mais aussi en materialiste et en socialiste agacé par les idéees reactionnaires, relativistes sous-tendues derriere ses propos.

sokal ne conteste pas le statut scientifique des sciences sociales, il dit simplement
qu'elle doivent tirer leur legimité scientifique de leurs propres observations.

et dans impostures intellectuelles ecrit avec bricmont pour etayer par d'autres exemples de façon plus détaillé son premier ouvrage, il réaffirme cette legitimité des sciences sociales à plusieurs reprises pour eviter tout malentendu.

mais manifestement il n'est pire sourd que qui ne veux entendre...
la question du "marxisme" supposé de sokal est de toute façon pas vraiment important : il n'attaque pas les positions des soit disants "post modernes" en tant que marxiste, mais en tant que physicien...

sinon, voila le passage en question :

a écrit :Un facteur quia poussé les nouveaux mouvements sociaux vers le postmodernisme est, incontestablement, le désenchantement face aux orthodoxies de la gauche traditionnelle. Celle-ci, marxiste ou non, se considérait en général comme héritière légitime des Lumières et comme l'incarnation de la science et de la rationalité. De plus, le marxisme reliait explicitement le matérialisme philosophique à une théorie de l'histoire qui donnait un rôle prépondérant, parfois même exclusif, aux facteurs économiques et à la lutte des classes. Le caractère manifestement étroit de cette dernière perspective a mené certains courants dans les nouveaux mouvements sociaux à rejeter la science et la rationalité en tant que telles, ou au moins à s'en méfier.

On peut comprendre cette attitude, mais elle constitue néanmoins une erreur conceptuelle, qui est comme le reflet d'une erreur similaire commise par la gauche marxiste traditionnelle. En réalité, des théories socio-politiques concrètes ne peuvent jamais être déduites logiquement de schémas philosophiques abstraits; et réciproquement, il n'existe pas de position philosophique unique compatible avec un programme sociopolitique donné. En particulier, comme Bertrand Russell l'a fait remarquer il y a longtemps, il n'y a pas de lien logique entre le matérialisme philosophique et le matérialisme historique marxiste. Le matérialisme philosophique (entendu comme l'idée que les phénomènes mentaux sont réductibles à des phénomènes physiques) est parfaitement compatible avec l'idée que l'histoire est principalement déterminée par la religion, la sexualité ou le climat (ce qui irait à l'encontre du matérialisme historique) ; et inversement, les facteurs économiques pourraient être les facteurs déterminants de l'histoire humaine même si les phénomènes mentaux étaient suffisamment indépendants des phénomènes physiques pour que le matérialisme philosophique soit faux. Russell en conclut: « Il est assez important de comprendre de telles idées, sinon les théories politiques sont défendues ou attaquées pour des raisons sans pertinence et des arguments philosophiques théoriques sont utilisés pour résoudre des problèmes qui dépendent de faits concrets à propos de la nature humaine. Cette confusion fait du tort à la fois à la politique et à la philosophie et il est par conséquent important de l'éviter"
Louis
 
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Message par Louis » 18 Mars 2004, 23:38

sur la question de sokal "marxiste" ou pas : je veux bien qu'on en discute mais pas qu'on fasse tous le fil sur ça....


il ne me semblait pas avoir laissé de questions en suspens

a écrit :y-at-il eu une volonté d'utiliser des réferences mathematiques et physiques de façon totalement incorrecte et meme totalement bidon pour donner aux propos en question la caution des sciences dites exactes, oui ou non ?


il me semble totalement paradoxal, dans le chapitre concacré a deleuze, que sokal commence a donner la référence des "notions précises" qui seraient utilisés par celui ci (théoreme de godel, cardinaux transfini, géométrie de reiemann p 213) et utilise d'autres passages, qui ne traitent pas de ces notions... Et quand sokal précise que ces passages sont "truffés de termes techniques", ceux qu'il cite sont autrement vague et capables de plusieurs intérprétation ( vitesse, infini, particule, fonction, catalyse etc voir p 215) Il y a la une véritable imposture intellectuelle de la part de sokal ! Dans les passages qu'il a cité de deleuze, il choisis ce qui lui semble "vrai", "faux", absurde, etc ! En fait, il s'instaure seul juste du vrai et du faux d'un texte qui n'est pas scientifique en soi ! absurde ! Par exemple, il juge absurde une phrase "une fonction est une Ralentie", alors que deleuze explique longuement en quoi la notion de fonction mathématique appliquée au monde physique permet de "ralentir" le monde "objectif" a quelques dimentions... Il me semble que dans le passage sur deleuze au moins, sokal et bricmont bricolent, utilisent des procédés polémiques usés jusqu'a la corde et ne démontrent qu'une seule chose : le fait qu'ils ne connaissent rien a la philosophie ! ce qui n'est pas forcément une tare, mais qui n'est pas non plus un titre de gloire...

a écrit :y-a-t-il eu aussi de la part de certains de ces auteurs une tentative de nier la realité objective en deconnectant les theories scientifiques de la pratique experimentale ?
c'est le cas de latour, non ?

c'est completement le contraire : latour, pour ce que j'en sait, définie les théories scientifiques comme de pures véritées de la pratique expérimentale ! la ou latour est completement relativiste, c'est qu'il dit que la pratique expérimentale n'a de sens que dans le labo, et que la réalité construite dans ce cadre n'a de sens que dans le labo (et donc n'ont pas de valeur de vérité générale)

mais je sens que latour va aussi m'intéresser, mais il faut me laisser quelques jours (histoire de le lire "de mes propres yeux".... )

pourquoi cette obstination a vouloir défendre des types qui ont été pris ouvertement la main dans le pot à confiture ? Ce sont des potes à toi ?
ben quand je lit un livre comme ça, je cherche a savoir s'il ne se plante pas quand il aborde un domaine que je connais bien ! disons que j'adopte vis a vis du livre de sokal la technique qu'il adopte vis a vis de nombreux auteurs ! ça me semble un minimum..
Louis
 
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Message par Louis » 19 Mars 2004, 02:23

a écrit :e n'est pas parce que deleuze donne une definition que celle ci est correcte du pont de vue de la physique.

et si elle n'est pas correcte , qu'est ce que cette phrase vient foutre dans un texte philosophique.


en tout etat de cause sokal a le droit sous le controle des autres physiciens de traiter de vrai de faux ou d'absurde les affirmations et les definitions de deleuze des lors qu'elles relevent de son domaine de compétence.


sans aucun doute ! mais le probleme c'est que ce que sokal dénonce comme absurde n'est précisément pas de son domaine de compétence !


sinon, tu dit que je ne suis pas rigoureux ! mais quand je fait l'effort de te fournir un argument, des références et des textes précis (sur le vocabulaire scientifique utilisé par deleuze, ou sokal dénonce des utilisation de notions scientifique extremement précises (les mots que j'ai cité et dont j'ai donné les références) et il cite des texte ou le corpus des mots utilisé est bien plus vague (donc ambigue, on ne sait jamais si le mot utilisé l'est dans son utilisation scientifique, générale ou philisophique) comme je te l'ai fait remarquer de façon extremement précise toujours en te donnant les références Mais ce procédé ne t'évoque rien ?


a écrit :La première différence est dans l'attitude respective de la science et de la philosophie par rapport au chaos. On définit le chaos moins par son désordre que par la vitesse infinie avec laquelle se dissipe toute forme qui s'y ébauche. C'est un vide qui n'est pas un néant, mais un virtuel, contenant toutes les particules possibles et tirant toutes les formes possibles qui surgissent pour disparaître aussitôt, sans consistance ni référence, sans conséquence. C'est une vitesse infinie de naissance et d'évanouissement.

Notons en passant que le mot « chaos » n'est pas utilisé ici dans son sens usuel aujourd'hui en sciences (note de sokal)


remarquons en bref que deleuze ne prétend aucunement donner une définition scientifique du chaos !

a écrit :Il arrive que la constante-limite apparaisse ellemême comme un rapport dans l'ensemble de l'univers auquel toutes les parties sont soumises sous une condition finie (quantité de mouvement, de force, d'énergie...). Encore faut-il que des systèmes de coordonnées existent, auxquels renvoient les termes du rapport
c'est donc un second sens de la limite, un cadrage externe ou une exo-référence. Car les proto-limites, hors de toutes coordonnées, engendrent d'abord des abscisses de vitesses sur lesquelles se dresseront les axes coordonnables. Une particule aura une position, une énergie, une masse, une valeur de spin, mais à condition de recevoir une existence ou une actualité physique, ou d'« atterrir » dans des trajectoires que des systèmes de coordonnées pourront saisir. Ce sont ces limites premières qui constituent le ralentissement dans le chaos ou le seuil de suspension de l'infini, qui servent d'endo-référence et opèrent un comptage : ce ne sont pas des rapports, mais des nombres, et toute la théorie des fonctions dépend de nombres. On invoquera la vitesse de la lumière, le zéro absolu, le quantum d'action, le Big Bang : le zéro absolu des températures est de - 273,15 degrés ; la vitesse de la lumière, 299 796 km/s, là où les longueurs se contractent à zéro et où les horloges s'arrêtent. De telles limites ne valent pas par la valeur empirique qu'elles prennent seulement dans des systèmes de coordonnées, elles agissent d'abord comme la condition de ralentis



a mon avis, le fond du probleme c'est que sokal ne comprend rien a ce que dit deleuze ! ce qui est normal d'ailleurs ! il est pas philosophe, il est physicien... Mais visiblement ses extraits n'ont aucun sens, ni cohérence interne ! pourtant, si je m'en souviens bien, "qu'est ce que la philosophie" Je ne l'ai pas sous la main, mais si mes souvenir sont exact il explicitait la question du ralentissement (en clair quand il dit que le fait de mesurer un phénoméne "est un ralenti " (non pas comme sokal a l'air de le croire absurdement "le ralenti"...
Louis
 
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Message par Barnabé » 19 Mars 2004, 11:31

Moi je suis parfaitement d'accord avec canardos sur cette affaire... et je suis d'accord avec Sokal et Bricmont (qu'ils soient marxistes ou pas), sur l'imposture intellectuelle manifestée par un certain nombre de "philosophes" contemporains.
Il se trouve que j'ai fais à la fois (un peu) des études en sciences et en philosophie. J'ai lu deux ou trois trucs de deuleuze par exemple et c'est vrai que c'est globalment un avatar du subjectivisme philosophique (et en outre c'est extrêmement verbeux). Mais le point sur lequel tape Sokal et Bricmont n'est en effet pas celui-là, c'est que tout cela est couvert d'un enrobage pseudo-scientifique. Et cela fait croire par exemple à des étudiants en philo (qui en général n'ont jamais fait de sciences), que ces "philosophes" sont rigoureux au seul motif qu'il utilisent des concepts (ou plutôt juste des mots) scientifiques (tout comme par ailleurs des gens qui n'ont jamais fait de philo peuvent penser que c'est très profond parceque ça utilise des gros mots philosophiques incompréhensibles au commun des mortels). C'est ça l'imposture. Et c'est un grand classique. Tout un tas de philosophe jouaient déjà sur le tableau, "soyons imbitables, les gens croieront qu'on est intelligent" (à la Heidegger), les contemporains dénoncés par S&B rajoutent, "soyons en plus imbitables pour les étudiants en philo en puisant dans le jargon scientifique, on aura l'air sérieux". Tout cela porte un nom, et c'est bel et bien l'imposture intellectuelle.

Maintenant sur l'aspect un peu politique, Sokal se dit marxiste "non orthodoxe" (c'est le passage que louis christian cite). On peut être en désaccord avec sa critique du marxisme "orthodoxe", et je le suis. Je pense par exemple que si en effet on peut être jusqu'à un point matérialiste sans être marxiste, ( "Le matérialisme philosophique (entendu comme l'idée que les phénomènes mentaux sont réductibles à des phénomènes physiques) est parfaitement compatible avec l'idée que l'histoire est principalement déterminée par la religion, la sexualité ou le climat (ce qui irait à l'encontre du matérialisme historique)"), en revanche être marxiste suppose (entre autre) d'accepter le matérialisme dialectique (ce que semble nier Sokal), et c'est ce qui justifie toutes des bagarres (d'Engels contre During, de Lénine contre Bogdanov, de Trotsky contre Burnham et Shachtman) contre l'abandon du matérialisme dialectique. Maintenant, moi je vois quand même concrètement la différence entre cette position qui me paraît fausse de Sokal et une position plus directement antimarxiste et réactionnaire. C'est facile, sur le 11 septembre Sokal dit:
a écrit : Le massacre de civils innocents ne me parait jamais souhaitable. Ce qui n'empeche qu'il me semble necessaire, a l'occasion de cette tragedie, de se poser quelques questions.

Et les Lacaniens lui répondent:
a écrit : S'il lit Le Monde, qui a publie son article, M. Bricmont pourra se reporter avec fruit a l'article de Susan Sontag qui suit le sien. Barthesienne, celle-ci deploie des outils plus fins pour penser ce qu'elle appelle *la monstrueuse dose de realite du mardi 11 septembre*. Elle met en lumiere le caractere mythique de la rhetorique du consensus bushien, convoquee pour assurer *qu'on ne demanderait pas au public de porter une trop grande part du fardeau de la realite*. Apres avoir lu Susan Sontag, rasserene, on peut suivre M. Bricmont lorsqu'il rappelle les mefaits de la droite americaine, obtuse et brutale quand elle est aux commandes, ou l'effet de retour que subit la CIA de son soutien aux fondamentalistes. Cependant, on recule devant les categories qu'il manie et l'on se demande dans quelle etrange metaphore lui-meme vit. Avec son pacifisme et sa haine du capital anglo-saxon, M. Bricmont ne nous berce t-il pas des illusions d'un autre temps, celui de Munich par exemple, qui n'ont pas fait du bien en 40, et l'empechent maintenant de penser le notre

Moi entre les deux je sais dans quel camps je suis.

Mais en fait j'ai compris ce qui gêne Louis Christian chez Sokal. C'est quand celui-ci attaque
a écrit : Un facteur quia poussé les nouveaux mouvements sociaux vers le postmodernisme

il doit croire qu'il s'agit d'une attaque contre Besancenot...


Edit: en fait la réponse des lacaniens sur le 11 septembre est faite à bricmont et pas à sokal, mais ça chang pas grand chose...
Barnabé
 
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